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There is no alternative… and yet, it moves ! Critique du thatchérisme comme hégémonie culturelle : enseignement des langues et Brexit

Siavash Bakhtiar

There is no alternative (TINA). C’est par ces quatre mots que le gouvernement de Margaret Thatcher a pu imposer au Royaume-Uni (RU) un modèle politique néolibéral, tinté de conservatisme. Il est indéniable que le thatchérisme a laissé une empreinte tant par les réformes qui menèrent à la neutralisation des syndicats, des corps intermédiaires et à la privatisation de nombreux pans du secteur public que par l’imposition d’une nouvelle culture politique, d’une offensive lexicale, qui reste une source d’inspiration pour bon nombre de politiciens contemporains. Quarante ans après, il est difficile de douter que le thatchérisme reste encore l’un des avatars les plus iconiques du néo-capitalisme. Sa présence se fait encore ressentir dans les politiques menées non seulement au RU, mais dans d’autres pays européens, tournés vers les lois du marché, érigées au statut de lois naturelles1.

Ce texte a pour objectif, dans un premier temps, d’offrir une généalogie du thatchérisme comme hégémonie, dont les effets au niveau social se font encore ressentir aujourd’hui dans le pays, et dont le Brexit2est le dernier acte en date. Ensuite, en me basant sur les concepts gramsciens d’hégémonie culturelle et d’intellectuels organiques, je propose uneanalyse critique de la politique linguistique conservatrice mise en place par Thatcher, et son rapport avec le secteur de l’éducation : notre illustration sera l’effet de cette politique culturelle sur l’enseignement des langues et sa rapide perte de vitesse ces dernières années dans les universités britanniques. Depuis la sortie du RU de l’Union européenne (UE), le multilinguisme (et par extension, le multiculturalisme) est de moins en moins valorisé à tous les niveaux du système éducatif, notamment dans les départements de langues des universités britanniques. Or, ceci n’est pas un simple effet post-Brexit, mais plutôt un symptôme plus profond de la culture politique et linguistique mise en place ces trente dernières années par les « héritiers » de Thatcher. Enfin, la dernière partie permettra de donner voix aux acteurs de terrain, les tuteurs de langues modernes3. Il s’agit de leur proposer d’avoir une réflexion sur la situation politique actuelle, et aussi de se prononcer sur la crise de l’enseignement des langues étrangères et au sens large du multilinguisme dans des départements de lettres, et par-delà dans la société britannique pré et post-Brexit4.

De la politique éducative de Thatcher au Brexit

Le thatchérisme restera sans doute dans l’histoire contemporaine comme un des courants les plus dévastateurs dans la bataille idéologique des années 1980. Comme projet politique, il a réussi à imposer un consensus autour de la nécessité de la monétisation et de la mise en compétition de la plupart des secteurs publics, tout en réussissant à imposer aux consciences qu’en pleine crise du pétrole et au crépuscule du bloc soviétique, un État fort n’a d’autres alternatives que de s’ouvrir au libre marché, pour éviter les écueils géopolitiques.

Selon Willetts (2021, 430), le conservatisme thatchérien se base sur deux principes complémentaires : d’une part, la « liberté » d’un marché toujours en mouvement ; et de l’autre, le désir « d’appartenance » a un État-nation, qui a un fort ancrage historique. Dans une certaine mesure, cette fiction idéologique bicéphale explique le succès de la longévité du thatchérisme. Dans cette section, je me donne comme but de proposer une brève généalogie ce courant hégémonique et d’analyser sa capacité à donner une direction politique au pays et à trouver le consensus de groupes sociaux différents, «non pas tant par l’imposition de valeurs d’en haut», que par le retournement des «valeurs d’en bas, celles des humbles, de la masse que l’État ou le pouvoir leur renvoie en s’en proclamant le créateur ou le gérant» (Balibar, 1995, 18).

Dans un premier temps, il est important de noter cette capacité à capturer le consentement des personnes appartenant aux classes dominées. Ce phénomène, que Gramsci appelait le transformisme5, est un aspect primordial de l’hégémonie dans la bataille des idées et de sa continuité politique dans les gouvernements successifs, notamment celui qui a lancé le referendum de l’appartenance du RU à l’UE en juin 2016, et ceux qui ont tout fait pour sa sortie, qui sera matérialisée en janvier 2020. Les quatre années qui vont du referendum au retrait britannique de l’UE peuvent être vues comme un épisode thatchérien ; tant par la propension des gouvernements conservateurs successifs pour les cures d’austérité, que par leur scepticisme concernant les régulations européennes, perçues comme trop drastiques concernant le libre marché, mais trop permissives pour la politique migratoire.

Certains chercheurs (Espiet-Kilty, 2015 ; Labica, 2015) parlent même d’« héritage » pour souligner, malgré la différence des contextes historiques, la transmission de valeurs thatchériennes d’un gouvernement à l’autre, de la droite conservatrice en passant par la New Labour de Tony Blair et Gordon Brown qui avaient initié la « troisième voie6 ». Même s’il est difficile d’attacher un cadre théorique ou doctrinal clair à la figure de Thatcher, qui s’est plus distinguée par son euroscepticisme et son anti-intellectualisme, les faits montrent que les gouvernements, de gauche ou de droite, de ces trente dernières années se sont successivement appliqués à continuer l’importation de modèles managériaux venant du privé dans le public, surtout concernant l’éducation et le système de sécurité sociale britannique, la Nation Health Service (NHS) (Dorey, 2015, 112-113, 131).

C’est en partie pour comprendre (et combattre) les mécanismes cette idéologie dominante que se développent, à partir des années 1980, les Cultural Studies et le courant de la New Left, emmené notamment par Stuart Hall (Hall, 1990 ; Wood, 1998, 400-401 ; Keucheyan, 2011, 12-13 ; Rebucini, 2015, 84-85). Ce dernier a permis l’adaptation de la pensée d’Antonio Gramsci a au contexte sociopolitique britannique des années 1980 afin d’offrir une analyse éclairante des mécanismes idéologiques du thatchérisme comme hégémonie culturelle7. Les analyses de Hall mettent en lumière divers aspects de l’efficacité de cette idéologie : le fait qu’elle s’est imposée comme un projet combinant néoconservatisme et néolibéralisme, canalisant des mécontentements de différentes catégories de la population, permettant son maintien sur le long terme et réussissant à imposer, au détriment d’autres courants idéologiques, sa version du roman national et de l’identité britannique8.

Afin de mieux comprendre la longévité du thatchérisme, Hall (1988, 8, 14-15) souligne qu’il est important de ne pas se limiter à l’aspect socio-économique, mais d’incorporer le « terrain culturel », afin d’en saisir les mécanismes et d’illustrer différentes conceptions thatchériennes de la société : selon l’auteur, le thatchérisme vise à créer du sens commun, un ensemble d’histoires, qui sont des traces du passé, mais aussi des imitations d’une philosophie de l’avenir.

La croisade de Thatcher contre le système éducatif commença quand elle fut nommée Secrétaire d’État à l’Éducation en 19709. Durant les quatre années à ce poste, elle s’empressa de mettre en place des réformes drastiques des établissements scolaires qui visaient à décentraliser le contrôle des écoles de l’État vers des autorités locales ou des entités privées. Devenue Première ministre, elle continua ce projet de privatisation des institutions scolaires, du primaire au supérieur grâce à l’adoption d’une série de lois (acts), notamment le célèbre 1988 Education Reform Act qui convertit de facto bon nombre de parents en consommateurs sur un marché de l’éducation qui met en compétition les établissements (Richards et Smith, 2002 ; Stevenson, 2011, 187-188). Cette dynamique d’« autonomisation des écoles » — slogan souvent utilisé par des membres du gouvernement pour éviter de dire privatisation — continua sous l’égide des successeurs de Thatcher, de droite et de gauche, notamment à travers la conversion de nombreuses écoles secondaires en académies (Beauvallet, 2015)10. Selon Hall (2008, 47), l’éducation a été, avec la santé, le plus important projet de « colonisation » du secteur public par la droite, non seulement par le rôle central qu’y a joué la presse, mais aussi par l’ambiguïté de la gauche : le Labour lui-même a hésité entre deux objectifs vis-à-vis de l’école : améliorer les chances des enfants de la classe ouvrière ou adapter le système scolaire aux besoins économiques et aux exigences de rentabilité du système productif.

Le multilinguisme en péril ?

Le changement de paradigme concernant l’enseignement de l’anglais, qui a souvent été promu comme une « langue universelle », est symptomatique des ambivalences qui accompagnent tout régime hégémonique. Il faut constamment rappeler que « la politique, comme le [montrait] le thatchérisme, fonctionne toujours selon une logique langagière » (Hall, 2008, 14). En d’autres mots, le durcissement politique actuel d’obédience thatchérienne — qui passe par la répression policière (comme en France) ou des lois anti-immigration (comme au RU) — s’accompagne par un conservatisme culturel, qui transite de facto par la langue.

L’invention d’un nouveau langage permet de donner l’illusion de la nouveauté (politique), de modernisation, qui dans le cas du thatchérisme (et de ses avatars) se limite, selon Hall (1988, 164), à une forme de modernisation régressive qui dans son projet de reconstruction social ne propose rien de nouveau et ne se détourne pas son regard du passé, « regardant les gloires d’antan plutôt que percevoir l’espoir d’une nouvelle époque ». Ce concept antithétique de modernisation régressive illustre très bien la nature contradictoire du thatchérisme comme idéologie organique qui, loin d’être monolithique ou stable, est traversée d’ambivalences qui font sa force intrinsèque, lui permettant, par temps de crise, de donner l’illusion de la construction d’une unité (nationale) malgré les différences : «Thatcher disait : je serai capable de redéfinir la nation de manière à ce que vous ressentiez tous de nouveau, pour la première fois depuis le déclin de l’Empire, faire partie d’une Grande-Bretagne sans limites. (…) Le thatchérisme en tant qu’idéologie a réussi à répondre aux peurs, aux anxiétés, aux identités perdues. Il nous invite à réfléchir à la politique en images : il s’adresse à nos fantasmes collectifs, au RU comme communauté imaginaire. Mme Thatcher a totalement maîtrisé ce langage, alors que la gauche s’acharnait à ramener la conversation vers ‘leurs mesures politiques’. Cette modernisation régressive est un projet historique qui marque son temps : gagner la confiance des gens ordinaires, non pas parce qu’ils sont stupides, mais parce qu’ils sont aveuglés par une fausse conscience» (Hall, 1988, 167).

Ce discours est hégémonique dans la mesure où elle a réussi à convaincre une partie non négligeable des classes subordonnées ou opprimées. Mutatis mutandis, nous pourrions appliquer la même analyse à la politique du gouvernement conservateur qui a mené à la réalisation du Brexit. Ce langage vise à constituer un nouvel ordre culturel, même si celui-ci se base sur un passéisme évident : le mythe d’une renaissance de l’Empire conceptualisée par la formule «Global Britain» (Peters, 2023).

Officiellement utilisé pour la première fois par l’ancienne Première ministre Theresa May en octobre 2016, la notion de Global Britain sera reprise par ses successeurs afin de raviver, selon Turner (2019, 727-728) l’espoir d’un « empire 2.0 » dans une forme moderne basée sur les liens économiques et culturels établis à travers le Commonwealth. Cependant, étant donné la complexité de la tâche qu’impose un tel projet ambitieux, il semblerait que le terme a plutôt servi de sédatif (painkiller), à l’efficacité douteuse, destiné au public britannique afin de le soulager du traumatisme du divorce d’avec l’UE et de la prise de conscience que l’Angleterre n’est plus une puissance mondiale11.

Le Brexit a enclenché le passage vers un modèle plus souverainiste, pour ne pas dire nationaliste, et a entraîné de multiples reformes ; il a été beaucoup question des projets de lois restrictives concernant l’immigration, mais il ne faut pas perdre de vue la reconfiguration symbolique et identitaire profonde, dont la dimension linguistique en est le corollaire. Ainsi, Peters (2023, 1195) souligne que le Brexit a mené à repenser «l’Anglosphère comme un nouvel acteur géopolitique» sur base d’une série de mesures et d’accords bilatéraux avec les nations historiques anglophones. Dans un premier temps, ce recentrement sur l’anglais peut paraître paradoxal, dans un pays qui prône à tout va le multiculturalisme comme modèle social et qui jouit de sa diffusion planétaire, avec un avantage sur les autres langues diplomatiques. La démarche de promotion de l’anglais «peut s’appuyer sur le succès impérial, hier de la Grande-Bretagne, aujourd’hui des États-Unis. L’anglais est la langue de peuples et d’États invaincus, ce qui, naturellement, n’est le cas ni du français, ni de l’allemand, ni de l’espagnol, ni du russe. (…) Langue nationale, elle est devenue impériale. Elle tend à devenir universelle, et pas seulement par la géographie» (Le Breton, 2004, 14, 19).

Néanmoins, ce constat paraît un peu simpliste. Écrire sur le multiculturalisme, l’immigration et la citoyenneté sans préciser que ces notions, au RU comme dans de nombreux pays européens, sont liées au (post)colonialisme serait intellectuellement malhonnête. De plus, les débats sur les thèmes du multiculturalisme, de l’immigration et la protection sociale n’ont pas commencé avec le Brexit12, mais il semblerait que les contraintes économiques et idéologiques de cet évènement majeur permettent de révéler, s’il en était encore besoin, de nouveau les contradictions de l’hégémonie culturelle néoconservatrice. En d’autres mots, la langue anglaise n’a jamais cessé d’être avant tout une langue nationale13.

En effet, même s’il est souvent avéré que l’immigration équivaut à un solde économique positif dans un pays a la population vieillissante, cela n’a pas empêché ces dernières décennies le développement de notions comme la « britannicité » (Britishness) ou la « citoyenneté méritée » (earned citizenship) qui imposent un puissant cadre sélectif concernant les candidats à la citoyenneté (Geddes, 2010, 304 ; May, 2017, 538).

Je ne fais ici qu’esquisser différents travaux qui permettent de reconstituer de manière plus profonde ce rapport complexe entre langues et identité nationale, qui est loin d’être anodin. En effet, l’une des leçons de Gramsci est qu’un projet hégémonie ne se joue pas seulement dans les urnes, mais est plutôt un champ politique sur plusieurs niveaux et dans plusieurs lieux, dont l’éducation : «les questions éducatives, loin de n’être qu’un champ d’illustration, permettent d’affiner la conceptualisation du pouvoir et surtout le concept d’hégémonie qu’elles contribuent à élaborer» (Frandji, 2015, 43-44).

Selon Gibson (2007, 258-260) le débat sur le multilinguisme au RU montre que, même si cette dernière n’a pas dans son arsenal institutionnel une politique linguistique aussi stricte qu’on peut trouver en France, elle reste néanmoins fortement imprégnée par le « mythe du monolinguisme » (monolingual myth) qui lie la notion de citoyenneté avec une maîtrise de l’anglais ; et cela, malgré les différentes vagues migratoires allant des Roumains aux Anglo-Saxons, aux milliers de migrants venant des anciennes colonies dans les Caraïbes et du sous-continent indien à partir des années 1950. L’étude de Rampton et ses collègues (2007, 419-420) stipule que l’une des dernières grandes campagnes nationales concernant la diversité ethnique et linguistique dans le système éducatif a été la Swann Report, publiée en 1985 pendant le deuxième mandat de Thatcher. Il a marqué un tournant décisif dans la perception dans le secteur éducatif des langues pour s’adapter aux transformations imposées par le la globalisation et le mouvement des populations, qui commençaient à ébranler la conception traditionnelle d’État-nation. Dans un contexte postcolonial, ce type de considérations n’est évidemment pas spécifique au RU. Cependant, la réponse apportée illustre bien les contradictions qui traversent l’hégémonie culturelle thatchérienne, qui tente de concilier ses aspirations néolibérale et mondialiste et son profond néoconservatisme.

D’un côté, la volonté de se conformer à l’économie de marché se verra notamment dans l’approche pédagogique de l’enseignement des langues qui passe de théories des compétences à celles performances. Si les premières développées plutôt dans les années 1960 et 1970 se focalisaient sur une approche holistique qui se basait sur la créativité de l’apprenant, les deuxièmes, qui ont vu le jour deux décennies plus tard, prônent plutôt une compatibilité les demandes du marché. Elles ne tiennent pour autant pas compte des compétences interculturelles, qui valorisent les « capacités sous-jacentes » avec lesquels viennent les personnes, et leur fournissent des outils qui «permettent à l’apprenant, de manière plus ou moins efficiente, de faire face à des situations complexes et difficiles engendrées par la multiplicité des référents culturels dans des contextes psychologiques, sociologiques, économiques et politiques inégalitaires» (Manço, 2000, 49).

D’un autre côté, l’encrage conservateur se voit, en comparaison avec la politique linguistique verticale, à la française, à travers une tendance à détourner l’attention des questions visant le multilinguisme dans les écoles et la société14. De manière concrète, cela se marque notamment par la non-reprise des langues étrangères parmi les cours prioritaires des programmes scolaires (core curriculum area), qui se limitent à l’anglais, les mathématiques et les sciences (Rampton et coll., 2007, 423).

Cette hostilité envers les langues étrangères enclenchée par le thatchérisme s’est accentuée selon Holmes (2018) par une dichotomie mise en place de manière explicite par le gouvernement entre langues et sciences, avec des campagnes qui incitent les établissements scolaires a tous les niveaux à pousser les étudiants vers les filières STEM (science, technology, engineering and mathematics), sans tenir compte des capacités interculturelles qui accompagnent le multilinguisme et de leur plus-value dans un pays dont une grande partie de l’économie est tournée vers les services et l’exportation. Hogan-Brun (2018) estime que cette négligence des langues a un coût : cela ferait perdre au pays 3,5 % de PIB par an ; alors que des pays qui valorisent le multilinguisme, à l’instar de la Suisse, voient leur PIB augmenter de 10 %. Pour sa part, Wyburd (2018) revient sur l’important de préserver l’enseignement des langues étrangères dans les universités, surtout les départements de lettres et humanités (arts and humanities) qui ont vu déjà une chute vertigineuse de 53 % du nombre d’étudiants en licence de langues modernes entre les années académiques 2003-2004 et 2014-2015. Comme ses collègues, la chercheuse met en avant l’importance de valoriser la formation aux langues étrangères qui sont fortement demandées par des employeurs (compétences transculturelles/transcultural skills).

Cependant, malgré la bonne volonté des universitaires, il semblerait que les gouvernements post-Brexit veulent maintenir la mise au ban de l’enseignement des langues, et lato sensu, des sciences humaines, dans les universités. Il est maintenant indéniable que cette hostilité n’est pas uniquement motivée que par des raisons purement économiques. En effet, les chefs de gouvernements ne ratent pas une occasion de rappeler que beaucoup d’universités ne sont plus rentables par ce qu’elles se sont endettées à cause d’une mauvaise gestion, mais sans jamais prendre leur part de responsabilité dans la crise que le secteur traverse.

Par conséquent, si plus d’un tiers des universités britanniques se trouvent dans le rouge, c’est surtout dû à la perte du nombre d’étudiants étrangers, européens et autres, ces trois dernières années15. Néanmoins, ce serait malhonnête de voir cette situation comme étant la conséquence d’une mauvaise gestion interne des universités, sans parler des décisions politiques qui ont profondément modifié la structure des universités sur plus de quarante ans, et dont la dernière en date est la Graduate Rout, qui vise à diminuer l’inscription les étudiants étrangers à dans les universités anglaises16.

Or, comme l’écrit très justement l’historien Joe Moran (2022, 15), cette attaque sur l’économie s’accompagne d’une autre charge contre « les valeurs » que représentent ces universités, qui a commencé bien avant le Brexit, sur fond des bouleversements culturels des années 1960, mais qui se sont cristallisés pendant les années Thatcher par une division orchestrée entre les départements de sciences et celles de lettres ; ces derniers étant traditionnellement un haut lieu de la contestation et de la pensée critique. Il serait redondant de revenir sur le dénigrement dont sont l’objet les programmes en sciences humaines et sociales. La violence sémantique des leaders conservateurs laisse peu de doute quant à leurs opinions, feintes ou sincères, sur les programmes de cours en sciences sociales et humaines. Régulièrement, la presse cite les injonctions politiques à supprimer des postes ou fermer des départements, au titre que ces derniers offrent des programmes de cours « médiocres » (low value) et des Mickey Mouse degrees (des diplômes sans valeur), pour reprendre les mots du Premier ministre sortant Rishi Sunak17.

Cette crise post-Brexit des universités, comme toutes les crises, révèle l’essence des choses. Nous assistons à une guerre de positions, en terme gramscien18, une guerre que se livrent les héritiers politiques du thatchérisme et les acteurs du monde universitaire, afin d’imposer leur vision du monde, de créer un consensus sur la direction qu’ils veulent donner à la nation. Pour les premiers, ce sera maintenir l’hégémonie, pour les autres, de proposer une alternative.

Profondément liée au concept d’hégémonie, la notion d’intellectuels organiques (groupes ayant une fonction d’organisation et d’orientation d’une classe dominée ou dominante) peut s’appliquer à une variété de contextes historiques et s’illustrer notamment à travers l’expérience des tuteurs vacataires dans les universités britanniques, qui d’une part, jouent leur rôle de transmetteurs de la culture de l’institution, et d’autre part, en tant qu’intellectuels organiques, peuvent participer au dépassement de l’hégémonie néolibérale thatchérienne.

Les tuteurs en tant qu’intellectuels organiques

En partant de ce constat, il m’a semblé intéressant d’appliquer le cadre analytique gramscien à la situation des tuteurs, car ils ont un statut particulier au sein des universités. Une majorité d’entre-deux travaillent avec des contrats précaires19. D’après la HESA (2024), sur un total de 240 420 d’enseignants et/ou chercheurs, au RU, pour l’année académique 2022-2023 : 71 420 avaient un fixed-term contracts (vacataires ayant un contrat renouvelé au début de chaque année académique, suivant les demandes du département) ; 32 625 avaient un hourly-paid contract (vacataires payés à l’heure) ; et 3 915 avaient un zero-hour contact (contrat « à la tâche », qui se caractérise par le fait que l’employeur n’est pas obligé de mentionner un nombre minimum d’heures de travail). La situation précaire de la plupart des tuteurs participe de cette condition de vacataires et s’oppose au cas plus stable des enseignants qui disposent de contrats à durée indéterminée. Cette inégalité place les tuteurs dans situation ambiguë. D’un côté, il est évident que, comme leurs collègues enseignants-chercheurs, ils contribuent à l’organisation et au rayonnement de l’institution universitaire. D’un autre côté, leurs conditions de travail — et par extension, d’existence — les situent à la marge de l’institution hégémonique.

En mai 2024, j’ai organisé des entretiens semi-directifs (de 90 minutes) avec deux tuteurs travaillant dans le département de langues et de sciences humaines d’une université londonienne. Il s’agissait de donner une dimension biographique a l’entretien et encourager les informateurs a de donner leur avis de manière marquée et les inciter à exprimer leur compréhension de l’institution dans laquelle ils évoluent, et comment ils peuvent participer à la direction — ou sa redirection — dans le contexte sociopolitique post-Brexit.

Les deux participants, Laura et Kevin20 sont des enseignants expérimentés : ayant travaillé dans diverses universités britanniques depuis 2001, pour la première, et depuis 2016, pour le deuxième, même s’il avait enseigné dans des universités à l’étranger auparavant depuis 2010. Cette expérience leur donne le recul nécessaire pour pouvoir témoigner des changements politiques récents, et leur impact sur le présent et le futur du secteur éducatif. De surcroît, si Laura est citoyenne britannique, Kevin est originaire d’un pays du Commonwealth, mais n’a pas la nationalité britannique ; il fait donc partie des 17 % des universitaires étrangers (non-Européens) travaillant au RU21. La sélection de ces tuteurs s’est aussi faite parce que tous les deux sont des chercheurs et linguistes : Kevin est titulaire d’un doctorat en sociolinguistique et Laura a un doctorat enhistoire des civilisations et des cultures. Ils enseignent principalement les langues modernes.

Les entretiens ont été structurés en trois parties : « thatchérisme et hégémonie culturelle », « enseignement des langues », « Les tuteurs comme intellectuels organiques ». L’analyse des réponses s’est faite de manière transversale pour mettre en lumière leur perception du contexte politique hégémonique dans ses rapports à l’enseignement des langues et à la pédagogique censée transmettre des outils critiques.

Thatchérisme et hégémonie culturelle

Les premières questions se centraient sur le contexte politique actuel au RU. Les questions étaient pour but de sonder l’hypothèse d’une continuité entre les politiques qui ont menées au Brexit et un système hégémonique, le thatchérisme, qui a non seulement mené à une crise des institutions et à une paupérisation de la population22, provoquant, sur le long terme, une crise des compétences qui impose la difficulté de dépassement d’un modèle politique ayant atteint ses limites.

Les deux intervenants étaient d’accord avec l’hypothèse de la continuité du thatchérisme jusqu’à aujourd’hui. Kevin insistait surtout sur la dimension internationale de cette hégémonie néolibérale, qui ne se limite plus aux frontières des États-nations. La seule référence au mot « thatchérisme » provoqua une réaction très vive de Laura, qui dit : « la seule évocation de ce mot [lui] donne la chair de poule. Thatcher, Thatcher, milk snatcher ! »23. Elle poursuit en faisant référence à la privatisation des logements sociaux : « si nous avons une crise du logement, c’est parce que Thatcher a vendu les logements sociaux (council houses) dans les années 1980 pour des raisons électorales ; pour avoir des voix des classes populaires. (…) Je pense que Thatcher est l’une des pires choses qui soient arrivées à ce pays : elle a brisé le pouvoir des syndicats, elle a muselé la voix du peuple…elle a créé une sous-classe (underclass) [qui n’existait plus] depuis l’époque victorienne ».

Faisant la transition entre le thatchérisme et le Brexit, Laura indique que le même euroscepticisme traverse ces deux moments importants de l’histoire politique britannique : «Ce pays n’a jamais été enthousiaste concernant l’Europe… Je me rappelle Gaule disant que ce pays n’aurait jamais dû faire partie de la Communauté économique européenne». Pendant la discussion, Laura retrace la genèse de ce conservatisme qui, selon elle, est bien antérieur au XIXe siècle : «Thatcher puise dans une mythologie qui existe depuis des siècles, et qui serait sans doute apparue à l’époque des Tudor, lorsque commence l’exploration des mers, le véritable début du colonialisme et de l’esclavage (…) C’est un continuum. Thatcher n’a fait que raviver un ‘vieux rêve’ dans une époque postcoloniale».

Enseignement des langues

L’enseignement des langues dans le cycle supérieur permet d’illustrer un des aspects importants des réformes menées par Thatcher et les différents leaders conservateurs qui l’ont suivie (Hall, 2008, 171-172). Laura ayant enseigné dans différents établissements voit un changement dans les new universities en comparaison avec celles, plus élitistes, du Russell Group24. « Les enseignants de langues, et de facto, les cours de langues, sont perçues comme moins importantes ou seulement comme support des autres disciples dans les instituions d’élites, types Russell Group. En comparaison, l’université x, qui est une post-92, je ne vois pas cette différenciation entre la valeur des cours, ni même entre collègues… en tout cas, c’est moins perceptible et on voit moins d’arrogance de la part de l’institution et de certains collègues [enseignants-chercheurs] vis-à-vis de l’enseignement des langues ».

Cette mise en compétition entre institutions d’élite et les autres est ancienne. Gramsci appelait cela le « principe de différenciation » qui existe entre écoles professionnelles et écoles classiques, « l’une pour les classes instrumentales, l’autre pour les classes dominantes et intellectuelles » (Frandji, 2015, 50). Au RU non plus, cette division ne se limite pas aux universités, mais se voit à tous les niveaux de l’éducation de la primaire jusqu’à l’enseignement supérieur ; cela illustre un modèle social ou la division de classe est un facteur de reconnaissance entre les individus25.

Concernant la présence de plus en plus prégnante du module de langue anglaise destiné des étudiants étrangers26 et la nature utilitariste de ces cours, les réponses divergent. Kevin reconnaît la dimension de « langue appliquée au contexte de travail », mais ne considère pas cet aspect unidimensionnel problématique : « après tout, les gens ont des raisons différentes d’apprendre des langues ». De son côté, Laura est surprise de la présence de ces modules dans des sections de langues étrangères insinuant qu’ils pourraient faire doublon avec des cours proposés dans les départements d’anglais. Elle soulève également que ces modules sont orientés vers une application au contexte de travail (business oriented), loin des approches socioconstructivistes qui prennent en compte l’environnement socioculturel. Selon elle, la présence de ces cours et leur orientation est liée à une politique linguistique — même implicite — insufflée par les gouvernements conservateurs, tout en rappelant que « l’enseignement de la langue en Angleterre a toujours été très pragmatique. Si on veut comprendre comment une langue fonctionne, il faut regarder la télévision, sortir dans la rue et écouter les gens parler ».

On aurait pu penser qu’une étude de ces dispositifs implique l’évaluation de leur efficacité à produire des effets utiles concernant l’insertion socioprofessionnelle des apprenants, mais elle implique aussi un questionnement de « l’implication des organismes d’insertion dans une recherche d’adaptation de leur fonctionnement aux ressources et besoin de leurs publics » (Manço et Gatugu, 2018, 20). Cependant, la vectorisation de la langue vers une version monolithique et managériale de celle-ci fait que les intervenants ont des réserves quant à un changement positif pour les départements de langues et des sciences humaines, même avec un changement de gouvernement cet été : «Les langues n’étaient pas la priorité pendant le mandat de Blair, donc, je ne vois pas pourquoi ce serait différent (…) Nous nous retrouvons dans une dichotomie bizarre, où les langues étrangères sont enseignées en primaire, disparaissent des curricula dans le secondaire… et survivent dans les universités» (Laura).

Les tuteurs comme intellectuels organiques

Malgré le lien avec leur condition de travail (contrats courts, précarité, insécurité de l’emploi…), les deux intervenants étaient dubitatifs quant à la « validité » de la transposition du concept d’intellectuel organique de Gramsci à leur statut ; cela aurait sans doute demandé un peu de recul, et plus de temps de réflexion pour contextualiser et avoir accès à certaines sources théoriques. Cependant, Laura a fait un lien avec des discussions qu’elle a eues avec des collègues, notamment concernant « le syndicat des enseignants universitaires (UCU), qui lui ont permis de mieux comprendre la ‘véritable’ idéologie de l’institution universitaire ». Ceci fait référence aux multiples grèves menées ces dernières années concernant les conditions de travail et des menaces de licenciement massif, pendant et après la crise du Covid (Bakhtiar, 2023, 176-177), et maintenant les menaces de licenciements massifs dus au déficit budgétaire et à la chute des inscriptions des étudiants étrangers27.

Kevin est d’avis que son statut, en comparaison avec ses collègues ayant un contrat durable, n’a pas d’impact sur sa recherche ; cependant la condition économique de son contrat le rend sa situation la plus instable : «[quand tu es vacataire], tu es plus vulnérable. (…) Je travaille comme tuteur sur deux modules à l’université [x], mais j’ai aussi un contrat mi-temps de chercheur dans une autre université». Ces deux universités sont situées à Londres, mais Kevin habite dans une ville dans le nord de l’Angleterre. Il rajoute : «je ne suis pas certain d’y retourner l’année prochaine, car ils me proposent d’enseigner qu’un module. (…) financièrement, ce n’est pas intéressant, je dois regarder toutes les options qui me sont offertes». Cette tension engendrée par le besoin de rester dans le circuit académique et la nécessité d’améliorer des conditions d’existence précaire, et la frustration liée à cette situation est le lot de beaucoup de tuteurs, qui doivent vérifier la rentabilité financière de passer plusieurs heures dans des transports publics (souvent onéreux) pour un ou deux heures de cours. Ceci est la conséquence d’un mode de fonctionnement managérial, hérité du privé, qui applique une division du travail qui n’a rien à envier aux schémas archaïques du XIXe siècle, une époque où on parlait de « tâcheronnage » ou de « l’armée de réserve industrielle », pour citer Marx (Bakhtiar, 2023, 178).

Cette tension fait intégralement parti du mécanisme de transformisme, mentionné plus haut, sur lequel repose l’hégémonie culturelle et qui maintient certains individus dans la subalternité28. Pendant notre entretien, Kevin a raconté une anecdote qui illustre très bien ce maintien pratiqué par l’Etat, et par extension, l’institution scolaire, en dépit de l’apport des individus migrants au niveau socioculturel et écodémographique, notamment en permettent la pérennisation des systèmes de santé ou éducatif (Manço et coll., 2017). Il trouvait que le fait que les universités britanniques demandent des preuves de la maîtrise de la langue aux étudiants venant de pays anglophones — faisant parti du Commonwealth ou, du moins, où l’anglais est une langue officielle ou administrative reconnue — était totalement injuste29. Il a lui-même dû faire face à ce type de demande, qui peut être dégradant, lorsqu’il postulait pour faire sa thèse de doctorat. Ayant non seulement étudié la langue pendant ses études universitaires (licence en langue et littérature anglaise et un master en linguistique), c’était une question de principe de refuser de devoir prouver sa maîtrise de la langue, alors qu’il en était un spécialiste, qu’il l’a d’ailleurs enseigné pendant plusieurs années. « Je me rappelle encore cette vive discussion avec un membre du personnel administratif (d’une université). Je lui ai dit : j’ai étudié l’anglais pendant 6 ans à l’université, j’enseigne l’anglais, j’ai même publié (des articles scientifiques) en anglais. Malgré cela, tous ces éléments ne sont pas suffisants pour vous prouver que je maîtrise assez l’anglais pour l’étudier. (…) Il faut savoir que la plupart des universités du Nord global (global North), surtout aux États-Unis, mais aussi au RU, forcent les étudiants qui parlent anglais, qui ont étudié en anglais, à faire preuve de leur maîtrise de la langue. Il est maintenant prouvé que la motivation principale est l’argent, le gouvernement britannique encaisse d’énormes sommes par ce biais. (…) Le pire étant que le certificat d’ILETS devient caduc après 2 ans, si vous ne l’utilisez pas ; ce qui voudrait dire que les connaissances linguistiques acquises se perdent ; ce qui n’est pas vrai évidemment ! » Cette expérience dégradante dénote une violence symbolique et un mépris de classe qu’il faut mettre en lien avec le mythe postcolonial de « Global Britain ».

Conclusion

«There is no alternative » :c’est par cette phrase que Thatcher a pu (ré)imposer au RU une politique libérale et conservatrice. Dans le cas de l’éducation universitaire britannique et de son rapport aux langues, en vue de la situation politique actuelle et malgré un récent changement de gouvernement, il est tentant d’accepter que, face à la violence matérielle et symbolique de l’héritage du thatchérisme hégémonique, la réponse à la question «que faire?» (Althusser, 2018) est « rien ». Dans une certaine mesure, accepter cela serait même faire preuve de lucidité sociologique, sur base de statistiques, qu’il n’y a plus rien à dire face au thatchérisme dont les injonctions limitent même la condition de la pensée et du langage qui pourtant permettraient la possibilité d’une alternative.

Or, la dimension critique de la philosophie gramscienne annonce que, aussi puissante et durable soit-elle, il ne saurait y avoir une hégémonie immuable et incontestée. Faire ce constat ne résout pas les mécanismes structurels qui déterminent les sujets — et trop souvent, les dominent. L’analyse théorique et les témoignages des tuteurs dans cette contribution permettent, je l’espère, d’illustrer la violence de l’hégémonie thatchérienne qui est capable de broyer des existences par sa brutalité et à capturer des consciences par consensus. Cependant, me référant à la fameuse maxime gramscienne qui nous incite à allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté (Gramsci, 2007, 175), il faut accepter que le primum mobile de toute pensée (critique) repose sur l’espoir. Même si cela est de manière partielle ou fragmentaire, le fil de cet espoir se maintient par les échanges fictifs (intertextualité) ou sur le terrain (entretiens). À défaut d’alternatives empiriques, cette pensée mouvante permet ne plus rester coincé dans la ritournelle de TINA qui sonne et resonne, en imaginant que cette injonction finisse un jour par devenir dépassable. Alors, en attendant cette révolution « contre-hégémonique » qui tarde à venir, on se contente de répondre, de manière galiléenne, aux héritiers de la doctrine thatchérienne hypostasiée, qui tentent d’aplanir les consciences politiques : There is no alternative… and yet, it moves !

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Notes

  1. À titre d’exemple, on peut voir dans les projets de réformes concernant le secteur public menées en France par le gouvernement Macron des affinités avec les méthodes de Thatcher (Godin, 2020).
  2. Pour rappel, le Brexit, contraction de « British » (britannique) et « Exit » (sortie), désigne la sortie du RU de l’UE, qui a eu lieu en janvier 2020. Celle-ci faisait suite au referendum national organisé en juin 2016, au cours duquel 52 % des citoyens ont voté pour ont choisi pour un retrait l’UE.
  3. Dans ce texte, le masculin est utilisé comme épicène, les groupes désignés peuvent être composés de femmes et de personnes non binaires.
  4. Les enseignants de ces modules de langues sont fréquemment appelés tutors (tuteurs) ; ce qui permet d’un point de vue managérial de souligner leur rôle en tant que transmetteurs des compétences linguistiques nécessaires attendues par l’institution éducative et en tant qu’« agents » d’un gouvernement britannique conservateur. Je convoque des conceptions gramsciennes pour penser leur rôle en tant qu’intellectuels organiques, dans un dispositif universitaire qui, dans une certaine mesure, maintient une majorité de ces enseignants vacataires dans la subalternité.
  5. Douet (2023, 52) donne une définition de ce concept gramscien : « Le transformisme désigne la cooptation par les groupes sociaux dominants, des individus (dirigeants politiques et intellectuels) ou des organisations qui sont censés représenter des groupes subalternes, ou — ce qui a des effets similaires — l’adoption par ces individus ou organisations d’une ligne politique au service de l’ordre dominant. Ces phénomènes de transformisme (…) permettent ainsi de maintenir la subalternité des classes dominées sans avoir à les réprimer directement ».
  6. Concernant cette politique de la « troisième voie » (third way), mise en place par Blair, et théorisée par son conseiller Anthony Giddens, qui visait à se situer au-dessus de la distinction droite/gauche, et de ses liens avec le thatchérisme, je renvoie à Hall (2008).
  7. Frosini (2015, 32) donne une définition de cette notion clé dans la pensée théorique de Gramsci : « l’hégémonie désigne la capacité d’une classe à universaliser ses propres revendications au cours de la lutte, en redéfinissant continûment ses propres objectifs et en conquérant ainsi un rôle de guide des forces subalternes. L’hégémonie est, en somme, la capacité de mobiliser la population en en faisant un ‘peuple’ ».
  8. Ce narratif a été notamment théorisé par des think tanks tels que le Hillgate Group qui visait faire revivre à un passé mystifié ou nostalgique, caractérisé par la ‘grandeur britannique’, la hiérarchie, la discipline et la vénération des traditions (Dorey, 2015, 115).
  9. Cette critique du secteur éducatif — comme celui de la santé — est un des éléments essentiels du projet néo-libéral du parti conservateur, qui considérait que le contenu des cours et les méthodes enseignants du secondaire, qui étaient pour la plupart formés par le Département of Éducation and Science (DES), étaient idéologiquement trop à gauche, comme en témoigne ce passage d’un discours que Thatcher a retranscrit dans un livre : « the ethos of the DES was self-righteously socialist (…). Equality in education was not only the overriding good, irrespective of the practical effects of egalitarianism in schools; it was a steppingstone to achieving equality in society » (Thatcher, 1995, 166).
  10. Un chiffre éloquent permet de se rendre compte de l’ampleur de cette privatisation structurelle de l’enseignement secondaire : sous le gouvernement de David Cameron, en 2013, les académies constituaient 51 % des établissements secondaires dans le pays (Department for Education, 2014, 12).
  11. La crise structurelle profonde que subit le pays provoque des conflits sociaux : de la grande grève de la poste en novembre 2022 aux débrayages chroniques des secteurs des transports, de l’enseignement et de la NHS. Il existe certes des effets Brexit et Covid, qui ont provoqué une entrée en récession remarquée avec un recul du PIB de 0,3 % au quatrième trimestre de 2023 (Partington, 2024).
  12. Paul May (2017, 522) stipule que parmi les états européens, le RU est un cas d’étude particulier tant la notion de multiculturalisme est profondément présente non seulement dans l’évolution récente de ses institutions, mais aussi dans le débat public depuis la fin de Seconde Guerre mondiale : « il s’agit d’une des principales destinations pour les immigrants au cours des trois dernières décennies, mais aussi d’un pays où des politiques multiculturelles ont été adoptées, avant d’être remises en cause à la fois par le Labour et par le Parti conservateur ».
  13. Frank Jablonski (2012, 151)) souligne que « l’apparition de questions portant sur la langue (nationale) est souvent, dans l’histoire, un indicateur de la remise en question et de la réorganisation des rapports de pouvoir et de domination entre les différents groupes au sein de la société. Une des conditions nécessaires de l’émergence d’une hégémonie culturelle est l’existence d’une langue nationale comme phénomène de masse, langue nationale qui est basée sur une relation hégémonique vis-à-vis des autres variétés linguistiques en présence et en concurrence. Ainsi, la ‘conception du monde’ inhérente à la langue nationale est cognitivement ancrée auprès de la masse. Les idéologies véhiculées par les langues et variétés linguistiques sont ainsi canalisées dans la conscience collective et donnent naissance à un ‘consensus spontané’, mais apparaissent pourtant sous une forme plurielle ».
  14. Le site de la European Federation of National Instituions of Languages (EFNIL) rappelle que l’anglais n’a pas de reconnaissance institutionnelle, étant donné que RU est dépourvu d’une véritable Constitution. Cependant, malgré cette faiblesse juridique, elle est considérée comme une langue officielle étant donné qu’elle est parlée par 94 % de la population britannique. La EFNIL relève aussi que si l’omniprésence de l’anglais se reflète dans l’éducation, elle s’accompagne de mesures drastiques concernant les autres langues : « Depuis la rentrée 2003, l’enseignement d’une langue vivante étrangère n’est plus obligatoire après 14 ans. Ainsi, depuis cette date, le nombre d’élèves choisissant une langue vivante a diminué de près de 30 % ».
  15. Les chiffres fournis par l’institut de sondage Higher Éducation Student Agency (HESA) sont assez éloquents : les inscriptions d’étudiants membres de l’UE dans les universités britanniques ont baissé de 53 %, entre l’année académique 2020/2021 et 2021/2023 ; alors que le nombre d’étudiants étrangers (hors UE) a augmenté de 32 % sur la même période. Selon la HESA, cette augmentation soudaine serait due à la mise en place du Graduate Route, qui a été activée le 1er janvier 2024.
  16. Cette mesure appelée fait partie du plan du gouvernement pour diminuer l’immigration. Elle concerne la mise en place de conditions restrictives concernant les étudiants étrangers venant faire des études du 2e cycle (master ou doctorat), notamment en limitant le visa à l’individu, qui ne peut donc pas emmener d’autres membres de sa famille. D’après les chiffres de la Home Office (équivalent britannique du ministère de l’Intérieur), depuis sa mise en place en janvier 2024, les demandes d’inscriptions d’étudiants étrangers pour des programmes universitaires du 2e cycle ont diminué de 79 %, soit 30 000 candidatures, par rapport à la même période l’année précédente.
  17. À titre d’exemple, articles apparus sur les sites des quotidiens Guardian et du Telegraph.
  18. Par « guerres de position », Gramsci illustre les formes que peut prendre un conflit politique, qui ne passe plus exclusivement par le mode traditionnel des « guerres de mouvement » (élections, jeux de partis politiques, etc.), sur un temps court, mais aussi, sur le long terme, par des blocs idéologiques qui essayent d’imposer et de convaincre d’une direction politique, d’une hégémonie (Douet, 2023, 259).
  19. Malgré leur financement public, les universités britanniques sont considérées comme des organisations à but non lucratif (charities) selon la Charities Act (2011). Cela leur donne un statut ambigu d’établissement public autonome. En pratique, les sommes attribuées dépendent du nombre d’étudiants inscrits, mais une totale liberté est laissée aux universités dans la gestion et la distribution de ces sommes : salaires des enseignants et du personnel administratif ; budgets dédiés aux recherches ou aux enseignements…
  20. Prénoms modifiés. Entretiens menés en anglais et extraits traduits par l’auteur.
  21. Selon les chiffres de la HESA, en décembre 2022, les universités britanniques comptaient, parmi le corps enseignant, 37 585 citoyens membres de l’UE et 40 195 étrangers non membres de l’UE.
  22. Selon les prévisions officielles du gouvernement britannique fournies par STATISTA, la moyenne du budget des ménages a baissé de 2,2 points en 2022-2023, pour atteindre le taux le plus bas depuis 1956. Les analystes envisagent que cette baisse va continuer en 2023-2024 et 2024-2025.
  23. Cette expression, utilisée par la presse de l’époque, fait référence au fait qu’en 1971, Margaret Thatcher, alors chargée de l’Éducation, a fait passer un amendement qui privait de lait gratuit, dans les cantines scolaires, les enfants âgés de plus de sept ans.
  24. Les new universities sont les établissements qui ont été créés dans les années 1960, pour répondre à la demande d’éducation supérieure dans la période de croissance sociale et économique. Par la suite, il y a une deuxième vague d’émergence de nouvelles universités, que l’on appelle les « post-92 » universities, qui pour la plupart étant des institutions d’enseignement supérieur (type instituts polytechniques) qui par décret (1992 Act) ont obtenus le titre d’université. La Russell Group, est un consortium des 24 universités (dont Oxford et Cambridge) fondé en 1994, pour défendre leur caractère sélectif et élitiste (Moran, 2022). Les universités du Russell Group fonctionnent comme un lobby, recevant les trois quarts des subventions publiques, alors qu’ils ne représentent que 17 % des établissements habilités à délivrer un diplôme supérieur (Dodds, 2011).
  25. Au RU, en 2022, 544 316 élèves du primaire et du secondaire sont inscrits dans 1 388 écoles privées (independants). Selon les observateurs, secteur privé a vu une augmentation des inscriptions de 8,2 % depuis 2013, malgré l’augmentation des frais d’inscriptions de 77 % entre 2000 et 2022, pour atteindre une somme allant de 5 315 à 12 344 livres par trimestre, suivant l’établissement. Plus du tiers de ces établissements se situent à Londres et sa région.
  26. Ces cours sont de plus en plus visibles dans les départements de langues appliquées et on des titres génériques du type English for Business ou Academic English. Par exemple, l’Université de Westminster propose un nouveau module appelé English Communication.
  27. Selon la HESA, les programmes de langues, littératures et cultures (language and area studies) sont les seuls qui ont subi une perte du nombre d’inscriptions consécutivement lors des années académiques 2020-2021 et 2021-2022, avec une chute de 5 % entre chaque année.
  28. N’ayant pas l’espace pour développer plus de ce concept de subaltertinté cardinal dans l’œuvre de Gramsci, je me contenterai de souligner que son potentiel réside dans le fait qu’il ne se limite pas à au prolétariat, mais inclus d’autres classes dominées. Comme le précise Ramzig Keucheyan (2011, 167) : « [le] propre des subalternes est d’être fragmentés. Toute velléité de sortir de cet état est réprimée par les dominants ». Ce concept a été repris par des penseurs contemporains des Subaltern Studies, pour parler comme Gramsci des classes dominées, mais en incluant dans les rapports de forces les oppressions liées au genre et à l’ethnicité dans un contexte (post)colonial (Guha et coll., 2017).
  29. La grande majorité des universités britanniques demandent aux candidats étrangers de passer un test de langue, comme le IELTS ou le TOEFL, avant d’accepter leur candidature. Ces examens sont souvent organisés dans les institutions gouvernementales, du type British Council, et représentent donc une source importante de revenu pour l’État. Le prix moyen d’un examen IETLS varie entre 250 et 300 euros.

Siavash Bakhtiar