Solidarité avec les sans-papiers : dynamiques de collaboration entre associations
Vincent Richard
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2023.
Pour citer cette analyse
Vincent Richard, « Solidarité avec les sans-papiers : dynamiques de collaboration entre associations », Analyses de l’IRFAM, n°6, 2023.
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En tant que travailleur social au sein d’une équipe impliquée en première ligne dans l’accueil des demandeurs d’asile au Québec, nous sommes conscient des inégalités de financement entre les milieux institutionnels et communautaires, mais également du peu de reconnaissance des initiatives portées par les migrants. Par la posture de la médiation interculturelle, nous nous intéressons aux façons de rééquilibrer les dynamiques de pouvoir entre ces différentes sphères de la vie associative — des structures professionnelles financées, d’une part, et des associations de migrants peu connus, d’autre part — pour ultimement arriver à une collaboration multilatérale. Ainsi, notre stage de fin de maîtrise en médiation interculturelle de l’Université de Sherbrooke (Canada) nous a amenés à nous intéresser aux dynamiques de solidarités avec les personnes au statut de séjour précaire sur le territoire de la Ville de Liège (Belgique). Dans la suite de la crise de l’accueil des réfugiés de 2015, de nombreuses mobilisations solidaires des personnes sans-papiers ont vu le jour (Debelder, 2020). Or ces initiatives citoyennes et humanitaires ont parfois eu pour effet de « marginaliser les mouvements de sans-papiers installés de longue date, qui défendent l’autonomie des luttes et la politisation des revendications » (Vertongen, 2018). Parmi ses constats de terrain, l’IRFAM, situé également à Liège, relève une absence de collaborations entre les associations de soutien aux personnes sans-papiers et les associations de migrants dont les actions soutiennent aussi les personnes sans-papiers. Cette analyse réalisée au sein de l’IRFAM, vise à améliorer la compréhension de cette problématique, étape essentielle dans une perspective de renforcement des solidarités, des modalités de participation citoyenne et, des compétences associatives et interculturelles des acteurs impliqués.
Espaces de solidarités : où sont les migrants ?
Suite à l’interpellation citoyenne « Rendons notre commune hospitalière — là où les migrants sont des citoyens comme les autres », la Ville de Liège devient, en 2017, la première ville wallonne à se déclarer Ville Hospitalière, responsable, accueillante et ouverte en vertu des engagements européens et internationaux pris par la Belgique, dans le respect des droits fondamentaux des personnes, en particulier des plus vulnérables. Ainsi, la Ville de Liège s’engage à améliorer l’information et l’accueil des personnes migrantes quel que soit leur statut en facilitant les démarches des demandeurs d’asile, mais aussi celles des personnes sans-papiers.
Considérant que le monde associatif est au cœur des nombreuses initiatives contribuant à l’accueil et l’intégration des personnes migrantes en situation administrative précaire, l’IRFAM a amorcé une étude en 2021 sur la vie associative des personnes issues des migrations avec la collaboration du Centre Régional d’Intégration des Personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège (CRIPEL). Il a été mis en évidence les manières dont les associations de personnes issues des migrations constituent une ressource en termes de participation démocratique, de solidarité citoyenne, de cohésion sociale et d’aide au développement. Pour autant, l’étude met en avant la trop faible reconnaissance institutionnelle de ce tissu associatif, notamment son absence des espaces de concertation et de prises de décisions, à la fois dans les domaines généraux des services et des politiques publiques et dans les domaines spécifiques à l’insertion des personnes migrantes ou d’origines étrangères.
À titre indicatif, nous ne retrouvons qu’une seule association créée par des personnes issues des migrations participant à cette étude qui est aussi signataire de la motion du Collectif Liège Ville Hospitalière soumise par les conseillers communaux aux membres du conseil communal et votée par une majorité1.
À partir de ce constat, la présente étude vise à documenter les pratiques des associations de solidarité créées par des migrants établis dans la région de Liège qui œuvrent plus spécifiquement auprès des personnes migrantes en situation administrative précaire, dont les personnes sans-papiers. Par les moyens de l’enquête qualitative et de l’observation participante, l’objectif de cette recherche est de dégager des connaissances sur les savoir-faire collectifs, les modalités d’actions, les difficultés et les impacts de ces associations dont les démarches ne sont pas toujours visibles ni reconnues par les responsables politiques ou par d’autres acteurs de la société civile. L’objectif est également de valoriser les actions menées par les associations qui contribuent à l’inclusion des personnes sans-papiers à la société belge, ainsi qu’à la cohésion sociale. Aussi, il convient d’évaluer les relations existantes entre (1) des associations de personnes issues des migrations avec (2) les associations promigrantes reconnues2 et (3) les associations composées de personnes sans-papiers afin de déterminer les zones de collaboration ou de non-collaboration.
Notre hypothèse soutient d’une part que les différentes associations travaillent actuellement en parallèle, et d’autre part, qu’elles n’ont pas une connaissance mutuelle de leurs actions. Notre hypothèse suggère également que le développement d’une collaboration entre ces groupes d’acteurs serait bénéfique dans la poursuite de leurs objectifs communs, et ce en termes autant de développement des compétences interculturelles que d’accès aux ressources nécessaires pour mener leurs actions. Ainsi, nous nous demandons quelles sont les conditions favorables pour développer de la coopération entre les associations rassemblant des personnes avec ou sans parcours migratoire afin de tendre vers une gouvernance interculturelle autour des sans-papiers. Ainsi, nous souhaitons mieux comprendre quelles sont les contributions que peuvent apporter ces associations de solidarité créées par des migrants d’une part, aux différents échelons de prises de décision face aux défis rencontrés dans les politiques d’accueil et d’inclusion ; et d’autre part, dans la tâche de sensibilisation et d’information autour des problématiques migratoires. Enfin, comment valoriser politiquement ces apports ?
Pour réaliser cette étude, nous avons contacté 28 associations de personnes issues des migrations qui ont participé à l’étude de l’IRFAM en 2021 et qui sont sujettes à travailler auprès des personnes sans-papiers. Nous entendons par associations de personnes issues des migrations des associations créées, dirigées et animées par des personnes issues des migrations ; toute forme juridique et objet social confondu ; implantées dans les arrondissements de Liège, Huy et Waremme, soit territoire couvert par le CRIPEL.
De nombreuses associations concernées, que nous nommerons « associations établies », font l’objet d’une reconnaissance institutionnelle, notamment par l’intermédiaire de subsides et sont implantées en Belgique depuis plusieurs années. Nous sommes également allés à la rencontre d’associations nouvelles ou de moins grande ampleur qui sont autofinancées et non subsidiées, et qui jouissent de peu de visibilité, nous les nommerons « associations récentes ». Cette diversité d’association au sein de notre étude est importante afin de coconstruire des pratiques et des savoirs qui sont tout aussi légitimes selon que l’association est implantée depuis des années que récemment. Par conséquent, par l’entretien semi-dirigé, nous avons interviewé dix associations de migrants (dont six existent depuis plus de 10 ans) sur leurs modalités d’actions, savoir-faire, savoir-être et public cible. Cela nous a permis de dégager des observations que nous développons dans cette analyse sur leur impact sur les parcours des personnes issues des migrations, leurs dynamiques de collaboration entre associations et enfin, sur les défis rencontrés dans la vie associative.
Le savoir expérientiel des associations de migrants
Avant leur arrivée en Belgique, les migrants ont d’abord quitté leur pays d’origine, laissant derrière eux leurs réseaux familial, social et professionnel, s’installant parfois temporairement dans des pays de transition. En s’établissant dans le pays d’accueil, les exilés sont confrontés à une culture, une langue, des habitudes, des manières d’agir qui leur sont en partie ou totalement inconnues. Le savoir, les connaissances et expériences des associations de migrants jouent à ce moment (et plus tard également), un rôle fondamental dans le processus d’accueil des migrants nouvellement arrivés. C’est ce que nous appelons le savoir expérientiel. De fait, les associations de migrants ont un vécu de la migration qui les différencie des autres formes associatives portées par des personnes dépourvues de trajectoire migratoire.
« Les associations promigrantes sont empathiques à la cause des migrants, interviennent avec leur cœur, mais ils n’ont pas vécu le parcours du combattant en immigrant en Belgique. Ils n’ont pas ce vécu de l’intérieur » (n° 9).
Témoignage d’un membre d’une association de migrants.
Vatz Laaroussi (2009, 14) traduit le savoir expérientiel par un acquis de connaissances et de compétences dans le cadre du processus migratoire. Selon elle, les migrants ont développé des compétences interculturelles qui leur permettent de faire face à de nouvelles cultures et sociétés et de s’y insérer : « On peut ainsi penser aux stratégies de débrouillardise et de solidarité qui seules permettent la survie dans ces espaces-temps hors du monde et aux frontières de la réalité. On peut aussi relever des apprentissages très concrets en termes de langues, nécessaires pour communiquer […], des savoirs administratifs […] ou encore des savoirs pratiques qui permettent la survie quotidienne […] ».
Ces savoirs non négligeables dans la création des associations par les migrants sont intégrés dans leur approche et transposés dans le contact avec leurs bénéficiaires. Le partage d’une expérience commune est ressenti positivement de la part de ces derniers. Le fait d’avoir vécu un parcours de migration et d’intégration crée un sentiment de réciprocité unique entre les associations de migrants et les bénéficiaires qui n’est pas transposable dans les associations non migrantes. Les responsables d’une association récente rapportaient que :
« Le fait d’avoir vécu nous-mêmes les problématiques, ou même de les vivre actuellement fait en sorte qu’on peut partager notre expérience avec eux [les bénéficiaires]. On se comprend, on a une compréhension des problématiques de l’intérieur » (n° 8).
De surcroît, les bénéficiaires se sentent compris et reconnus par les associations de migrants, ce qui facilite le lien de confiance et le sentiment d’appartenance.
« Le fait d’être étranger permet de créer un lien de confiance, car les gens peuvent avoir honte de demander de l’aide ou ils n’osent pas parler aux administrateurs, par exemple au Centre Public d’Action Sociale (CPAS) » (n° 4).
Témoignage d’un membre d’une association établie.
C’est en effet ce que nous avons pu constater lors d’une de nos rencontres dans une association. Une bénéficiaire explique avoir attendu des mois avant de demander une aide sociale, car elle avait honte de sa situation et n’osait pas en parler avec son assistante sociale. Le fait que la responsable de l’association soit migrante a permis à la bénéficiaire de se confier plus facilement et de surmonter le sentiment de honte qui la paralysait. Le rapport égalitaire ressenti par les bénéficiaires lors des interactions facilite la création du lien de confiance.
L’esprit de famille — une valeur transversale
Un autre élément central entre les associations de migrants rencontrées est la notion de proximité. C’est ce que mentionne une association rencontrée :
« Notre force [les associations de migrants] est d’être près du terrain, en grande proximité [avec les bénéficiaires]. Nous vivons dans la communauté, nous les fréquentons au quotidien, nous connaissons leurs réalités » (n° 10).
La notion de proximité et sa valorisation sont ainsi mises en avant. Les responsables des associations habitent, pour certains, depuis plusieurs années la commune dans laquelle ils enracinent leurs actions. Ils ont créé leur association pour répondre aux besoins des migrants y vivant, mais également pour offrir un espace d’échange et de rencontre. Les associations dont nous avons eu l’opportunité de visiter les locaux ont le souci de créer un endroit chaleureux et convivial où les bénéficiaires peuvent se sentir « comme à la maison ». Cet esprit de famille se ressent également dans la posture des associations de migrants. Une association nous a informé que les portes de son local sont toujours ouvertes. Les bénéficiaires peuvent venir prendre le thé ou le café et rencontrer les travailleurs quand ils le souhaitent.
« Si je vois qu’une personne qui a l’habitude de venir et qu’il ne vient pas durant plusieurs jours, je vais l’appeler pour prendre de ses nouvelles, s’informer ».
Témoignage d’un responsable d’une association (n° 5).
La notion de l’informel prend une place considérable dans l’approche des associations de migrants. Plusieurs associations affirment que prendre le temps avec une personne sans qu’elle n’ait nécessairement de demande précise contribue à la proximité et à prendre le pouls de la communauté pour comprendre les problématiques de l’intérieur. Cela permet aux associations d’adapter leurs actions en fonction des contextes et des réalités de leurs bénéficiaires.
Enfin, certaines associations disent agir à titre de famille auprès de leur bénéficiaire. Quand la migration est un parcours solitaire, entraînant des ruptures familiales, la vie associative permet aux migrants de créer des liens sociaux significatifs. C’est le sens du témoignage d’une association qui a pris en charge les funérailles d’un membre de leur communauté, décédé en Belgique, seul, sans la présence de sa famille : « quand le médecin nous a demandé si la personne avait de la famille en Belgique, et qui allait s’occuper de la dépouille, ça a fait un déclic. On s’est dit que ça ne se pouvait pas qu’un de nos semblables meure seul sans que personne le sache » (n° 1). Les responsables de l’association disent créer, par le fait même, un filet de sécurité autour des membres afin d’éviter à toute personne de se retrouver dans ce genre de situation.
L’intégration à la société d’accueil par la médiation interculturelle
L’objet social des associations de migrants et les modalités d’actions qui en découlent s’orientent vers l’intégration des primo-arrivants ou des personnes issues des migrations. Ils misent sur le dialogue entre ces personnes et le pays d’installation dans une volonté de créer une cohésion sociale, voire un vivre-ensemble interculturel. Ceci passe, entre autres, part la réponse aux besoins de base — la distribution de colis alimentaire, la recherche d’appartement, la distribution de vêtements et de meubles — et d’autre part, par l’information et la sensibilisation à la société belge. Les associations de migrants reconnaissent que l’accessibilité à l’information est restreinte, surtout si les personnes ne maîtrisent pas la langue du pays d’accueil ni les référents institutionnels. Les associations informent les migrants sur leurs droits (titre de séjour, travail, logement, etc.), les procédures administratives et le processus d’intégration en traduisant les normes belges aux normes du pays d’origine, facilitant ainsi la compréhension des systèmes. En vulgarisant et en adaptant les informations dans un langage plus accessible, les associations ont développé d’utiles outils de sensibilisation.
En parallèle, les associations de migrants insistent, auprès de leur public sur l’importance d’apprendre le français afin de faciliter l’intégration et l’accès à l’emploi. Plusieurs associations sont ainsi subsidiées par la Région wallonne comme « Initiatives Locales d’Intégration des personnes étrangères » (ILI). Les personnes sans-papiers sont intégrées dans les activités des associations de migrants, bien qu’elles soient orientées vers des associations spécialisées en ce qui concerne leur accompagnement juridique.
Enfin, les associations de migrants font le pont entre la société d’origine et la société d’installation. Comme Amine Maalouf le souligne dans son récit Les identités meurtrières (2001, 11), « ils [les migrants établis] ont un rôle à jouer pour tisser les liens, dissiper les malentendus, raisonner les uns, tempérer les autres, aplanir, raccommoder… Ils ont pour vocation d’être des traits d’union, des passerelles, des médiateurs entre les diverses communautés, les diverses cultures ». Le responsable d’une association de migrants témoigne ainsi de son intervention auprès d’un bénéficiaire récemment arrivé en Belgique, vivant des difficultés dans sa recherche de logement.
« Je lui ai dit qu’elle n’était pas la seule à galérer. Avec les inondations de 2021, il y a eu des impacts considérables sur l’accessibilité au logement et la crise énergétique actuelle ne fait qu’augmenter les prix des loyers. Je lui ai expliqué tout ça parce qu’elle commençait à sentir qu’elle n’était pas la bienvenue en Belgique. » (n° 10).
Ainsi, cette intervention a permis d’informer sur le contexte de la société belge ignoré par une personne nouvellement arrivée. Ceci a contribué à éviter que la personne primo-arrivante ne vive cette expérience comme du rejet et ne développe de l’amertume dans l’installation.
Les réseaux transnationaux au cœur du codéveloppement
Nous constatons que plusieurs associations de migrants implantées en Belgique mènent des actions dans leur pays d’origine. Elles ont le souhait d’impacter les communautés d’origines qui n’ont pas eu accès aux mêmes chances. Le rôle des réseaux transnationaux dans le codéveloppement se fait, d’une part, par des transferts financiers qui aident la famille restée au pays, mais d’autre part, aussi par des transferts de connaissances et de ressources permettant de soutenir des actions locales (Vatz Laaroussi, 2009, 95). La chercheuse précise que dans de nombreux pays d’émigration, les migrants jouent un rôle important dans le débat politique, dans la société civile, dans la stimulation de l’éducation pour les résidents et plus particulièrement dans l’émancipation des femmes et des groupes minoritaires. De fait, une association interrogée dit accompagner dans le pays d’origine, moralement et matériellement les enfants abandonnés, les orphelins, les « jeunes sorciers » et les mères mineures.
« Je suis moi-même une mère mineure délaissée par ma famille. J’ai la chance d’être en Belgique. Maintenant j’aide ceux et celles qui sont comme moi, qui sont là-bas [pays d’origine] » Fondatrice d’une association (n° 7).
Ses expériences, autant au pays qu’en Belgique, lui permettent d’avoir un impact direct sur les enfants en accompagnant des associations qui sont sur le terrain.
Dans un autre ordre d’idée, les associations de migrants affirment apporter des informations aux personnes qui souhaitent se rendre en Europe souvent perçue comme un eldorado avec un puits infini de possibilités. Toutefois, les associations se chargent du rôle de rappeler aux candidats à l’immigration l’écart entre la perception et la réalité. Pour ceux qui décident de migrer, les associations de migrants leur communiquent, dans la mesure du possible, des informations durant leur déplacement et préparent leur arrivée en Belgique. Les primo-arrivants ont en quelque sorte un comité d’accueil de migrants établis qui les accompagnent dans les premières démarches d’installation, comme en témoigne ce responsable :
« Le fait que notre association existe nous permet d’accueillir les migrants de la communauté à Liège, de les accompagner dans les démarches, les diriger vers les services sociaux, de communiquer de l’information comme l’inscription à l’école, le CPAS, etc. » (n° 1).
La dynamique de collaboration entre les associations pro- et de migrants
Dans cette deuxième partie, nous nous intéresserons aux zones de collaboration entre les associations de personnes issues des migrations et les structures promigrantes, les plus-values de ces collaborations et les apports mutuels.
Certaines associations de migrants disent avoir développé des liens avec des associations qui ont une mission semblable à la leur permettant ainsi de se concerter sur des enjeux communs, de partager des solutions et d’être dans l’entraide. Une association récente nommait :
« On est dans le partage, on ne reste pas seul dans notre bulle. Ça nous permet d’obtenir des conseils et de l’information ».
Responsable d’une association récente (n° 6).
Cependant, deux associations rencontrées disent avoir essayé de créer des espaces de collaboration avec d’autres associations de migrants en affirmant que « l’union fait la force », mais qu’il a été ardu de coopérer par manque d’objectifs et des visions communs.
« Moi je sais où c’est mon terminal, mais les autres associations ne savent pas, ils n’ont pas d’objectifs clairs ou d’actions concrètes, alors j’ai décidé de travailler seul » (n° 5).
D’autres associations craignent aussi que la collaboration vienne à diviser les rares subsides, ce qui ne serait pas à leur avantage. Cela conduit à une certaine frilosité dans la collaboration.
La coopération avec les associations promigrantes financées permettrait aux associations de migrants d’avoir accès à des savoirs et des ressources qu’ils ne possèdent pas. Les responsables de ces associations manquent par moment et surtout au début de la création de la structure d’informations et de connaissances sur les exigences en termes de gestion administrative, financière d’une association sans but lucratif ou les procédures pour candidater à des appels à projets. Une association récente rapporte :
« En collaborant avec cette association [promigrante] bien implantée dans la commune, ça nous a permis d’apprendre sur le mode de gestion, de mener des projets, à construire nos conférences. Aussi, ils nous prêtent leurs locaux pour les colis alimentaires. On n’a pas les moyens pour louer des locaux, c’est une aide précieuse » (n° 8).
Ces formes de collaborations apportent du soutien administratif et logistique en donnant accès à du matériel, en prêtant des locaux, etc. De même, les associations de migrants affirment « ne pas avoir les bons tuyaux, de ne pas savoir cogner aux bonnes portes ». Il y a un réseau professionnel qui leur échappe, les privant ainsi de l’accès aux informations relatives aux appels à projets, par exemple.
Enfin, les associations de migrants sont d’avis que leur proximité avec les bénéficiaires et leurs connaissances du terrain peuvent être favorables aux associations promigrantes. Une association établie affirmait qu’une étroite collaboration avec ces associations permettrait de travailler en amont sur des problématiques psychosociales qui leur sont connues. Ils seraient en mesure de faire monter l’information plus rapidement aux décideurs et de poser des actions plus efficientes. Ainsi, les associations de migrants peuvent jouer le rôle d’intermédiaire entre les bénéficiaires et les associations promigrants par le partage du lien de confiance et le rassemblement des migrants en situation précaire qui craignent de rencontrer des associations plus formelles.
Finalement, nous constatons que les associations de migrants récentes ont peu ou pas de contact avec les associations promigrants. Ils affirment ne pas savoir où les trouver. Concernant les associations de migrants établies, ils ont développé des contacts avec des associations promigrants au fil du temps leur procurant une certaine notoriété. Toutefois, il y a un sentiment partagé entre ces deux types associations. Ils ont l’impression que les associations promigrantes vont toujours les voir comme des étrangers, qu’ils ressentent une méfiance à l’égard de leurs initiatives. Ils sentent qu’ils n’auront jamais une totale reconnaissance de leurs actions. Malgré tout, la grande majorité des associations de migrants disent vouloir collaborer avec les associations promigrantes dans une perspective de partage de savoir et d’apprentissage mutuel : « travailler avec d’autres associations permettrait de mettre en commun les compétences et les expertises de chacun » (n° 5).
Les défis rencontrés dans la vie associative de migrants
Le plus grand défi qui touche les associations de migrants est la question du financement. Certaines associations doivent s’autofinancer à défaut d’obtenir des subsides pour la réalisation de leurs actions. Les responsables, qui parviennent difficilement à créer et à pérenniser des postes salariés au sein de leur association, faute de financement structurel, sont amenés à faire reposer les actions presque exclusivement sur les bénévoles considérés comme une ressource incommensurable. De plus, certaines associations se trouvent dans l’impossibilité financière de se payer des locaux, les privant ainsi de possibilités de répondre à leurs objectifs d’intervention. Si des subsides sont obtenus, ce sont souvent, grâce à des appels à projets, des aides ponctuelles, à reconduire chaque année, sans aucune garantie de pérennité. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance et d’un financement structurel, ce qui maintient les associations dans une précarité et l’impossibilité de se développer.
« Il est difficile de se projeter comme on ne sait jamais combien d’argent on aura. La planification devient un enjeu, mais ça nous pousse à être créatifs en proposant des projets pour montrer que notre travail est nécessaire ».
Responsable d’une association (n° 6).
L’accessibilité aux subsides représente donc un enjeu de taille pour ces associations. Cependant, certaines semblent difficilement correspondre aux critères et exigences d’appels à projets, entre autres, de la Région wallonne ou de la Ville de Liège. D’autres associations rapportent ne pas avoir accès à l’information des appels à projets ou ne pas savoir comment y candidater. Ainsi, des associations nous confiaient avoir candidaté à plusieurs reprises à ces appels à projets, mais se voient continuellement refusées, ignorant les raisons. Finalement, il a été rapporté que les montants des subsides sont souvent trop faibles pour la réalisation de projets importants.
Enfin, les associations interrogées mentionnent le temps et la place considérable qu’occupent les démarches administratives, au détriment du contact direct avec les bénéficiaires. Le manque de temps pour de l’intervention ponctuelle et informelle a un effet préjudiciable pour leur public, les empêchant d’être sur le terrain et de « prendre le pouls » des communautés.
« La bureaucratie étouffe l’initiative (…) essentielle pour adapter les services aux besoins des bénéficiaires » (n° 4).
Recommandations pour une meilleure reconnaissance
Les responsables associatifs migrants, participant à cette étude, mettent en avant l’urgence et l’importance d’une régularisation des personnes sans-papiers. Leurs associations s’impliquent, notamment, dans ce sens. Ainsi, ils formulent une série de recommandations à destination des autorités publiques, des associations promigrantes, du collectif Liège hospitalière, et de la société civile dans son ensemble engagée dans des démarches de solidarités citoyennes. En voici une synthèse :
- Reconnaître les initiatives des migrants, en octroyant des moyens et davantage de formations et d’accompagnement dans la création et la gestion d’associations sans but lucratif ;
- Proposer des appels à projets plus viables et en prise avec les réalités du terrain, les possibilités des associations, des budgets plus importants et une simplification des tâches ;
- Créer des contextes de travail favorables, des coopérations, permettant aux associations de se développer comme ouvrir un marché africain, un salon de rencontre avec café et thé, etc. ;
- Proposer des formations sur l’interculturalité adaptées aux populations rencontrées, ainsi que sur les problématiques sociales actuelles.
Concernant le collectif Ville hospitalière, il est frappant de constater qu’aucune association rencontrée n’avait connaissance de son existence. La coordinatrice du collectif a confirmé que le cadrage de la campagne de Liège — Ville Hospitalière en 2017 a été axé principalement sur les citoyens belges. Le collectif, qui effectue un travail de sensibilisation et de négociation avec les autorités publiques de la Ville de Liège gagnerait à être en contact avec les associations de migrants, premiers concernés par ces enjeux, en les intégrant dans leur collectif. Dans une veine similaire, Lambert et Swerts (2019) avaient déjà mis en évidence la manière dont les négociations menées avec la Ville de Liège sur les questions liées aux personnes sans-papiers s’étaient accompagnées de l’exclusion des militants sans-papiers au profit des acteurs professionnels du collectif. Le collectif se voit finalement de plus en plus rassembler les acteurs des associations promigrants qui partagent des moyens, des modalités de rencontres, de discussions et de prises de décisions émanant d’une culture commune de travail, au détriment des migrants (et de leurs associations), n’entretenant que très peu de liens, voire pas du tout avec ceux-ci. Cependant, la discussion d’inclure la vie associative des migrants dans le collectif est régulièrement mis à l’ordre du jour des réunions.
Pour l’IRFAM, dans ce contexte d’une rencontre manquée entre les associations de migrants et les associations promigrantes, il s’agit de s’interroger sur les conditions permettant de développer la dimension interculturelle de la gouvernance locale. Ainsi, comment les différentes associations, formelles et informelles, peuvent participer à cette gouvernance interculturelle et notamment à des initiatives de soutien aux personnes sans-papiers ? Comment ces associations peuvent-elles devenir des leviers permettant de rendre nos organisations et institutions plus interculturelles et inclusives, finalement plus efficaces dans la poursuite de leurs objectifs d’intégration et de cohésion sociales ?
Enfin, la présente étude nous a permis de mettre en lumière les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être des associations de migrants souvent ignorés ou sous-estimés par la vie associative promigrante. Les compétences interculturelles développées dans le cadre du parcours migratoire, la proximité avec les bénéficiaires et l’esprit de famille qui transcende leur approche sont des connaissances essentielles qui facilitent l’accueil et l’intégration des primo-arrivants à la société belge. Les associations de migrants sont des créateurs de lien social interculturel contribuant à la cohésion sociale et à un mieux vivre-ensemble. Les entretiens avec ces acteurs a permis de mieux connaître leurs structures, leur apport dans la vie associative et de remettre en question nos propres pratiques professionnelles. À titre personnel, ces constats guideront nos pratiques au Québec dans une perspective d’insuffler une participation multilatérale à l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile.
Bibliographie
Debelder J. (2020), Les mobilisations solidaires envers les personnes migrantes. Une modalité locale de la gestion des diversités pour un bénéfice partagé ?, Études de l’IRFAM.
Lambert S. et Swerts T. (2019), « “From Sanctuary to Welcoming Cities” : Negotiating the Social Inclusion of Undocumented Migrants in Liège, Belgium », Social Inclusion, v. 7, n° 4, p. 90-99.
Vertongen Y. (2018), « De la crise des sans-papiers en Belgique », Plein droit, n° 119.
Maalouf A. (2001), Les identités meurtrières, Paris : Édition Le Livre de Poche.
Vatz Laaroussi M. (2009), Mobilité, réseaux et résilience. Le cas des familles immigrantes et réfugiées au Québec. Montréal : Presses de l’Université du Québec.
Notes
- Nous avons comparé deux répertoires d’associations liégeoises. La première liste reprend l’ensemble des signataires du collectif Liège Ville Hospitalière, elle est actualisée en novembre 2020 et compte 72 associations. Le second répertoire est réalisé par l’IRFAM en octobre 2020 et reprend 70 associations de migrants en activité. Nous constatons qu’une seule association est présente dans ces deux listes. Ce constat appuie notre hypothèse de réseaux associatifs parallèles en dépit de la proximité de leur finalité ou de leurs actions.
- À savoir, les associations qui interviennent dans le champ de l’accueil et de l’intégration, en soutien aux personnes migrantes, mais qui n’ont pas été créées ou ne sont pas portées par des personnes issues des migrations. Ces structures mettent en place différentes actions telles que des cours de français langue étrangère, des permanences sociales et juridiques, diverses formations, etc. Elles sont bien souvent reconnues par les pouvoirs publics et bénéficient d’un financement, structurel ou non.