Accueillir des «migrants en transit » en Wallonie, durant la crise sanitaire
Kevin Caudron
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2020 – 15
Pour citer cette analyse
Kevin Caudron, «Accueillir des «migrants en transit » en Wallonie, durant la crise sanitaire », Analyses de l’IRFAM, n°15, 2020.
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Depuis 2015, la migration est un sujet d’actualité qui se manifeste de plus en plus dans les médias. Le parc Maximilien, la jungle de Calais ou le camp de Mória sont quelques-uns des lieux qui sont mis en évidence et deviennent connus du grand public. Ces endroits sont, ou ont été, surpeuplés de personnes fuyant leurs pays pour diverses raisons. Dans les médias et dans les discours politiques, l’expression « crise migratoire » ou « crise des migrants » est devenue la norme. Elle met en avant l’affluence des réfugiés dans nos régions, résultant entre autres de « la permanence des conflits au Proche et Moyen-Orient » (Blanchard et Rodier, 2016, 3), ainsi que de la situation politico-économique des pays de l’Afrique subsaharienne (Nouss, 2019).
Myria (2020, 30), le centre fédéral dédié à l’étude des migrations, dont une des missions est d’informer sur l’ampleur du flux vers la Belgique, éprouve des difficultés à dénombrer les personnes en transit1. Ce centre se réfère aux nombres d’arrestations sur le territoire britannique en provenance de la Belgique, afin de dresser un bilan : « En 2018, 25 071 migrants en transit ont au total été interceptés à la frontière avec le Royaume-Uni ou au Royaume-Uni et ayant eu comme dernier arrêt la Belgique. » Les pays d’où sont originaires ces personnes sont principalement l’Érythrée, le Soudan et l’Irak.
La Belgique est un lieu de passage pour bon nombre de migrants en transit vers le Royaume-Uni. Le réseau autoroutier belge offre une voie d’accès direct à la Mer du nord et ses différents ports qui sont de possibles endroits de passage. Disposant souvent de très peu de moyens, les migrants tentent d’embarquer dans les camions stationnés sur les aires d’autoroute, afin de traverser la Manche. Une activité risquée qui peut prendre un certain temps avant de porter ses fruits.
Certains citoyens belges, conscients de cette situation et inquiets des conditions de vie déplorables de ces exilés, se mobilisent afin d’apporter l’aide humanitaire nécessaire aux migrants. Certains apportent des vivres, des vêtements, d’autres offrent leur toit, un endroit pour se réchauffer, se doucher, se reposer. D’autres encore, se regroupent en collectif ou rejoignent une association afin de prendre ce problème en main. Ils organisent des hébergements, des collectes de dons et ils interpellent le monde politique, afin de trouver des solutions à cette question humanitaire. Cette analyse s’intéresse aux motivations sociopolitiques de cet engagement citoyen et solidaire, et à ces volontaires (ainsi qu’à leurs collectifs) qui se mobilisent afin d’apporter du soutien aux personnes migrantes qui transitent par notre pays.
Une approche qualitative
Notre approche est construite sur base d’une enquête de terrain réalisée auprès de huit collectifs wallons de bénévoles et d’associations qui ont en commun l’accompagnement de personnes migrantes en transit vers le Royaume-Uni. La sélection de ces acteurs de terrain rencontrés (une quinzaine) s’est faite de manière à tenter de représenter le plus complètement possible l’ensemble du territoire et des groupes d’actions en Wallonie.
En effet, il existe plus d’une trentaine de collectifs de citoyens actifs dans l’accueil et l’accompagnement de personnes, dont certains sont réunis sous la Coordination wallonne de soutien aux migrants en transit. Au moins six de ces collectifs se trouvent en Province de Namur, quatre au Luxembourg, deux en Hainaut, une dizaine à Liège et autant en Brabant wallon. Le nombre exact des initiatives est difficile à préciser en raison de l’évolution rapide des activités sur le terrain, mais tout semble montrer que les chiffres soient plus élevés que nos estimations prudentes. Une tentative de cartographie en ligne est en cours de réalisation par le Centre régional d’intégration du Luxembourg. Les interviews (souvent collectives) alimentant la présente analyse ont été menées en octobre 2020. Elles recouvrent une partie des collectifs et associations (membres ou non de la Coordination), suivant les diverses aires autoroutières présentes sur la E411, E40 et E42 d’Arlon à Tournai, routes de la migration. Les personnes interviewées proviennent de « Relais de jour de Waremme », « Oufti Camping » et « Cisolré » de Liège, « Répit » de Tournai, « Amitiés internationales de Habay », « ESCAL » et « Humains à Sterp » en province de Luxembourg, ainsi que le « GABS » de la région de Namur. Plusieurs de ces organisations sont présentes sur les réseaux sociaux.
Pour mener ces entretiens, un questionnaire semi-directif a été élaboré, il s’articule autour de sujets tels que la compréhension des collectifs (origines et moyens), des bénévoles (profils et motivations) et de l’influence de la crise sanitaire sur leurs actions. Ces rencontres se sont déroulées principalement aux domiciles personnels des volontaires, dans les locaux des associations ou par visioconférence quand la crise sanitaire liée au Covid-19 n’a plus permis une rencontre de visu. L’analyse consiste en la recherche de consonances et dissonances dans le corpus récolté et d’une discussion avec la littérature sociologique existante sur ce sujet, illustrée par un survol du web. Le but étant de mettre en lumière la réalité vécue des différents acteurs de terrain bénévoles ou professionnels, dans un contexte politique et médiatique global, pour le moins peu capable d’empathie 2avec des personnes qui n’ont pas choisi de prendre la route, surtout durant une crise sanitaire.
Des constats aux mobilisations citoyennes
La plupart des personnes dites « en transit » désirent rejoindre le Royaume-Uni suite à l’impossibilité d’obtenir un statut de séjour dans les autres pays européens. Elles vivent des situations précaires dans des endroits décentrés qui sont souvent aux abords des axes autoroutiers. Ce sont ces refuges de fortune qui servent de point de départ à leurs tentatives (appelées « try » ou « chance » par les migrants) de rentrer dans un camion qui atteindra la destination souhaitée. Selon Keygnaert et coll. (2014), les expressions « migrant en/de transit » ou « transmigrants » sont apparues, durant la décennie 2000, pour désigner les Africains subsahariens désirant se rendre en Espagne, en passant par le Maghreb et, en particulier, par le Maroc, au péril de leur vie, et préparant leurs tentatives de traversée à partir des camps de fortune en périphérie des villes côtières. Pour de Massol de Rebetz (2020, 6), l’usage de ces expressions devient courant, dès 2015, dans les milieux politiques, médiatiques et gouvernementaux européens et belges pour décrire des migrants originaires d’Afrique ou d’Asie qui souhaitent se rendre au Royaume-Uni et qui, entre-temps, restent sur les côtes belges et françaises. L’auteur indique que ce terme, utilisé par des organisations humanitaires, voire dans des directives ou des appels à projets européens, n’apparait pas dans la loi, et peut déshumaniser les personnes qu’il nomme. Bien que le projet des personnes désignées apparaisse clairement dans ces appellations, ni le terme « transmigrants » ni celui de « migrant en transit » ne correspondent à une catégorie juridique — tout comme l’expression « sans-papiers » —, il est alors possible d’ignorer les personnes qui sont nommées comme telles, ignorer leurs conditions, voire les criminaliser (« les illégaux » ou « les clandestins »), et de se déresponsabiliser de leur présence, ainsi que de leur situation. Malgré cette indifférence, sinon générale du moins largement partagée, les personnes désignées ainsi sont plus que simplement « en transit ». D’après de Massol de Rebetz (2020), elles appartiennent, en effet, à d’autres catégories comme réfugiés, demandeurs d’asile, potentielles victimes d’un trafic d’humains, voire des personnes qui partagent notre espace et qui interrogent les contradictions de nos politiques internationales, humanitaires, de coopération, de sécurité et d’immigration. Sur le terrain, les bénévoles parlent des migrants avec des termes plus familiers, comme « les gars », mettant de côté toute catégorisation politique, pour retrouver une relation d’égal à égal.
Myria (2020, 20) explique le déplacement des migrants sur les aires d’autoroutes wallonnes « en raison des contrôles accrus, de la fermeture de parkings et de la gestion de certains parkings par des trafiquants, les migrants en transit s’éloignent de plus en plus de la côte et se retrouvent progressivement dans des parkings dans tout le pays, par exemple le long de l’autoroute E42 » 3. Ce regroupement de personnes vivant dans des conditions précaires est un des constats à la base de mobilisations citoyennes. Informés par le bouche-à-oreille ou par les médias de l’existence de groupe d’exilés, notamment au parc Maximilien à Bruxelles, ou témoins directs de la présence de migrants dans leur région, certains citoyens agissent en solo ou, plus souvent, se rassemblent afin de proposer leur aide. Pour Mescoli et coll. (2019), la médiatisation de la « crise des réfugiés » de 2015 a eu un impact majeur sur la mobilisation de volontaires et des initiatives populaires face à la perception du manque d’aide humanitaire et surtout de l’engagement de l’État. L’évolution de ces citoyens en collectif provient pour une bonne part de rencontres avec d’autres personnes des environs vivant la même situation. Ces groupes se forment afin de trouver des solutions communes face aux conditions de vie des migrants, et se font entendre à travers les médias sociaux, par exemple, en faisant usage de l’interpellation citoyenne qui leur permet de communiquer leurs demandes aux politiques locales. Dans certains endroits, comme à Namur, ce sont des associations déjà présentes sur le terrain qui aident au développement d’un projet d’accompagnement spécifique aux migrants, en supplément de leurs missions.
Les objectifs des collectifs de bénévoles rencontrés sont principalement de proposer une aide humanitaire urgente face à cette situation, ce qui consiste souvent à trouver un lieu d’hébergement et à répondre aux besoins primaires : nourrir, vêtir et offrir une certaine hygiène et sécurité. Ce sont ces actions qui, selon Gourdeau (2019, 315), « constituent la porte d’entrée » pour aller vers les migrants, commencer à leur venir en aide et peut-être rejoindre un collectif. Les associations préexistantes se démarquent par l’apport d’accompagnements spécifiques qui trouvent leurs sources dans leurs missions (soutien aux femmes ou aux mineurs, permanence juridique ou sociale). En plus de cette aide humanitaire, il s’agit pour ces groupes d’effectuer le transport des personnes vers les hébergeurs (drive), de les informer sur la demande d’asile, d’interpeller le politique ou encore de les amener vers un médecin, si besoin. Cette mise en action conduit les volontaires à créer des relations personnelles avec des personnes exilées et permet de développer une nouvelle conscience, directe, des contextes qui poussent à la migration, des conditions dans lesquelles celle-ci a lieu et de leurs conséquences sur le devenir des femmes et des hommes finalement devenus des amis. L’implication des citoyens solidaire dans le quotidien tumultueux des migrants en transit est souvent source d’indignation face aux actions répressives mises en place par les dirigeants européens et belges, mais aussi face à l’indolence de la plupart de nos concitoyens par rapport aux injustices subies par les transmigrants. Les avis des bénévoles sont unanimes quand il s’agit de penser à la politique mise en place en Belgique face à la situation des migrants en transit et les professionnels de l’aide sociale partagent leurs inquiétudes et leurs incompréhensions. Les bénévoles sont scandalisés, outrés, voire même honteux du manque de considération de la politique migratoire et, de surcroît, de son système répressif. Ils ont l’impression d’être invisibles aux yeux des responsables politiques ou, pire, pour certains, d’être moqués par eux 4.
Il convient, toutefois, de préciser que la sollicitation humanitaire à apporter aux migrants est la principale source de mise en action de la plupart des bénévoles plutôt que leurs convictions politiques (Mescoli et coll. 2020). Les citoyens solidaires rencontrés expriment qu’ils agissent principalement pour améliorer les conditions de vie des migrants et non pour pointer du doigt les manques d’actions du politique, mais ces constats finissent par fuser immanquablement.
Profils et motivations des acteurs de terrain
Durant la présente enquête, la majorité des personnes interviewées sont des femmes. L’âge des bénévoles est très variable, et s’étend de 29 à 66 ans. Une grande partie de ces acteurs travaillent dans le secteur social ou sont enseignants, le reste étant constitué de personnes retraitées ou sans-emploi. Leur niveau d’étude est principalement celui du bachelier. La formation à l’accompagnement dont bénéficient les volontaires peut être variable, certains comme Anna 5. n’en ont pas : « Nous n’avons pas les compétences d’assistants sociaux. Nous nous débrouillons et apprenons sur le terrain. » D’autres, semblent mieux outillés pour répondre à la situation, ils disposent d’un diplôme d’éducateur spécialisé, d’une formation aux droits des étrangers ou sont assistants sociaux. Quelle que soit leur formation antérieure, les volontaires n’ont pas forcément d’expérience dans l’accompagnement spécifique à la situation des migrants, de surcroît dans des contextes de crise (Rea et coll., 2020). La prise en charge de migrants semble principalement émaner de la volonté d’agir face à leurs conditions de vie précaires. La motivation principale des bénévoles interrogés est d’apporter une aide humanitaire aux personnes en exil. Cette motivation peut provenir de l’émotion ressentie de certains citoyens face aux conditions de vie des migrants, comme c’est le cas pour Laurence : « Je ne pouvais pas supporter l’idée que des gens risquaient de mourir de froid alors que nous avons une chambre à la maison et que nous n’aurions rien fait du tout ». Un constat assez semblable à celui d’Adeline qui a hébergé chez elle :
« À partir du moment où les deux premiers migrants sont venus et puis repartis, on ne sait plus faire marche arrière. Les aider de quelques manières que ce soit. S’il fait ce temps-là [il pleut au moment de l’interview] et que je vais dormir, je me dis qu’il y en a deux qui pourraient être ici. Ça me rend malade. On voit dans quels états ils arrivent. Il y en a qui ne veulent même pas manger… »
Pour Gourdeau (2019), également, la mise en action est souvent liée aux affectes ressentis par les citoyens quand ils sont témoins des réalités vécues par les migrants. De plus, le jeune âge des migrants et migrantes semble être un facteur amplifiant l’empathie à leur égard : « J’ai trois enfants, les migrants peuvent avoir presque le même âge qu’eux. Moi, si mes enfants se retrouvaient dans cette situation là, j’espère qu’il y aurait des mamans pour leur refiler un coup de main » (Marie). La rencontre, souvent enrichissante, avec les migrants semble être un autre facteur qui amplifie cette motivation, comme l’exprime Sylvie : « Je suis toujours extrêmement surprise du respect dont ils font preuve envers les volontaires et envers les travailleurs ».
Pour la majorité de volontaires, l’accompagnement des migrants en transit n’est pas leur premier engagement solidaire. Ils ont déjà pu donner de leur temps à des associations telles qu’Oxfam, ou Amnesty International. Il est à souligner que la différence entre ces engagements antérieurs dans ces grandes ONG et l’aide directe aux migrants est importante. Leur implication actuelle demande considérablement plus de temps et d’investissement psychologique, et n’est certainement pas neutre au niveau financier.
Une grande majorité des personnes interrogées encouragent toutefois l’hébergement en valorisant l’expérience humaine qui en émane. Les relations des bénévoles avec les migrants sont extrêmement positives. La notion qui ressort le plus des interviews est celle du respect. Les personnes accueillies sont décrites comme cordiales, bienveillantes, reconnaissantes et serviables. Il ressort de ces observations qu’un échange positif se produit entre les citoyens volontaires et les migrants, tel que l’expliquent Manço et Arara (2018, 233) : « le don qui initie le mécanisme n’est pas “pur” ou sans calculs, dans le sens où il se base sur l’expectation d’un “retour d’intérêt”, même s’il s’agit essentiellement d’un intérêt collectif, et seulement en partie d’un intérêt personnel et symbolique ».
Les moyens à disposition en Wallonie
Comme indiqué précédemment, les routes migratoires belges sont parsemées d’actions locales généralement situées non loin des autoroutes ou dans les villes avoisinantes. Ces collectifs de bénévoles et ces associations disposent de moyens différents selon le lieu dans lequel ils se trouvent. Parmi les personnes interviewées, une majorité de ces groupes dispose d’un local servant de lieu d’accueil de jour permettant aux migrants de se reposer la journée. C’est le cas rencontré à Habay, expliqué par René : « Nous connaissions d’autres personnes qui étaient au courant de la situation. Nous avons interpellé la commune afin d’avoir une structure. Le bourgmestre est venu et a été touché par ce qu’il se passait sur place. Une personne du groupe a décidé de faire l’interpellation commune hospitalière. La commune a répondu positivement et a proposé un bâtiment, ouvert depuis le 6 janvier 2020 ». D’autres lieux, comme la « Sister house » de Huy, peuvent proposer également un logement la nuit et un accueil adapté.
Il existe néanmoins beaucoup d’endroits pour lesquels un camp est établi dans une forêt, faute de soutien ou de moyens financiers. C’est le cas à Sterpenich ou à Waremme, où certains migrants ont installé leurs tentes dans des bois non loin de l’aire d’autoroute. Le financement d’un local, quand il y en a un, peut provenir de la commune ou d’appels aux dons.
Si le besoin s’en fait sentir, la majorité des collectifs et des associations disposent d’un réseau leur permettant d’avoir accès à une aide juridique. Elle peut provenir de la collaboration avec d’autres associations ou de connaissances privées. Les bénévoles semblent savoir vers qui se tourner pour acquérir ce type d’aide : les Centres régionaux d’intégration, diverses plateformes citoyennes, des juristes, des assistants sociaux spécialisés, etc. Si, les groupes rencontrés disposent de nombreuses ressources pour leurs actions, cela prend la forme d’un réseau comportant de multiples associations connexes.
L’ensemble des interventions visitées possède une aide médicale. Il s’agit généralement de médecins solidaires de la région, parfois le médecin de famille du répondant lui-même. L’aide médicale urgente du CPAS, une intervention financière qui permet de couvrir certains frais médicaux à destination de personnes en situation irrégulière, est mentionnée par tous les collectifs, bien que son accès ne soit ni aisé ni égal. En effet, dans certaines régions comme Tournai et Waremme, les acteurs de terrain ont beaucoup de difficultés à y recourir, ils doivent alors se tourner vers d’autres villes, plus accueillantes, ou vers d’autres services médicaux.
Les collectifs de bénévoles utilisent beaucoup les moyens de communication numériques et les réseaux sociaux pour s’organiser et planifier leurs actions. Ils semblent partager leurs différentes activités en accordant à chaque personne ou groupe de personnes une ou plusieurs responsabilités. Ce qui est la norme dans les associations qui possédaient déjà un organigramme.
Les télévisions et les journaux s’intéressent aux collectifs citoyens, surtout de manière locale. Il s’agit parfois d’interpellation de la part des bénévoles afin d’influencer les actions des pouvoirs publics : dénoncer le manque de soutien ou un éventuel démantèlement ou encore, d’informer la population sur la présence et les conditions de vie des migrants.
La solidarité à l’épreuve du confinement
Les rencontres menées pour cette analyse ont pris place dans un contexte singulier qui est celui de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, amenant son lot d’inconvénients pour les militants. Une bonne partie des bénévoles sont des personnes retraitées, qui ont pour la plupart pris leurs distances avec le terrain afin d’éviter une éventuelle contamination. Cette mise en retrait a engendré une diminution du nombre d’acteurs sur le terrain, laissant la place, dans certaines régions, à de nouveaux bénévoles qui sont apparus afin de renforcer les rangs, durant cette période difficile.
D’autres problèmes ont été rencontrés : les déplacements vers les endroits d’accueil ont, par exemple, été considérés comme non essentiels et ont dû être relayés par les travailleurs sociaux, quand cela était possible. Dans d’autres cas, des bénévoles ont pris le risque de braver le confinement. Certains centres d’accueil ont dû fermer leurs portes, laissant les hébergés à l’extérieur face aux conditions météorologiques défavorables et un couvre-feu la nuit. D’autres centres d’accueil sont restés ouverts, mais se sont confinés, changeant la dynamique d’accueil. De fait, pour Debelder et Manço (2020, 5), « les mesures sanitaires ont impliqué pour ces citoyens de s’engager dans des hébergements continus, et pour la durée indéterminée du confinement. […] Les enjeux pratiques comprenaient avant tout le manque de matériel sanitaire adapté ».
Toutefois, l’opiniâtreté des collectifs et la stratégie du réseau, combinée avec la collaboration d’organismes professionnels chargés des questions de migration, ainsi que de certains acteurs politiques locaux ou régionaux, ont porté leur fruit puisqu’une subvention exceptionnelle de 300 000 euros vient d’être accordée par la Région wallonne à la Coordination Wallonne de soutien aux Migrants en transit, dans le cadre de la résurgence de la crise sanitaire, afin d’assurer l’accueil et l’hébergement d’urgence des personnes migrantes en transit. Cette aide soutiendra une trentaine de collectifs ou d’associations agrées dans l’ensemble de la Wallonie et constitue, en réalité, une première reconnaissance politique de taille de leur travail — et de leur public — qu’il s’agit de faire entendre le plus largement possible.
Conclusion
L’aide humanitaire urgente à apporter aux personnes migrantes semble être la motivation principale des citoyens solidaires qui s’engagent à accompagner les personnes migrantes de passage en Wallonie. Force est de constater que ces actions ne sont pas évidentes. Les plus grandes difficultés trouvent leurs sources dans le manque de financement et dans l’absence de soutien politique. Si dans toutes les communes, un contact est établi avec les dirigeants politiques, la qualité de cette relation varie d’un lieu à l’autre. Les demandes d’aide aux pouvoirs publics peuvent être rejetées ou ignorées ou encore recevoir des réponses insatisfaisantes ou tardives. Certaines entités communales semblent mieux loties et disposent de soutien (aide alimentaire ou subventions). Le message adressé aux politiques par les accueillants est clair et unanime, ils demandent à être entendus et soutenus dans leurs actions. Pour ce faire, il leur est nécessaire d’accéder à des infrastructures et une plus grande visibilité. Il est temps, selon eux, que les politiques prennent leurs responsabilités par rapport à l’accueil des migrants et qu’ils arrêtent d’ignorer la situation, souvent pour des questions électorales. Un message qui commence, semble-t-il, à faire son chemin au vu les fonds exceptionnels débloqués par la Région wallonne pour soutenir les acteurs de terrain, d’autant plus que ce geste fait suite à une circulaire de la Région wallonne adressée aux pouvoirs locaux, précisant le cadre légal de l’accueil des migrants en transit et les ressources partenariales à activer, même si la route qui reste à effectuer est encore longue pour une prise en charge structurelle de la problématique.
Bibliographie
Blanchard E. et Rodier C. (2016), « “Crise migratoire” : ce que cachent les mots », Plein droit, v. 4, n° 111, p. 3-6.
Debelder J. et Manço A. (2020), « Pandémie : mobilisations citoyennes et modes de gestion locale de la question migratoire », Diversités et citoyennetés, n° 55, p. 4-9.
Gourdeau C. (2019), « L’hospitalité en actes. Quand des habitants viennent en aide aux migrants en transit à Ouistreham », Revue du MAUSS, v. 1, n° 53, p. 309-321.
Manço A. et Arara R. (2018), « Le bénévolat comme dispositif d’insertion à l’emploi des migrants : à quel prix ? », Manço A. et Gatugu J. (éds), Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan, p. 225-244.
Mescoli E., Reidsma M., Diels E., Hondeghem A., Mazzola A., Roblain A. et Rea A. (2019), « Mobilizations and Opinions Regarding Asylum Seekers, Refugees and Undocumented Migrants in Belgium : Frames, Motivations and Actions », Rea A., Martiniello M., Mazzola A. et Meuleman B. (éds.), The Refugee Reception Crisis in Europe. Polarized Opinions and Mobilizations, Éditions de l’Université de Bruxelles, p. 171-224.
Nouss A. (2019), La condition de l’exilé : penser les migrations contemporaines, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’Homme.
Rea A., Martiniello M., Mazzola A. et Meuleman B. (2020), The Refugee Reception Crisis in Europe. Polarized Opinions and Mobilizations, Éditions de l’Université de Bruxelles.
Notes
- Ce terme renvoie aux femmes et aux hommes qui souhaitent immigrer légalement ou non en Grande-Bretagne, en passant, notamment, par la Belgique ou la France.
- Le début du procès sur la mort de la petite Mawda et les commentaires que cela a suscités dans la presse sont une bonne illustration de cette ambiance générale.
- Toutefois, certains témoins pensent que les parkings même les plus éloignés de la capitale pourrait être sous l’emprise de réseaux de passeurs.
- Quand pressées par la saison froide qui arrive, certaines communes décident de faire un « petit geste » en faveur des migrants en transit, certains — dont des migrants eux-mêmes — s’en réjouissent, alors que d’autres expriment leur écœurement, notamment sur la page Facebook de la Coordination wallonne de soutien aux migrants en transit, où le débat est permanent.
- Les noms sont de substitution.