Quel accueil socioscolaire pour les enfants de parents réfugiés ?
Charlotte Poisson
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2022
Pour citer cette analyse
Charlotte Poisson « Quel accueil socioscolaire pour les enfants de parents réfugiés », Analyses de l’IRFAM, n°10, 2022.
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À l’heure où les décideurs européens s’interrogent sur les stratégies et les manières les plus pertinentes et efficaces de soutenir l’intégration (économique, sociale, politique, citoyenne, culturelle) des nouveaux arrivants, réfugiés au sein des pays d’accueil, les récents rapports de l’OCDE (2021) et du Migration Policy Institute (Maki et coll., 2018) font état de l’importance de concevoir des systèmes scolaires et de l’accueil de la petite enfance, inclusifs et capables de répondre à l’évolution de la diversité linguistique et culturelle. Ces systèmes seront un précieux vecteur de cohésion sociale. Tour d’horizon, dans cette analyse, de l’accueil socioscolaire dans différents pays de l’OCDE et des bonnes pratiques pouvant inspirer notre modèle belge francophone.
Mobilité forcée des familles réfugiées et difficile continuité scolaire des enfants
Le fonctionnement du système d’asile dans la plupart des pays européens rend compliqué la stabilité géographique des réfugiés et par là même l’ancrage au sein d’un territoire permettant de développer des contacts sociaux durables. En Belgique, ce fonctionnement ne prend pas en compte les spécificités scolaires et linguistiques des enfants réfugiés. Une famille peut se voir contrainte de déménager en plein milieu d’une année scolaire, pour des raisons liées à sa procédure d’asile. Ou encore, le fait qu’un enfant ait appris le français dans son pays d’origine ne rentre pas en ligne de compte dans l’orientation des familles vers l’une ou l’autre région du pays qui permettrait à l’enfant de poursuivre sa scolarité dans cette langue. Cette procédure ne facilite pas l’intégration des familles et de leurs enfants et rend difficile la continuité des services proposés à ces derniers. Selon le rapport du Migration Policy Institute (2018), cette mobilité forcée est néfaste pour les jeunes réfugiés, car elle « interrompt le processus de construction de relations précieuses entre les enseignants, les enfants et leurs parents, et crée une discontinuité supplémentaire dans leur apprentissage ».
Importance de l’égalité des chances avant l’entrée à l’école : miser sur l’accueil de la petite enfance
Autant le rapport de l’OCDE (2021) que celui du Migration Policy Institut (2018) insistent sur l’importance de mettre en place des services d’accueil de la petite enfance de qualité et intégrés aux autres services que les familles réfugiées côtoient (les services d’emploi, par exemple). Pourtant, les services d’accueil de la petite enfance, bien qu’existant dans la plupart des pays, font encore trop peu souvent l’objet d’une priorité de la part des gouvernements et sont sous-investis. La pensée sous-jacente pouvant expliquer en partie cette moindre préoccupation étant que les enfants en bas âge (en dessous de l’âge de l’obligation scolaire) sont supposés être pris en charge par leurs parents, et qu’il est donc moins urgent de proposer des services d’accueil pour ce très jeune public. Pour Migration Policy Institute (2018), il est pourtant largement prouvé que la fréquentation des services d’éducation et d’accueil pour jeunes enfants est bénéfique d’abord pour les enfants qui vivent des situations de précarité, notamment ceux dont les parents sont immigrés, mais aussi pour les familles et la société dans son ensemble, et ce, sur le long terme. En effet, « les enfants qui manquent de ce soutien au début auront probablement besoin de services coûteux et d’une prise en charge dans les années suivantes ». C’est également une des recommandations de l’OCDE (2021) qui préconise bien souvent des actions en amont, avant que les difficultés n’apparaissent, comme autant d’investissements bénéfiques sur le long terme, contribuant ainsi à enrayer les inégalités.
Les centres d’accueil de réfugiés où résident dans un premier temps (mais parfois pour de longues périodes) les enfants et leurs familles manquent généralement d’activités et d’infrastructures pour les enfants de moins de 6 ans. Parce que la fréquentation scolaire n’est pas obligatoire et l’accès à l’éducation n’est pas assuré par la loi pour ces jeunes enfants, les « États semblent démontrer un manque plus large de responsabilité pour le bien-être des populations vulnérables » (Migration Policy Institute, 2018). Bien que les pays de l’OCDE aient fait des efforts dans l’élargissement des services d’accueil de la petite enfance depuis les années 2000, les politiques doivent être ambitieuses afin de lever les obstacles à la participation des populations migrantes aux actions proposées au sein de ces services en veillant à diffuser les informations, mener des actions de sensibilisation, en garantissant leur accessibilité et leur gratuité, ainsi qu’en formant un personnel qualifié misant sur les compétences interculturelles et multilingues.
Accueil scolaire des jeunes réfugiés : une préoccupation partagée, des réponses divergentes
Les jeunes réfugiés sont confrontés à des difficultés dans le système éducatif. Différentes raisons à cela : les difficultés liées à l’apprentissage de la langue d’enseignement et l’adaptation aux nouvelles « manières » d’enseigner, le manque de prise en compte et en charge des traumatismes liés à l’exil, le manque de connaissances du cadre scolaire qui entraîne une lacune dans les informations pertinentes aidant à l’orientation des jeunes dans le système, la faible maîtrise de la langue de la part des parents qui rend compliqué le soutien pouvant être apporté à la scolarité des enfants, les liens parfois ténus entre l’école et les communautés, des écoles et des enseignants se trouvant dépourvus face à la multiplicité des besoins, profils et niveaux linguistiques d’élèves dans une même classe et des enseignants trop peu formés… « Les jeunes qui arrivent dans le pays après le début de l’enseignement primaire ont besoin de solutions flexibles. Dans la plupart des pays, les élèves immigrés arrivés à l’âge de 12 ans ou plus accusent un retard en matière de compétences en lecture à l’âge de 15 ans par rapport aux élèves immigrés de la même classe, arrivés plus jeunes » (OCDE/UE, 2015). Il est donc nécessaire de se pencher sur ce public et des programmes qui lui sont proposés. Les approches dans les pays de l’OCDE varient souvent entre deux polarités, soit en intégrant le jeune directement dans une classe ordinaire et en proposant divers supports, entre autres, linguistiques, en parallèle, soit en plaçant le jeune dans une classe spécifique avant de l’intégrer, par la suite, dans une classe ordinaire. Ces deux approches sont discutables et présentent des avantages et des inconvénients.
Le report de l’enseignement du programme jusqu’à ce que les élèves maîtrisent la langue d’enseignement est controversé. Les critiques suggèrent que les élèves immigrés prennent encore plus de retard par rapport à leurs pairs non immigrés et que l’apprentissage des langues intégré dans l’enseignement académique est plus efficace (Karsten, 2006 ; Nusche, 2009 ; OCDE, 2010). Cependant, une certaine période d’adaptation est généralement nécessaire pour les étudiants qui ne parlent pas la langue et/ou qui sont confrontés à d’autres obstacles. Des durées maximales fixes pour les classes d’accueil et des approches adaptées garantissent que les élèves immigrants ne restent pas bloqués. Les classes d’accueil peuvent, par exemple, commencer sous la forme d’un programme de soutien à temps plein et être progressivement supprimées à mesure que les élèves s’intègrent dans l’enseignement ordinaire. Par ailleurs, miser sur des approches valorisant et intégrant le multilinguisme et les compétences des enseignants eux aussi migrants peut être intéressante dans certains contextes. En Suède et au Canada, les professeurs de langue formés à l’étranger sont de plus en plus courants dans les classes d’accueil, y compris des enseignants récemment immigrés. Cette approche, qui fait partie des parcours d’intégration « accélérés » pour certaines professions, permet aux enseignants migrants d’obtenir un emploi pendant que leurs qualifications pédagogiques étrangères sont évaluées en vue d’une reconnaissance officielle (Charara et Morrissette, 2018).
Proposer des parcours éducatifs flexibles
L’OCDE recommande de proposer à ces jeunes des parcours éducatifs flexibles et, dans le cas des pays qui orientent les élèves vers certaines filières, de reculer l’âge où cette sélection sera effectuée au risque d’orienter ces élèves en fonction de leur niveau linguistique qui ne reflète pas leurs capacités cognitives. Cela engendre des inégalités et maintient un taux élevé de jeunes d’origine étrangère dans certaines filières de l’enseignement non général, fermant ainsi les portes à des études universitaires. Dans le même ordre d’idée, les pays pourraient proposer des années supplémentaires de scolarité au-delà de l’âge habituel de fin de scolarité. Ces solutions permettent de soutenir les élèves immigrés ayant une éducation formelle limitée et qui arrivent dans le pays vers la fin de la scolarité obligatoire. En Nouvelle-Zélande, par exemple, les jeunes peuvent rester dans l’enseignement secondaire au-delà de l’âge de 19 ans. L’État de Bavière a relevé l’âge obligatoire pour les écoles professionnelles de 18 à 21 ans et, dans certains cas, à 25 ans, en réaction à l’afflux important de jeunes réfugiés en 2015. Par ailleurs, le rapport de l’OCDE (2021) observe que de nombreux jeunes réfugiés arrivés tardivement ne souhaitent pas poursuivre leurs études et cherchent à trouver un travail, qui sera bien souvent peu qualifié et instable. Les programmes ciblés combinant études et expérience professionnelle sont à encourager, car ils peuvent inciter les arrivants tardifs à poursuivre leurs études et obtenir une qualification.
Renforcer le lien avec les parents
Le soutien des parents interviendrait sensiblement dans la réussite du parcours scolaire des jeunes (OCDE, 2021). Ce soutien est multiforme, pas seulement linguistique, bien que la maîtrise de la langue y contribue. Les parents immigrés ont fréquemment des aspirations plus élevées pour les résultats scolaires de leurs enfants que les parents natifs (Hagelskamp, Suárez-Orozco et Hughes, 2010 ; Becker et Gresch, 2016 ; OCDE, 2021). Néanmoins, des aspirations élevées ne sont pas suffisantes lorsque les connaissances réelles sur la manière de surmonter les désavantages et d’atteindre les objectifs éducatifs font défaut. En effet, de nombreux parents immigrés, en particulier en Europe, ont de faibles niveaux de qualification formelle et/ou ne connaissent pas le système éducatif du pays d’accueil. Il en résulte que la transmission intergénérationnelle des difficultés et des inégalités est souvent plus élevée pour les immigrés que pour les natifs (OCDE, 2017). Il est donc primordial de communiquer avec les parents, de les informer et de valoriser leurs compétences. Au Canada, des agents de liaison école-parents maîtrisant différentes langues et formés au travail avec un public migrant, assurent le partage d’informations entre les différents milieux de vie des enfants, souvent structurés autour de la famille, de l’école et de la communauté, afin de favoriser l’établissement de relations école-familles-communauté qui soutiennent la réussite éducative des enfants (Charette et Kalubi, 2016). Les autorités publiques peuvent soutenir les écoles en finançant la traduction de documents explicatifs sur le système scolaire ou en organisant des séances avec des interprètes interculturels lors de l’accueil des jeunes et des réunions de parents (OCDE, 2015).
Encourager les partenariats interinstitutions
La création de partenariats entre les organismes publics responsables des procédures d’asile et les organismes s’occupant de l’accueil des enfants est bénéfique afin de promouvoir une prise en charge cohérente, liée aux besoins des personnes. En effet, lorsque les prestataires de services sont encouragés à adopter une approche globale au bénéfice des jeunes enfants réfugiés et leurs familles, les retombées sont positives pour l’ensemble du système, car la détection des besoins est considérée comme cruciale en tant que première étape, l’orientation des personnes vers les services adaptés qui en découle est pertinente et les collaborations entraînent un échange d’informations et une communication indispensables pour garantir ce suivi intégré. En Flandre par exemple, « Kind en Gezin » a un accord de collaboration avec Fedasil (l’Agence Fédérale Belge pour l’Accueil des demandeurs d’asile) et la Croix-Rouge qui gère les centres d’accueil pour demandeurs d’asile. L’ONE (Office des Naissances et de l’Enfance) a cette même préoccupation de travail intégré et s’efforce d’inclure les familles de réfugiés dans ses programmes, en menant des actions de sensibilisation dans plusieurs langues et en collaborant avec des ONG telles que Médecins du Monde pour atteindre ces familles.
Ce genre de partenariat, basé sur la communication et la collaboration, garantit l’accessibilité à toute une série de services pour les demandeurs d’asile. « Les partenariats interinstitutions peuvent également être d’une importance cruciale et particulièrement fructueux au niveau local » (Migration Policy Institute, 2018). Au Canada, le programme « First Steps Early Years » rassemble des associations et des prestataires de services municipaux offrant ainsi un panel de services intégrés, faciles d’accès et liés les uns aux autres, souhaitant répondre au mieux aux besoins exprimés par les familles réfugiées.
Accueil scolaire des enfants réfugiés en Belgique : contexte et obstacles
En plus de la politique d’asile qui, comme on l’a vu, tend à provoquer une mobilité forcée des réfugiés induisant un contexte défavorable pour l’intégration des élèves au sein des écoles, l’organisation et le fonctionnement du système scolaire belge participent aux difficultés et aux inégalités rencontrées par les personnes migrantes. La ségrégation urbaine (si nous prenons le cas de Bruxelles) entraîne une relégation scolaire liée au fonctionnement du quasi-marché scolaire dans lequel les parents sont à l’assaut pour s’emparer des places dans les écoles réputées. Cette concentration d’enfants immigrés dans certaines écoles a des répercussions et à plus forte raison, entrave les performances scolaires de ces jeunes et leur insertion future sur le marché de l’emploi. Un rapport de l’OCDE paru en 2017 indique cependant « que la variable clé dans ce contexte n’est pas le statut de migrant en soi, mais la part importante de jeunes issus de ménages socio-économiquement défavorisés et la concentration de désavantages qui en résulte dans les écoles ». Par exemple, en France, en Allemagne, en Grèce et en Belgique, les élèves de parents immigrés dans les écoles à forte concentration d’élèves ayant des parents immigrés obtiennent des résultats aux tests PISA inférieurs d’environ 40 points à ceux de leurs pairs dans les écoles à faible concentration, soit l’équivalent d’un retard d’une année de scolarité (OCDE, 2017). Toutefois, cet écart disparaît en grande partie lorsque le milieu socio-économique de leurs parents est pris en considération (OCDE, 2021).
Prévenir la concentration de jeunes défavorisés dont les parents sont immigrés dans les mêmes écoles (par des mécanismes de répartition équitable, par exemple) et atténuer les conséquences négatives de cette concentration notamment par un financement supplémentaire et un soutien pédagogique sont les deux approches habituelles pour tenter de trouver des solutions à cet état de fait. En parallèle, les enseignants sont la ressource la plus importante des écoles, et pour garantir un enseignement de qualité dans les écoles défavorisées, il faut y placer les meilleurs enseignants, ceux qui peuvent faire la différence dans les résultats d’apprentissage et l’expérience scolaire des élèves. Pourtant, les écoles défavorisées ont souvent du mal à attirer et à retenir les enseignants les mieux préparés et les plus expérimentés (Hanushek et coll., 2016 ; OCDE, 2018). Plusieurs pays de l’OCDE ont introduit des mesures incitatives, telles que des salaires plus élevés ou des conditions de travail plus attrayantes, afin d’attirer et de retenir les enseignants qualifiés dans les écoles accueillant des élèves défavorisés.
Accueil des élèves primo-arrivants : un dispositif à revoir ?
La scolarisation des enfants et des jeunes primo-arrivants est la préoccupation du Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants (DASPA). Ce dernier assure « l’accueil, l’orientation, l’insertion et la scolarisation des élèves primo-arrivants » dans les établissements scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Près de 1000 élèves du secondaire se retrouvaient en classes DAPSA en 2010, ils sont deux fois plus nombreux 10 ans plus tard, soit 2 014 en 2020 (Jassogne, 2021). En 2019, le décret allège la procédure permettant à une école d’ouvrir une classe DASPA. Cette possibilité permet à tout établissement d’ouvrir une classe à partir de 8 élèves primo-arrivants et permet de ce fait de renforcer la diversité dans les écoles. Mais la demande reste forte et conduit à une augmentation d’élèves par classes impactant inévitablement la qualité de l’accompagnement pédagogique. Les enseignants soulignent la difficulté de s’adapter à l’ensemble varié des profils, besoins et niveaux de maîtrise de la langue parmi les élèves.
Si des expériences positives sont notées avec des enfants réfugiés issus de groupes élitaires de leur pays d’origine, les avis sont controversés à propos du DASPA, quant à l’accompagnement pédagogique approprié, la durée du dispositif pour les jeunes, la pertinence d’une approche plus intégrée avec les classes ordinaires, la prise en compte des profils de jeunes qui arrivent sans avoir été scolarisés dans les pays d’origine, etc. Les défis sont de taille et demandent des réajustements réguliers en fonction des échos et expériences du terrain. Une approche davantage flexible et individualisée pour chaque élève primo-arrivant pourrait être favorable. Il s’agirait de garantir des classes de petite taille avec un test de niveau de français à l’entrée permettant d’orienter au mieux les élèves en séparant à la base les élèves scolarisés et non scolarisés. Bien que l’intégration des élèves dans leur environnement passe par la mixité entre élèves natifs et primo-arrivants, une majorité d’enseignants soulignent l’importance du temps d’adaptation en amont. Pourquoi dès lors ne pas faciliter ou rendre possible des aller-retour entre le DASPA et l’enseignement ordinaire ? N’oublions pas que l’espace-temps scolaire est l’unique opportunité sociale généralisée et obligatoire, pour ces jeunes avec un parcours migratoire les distinguant déjà sans cesse des « autres », d’être précisément « comme les autres » et « en même temps que les autres ».
Ce dispositif doit être ouvert et c’est ce qu’il est en train de devenir, selon D’Orves D’Estienne, tel un dispositif en immersion progressive, au sein de l’école, qui enraye ainsi les mécanismes de stigmatisations et de ghettoïsations. Cette ouverture peut effrayer, car elle entraîne l’arrivée de l’altérité et la mobilisation de nouvelles compétences basées sur l’interculturalité et le décentrement pour les enfants, les enseignants et les directions d’école, voire les parents d’élèves. Un appui au corps enseignant par des formations pourrait soutenir cette démarche et renforcer au sein des écoles une expertise en matière d’interculturalité en milieu scolaire, que certaines ont déjà développée bien avant les DASPA. Les enseignants des classes DASPA ne doivent pas être les seuls responsables des élèves primo-arrivants, de leur apprentissage et de leur insertion au sein de l’école. C’est l’équipe pédagogique dans son ensemble qui doit pouvoir soutenir l’intégration et le développement des compétences en français et dans d’autres matières pour les jeunes migrants. Sans oublier la responsabilité d’un système scolaire qui ferme les yeux sur la ségrégation scolaire à l’œuvre produisant toujours plus d’inégalités, engoncé dans un déni de ces problématiques pratiquant toujours plus la culture de l’évaluation et de la rigidité de l’obligation scolaire à l’opposé d’une évolution qui pourrait être flexible et créative.
Enfin, la fragilité psychologique et la prise en compte des traumatismes chez les élèves réfugiés sont encore trop peu souvent prises en compte dans le dispositif qui n’est pas pensé pour cet encadrement. Certaines écoles, disposant de davantage de moyens ou étant particulièrement impliquées dans l’accompagnement des élèves primo-arrivants, proposent un soutien psychologique par l’intermédiaire d’un personnel psychologique engagé au sein de l’établissement. Ici se pose la question de l’outillage et de la formation de ces professionnels face à un public peu habituel, souvent traumatisé par les parcours d’exil. Il est intéressant de noter ici, les conclusions de la récente étude menée par Manço, Crutzen et Scheurette (2022) qui présente, comme alternative aux thérapies par la parole, l’ensemble des pratiques artistiques (musique, dessin), sportives (football, arts martiaux), ludiques (promenades, jeux) dans lesquels les jeunes migrants mineurs (MENA) vont puiser la résilience nécessaire pour surmonter les chocs et traumas passés, présents et futurs. Pour terminer, il serait vain de penser l’accueil et l’accompagnement de jeunes migrants sans tenir compte de la qualité de sommeil dont ils bénéficient ou non dans leur contexte de vie. Trop peu souvent mis en avant, ce facteur est pourtant essentiel à la croissance, à la fixation des nouveaux apprentissages, à la socialisation, etc. des jeunes. Les MENA fréquentant les classes DASPA sont souvent logés en centres d’accueil collectif, dorment dans des dortoirs où l’espace privé est par définition restreint, sont atteints bien souvent de chocs post-traumatiques avec toutes les complications psychologiques que cela entraîne, et ne bénéficient pas d’une qualité de sommeil optimale (insomnies chroniques, inversion des rythmes jour/nuit, difficultés chroniques à s’endormir, cauchemars récurrents, stress et anxiété). Les conséquences à long terme de la privation chronique de sommeil doivent être prises en compte par l’école afin de garantir un accueil et un accompagnement adaptés.
Conclusion et recommandations
L’accueil socioscolaire des enfants et des jeunes réfugiés est multiforme et se retrouve à la croisée des préoccupations majeures du parcours des personnes migrantes : leur parcours administratif, éducatif et formatif, social, économique, de soins de santé. Le dispositif des classes DASPA tel que proposé en Belgique ressent les effets négatifs du fonctionnement de la procédure d’asile (mobilité géographique, déménagements successifs qui empêchent une stabilité des élèves). Par ailleurs, il serait illusoire de penser qu’un seul dispositif résoudrait toutes les problématiques liées à l’insertion des jeunes et de leurs familles. L’OCDE recommande par exemple d’encourager les possibilités d’investissement des jeunes migrants dans des activités sportives, culturelles et sociales comme autant de moyens pour favoriser la participation citoyenne et politique et l’élargissement des réseaux interpersonnels (utiles on le sait, plus tard, dans la recherche d’un emploi).
Ensuite, le renforcement des compétences interculturelles et multilingues auprès des professionnels du monde scolaire, mais aussi plus largement dans les autres secteurs côtoyant, dans leur public, des personnes migrantes, semble être un facteur clé dans la réussite des programmes d’accompagnement des enfants et des jeunes réfugiés. S’appuyer sur les ressources et les compétences des parents et des membres de la communauté (autant au niveau linguistique qu’au niveau de l’expertise du vécu migratoire) peut également être une démarche bénéfique pour les institutions publiques qui valorisent par la même occasion les savoir-faire des personnes migrantes. Il n’en reste pas moins que la démarche holistique de prise en charge des jeunes réfugiés et de leurs familles reste la recommandation principale des rapports internationaux, vérifiée sur le terrain.
Bibliographie
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©Photo: Le Monde des Possibles