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Vie professionnelle des femmes migrantes confrontées au manque de place en crèche

Charlotte Poisson

© Une Recherche Participative de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette Recherche Participative:
Charlotte Poisson, « Vie professionnelle des femmes migrantes confrontées au manque de place en crèche », Recherche Participative, IRFAM, 2024.

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En 2022, l’Institut fédéral pour l’égalité des genres lançait l’appel à projets « Bread and Roses » visant à « favoriser l’inclusion et le maintien durable des femmes en situation de vulnérabilité en tant que salariées et/ou en tant qu’indépendantes sur le marché du travail ». Le projet WOW1mené conjointement par Le Monde des Possibles et l’IRFAM incluant une recherche participative sur la problématique de la garde d’enfant a ainsi pu être soutenu et inclure un large travail de réflexion autour de cet enjeu. En effet, il est apparu nécessaire de mieux capter les réalités des vécus des femmes migrantes en ce qui concerne leurs parcours professionnels et de formation sous le prisme du genre et plus précisément de la dimension « garde d’enfants » dont elles ont davantage la charge que les hommes. Problématique trop souvent laissée à la recherche de solutions individuelles alors qu’il s’agit d’un enjeu politique et collectif. En analysant les demandes et préoccupations des femmes migrantes côtoyées dans les projets que mènent l’IRFAM et Le Monde des Possibles, il est apparu que le sujet retenait l’intérêt des participantes qui avaient la volonté de réfléchir ensemble à la question. Un groupe d’une trentaine de cochercheuses a ainsi été créé et s’est rencontré régulièrement pendant l’année 2023-2024 dans le cadre d’une recherche participative.

Introduction 

Cette recherche participative s’est inscrite dans un contexte plus large d’une série d’observations et demandes émanant de familles migrantes côtoyées et accompagnées par l’IRFAM ces dernières années (Hugret et Manço, 2022). Il en ressort entre autres que :

  • les parents migrants qui suivent une formation ou sont à la recherche d’un emploi se questionnent sur la compatibilité de leurs horaires de travail et des modalités de garde d’enfants en Belgique ;
  • ce sont davantage les femmes qui sont impactées dans leur vie professionnelle par la problématique de la garde des enfants et se retrouvent moins souvent en emploi ;
  • les emplois qui leur sont proposés présentent davantage des conditions de travail atypiques avec des horaires en soirées et les weekends, en dehors des heures d’ouverture des crèches.

Nos observations mettent en exergue les inégalités d’accès à la formation et à l’emploi que vivent en particulier les femmes migrantes en comparaison à leurs homologues masculins et bien plus encore en regard de la population autochtone, francophone, diplômée, possédant un réseau social et des informations utiles sur le sujet, sans compter le coût financier des solutions de garde. Les femmes migrantes avec enfants en bas âge se retrouvent ainsi moins souvent dans un parcours de formation ou en emploi et rencontrent davantage de difficultés à (ré)intégrer ce type de parcours après la naissance de leurs enfants.

La recherche participative nous a semblé être la bonne option méthodologique pour explorer de manière sensible et ancrée le vécu des premières concernées (Lenette, 2022) au sujet de l’insertion des femmes vers l’emploi, au regard de leur confrontation au manque d’accessibilité et de place en crèche. En effet, la recherche participative offre la possibilité de produire des connaissances en dehors des milieux universitaires et de décider des façons d’y arriver ; elle donne un droit d’analyse, de recommandations et d’interpellation aux participants; « un droit de cité, en favorisant l’utilisation des connaissances produites pour influer sur l’état des choses et contribuer au changement social » (Gélineau, 2011).

Les étapes de la recherche participative

Rencontre d’intérêt

La recherche participative privilégie la participation des personnes concernées par la problématique aux différentes étapes du processus, de la formulation des questions de recherche, à la décision des choix méthodologiques, en passant par l’analyse des données jusqu’à la diffusion des résultats. Les participantes ont pris une part active à la recherche non seulement comme sujets de la recherche, mais aussi comme cochercheuses. Les femmes migrantes rencontrées grâce aux participantes nous ont fait part de leurs questionnements, besoins et difficultés. Les cochercheuses ont également participé à des débats avec les principaux acteurs de la question. Nous ainsi avons pu mieux comprendre leurs aspirations et situations de vie. Ces différents échanges ont confirmé, en amont de la mise en place de cette recherche, la volonté commune de collaborer sur le sujet. L’association Le Monde des Possibles, porteur du projet WOW dans lequel s’inscrit cette recherche participative nous a également confirmé son intérêt pour cette problématique, nous rapportant des situations collectées lors des permanences sociales et juridiques de mères d’enfants en bas âge ne trouvant pas de place en crèche, ce qui bloque leur avancée professionnelle. Les associations et les centres d’insertion professionnelle nous rapportent ces constats en se sentant dépourvus face aux obstacles que vivent particulièrement les femmes migrantes lorsqu’elles cherchent un travail ou veulent s’inscrire à une formation. Ces professionnels sont en demande de trouver des solutions, de s’inspirer de nouvelles pratiques, de mettre en place des projets pilotes pour contrer le manque de place en crèche.

Partenaires du projet

Le Monde des Possibles, porteur du projet WOW et partenaire de la recherche participative développe depuis plus de vingt ans des initiatives citoyennes sur le terrain de l’action culturelle, de la formation au français langue étrangère et de la sensibilisation contre les inégalités et toutes les formes d’exclusion. L’association déploie ses actions avec les personnes migrantes, quel que soit leur statut de séjour et coconstruit des actions d’émancipation collective liées aux besoins relevés auprès des personnes fréquentant l’association.

Pour travailler sur la thématique de la garde d’enfants, le groupe de travail de cochercheuses constitué par des femmes migrantes a voulu s’enrichir des avis et expertise de différentes personnes en lien avec le secteur de la petite enfance. Ainsi, le groupe de travail a contacté des partenaires de terrain tels que des puéricultrices, la directrice de la halte-accueil de La Bobine, l’équipe de la crèche communale de Herstal, ainsi que l’équipe des auxiliaires d’éducation d’écoles primaires et l’échevine de la petite enfance de la ville de Herstal, ce qui a enrichi la réflexion. L’ensemble de ces rencontres ont donné lieu à des échanges nourrissant le contenu et les orientations de la recherche participative.

De plus, dans une volonté de définir collectivement l’orientation de la recherche, de nourrir les réflexions et les questionnements, un comité de pilotage a été mis en place, il est composé de participantes de la recherche, des partenaires impliqués dans le projet, de professionnel.les du secteur de la petite enfance, de membres du personnel de l’ONE, de responsables politiques et de chercheuses universitaires. Ce comité a ainsi pu rassembler 6 personnes2 qui ont montré leur intérêt à prendre part aux réflexions, à soutenir et orienter de manière pertinente les observations en ponctuant les étapes de la recherche par l’apport d’une vision propre à leur secteur de compétences. La rencontre et la convergence des intérêts des différentes parties prenantes prennent alors tout son sens pour construire un projet intégré et global. Les recommandations présentées en fin de document ont également fait l’objet d’une relecture de la part du comité de pilotage.

Sujets et questionnements

Les questionnements et réflexions de départ des femmes migrantes participantes se centraient sur :

  • La possibilité de reprendre une formation ou de commencer un travail, alors qu’elles doivent s’occuper de jeunes enfants et la nécessaire réorganisation de leur vie afin de concilier les horaires et les différentes responsabilités qui leur incombent.
  • Le sentiment de culpabilité de laisser son enfant à des personnes inconnues pour aller travailler ou se former et la tension ressentie entre être « une bonne mère qui s’occupe de son enfant » et être autonome financièrement, accomplir des études et avoir une ambition professionnelle.
  • La méfiance envers les structures de la petite enfance (mon enfant va-t-il être bien traité ? Et s’il a un accident, que font les puéricultrices ? Comment puis-je vérifier que mon enfant n’est pas maltraité ?…).
  • La tension que représente la volonté, d’une part, de se lancer dans une formation, une profession ou un projet d’entreprise afin d’assurer l’équilibre financier de son foyer et, d’autre part, assurer une présence suffisante auprès de ses enfants, et être en mesure de rebondir face aux aléas de la petite enfance (maladies, congés scolaires…).
  • Le besoin d’échange et d’entraide entre mamans vivant des situations similaires pour se donner des conseils, des informations et se soutenir dans un pays étranger dont on connaît peu le fonctionnement.
  • Le souci de proposer des activités à éducatives et récréatives à ses enfants, afin de leur donner les mêmes opportunités de développement et d’épanouissement que les autres enfants.

La recherche participative est le format idéal pour travailler ces questions avec les personnes impliquées par la problématique. Nous avons analysé ces préoccupations dans un cadre où toutes les participantes seront considérées comme des cochercheuses qui déterminent le sujet et sa méthodologie conjointement aux témoignages qu’elles peuvent apporter. La question principale du groupe de travail fut ainsi : quand on est une femme migrante en charge d’enfants, vivant en Belgique francophone, comment peut-on imaginer ou réinventer sa vie professionnelle  ? Quelles sont les priorités et attentes exprimées ? Quels obstacles sont rencontrés et quelles solutions mises en place ? Quelles sont les revendications et recommandations exprimées afin de créer un contexte utile au (re)déploiement d’une vie professionnelle ?

Méthodologie et récolte de données

La recherche participative a débuté en août 2023 et s’est achevée en juin 2024 par une table ronde de restitution et de mise en débat des résultats que nous présenterons dans ce rapport. La méthodologie de la recherche s’inscrit dans une approche participative, qualitative, mais aussi quantitative. Celle-ci a eu lieu sous différentes formes et occasions tout au long de l’année, tantôt lors de moments formalisés organisés autour de groupes de paroles réguliers, de questionnaires à questions fermées, tantôt lors de discussions informelles à l’occasion des visites et sorties en groupe.

Voici comment se sont réparties les activités de récolte de données :

  • dix groupes de paroles menés avec les participantes/cochercheuses afin d’évoquer les vécus et expériences, les obstacles et les solutions générées dans la recherche de la conciliation vie professionnelle et vie de famille, mais aussi plus largement pour aborder les représentations sociales et culturelles du rôle de mère, de la garde des enfants, des rôles genrés, etc. ;
  • deux ateliers de transmission d’informations entre paires et de sensibilisation sur les possibilités de garde et d’activités pour les enfants de 0 à 12 ans ;
  • quatre journées de garderie autogérée organisées dans les locaux du Monde des Possibles ;
  • deux ateliers de validation des étapes de la recherche participative et des recommandations finales ;
  • trois visites de terrain de structures d’accueil de la petite enfance et de rencontres avec des professionnelles de l’enfance (Halte-accueil de La Bobine, Crèche communale de Herstal, équipe des auxiliaires d’éducation des écoles primaires de Herstal) ;
  • des visites de lieux de stage en milieu professionnel afin de rencontrer des professionnels (toutes les participantes ont effectué un stage de trois semaines auprès d’une vingtaine de partenaires issus des secteurs tels que l’Horeca, la petite enfance, la vente, le graphisme, la cuisine de collectivité, la bureautique, l’associatif, les titres-services…) ;
  • des évaluations et feedbacks suite au stage effectué en questionnant particulièrement la conciliation entre vie professionnelle et vie privée ;
  • 37 questionnaires complétés par les participantes et d’autres personnes concernées.

Questionnaire

L’outil de sondage proposait des questions fermées qui traitaient de la garde d’enfants en bas âge et des expériences vécues par les mamans avec les crèches en Belgique. Trois thématiques principales ont été considérées :

  • La garde des enfants de moins de trois ans en Belgique (qui s’occupe de l’enfant pendant la journée ? Qui le conduit/reprend à la crèche ? …) Et les raisons invoquées si les enfants n’ont pas fréquenté un milieu d’accueil belge.
  • Les relations et expériences vécues par les mères au sein des crèches où elles ont mis leurs enfants (les horaires, l’alimentation, les contacts avec les puéricultrices, la mobilité…).
  • Les expériences de garde d’enfants dans les pays d’origine.

Les questionnaires ont été complétés par 28 participantes/cochercheuses du projet. Elles sont ensuite allées interviewer à leur tour des femmes de leur entourage (sœur, tante, amie, voisine) afin de collecter leurs réponses et élargir ainsi le panel du sondage. Nous avons ainsi pu augmenter le nombre de répondantes à un total de 37 questionnaires complétés par des femmes issues de l’immigration, mères et qui ont été, dans un passé proche, confrontées à la problématique de la garde de leurs enfants en âge préscolaire. Notons que sur les 37 répondantes, toutes n’ont donc pas fait partie du groupe régulier de paroles et toutes n’étaient pas concernées directement par la problématique de la garde d’enfants de moins de trois ans en Belgique. En effet, certaines sont arrivées en Belgique avec des enfants déjà en âge scolaire (onze répondantes), d’autres, en cours de demande d’asile, ne vivent actuellement pas avec leurs enfants (quatre personnes). Vingt répondantes sont directement concernées par le sujet en étant actuellement mères d’enfants en bas âge ou en l’ayant été dans un passé proche en Belgique. Elles sont ou ont donc été confrontées en Belgique à la problématique de la garde de leurs enfants de moins de trois ans

Échantillon

La recherche participative a rassemblé 28 femmes ayant toutes un parcours de migration, mères et ayant la volonté de trouver leur voie professionnelle en Belgique, pays d’exil. Les différentes étapes de cette recherche ont été co-construites et validées par les cochercheuses qui ont pu, tout au long du processus, réajuster et augmenter leurs témoignages. Les données qualitatives émanent de ce groupe de travail de 28 cochercheuses qui s’est rencontré de manière hebdomadaire pendant l’année 2023-2024. Le groupe a construit et nourrit ses réflexions par un enrichissement mutuellement en partageant et écoutant les avis, vécus et témoignages des unes et des autres ainsi qu’en rencontrant des intervenants extérieurs, en faisant des visites de structures, de lieux de stage, etc.

L’ensemble des cochercheuses a complété le questionnaire écrit et, comme on l’a vu est allé interviewer des femmes de leur entourage c’est ainsi que nous avons pu compter sur un total de 37 répondantes au questionnaire. Toutes n’étaient pas directement concernées par la problématique de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale pour les raisons que nous avons vues. Les données chiffrées de ce rapport se baseront donc sur les vingt réponses des personnes directement concernées par le sujet.

Nous détaillons dans les chapitres qui suivent la méthodologie de la recherche participative, l’analyse des données qualitatives et quantitatives récoltées et plaçons dans un contexte plus large soulignant les enjeux liés de la problématique du manque de place en crèche en vue de l’émancipation sociale et professionnelle des femmes migrantes.

Profils sociodémographiques des participantes

Pays d’origine

La grande majorité des participantes est originaire de pays extra UE (27), une seule participante est d’origine italienne. Les pays d’origine qui arrivent en tête sont le Maroc (9) et le Burundi (9), ensuite nous retrouvons le Cameroun, Congo Kinshasa, Palestine, Albanie, Burkina Faso, Inde, Guinée, Algérie, Cuba et Syrie.

Situation administrative des participantes à l’entrée en formation

Près de la moitié du groupe possède un titre de séjour permanent (13 sur 28), mais presque autant a un titre de séjour précaire, car temporaire (type carte orange en demande d’asile ou titre de séjour de trois mois) (11 sur 28). Sept participantes sont en effet soit en cours de procédure de demande d’asile et possèdent alors une carte orange soit ont introduit un recours à la suite d’une réponse négative à leur demande d’asile. Les participantes qui ont un titre de séjour de longue durée et donc plus stable l’ont obtenu de deux manières qui n’ont pas engendré les mêmes procédures auprès des autorités publiques. Certaines sont en effet en Belgique depuis de nombreuses années et ont pu introduire une demande de naturalisation (à condition de répondre de critères stricts), d’autres ont été reconnues réfugiées à la suite d’une procédure de demande d’asile ou sont arrivées en Belgique par regroupement familial avec un membre de leur famille (souvent l’époux). À noter que quatre participantes sont de nationalité européenne, italienne ou espagnole, ce qui ne signifie pas forcément que ce soit leur pays d’origine (une seule est dans ce cas, les autres sont d’origine marocaine).

Niveau scolaire et expériences professionnelles

Bien que cela n’était pas un critère de participation à la recherche participative, le niveau d’études des participantes est assez élevé avec onze participantes possédant un master universitaire et douze ayant obtenu un diplôme d’étude secondaire supérieure. cinq participantes ont uniquement un niveau d’études primaires. Aucune n’a cependant d’équivalence de diplôme en Belgique, mais trois ont entamé une procédure de reconnaissance (sans encore avoir reçu de réponse).

Alors qu’elles sont 22 à avoir eu une expérience professionnelle dans leur pays d’origine ou dans un autre pays, dans des professions variées telles qu’assistance administrative, comptable, couturière, avocate, gestionnaire d’agence bancaire, fonctionnaire, ouvrière, agent d’entretien, psychologue… seules douze témoignent d’une expérience professionnelle en Belgique dans les secteurs du nettoyage, de l’Horeca ou de la vente. Cinq participantes ont un permis de conduire reconnu en Belgique et deux possèdent une voiture personnelle.

Le niveau de français oral est, dans l’ensemble élevé allant de A2 à C1 et langue maternelle pour certaines, bien que là non plus cela n’était pas un critère de sélection. Elles sont une majorité à être capable de comprendre des exposés relativement complexes et de présenter leur projet professionnel de manière détaillée en exposant leurs points forts et faibles, leurs perspectives et leurs projets futurs. Cependant, certaines participantes (moins d’un tiers) présentent un niveau de français de niveau A1 au début de la recherche participative et éprouvent des difficultés dans la compréhension et l’expression orale.

Analyse des données : besoins, contraintes et stratégies

Besoins identifiés

Au cours des ateliers déployés tout au long de l’année, des groupes de paroles formels et informels (les sorties et visites étaient propices aux discussions porteuses d’informations), des réponses aux questionnaires, le groupe a pu identifier et clarifier l’enjeu de la garde d’enfants en lien avec le parcours professionnel ou de formation. Les besoins ainsi formulés peuvent se regrouper en trois catégories : (1) besoins d’informations (tant sur les crèches que sur le monde du travail) et de découverte des institutions du pays d’accueil ; (2) besoins de pouvoir compter sur des moyens de garde et des solutions atypiques ; (3) besoin de reconnaissance de leurs responsabilités (et travail) de mères.

Besoins exprimés par les participantes :

  • Être informée, mieux connaître les systèmes de garde d’enfants et l’offre d’activités extrascolaires.
  • Mieux connaître le système scolaire et d’accueil des tout-petits, rencontrer les accueillantes pour développer un lien de confiance aux institutions liées à la petite enfance.
  • Mieux comprendre ce qui passe à l’intérieur des crèches, les activités proposées aux enfants, les comportements des puéricultrices, les prises de décisions, être mieux informées et entendues par les responsables compte tenu de leurs craintes et es doutes (peur de maltraitance infantile, par exemple).
  • Besoin de médiation pour faire le lien avec les institutions belges en charge du soin et de l’éducation des enfants.
  • Connaître les formations possibles pour les métiers liés à la petite enfance et les conditions pour y participer (quels prérequis ? Quels diplômes ?).
  • Se retrouver entre mamans pour échanger des informations, partager « de bons plans », rompre la solitude, développer de nouvelles idées (de projets professionnels, de solutions de garde…).
  • Découvrir de nouveaux lieux à Liège où sortir et faire des visites en famille.
  • Découvrir les métiers et les parcours professionnels possibles en Belgique.
  • Gagner en autonomie afin de pouvoir aider et soutenir son enfant dans son parcours scolaire.
  • Avoir la possibilité de mettre son enfant en crèche à temps partiel.
  • Pouvoir mettre son enfant à la garderie sur le lieu de formation.
  • Besoin de reconnaissance de la charge mentale et de la charge familiale qui reposent sur leurs épaules.

Modalités de garde des enfants

La majorité des participantes sont mères d’un ou plusieurs enfants dont les âges varient de 2,5 à 20 ans, deux participantes n’ont pas d’enfants. Les 20 cochercheuses ont été confrontées à la recherche d’une place en crèche pour leur enfant ; huit ont trouvé une place et ont mis leur enfant à la crèche, soit à temps plein, soit à temps partiel à raison de deux à trois jours par semaine. Le reste du temps, les enfants étant gardés par les mamans. Douze n’ont pas mis leurs enfants en crèche, soit parce qu’elles n’y ont pas trouvé de place, soit parce qu’elles souhaitaient elles-mêmes garder leur enfant. Deux participantes évoquent le fait que leur(s) enfant(s) sont/ont été gardés par le papa ou un autre membre de la famille.

Douze participantes n’ont donc pas mis leur(s) enfant(s) dans une crèche ou chez une gardienne reconnue par l’ONE. Les deux raisons principales invoquées mettent en exergue le fait qu’elles n’ont pas trouvé de place en crèche ou qu’elles souhaitaient garder elles-mêmes leur enfant. D’autres raisons sont le tarif trop élevé de la crèche, le refus de laisser son enfant à des inconnues ou encore la distance entre la crèche et le domicile familial (ces raisons ont été citées une fois à chacune).

Sept participantes estiment que, du fait qu’elles ne travaillent pas, elles peuvent garder elles-mêmes leur enfant. En détaillant oralement ces réponses lors des groupes de paroles, les répondantes expliquent qu’elles ont choisi de garder leur enfant, trouvant absurde de travailler et de payer quelqu’un d’autre pour faire garder son enfant. D’autres ne travaillant pas ont mis en avant un sentiment de culpabilité de « prendre la place » de parents qui ont un emploi et qui « mériterait » plus la en crèche.

« C’est normal que les places en crèche soient d’abord réservées pour les parents qui travaillent. Ça je comprends tout à fait. Alors, moi je garde mon enfant, je ne travaille pas. Mais alors c’est compliqué pour aller aux entretiens d’embauche par exemple, je dois chaque fois trouver des petites solutions ».

Ce discours répandu en ces temps de pénurie de places en crèche est non seulement culpabilisant pour les mamans migrantes en recherche d’emploi et qui subissent davantage d’inégalités d’accès au travail (diplômes non reconnus, problèmes de langue, discriminations à l’embauche), mais renvoie également la recherche de solutions à la responsabilité individuelle, du « chacun pour soi », oubliant aussi les inégalités d’accès à l’information notamment. En témoignent les commentaires de parents recueillis par Céline Gautier pour la revue Médor : « Quel est l’intérêt de mettre ses enfants à la crèche si on ne travaille pas ? Se taper les épisodes de “Plus belle la vie”, peinard ? ». Le poids des représentations sociales et culturelles qui pèsent sur les personnes sans emploi et à plus forte raison sur les femmes et les mères induit un discours où leurs besoins seraient secondaires « étant donné que celle-ci a, théoriquement, le temps nécessaire pour se charger des jeunes enfants (ce qui la relègue d’office dans la sphère privée) » comme le pointe le rapport Wagener et coll. (2022, p. 123) commandité par l’ONE qui tente de mieux comprendre le phénomène du non-recours aux services d’accueil temps libre et autres lieux d’accueil. Les femmes, assignées à s’occuper des enfants, mettent alors leur carrière professionnelle de côté, pour un temps indéterminé.

Pousser la porte d’un milieu d’accueil de la petite enfance

« Je suis en Belgique depuis 5 ans, mon enfant est né ici, mais je ne suis encore jamais allée dans une crèche. Je ne sais pas comment ça fonctionne, qui il faut appeler ».

Il a été frappant de constater que la majorité des participantes n’avait encore jamais mis les pieds dans un milieu d’accueil de la petite enfance en Belgique. Bien que toutes ne soient pas concernées par l’accueil d’enfants en bas âge, le groupe s’est senti investi par le sujet en soutien aux femmes qu’elles connaissent et qui vivent les difficultés de trouver une crèche afin de pouvoir chercher du travail. Elles observent ces obstacles, qu’elles vivent elles-mêmes ou auprès de leurs amies, sœurs, voisines qui sont freinées dans leur volonté de (re)trouver une voie professionnelle en Belgique. Le peu de connaissances du fonctionnement des crèches en Belgique, voire même de leur existence, révèle une distance et parfois une absence de connexion entre les parents d’origine étrangère et les crèches belges. Par manque d’informations, manque d’un réseau social qui évoquerait les possibilités d’accueil, certaines mamans disent s’être senties très isolées à la naissance de leur enfant.

Il semblerait donc que les informations diffusées par l’ONE, entre autres dans les maternités, ne parviennent pas toujours à toucher l’ensemble des parents qui accueillent un nouveau-né. D’autres mamans soulignent cependant les consultations organisées par l’ONE, dans les quartiers, proches des domiciles comme véritables lieux de rencontres, de socialisation, de diffusion de l’information. La question du non-recours aux services organisés et coordonnés par l’ONE est liée à la question de leur accessibilité, elle-même liée à la manière dont s’agencent ces services les uns avec les autres. « La qualité et l’accessibilité sont indissociables en vue d’atteindre l’équité : offrir un accueil dont la qualité est réservée à un petit nombre de familles produit de la discrimination et renforce les inégalités (…) l’accessibilité sans la qualité annule les bénéfices de la fréquentation d’un lieu d’accueil ; or, ces bénéfices sont potentiellement énormes, en particulier pour les familles fragilisées » (Wagener et coll., 2022, 11). Pourtant des études montrent que les enfants vivant dans des familles à bas niveau socio-économique et/ou issues de l’immigration sont moins représentées dans les milieux d’accueil 0-3 ans que les enfants de familles de classes moyennes ou supérieures (Vandenbroeck et Geens, 2011, cité par Wagener et coll., 2022).

Intéressées par en savoir plus, curieuses de l’organisation de l’accueil de la petite enfance en Belgique en comparaison aux pratiques qu’elles connaissent dans d’autres pays, les cochercheuses se sont montrées enthousiastes à la proposition d’aller visiter des lieux d’accueil d’une part et d’autre part, d’entamer une réflexion sur les manières de garder les enfants ici et ailleurs, les représentations sociales du rôle de mère, les attentes et pressions sociales qu’elles ressentaient de la part de leur famille, entourage, institutions…

Visites des milieux d’accueil de la petite enfance

La découverte des milieux d’accueil en Belgique ainsi que des métiers liés à la petite enfance ont suscité l’intérêt des participantes et sont devenus des objectifs à mettre en œuvre dans le cadre de la recherche afin de répondre au besoin exprimé d’être mieux informée. Les participantes se trouvant en formation, réorientation, recherche d’emploi étaient désireuses également de mieux connaître le paysage des professions et le secteur d’activités professionnelles en Belgique liés à la petite enfance. Deux visites ont ainsi été organisées dans deux milieux d’accueil de la petite enfance. La première eut lieu à la halte-accueil de La Bobine à Liège. Ce centre de formation en français langue étrangère et citoyenneté est particulièrement sensibles à l’interculturel et à l’inclusion des diversités. Son projet pédagogique d’accueil de la petite enfance s’est développé dans le but premier de permettre aux femmes de suivre des formations en ayant confié leur enfant à la halte-accueil, située dans le même bâtiment. Lors de la visite, les cochercheuses ont pu découvrir les lieux et rencontrer les professionnelles pour un échange informel de questions/réponses. La Bobine étant aussi un lieu de rencontre enfants-parents (LREP) reconnu par l’ONE, les participantes ont voulu connaître les avantages de cette forme d’accueil pour les parents et les enfants et connaître en particulier les bénéfices que pouvaient en retirer les parents d’origine étrangère. Un LREP met à la disposition ses locaux et le matériel pour accueillir conjointement un parent accompagné de son enfant. Des professionnelles sont présentes et peuvent procurer des conseils et avis si les parents sont demandeurs et se posent des questions. Une puéricultrice explique : « Les parents qui ne sont pas familiers avec les manières d’éduquer les enfants en Belgique nous posent des questions, émettent des doutes, et une discussion sans jugement s’ouvre. On peut les écouter, les orienter éventuellement s’ils en font la demande ». Les participantes se sont ensuite informées sur les formations et diplômes requis pour travailler en tant qu’accueillante. Préoccupée par le niveau de français requis, l’équipe leur a indiqué les pistes envisageables en fonction des parcours de chacune. Nous souhaitons inviter un centre de formation professionnelle qui pourra dispenser les informations concernant les formations, conditions et les parcours possibles dans les métiers de la petite enfance. La visite s’est clôturée avec succès, en amorçant une collaboration d’une part, au niveau de la mise en stage d’une participante du projet qui a effectué trois semaines de stages dans cette halte-accueil et d’autre part, en réservant deux places en crèche pour deux enfants d’un an de mamans cochercheuses freinées dans leur participation, car elles n’avaient aucune solution de garde3.

La seconde visite s’est déroulée à la crèche communale de Herstal. Cette crèche, la plus grande de Wallonie, accueille près de 180 enfants et existe depuis 1977. Elle a vu le jour dans un contexte de revendications des ouvrières de la FN Herstal qui demandaient un meilleur accueil pour leurs enfants et des places en crèche afin de leur permettre de travailler. Son projet pédagogique innovant se positionne pour un renforcement de l’autonomisation des enfants et pour un accueil individualisé et interculturel. La crèche possède sa propre cuisine, ainsi qu’une équipe de nettoyage, de lingerie et de logistique à temps plein. Outre les métiers de puéricultrices, c’est donc tout un ensemble de professions connexes qui ont été intéressantes à découvrir pour les participantes en recherche d’emploi.

Là également, les participantes ont eu l’occasion d’échanger en profondeur avec les professionnelles et de visiter les lieux. D’abord teinté d’une certaine méfiance envers l’institution en elle-même, l’angle abordé dans les échanges se centrait sur les potentiels incidents, accidents et dangers qui pouvaient avoir lieu dans le milieu d’accueil : « Si mon enfant tombe et se fait mal, est-ce que vous m’appelez, moi d’abord ou une ambulance ? », « Est-ce que vous donnez des médicaments à l’enfant s’il a de la fièvre ? ». Ces questions reflètent une inquiétude voire une méfiance face à un environnement et un mode de fonctionnement inconnu qu’il s’agissait donc de découvrir afin de renforcer la confiance entre accueillantes et parents. Ce moment d’échange est d’autant plus important pour les parents d’origine étrangère qui ne connaissent pas le système d’accueil et qui ne maîtrisent pas toujours bien le français afin de renforcer l’accessibilité des places en crèche pour leurs enfants, sous-représentés dans les milieux d’accueil en Wallonie. Les échanges se sont ensuite poursuivis sur des questionnements moins anxieux et liés à l’organisation et au quotidien dans la crèche (alimentation, horaires d’accueil, coûts…).

Sous-représentation des enfants de parents immigrés dans les crèches belges

Nombreuses sont les études qui mettent en avant la sous-représentation d’enfants issus de familles d’origine étrangère dans les milieux d’accueil des pays européens et extra-européens. Plusieurs explications sont avancées pour comprendre cette situation : niveaux de revenus plus faibles avec une impossibilité de faire face aux coûts que représente la garde en crèche, niveau de qualification plus bas (moins bonne maîtrise de la langue du pays d’accueil, absence de connaissance des démarches à accomplir, manque d’informations, etc.) et taux d’emploi plus bas des mères. Les services de garde d’enfants profiteraient de ce fait davantage aux familles issues de la classe moyenne ou supérieure, alors même que les bénéfices (en termes de socialisation et d’éducation) retirés par la fréquentation d’un milieu de garde de qualité seraient plus élevés pour les familles vivant en situation de précarité ou issues des migrations (Vandenbroeck, 2021, p. 3). « À Bruxelles, seulement 14 % des enfants ayant des parents non belges fréquentent les services de garde subventionnés, alors que leur proportion dans la population est de 46 % » (Vandenbroeck, 2008, cité par Wagener et coll., 2022, p. 86). Il y a lieu de se demander pour quoi une telle situation et comment amorcer les conditions de changement pour permettre une plus grande présence des enfants de toute origine dans les milieux d’accueil.

Le rapport Wagener et coll. (2022) fait référence à des « barrières invisibles » qui sont autant de freins au recours des parents migrants au milieu d’accueil tels que « les présupposés dominants des services monoculturels ou les représentations sociales de ces services chez les immigrants » (Vandenbroeck, 2007, cité par Wagener et coll., 2022, p. 87). Comme il existe une culture d’entreprise, il existe une « culture des crèches », située, qui fait référence aux normes occidentales en termes d’éducation et de parentalité. Il s’agit d’autant d’habitudes, de manières d’être et de faire dominantes et à tort estimées partagées par toutes les personnes qui fréquentent la crèche et même par les professionnelles qui y travaillent. Ces « conflits de représentations » pointent, entre autres, le poids des stéréotypes4 que les milieux d’accueil sont susceptibles de véhiculer (Wagener et coll., 2022, p. 88). Une maman rencontrée rapporte se sentir à l’aise de laisser son enfant dans une halte-accueil pour différentes raisons :

« J’aime bien cette halte-accueil. Je peux amener le repas du midi pour mon enfant, je sais qu’on lui donnera sans juger. Il y a des puéricultrices avec un voile, je me sens plus proche. Je suis toujours bien accueillie ici, je peux poser des questions ».

La maman accorde sa confiance à ce milieu d’accueil dans la mesure où celui-ci porte une attention particulière à la dimension interculturelle de l’accueil des enfants. D’une part, les parents peuvent apporter la nourriture souhaitée sans se sentir jugés (interdits alimentaires, nourriture hallal…) et d’autre part, la maman dit se sentir « proche » des puéricultrices, car certaines lui ressemblent (port du voile, entre autres). La ressemblance envers certains membres du personnel peut engendrer en effet, une hausse de confiance a priori (théorie de l’identité sociale développée par Tajfel et Turner, 1986), bien que celle-ci puisse aussi se gagner, plus lentement, en faisant connaissance petit à petit avec les professionnelles du milieu d’accueil. La prise en compte des particularités culturelles est importante, mais non suffisante comme le rappel Lili Manni (2002, citée par Genette et coll., 2023) « elles ne constituent que le “cadre” au sein duquel il convient ensuite de décoder, de comprendre avec justesse une trajectoire particulière : celle de la famille que l’on a en face de soi, et singulièrement de la relation entre cette mère-là et cet enfant-là ».

Contraintes et enjeux

Alors que les personnes migrantes, en Belgique francophone, ont un taux d’emploi inférieur à la moyenne belge5 et bien en dessous de la moyenne européenne, ce constat est d’autant plus vrai pour les femmes migrantes6 dont le taux d’emploi est encore plus bas bien qu’elles veuillent travailler. Elles se retrouvent confrontées à un engrenage dans lequel le fait d’avoir un travail facilite, voire conditionne l’accès à une place en crèche et le fait d’avoir une place en crèche rend possible ou du moins facilite l’insertion sociale, la participation citoyenne et l’emploi. Une maman d’un enfant de deux ans explique :

« Comme je n’ai pas de travail, je ne suis pas prioritaire sur la liste d’attente pour avoir une place en crèche pour mon enfant, même si ce n’est pas dit comme ça dans les crèches que j’appelle. Et comme je n’ai pas de place en crèche, je dois prendre mon enfant partout avec moi. Toutes les démarches deviennent très compliquées ; aller à la commune, suivre un cours de français, se rendre à une séance d’infos pour une formation, postuler à un emploi, je dois prendre la poussette avec moi. »

Les mamans témoignent du fait qu’elles ont eu soit tardivement connaissance de l’existence des crèches et des activités extra-scolaires pour leurs enfants soit qu’elles n’ont pas trouvé de place, ce qui a entraîné des conséquences sur leurs engagements dans le but de reprendre une formation ou de chercher de l’emploi. Le témoignage d’une maman solo de trois enfants, en Belgique depuis dix ans, illustre particulièrement cette situation.

« Quand mes enfants étaient petits, je m’étais inscrite à une formation de bureautique. J’avais trouvé une solution pour faire garder mes deux enfants qui n’allaient pas encore à l’école. Mais un jour l’amie qui les gardait m’a appelé d’urgence pendant ma formation pour que je revienne à la maison. J’étais tellement embarrassée auprès du formateur, car il avait dit qu’on ne pouvait pas avoir d’absences. Je me suis excusée, il a compris, mais m’a dit que je ne pourrai plus revenir, car je n’étais pas assidue. J’ai dû rentrer à la maison et là je me suis vraiment dit que mes chances de suivre une formation et puis de trouver un emploi étaient nulles, j’étais au bord des larmes. Même si je suis motivée, même si je cherche des formations, s’il y a une urgence avec un enfant et qu’on est la seule personne à pouvoir gérer, on doit y aller, quitter la formation, annuler l’entretien d’embauche. On n’a pas d’autres solutions. C’est très dur. »

Une autre participante rebondit sur le sujet :

« Avant, quand mon fils était tout petit, je n’avais pas de place en crèche. Je ne savais même pas qu’il y avait des crèches, que j’aurais dû m’inscrire quand j’étais encore enceinte. Je ne pouvais rien faire, j’étais seule, je restais toute la journée à la maison avec lui. Comment j’aurais pu faire garder mon enfant ? Dans les cas d’urgence, je demandais à ma voisine de le garder. Mais je ne pouvais pas abuser ».

Quand son enfant a commencé l’école, la maman s’est renseignée pour suivre une formation qui l’aiderait à trouver du travail. C’est ainsi qu’elle s’est inscrite à un cours et a réalisé un stage dans une cuisine de collectivité. Mais là aussi elle évoque des difficultés spécifiques liées ici au fait de s’occuper seule de son enfant.

« Les horaires et les déplacements en bus étaient très compliqués à gérer. Pourtant j’habite Liège, l’école de mon fils est dans mon quartier et mon stage était à Liège aussi. Mais quand même, je suis seule avec mon fils, personne ne peut m’aider. Les horaires de l’école et ceux du stage étaient difficilement compatibles. Je commençais le travail à 7 h du matin pour finir à 15 h. La garderie de l’école n’ouvrait qu’à 7 h 30, j’ai dû demander pendant trois semaines l’aide de voisines et connaissances qui pouvaient emmener mon enfant à l’école. Mais c’est impossible à faire tout le temps. Je me suis rendu compte qu’en étant maman seule, je ne pourrai pas accepter d’emploi à temps plein ».

Contraintes de temps et d’espace

Avoir le temps disponible pour pouvoir chercher un emploi, se rendre à un entretien d’embauche, reprendre une formation, se rendre à un rendez-vous au Forem… est l’élément majeur mis en exergue par les cochercheuses comme obstacle à leur entrée en emploi.

« Quand j’ai un rendez-vous au Forem ou au CPAS, je dois emmener ma fille qui a un an, car je n’ai pas trouvé d’endroit où la faire garder. C’est compliqué, j’arrive avec la poussette dans le bureau, elle pleure, elle veut son biberon, je n’arrive pas bien à écouter ce qu’on me dit. »

De plus, les femmes immigrées se voient présenter des emplois dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre (entretien, soins, HORECA) qui fonctionnent bien souvent selon un horaire différent des crèches ce qui complique davantage leur entrée dans l’emploi. La recherche de solutions est laissée à l’individu alors que le problème doit être considéré comme collectif comme en témoigne cette maman :

« J’ai commencé à travailler comme technicienne de surface en hôpital. Mais j’ai dû arrêter c’était pas possible. On m’avait dit “pour les enfants tu dois toi-même trouver une solution”. On a des horaires parfois tôt le matin, parfois de journée ça c’est bien, mais parfois le soir aussi. Si je dois arriver à six heures du matin pour prendre mon service, je ne peux pas conduire mon enfant à la crèche et il n’y a même pas de crèche qui ouvre à cette heure-là. Comment je fais ? J’ai parfois même pas de bus qui peut m’emmener au travail. »

On voit des problématiques qui s’entrecroisent pour les mamans qui gèrent seules le quotidien, leur travail et leurs enfants. La question de la mobilité en est une et non des moindres quand on sait que les entreprises en demande de main-d’œuvre sont souvent situées dans des zonings excentrés et difficilement accessibles en transport en commun. Souvent sans véhicule personnel, parfois sans permis (ou un permis non reconnu en Belgique), les femmes migrantes sont confrontées à cette difficulté qui entrave leurs possibilités de participation sociale et professionnelle. C’est une des revendications d’une maman solo d’un petit garçon de trois ans, qui demande aux politiques de soutenir les femmes migrantes qui voudraient passer leur permis de conduire7.

« Je suis des cours pour passer le permis de conduire. Je vois que c’est un problème pour beaucoup de mamans que je connais. Il faut soutenir les femmes qui veulent passer leur permis et donner des cours de conduite dans d’autres langues que le français. Moi, si j’avais une voiture cela me permettrait de faire beaucoup de choses pour mon fils. »

Dans le groupe, aucune participante n’a de permis de conduire reconnu en Belgique. Deux sont dans une famille disposant d’une auto, les autres circulent à pied ou en transport en commun. Les horaires des bus et trains ne sont pas toujours compatibles avec les horaires de formations ou d’emploi et constituent un frein supplémentaire à l’insertion sociale et professionnelle.

Contraintes financières

À ces difficultés pratiques se conjuguent souvent des contraintes économiques quand les mamans se retrouvent dans des situations où, pour pouvoir travailler ou se rendre à une formation, elles doivent investir dans des solutions privées au problème de garde des enfants. Ces solutions sont souvent payantes ou consistent en un échange de services, ce qui les contraint à réserver du temps pour rendre la pareille. Les mamans font alors des calculs pour gérer leur budget au mieux, évaluer ce qu’elles y gagnent à accepter des emplois dont les horaires les contraignent à trouver des baby-sitters privés pour leurs enfants et à les rémunérer.

« J’ai trouvé un travail en tant que réassortisseuse dans un grand magasin. J’étais contente c’était un bon travail. Mais on devait travailler aussi le weekend. À tour de rôle on devait au moins accepter deux fois par mois de travailler le samedi. Je n’avais pas le choix. Je n’ai pas ma famille ici pour m’aider et c’est difficile quand même de demander aux amies. Je n’en ai pas beaucoup. À qui d’autres je pouvais demander ? Ou alors je paye quelqu’un. Mais ça coûte vite cher, tous les mois, faire garder toute la journée. »

« Mon amie garde mon fils deux jours par semaine pour que j’aille à la formation. Je ne la paye pas, mais après je vais l’aider aussi. Je vais accepter si elle me demande un jour de garder son enfant. »

« Je fais actuellement un stage dans un hôpital comme agent d’entretien. Je dois me lever à 4 h 30 du matin pour prendre mon train à 5 h et arriver à 6 h à l’hôpital. Je paye une personne qui accepte de me conduire à la gare, car il n’y a pas de bus à cette heure-là et aussi une autre personne chez qui je dépose mon enfant avant de partir. Je ne m’en sortais pas, financièrement et dans les horaires. Je suis épuisée. J’ai dû arrêter mon stage. »

Comment dès lors concilier vie professionnelle et responsabilité familiale quand on n’a pas de solutions de garde pour ses enfants en bas âge ? La contrainte de la mobilité est également en lien avec la contrainte financière.

Enjeu du choix et de l’accessibilité

La question de l’accessibilité est essentielle à investiguer pour comprendre le phénomène bien présent de non-recours aux services d’accueil de l’enfance existants en FWB. Un type de non-recours concerne la non-adhésion des parents qui ne sont pas en accord avec le contenu de l’offre, du service, du projet pédagogique d’un milieu d’accueil, des valeurs véhiculées, etc. Cette forme de non-recours ne se limite pas à un désintérêt pour l’offre, mais implique une opposition au contenu de celle-ci. Il s’agit là d’un positionnement qui remet en question le contenu, les normes et valeurs véhiculées par le milieu d’accueil et par là d’un impensé dans les politiques publiques (Warin, 2016, cité par Wagener et coll., 2022, p.108). Les familles qui manifestent une non-adhésion ont en commun de partager une représentation négative des milieux d’accueil puisant dans des cadres de références divers tels que la culture familiale, l’attachement à des modèles pédagogiques différents, etc. La relation avec les professionnels de l’accueil est également susceptible de produire du non-recours par peur d’être jugée soi-même dans son rôle de parent, par manque de confiance vis-à-vis du personnel à la suite de commentaires ou des critiques déplaisantes reçues. « Lorsque la relation parents-accueillants est mauvaise, les familles issues de l’immigration peuvent avoir la sensation d’être victime de discriminations raciales. Ce ressenti exprime le profond mal-être que peut causer le rapport au milieu d’accueil de la petite enfance lorsque celui-ci se révèle insatisfaisant » souligne ce même rapport.

Les mamans qui ont eu la possibilité de trouver une place en crèche pour leur(s) enfant(s) ont relaté le fait qu’elles n’avaient par contre pas eu le choix de l’emplacement géographique de la crèche. Que celle-ci soit loin ou à côté du domicile (par chance), elles ont simplement « sauté » sur la place libre. Certaines ont ainsi dû, pendant plus de deux ans, effectuer des trajets de plus de 45 minutes en transport en commun, matin et soir, pour amener leur enfant à la crèche. Le fait de se sentir déjà chanceuse d’avoir pu trouver une place en crèche a eu une influence sur la liberté ou non qu’elles éprouvaient de pouvoir émettre des retenues ou des critiques quant à l’accueil prodigué.

« Cela faisait des mois que j’appelais partout pour trouver une place en crèche pour ma fille, je ne trouvais rien. Alors quand une crèche m’a enfin admise, je n’ai pas regardé de trop près, j’ai accepté. C’est après que je me suis parfois posé des questions. Les puéricultrices n’avaient pas beaucoup de temps pour parler avec moi le soir quand je cherchais la petite. Je pense qu’elle était bien là-bas, mais j’aurais voulu voir plus de photos de ce qu’elle faisait la journée et tout ça. Mais je ne voulais pas perdre la place en posant trop de questions ».

Enjeu du stress et de la santé mentale

« Ce sont les mamans qui gèrent le plus souvent les enfants, surtout quand ils sont bébés. Les papas disent qu’ils ne peuvent pas communiquer avec eux, ça les ennuie. Je n’ai pas ma famille ici. Je me suis retrouvée très seule avec mon bébé. Je restais toute la journée à la maison, sans sortir, sans rien connaître dans la ville. Je ne savais même pas que les autres femmes faisaient garder leurs enfants. »

L’ensemble des cochercheuses est unanime pour affirmer le fait que le soin et l’éducation des enfants leur prennent du temps, que cela engendre du stress et que c’est principalement sur elles seules que repose la responsabilité de trouver une gardienne, une crèche, ensuite une école à leurs enfants. Certaines évoquent, les larmes aux yeux, le manque de reconnaissance par rapport à tout ce travail invisible qu’elles effectuent à la maison et qui semble être normal pour leur proche et la société en général.

« Quand je vais au Forem et qu’on me demande ce que je fais, je réponds “rien”. Mais ce n’est pas vrai, je ne fais pas rien. Je suis la première levée à la maison et la dernière couchée. Je fais les courses, les repas, les tartines des enfants, la vaisselle, le ménage, je fais tout. Personne me regarde comme si je travaillais. »

La valorisation de ce travail passe par la retranscription des compétences engendrées par l’occupation de maman dans un langage dirigé vers la recherche d’emploi. Dans le cadre du présent projet, les mamans ont participé à des ateliers de rédaction de CV où elles ont pu chercher ensemble comment « traduire » leurs compétences dans des capacités recherchées par les employeurs telles l’autonomie, la résistance face au stress, le sens de l’initiative, la ponctualité, ainsi que des compétences en gestion et en logistique, en communication, le sens de l’organisation, etc.

Par ailleurs, l’isolement que vivent ou ont vécu certaines participantes en Belgique participe à générer du stress et de l’inquiétude face à leur responsabilité d’éducation de leurs enfants pour lesquels elles veulent créer un environnement aussi riche et stimulant que pour les enfants autochtones. Elles disent se mettre la pression pour rechercher des activités, trouver des sorties en français, et rechercher ce que font les enfants locaux pour apporter les mêmes chances à leurs enfants. Elles doivent parfois redoubler d’efforts dans la compréhension du français et la recherche de ces activités ce qui peut engendrer des tensions au sein de la famille, dans la relation avec leurs enfants et de l’anxiété.

Enjeu de la confiance

Les mamans interrogées nous ont confié n’avoir encore jamais mis leurs enfants en stage pendant les vacances scolaires. Faute d’informations, de connaissances sur le fonctionnement des stages, de témoignages de personnes proches ayant déjà mis leurs enfants en stage, elles développent une posture a priori de méfiance à l’égard du système d’accueil de l’enfance tel qu’il est organisé en Belgique. Les questions anxieuses posées par les mamans aux puéricultrices lors de la visite d’une crèche (cf. infra) témoignent de cette méfiance face à l’institution. Ce sentiment, conjointement à celui de la crainte de comportements racistes potentiels envers leur enfant, participe au fait que les parents migrants sont hésitants, lorsqu’ils en ont la possibilité, à confier leurs enfants à un milieu d’accueil. Une maman d’origine subsaharienne rapporte cette crainte lorsqu’elle a déposé sa fille pour la première fois dans une crèche communale :

« Cela faisait des mois que je cherchais une place en crèche, j’appelais toutes les semaines la commune, ils ont fini par bien me connaître. J’ai enfin eu une place en crèche et là j’ai été prise d’une peur qu’il y ait des actes racistes à la crèche envers ma fille. Mais j’ai vu que tout allait bien, ma fille était contente d’y aller et j’ai vu comment les accueillantes lui parlaient. J’ai été rassurée ».

Cette crainte est légitime pour les parents d’origine étrangère confrontés au quotidien à des discriminations dans différents domaines et un travail de sensibilisation et de formation à l’interculturalité du personnel des milieux d’accueil participerait à augmenter le taux de confiance dans l’institution8.

Dans le groupe, huit mamans ont mis leur enfant dans une crèche en Belgique. Elles estiment que le critère déterminant a été celui de la confiance dans l’équipe des puéricultrices. Ensuite viennent les critères des horaires compatibles avec leurs contraintes ainsi que la possibilité de mettre leur enfant à temps partiel et enfin, un prix abordable.

La majorité des mamans rencontrées mettent en avant leur préoccupation de « socialiser » leur enfant et souhaitent multiplier les expériences où celui-ci pourrait rencontres d’autres camarades de son âge, entendre et parler français, développer toute une série d’apprentissages bénéfiques à son épanouissement.

« Je pense que ce serait bien pour mon enfant s’il va à la crèche. Comme ça il voit d’autres enfants, il entend le français, ça lui fait du bien. »

Au-delà de permettre une insertion sociale et professionnelle, les milieux d’accueil de la petite enfance ont des fonctions intégratrices pour les parents immigrés, participant à rééquilibrer certaines inégalités. « Les fonctions éducative et sociale, pour autant que les milieux d’accueil soient de qualité, bénéficient principalement aux enfants issus des classes populaires, a fortiori lorsqu’ils sont issus des immigrations, ce n’est pas nécessairement à ces derniers que les critères de priorité permettent d’attribuer les places disponibles » (Wagener et coll., 2022, p. 138).

Stratégies : « Trouver nous-mêmes des solutions qui nous conviennent »

Nous avons demandé aux mamans rencontrées pour cette recherche si elles avaient trouvé des solutions au problème de garde d’enfants et si oui, lesquelles. Il est intéressant de constater que les solutions adéquates ne sont pas toujours celles telles que proposées par les autorités publiques et les institutions compétentes en la matière, comme l’ONE. Les formules types « baby-sitting » à domicile sont souvent privilégiées, car elles combinent plusieurs éléments recherchés par les mamans : la confiance (1), connaître les personnes qui vont garder leur enfant ; la flexibilité9 (2), pouvoir choisir quels jours et heures faire garder son enfant ; la proximité géographique (3) en sachant que les mamans habitent relativement proches l’une de l’autre, et enfin la limitation des coûts (4), s’agissant d’échanges de services (Eremenko et al. 2017, p.220). C’est ce qu’explique Sylvie :

« Ce dont j’avais besoin pour mes enfants, c’était de pouvoir les faire garder quelques jours par semaine, pas toute la semaine. Je devais pouvoir me rendre à des rendez-vous administratifs et pouvoir accepter un travail à temps partiel. Alors, avec d’autres mamans que je connais, on garde les enfants les unes et des autres, à la maison, un jour par semaine. On est trois, il y a quatre enfants et on les garde à tour de rôle. »

Dans le même ordre d’idée, une autre maman est inscrite sur un groupe Facebook d’entraide entre mamans qui propose des baby-sittings : « Je peux dire si j’ai besoin de faire garder mon enfant. Une maman répond qu’elle peut me le prendre. Je l’amène chez elle ou elle vient chez moi. Je la paye un peu. C’est un groupe où on se connaît et on s’aide comme ça. »

Le fait de « se connaître » ou de connaître la personne qui va garder les enfants, que cette caractéristique soit véritable (amies, famille) ou supposée (parler la même langue, être de la même origine…), est un facteur déterminant qui décidera les mamans migrantes à laisser leur enfant à une personne ou à un milieu de garde.

« Moi j’ai finalement trouvé une crèche maison10 pour mes enfants. J’ai eu le numéro de téléphone par une amie qui connaissait la dame. Elle parlait arabe, je l’ai appelée, nous nous sommes rencontrées et le contact est bien passé. Ça m’a sauvé, car j’avais eu deux enfants en trois ans et chaque fois cela m’empêchait de reprendre une formation ou de trouver un travail. »

Les solidarités entre personnes concernées par une même situation, entre femmes, entre voisines sont également privilégiées, mais ne peuvent cependant pas remplacer la recherche par les autorités publiques de solutions institutionnelles, pérennes et collectives pour ces mamans.

« Quand je suis arrivée en Belgique, j’étais sans-papiers avec un enfant d’un an et demi. Je devais travailler, mais je n’avais pas de solution de garde. J’ai trouvé un travail dans le nettoyage et je commençais à cinq heures. J’ai demandé à une voisine de m’aider. Elle a accepté, elle venait chez moi garder le petit. Je la remercierais toute ma vie. Je la payais un peu bien sûr, mais elle m’a vraiment aidé sinon comment aurais-je fait ? »

Une co-chercheuse inscrite dans un parcours de formation professionnelle et souhaitant faire un stage en entreprise relate avoir elle-même cherché son lieu de stage afin de pouvoir négocier ses horaires directement avec la direction et ainsi concilier son stage et la responsabilité familiale qui lui incombe. Bien que son lieu de stage ait été dans le milieu hospitalier que l’on imagine relativement peu flexible par rapport aux demandes individuelles, la direction a cependant accepté les horaires proposés par la participante remarquant davantage la motivation dans cette demande d’une maman qui bataille pour réaliser de front un stage et mener sa vie de mère.

Une expérimentation : Garderie collective autogérée

Les besoins identifiés au départ de la recherche participative ont mis en exergue le besoin de solutions de garde à temps partiel, de préférence dans un milieu connu ou à proximité du lieu de formation ou de travail. L’idée a émergé de proposer une garderie pour les enfants des mamans pendant les vacances ou le mercredi après-midi afin qu’elles puissent continuer à suivre une formation, réaliser un stage professionnel, se rendre à des entretiens ou rendez-vous. À la suite d’un travail de réflexion et de concertation avec les mamans, une garderie a été mise en place dans un local du Monde des Possibles pour les enfants de plus de trois ans. À titre expérimental, pendant les vacances scolaires, deux jours de garderie ont été mis en place. La garderie a rassemblé entre 6 et 10 enfants. Une animatrice bénévole était présente toute la journée afin de proposer aux enfants des animations et jeux libres, et les mamans se sont relayées afin de l’assister et de s’occuper de la garderie. Les activités proposées aux enfants se sont appuyées sur la bibliothèque interculturelle Bibliosphère du Monde des Possibles où un ensemble d’albums, livres jeunesse et jeux étaient à disposition. L’initiative a fait l’objet d’une évaluation lors d’un atelier pendant la recherche participative.

Les mamans ont été satisfaites de l’initiative dans le sens où la garderie remplissait leurs critères déterminants : (1) elles avaient confiance dans l’animatrice du Monde des Possibles, car elles l’avaient déjà vue pour la plupart dans d’autres projets de l’association ; (2) la garderie se trouvait dans le même bâtiment où elles suivaient une formation : elles connaissaient l’association et avaient confiance afin d’y laisser leur enfant pour aller à un rendez-vous ou se rendre sur un lieu de stage à l’extérieur ; (3) elles pouvaient y accéder facilement à pied ou en transport en commun ; (4) la garderie était gratuite. Seul bémol évoqué, le fait de ne pas avoir pu déposer un enfant de moins de trois ans. En effet, dans cette phase expérimentale et pour le bien-être des enfants, Le Monde des Possibles n’avait pas la possibilité d’adapter ses locaux pour y accueillir des bébés. Cette piste est cependant en réflexion et prendra éventuellement la forme d’un lieu de rencontre enfants-parents reconnu par l’ONE. Dans sa volonté de soutenir les parentalités et l’intégration des parents, Le Monde des Possibles, porteur du projet WOW dans lequel s’inscrit cette recherche participative a introduit une demande dans ce sens auprès de l’ONE qui n’a, à ce jour pas encore été soutenue.

L’initiative de la garderie collective s’est ensuite développée sous la forme d’une sensibilisation aux stages et activités extrascolaires pour les enfants. En effet, aucune maman du groupe n’avait déjà inscrit son enfant à une plaine organisée pendant les vacances scolaires. Elles ont été demandeuses de l’organisation d’une séance d’informations sur ces possibilités. À la suite de quoi les mamans ont répertorié les lieux de stage possibles à Liège, aux dates convenues et ont inscrit pour la première fois leurs enfants au stage de leur choix. D’autre part, une séance d’information sur les milieux d’accueil extrascolaires pour les enfants de trois à douze ans a également été organisée afin de présenter l’ensemble de l’offre d’activités (Maisons de jeunes, académies d’arts, clubs sportifs…), ainsi que leur coût en partie remboursable dans certaines situations (par les mutuelles, le FOREM, le fisc…). Une maman nous rapporte que son mari, cherchant à savoir si son enfant aimait bien le stage dans lequel il a été inscrit pour la première fois, a interpellé son enfant de la manière suivante : « Alors ce n’est pas bien le stage hein ?! Tu ne veux sûrement pas y retourner demain, non ? Tu restes à la maison avec maman ? Et l’enfant de répondre « Non ! Je veux y aller ! J’ai bien aimé toutes les activités ».

Autant la garderie collective que les stages pour les enfants ont pu être financés par l’appel à projets Bread and Roses dans lequel s’inscrit cette recherche participative. Ce soutien a été indispensable à la mise en place de la phase expérimentale de garderie autogérée.

Renforcer les liens avec des structures d’accueil de la petite enfance

Renforcer les liens et les partenariats entre structures d’accueil de la petite enfance et associations ou centres de formations pour adultes est une des pistes mises en œuvre dans cette recherche afin de multiplier les solutions de garde pour les enfants. Nous l’avons vu, les liens de confiance et de connaissance qui se sont créés avec La Bobine ont permis d’obtenir deux places d’accueil pour deux enfants de mamans participant au groupe. La recherche de places en crèche nécessite une intermédiation pour faire le pont entre les milieux d’accueil de la petite enfance et les parents migrants qui, dans ce domaine aussi, rencontrent davantage de difficultés que les parents autochtones (pour des raisons liées à la langue, à la connaissance du système de l’accueil, à l’absence de réseaux informels permettant de diffuser de l’information, à la crainte de discriminations notamment dues à la priorisation de parents en emploi…).

Dans quelle mesure la disponibilité d’une offre d’accueil pour jeunes enfants augmente-t-elle le taux d’emploi des femmes ?

Dans le groupe, sur les huit mamans qui mettent leurs enfants à la crèche ou chez une gardienne reconnue, trois ont un emploi et cinq suivent une formation. Pour les douze mamans qui ne mettent pas leur enfant à la crèche, aucune n’a d’emploi, quatre suivent une formation à temps partiel (en trouvant des solutions de garde ponctuelle auprès de leurs proches) et neuf ne sont ni en emploi ni en formation. Sans pouvoir généraliser à partir de ces observations auprès de 20 mamans, cela nous apporte tout de même une tendance sur la corrélation entre insertion professionnelle et garde d’enfants. Les mamans du groupe rapportent que la possibilité de mettre son enfant à la crèche facilite leur gestion quotidienne de la famille et de leurs autres responsabilités. Dès lors que les conditions proposées par les milieux d’accueil correspondent à certains critères soulignés par les mamans, la possibilité qui est offerte améliore leur contexte de vie et le développement de leur projet professionnel, rendant possible ce qui n’était auparavant même pas imaginable. Ces critères sont, par exemple, des horaires d’accueil qui correspondent à l’emploi dans lequel elles souhaitent postuler, une alimentation adéquate, une relation agréable et de confiance avec les puéricultrices, la possibilité de mettre son enfant à temps partiel, etc. D’autres facteurs interviennent également dans la décision de mettre son enfant en crèche. Il s’agit de l’éducation, des habitudes culturelles et familiales, des représentations sociales des rôles genrés et de la place des femmes dans la société. Travailler sur ces aspects conjointement à l’augmentation du nombre de places en crèches, de leur accessibilité ainsi qu’à la diversification de leurs conditions d’accueil permettrait d’impacter l’insertion en emploi des femmes migrantes.

Les cochercheuses soulignent que la possibilité de mettre son enfant en crèche leur permet aussi d’avoir du temps afin de penser et imaginer leur parcours professionnel, leur reconversion éventuelle, de faire maturer des projets d’entrepreneuriat, mais aussi de s’informer sur les possibilités de formation et d’emploi. Tant qu’elles ne sont pas en emploi, elles continuent cependant à envisager plutôt des solutions de garde flexibles et de proximité et n’essayent pas de chercher une place en crèche, découragées à l’avance par les refus qu’elles craignent se sentant jugés comme non prioritaires. Elles saluent la garderie autogérée qui a été mise en œuvre au Monde des Possibles leur permettant concrètement d’honorer leurs engagements, de poursuivre une formation ou un stage. Grâce au focus de la recherche participative qui lie l’enjeu de l’insertion à l’emploi des femmes avec celui de la garde des enfants, deux mamans demandeuses ont été soutenues dans leur recherche de place en crèche pour leurs enfants grâce au partenariat noué avec La Bobine et sa halte-accueil où deux places ont été dégagées comme on l’a vu. Les mamans concernées ont donc pu poursuivre leur participation à la recherche ainsi que développer leur projet professionnel et réaliser des stages en entreprise (l’une dans la restauration, l’autre dans une école primaire).

L’augmentation des places en crèches a des effets modérés sur le taux d’emploi des femmes

En 2018, le programme pluriannuel wallon visant à accroître la disponibilité de places d’accueil formelles pour les enfants de moins de trois ans a fait l’objet d’une évaluation. L’objectif étant d’évaluer si l’augmentation de la disponibilité de places d’accueil a ou non entraîné une augmentation du taux d’emploi des mères ayant au moins un enfant de moins de trois ans. La conclusion du rapport met en avant un effet modéré sur le taux d’emploi des femmes. Les autrices expliquent cet effet modéré en partie par le fait que le rapport considère l’effet de la disponibilité des services de garde d’enfants sur le taux d’emploi des mères, une variable qui mesure la proportion de mères au travail, mais pas l’intensité de l’offre d’emploi. En effet, lorsque de nouvelles places de garde sont ouvertes, des femmes supplémentaires peuvent être incitées à travailler, mais les femmes qui travaillaient déjà peuvent également être incitées à augmenter leur temps de travail, par exemple en passant d’un temps partiel à un temps plein, ou à faire d’autres enfants. L’explication probablement la plus plausible de l’effet modéré estimé est que l’augmentation de l’offre de services formels de garde d’enfants a en fait permis à certaines femmes qui auraient autrement eu recours à des services de garde informels — c’est-à-dire des services de garde fournis par d’autres membres de la famille, des amis ou dans le cadre de l’économie souterraine — à recourir aux services de garde formels nouvellement disponibles. La disponibilité de services de garde formels, telle que mesurée par le taux de couverture, s’avère avoir un effet davantage significatif et positif sur le taux d’emploi des mères d’au moins un enfant de moins de trois que sur le taux d’emploi des pères. « L’absence d’effet pour les pères ayant au moins un enfant de moins de trois ans n’est pas surprenante : elle corrobore simplement le fait qu’il existe encore de grandes différences entre les sexes en matière de garde d’enfants » (Dujardin et coll., 2018). D’autres pistes d’explications sont avancées, croisant d’autres problématiques connexes telles que le fait d’être maman solo, le niveau d’études, le fait d’habiter en zone rurale ou zone urbaine, la mobilité, etc.

En théorie, une plus grande offre de services subventionnés devrait augmenter le taux d’emploi des femmes en raison de leur plus grande accessibilité financière. On peut également avancer qu’une plus grande part de services collectifs pourrait également favoriser le taux d’emploi des mères en raison du fait qu’en principe, les services collectifs satisfont plus facilement les demandes « urgentes » de garde d’enfants (pour se rendre à un entretien d’embauche, participer à une formation ou répondre positivement à une demande d’emploi, par exemple). Une plus grande offre de services strictement locaux peut également être bénéfique, car elle permet d’économiser du temps et des déplacements. L’étude conclut qu’agir seulement sur l’augmentation de places en crèche ne suffit pas à impacter favorablement le taux d’emploi des mamans d’enfants de moins de trois ans. En effet, « l’augmentation de l’offre de services formels de garde d’enfants ne favorise pas forcément l’emploi de toutes les mères de la même manière. En particulier, elle pourrait être moins efficace pour les mères peu diplômées et/ou célibataires, notamment en raison de l’existence de pièges à l’emploi » (Dujardin et coll., 2018, 18). Une préoccupation similaire peut être soulevée pour les mères vivant dans les zones rurales. Cela suggère que l’augmentation de l’offre de services formels de garde d’enfants n’est probablement pas suffisante pour stimuler réellement l’emploi des mères vivant (et cumulant) des situations de précarité (peu ou pas diplômées, pas de maîtrise du français, pas d’expérience d’emploi en Belgique, pas de permis de conduire, statut de séjour précaire, mères monoparentales…). L’existence du phénomène des pièges à l’emploi joue un rôle non négligeable pour les mamans à l’heure de faire le choix de mettre son enfant à la crèche.

Pièges à l’emploi11

Les témoignages rapportés précédemment illustrent bien les problématiques et situations ambivalentes dans lesquelles se trouvent les femmes migrantes à plus forte raison si elles ont seules la charge d’enfants et qui cherchent un travail. Que gagnent-elles à travailler dans des emplois souvent peu qualifiés et physiquement éprouvants, dont les conditions d’horaires et de salaires ne sont ni avantageuses ni valorisantes12 et qui, en plus, compliquent leur organisation quotidienne avec leurs enfants ? En parallèle, les revenus de remplacement et les prestations sociales auxquelles elles peuvent avoir droit en tant que familles monoparentales ou bénéficiant du statut BIM (Bénéficiaire de l’intervention majorée) engendrent une réflexion légitime en termes de « coût-bénéfice » dans laquelle les propositions d’emplois précaires qui leur sont adressées pèsent peu de poids dans la balance (Eremenko et coll., 2017, p. 210). Certaines d’entre elles préfèrent dès lors reporter leur entrée en formation ou en emploi quand leurs enfants seront plus grands.

« Je suis seule avec trois enfants. Mon mari est au pays. J’ai fait cette formation, car je voulais vraiment travailler, gagner un salaire, être autonome. Ensuite, on m’a proposé un contrat pour un emploi de technicienne de surface. J’ai dû faire un calcul, j’étais obligée, car je paye une personne pour garder mes enfants quand je dois commencer à travailler tôt le matin ou quand je finis tard le soir. Je dois voir combien tout ça me coûte. Et j’ai remarqué que je ne gagnais pas beaucoup plus d’argent en fait si j’acceptais ce contrat. Le salaire n’est pas très élevé et je perds mon statut BIM, les réductions que cela entraîne pour les abonnements de bus, les factures d’électricité… »

Étant donné que ce sont davantage les migrants et en particulier les migrantes qui occupent des emplois peu qualifiés, à bas salaires, avec des contrats précaires et atypiques, et ce sont elles aussi qui ont majoritairement la charge des enfants et se retrouvent à la tête de familles monoparentales, il y a lieu de créer les conditions nécessaires afin de diminuer les inégalités d’accès à des emplois durables et de qualités pour les femmes et augmenter l’accessibilité à des solutions de garde d’enfants adaptées aux situations individuelles.

Diffusion et mise en débat

En décembre 2023, la Secrétaire d’État à l’égalité des genres et des chances, Marie-Coline Leroy est venue rencontrer les participantes du projet WOW dans lequel s’inscrit cette recherche participative. Les participantes ont pu poser leurs questions et interpeller Mme Leroy en la questionnant sur les problèmes que vivent les femmes migrantes quand elles cherchent du travail, en soulignant les solutions qu’elles ont trouvées pour faire garder leurs enfants, en demandant ce que le gouvernement allait faire pour soutenir ces initiatives. La présentation d’une partie des résultats de la recherche a permis une première mise en débat des observations ouvrant ainsi sur une prise de conscience de l’ampleur du phénomène de pénurie de places en crèches et de la faible représentativité des enfants des parents migrants dans celles-ci. L’équipe communication du cabinet à l’égalité des genres est venue ensuite filmer le projet afin d’en faire un spot de présentation et de dissémination.

Dans une volonté d’ouvrir plus largement les discussions, de récolter d’autres avis et expériences et de mettre en débat les observations menées dans cette recherche participative, une table ronde publique a été organisée le 31 mai 2024 à Liège. Des témoignages de participantes et des invitées ont ponctué les échanges, rassemblant plus de 50 personnes intéressées par le sujet. L’ancienne secrétaire d’État à l’égalité des chances et des genres, Sarah Schlitz a introduit la rencontre et témoigné de son intérêt pour les participantes de la recherche. Des échanges ont pu avoir lieu avec la parlementaire. Cet événement a également retenu l’attention des médias et a fait l’objet d’un reportage et d’interviews diffusés sur la RTBF. La dissémination se poursuivra par la publication de divers textes sur le site de l’IRFAM.

Cette table ronde fut l’occasion pour les cochercheuses de témoigner de leurs vécus et de présenter les pistes de solutions qu’elles avaient mises en évidence, tout en interpellant les responsables politiques sur les enjeux de l’accessibilité des (nouvelles) places en crèches et présentant leurs recommandations. Des représentants du Forem, de l’ONE, des Centres régionaux d’intégration ainsi que du CPAS étaient présents et ont pu partager leur travail effectué dans ce sens. Les échanges se sont poursuivis avec la présence de trois invité(e)s inspirants : Fatima El Bouzakhi, entrepreneuse, mère de huit enfants qui, à l’âge de 42 ans, sans n’avoir jamais travaillé en Belgique, s’est formée à la gestion et à l’accueil d’enfants pour ouvrir ensuite sa crèche privée reconnue par l’ONE. Observant ensuite les besoins des parents et surtout des mamans en termes de transports et de mobilité, elle a créé son entreprise Kids Ride de taxis privés spécialisés dans les transports d’enfants. Une vingtaine de chauffeuses (majoritairement des femmes) travaillent dans cette entreprise. Ensuite, Yara Abazid, réfugiée syrienne, arrivée en Belgique en 2015 est venue témoigner de son parcours dans l’Horeca. Elle a ouvert, peu après son arrivée en Belgique un restaurant syrien à Liège, puis deux autres restaurants ont suivi qui emploient actuellement un total de 20 personnes. Enfin, Pierre Portier, chef d’entreprise et coopérateur du projet Wal’crèche qui vise la création de 7 crèches d’entreprises en Wallonie dans les régions où le taux de couverture est le plus bas (Provinces de Liège et du Hainaut) a clos le panel en présentant le rôle et la responsabilité des entreprises dans la création de places en crèches pour les employés parents de jeunes enfants.

Des pistes et des propositions

Les femmes rencontrées proposent différentes pistes d’actions qui n’impactent pas uniquement le domaine de la petite enfance, mais également d’autres domaines qui s’imbriquent et influencent la problématique du manque de places en crèche. Les pistes avancées sont à la fois structurelles et spécifiques liées aux politiques publiques, aux actions développées et aux programmes mis en place au niveau local ou national. Les pistes proposées sont :

  • Renforcer et faciliter la diffusion d’information auprès des parents d’origine étrangère (brochures en différentes langues par exemple).
  • Favoriser les échanges entre parents d’origine étrangère et les autres acteurs des secteurs de la petite enfance afin d’encourager un lien de confiance (organiser des visites de crèche par exemple).
  • Travailler sur les préjugés : sensibiliser les professionnels aux contextes de vie des mamans (et des parents) d’origine étrangère (contraintes liées au parcours d’asile, hébergement en collectivité pendant la demande d’asile, discriminations à l’emploi et au logement…) et à leurs capacités à trouver des solutions, travailler sur les préjugés entre autres, à l’encontre des mamans monoparentales.
  • Former les professionnels à œuvre de manière systémique en tenant compte de l’ensemble des facteurs liés à l’insertion à l’emploi des femmes et encourager les collaborations entre services.
  • Soutenir financièrement les mamans qui suivent des formations (au Forem, dans un CISP, une association, etc.) et qui payent des baby-sitters privés, car elles n’ont pas trouvé de places en crèche.
  • Soutenir les solutions de garde déjà existantes et mises en place par les mamans, à savoir le recours à l’entraide entre mamans, les baby-sittings privés (dont la baby-silteuse pourrait faire l’objet d’une sélection de la part de la Ligue des Familles par exemple).
  • Mettre à disposition des mamans un local communal, du matériel et une puéricultrice diplômée pour qu’elles puissent organiser elles-mêmes la garde d’enfants (en nombre restreint) en soutenant la puéricultrice, mettre en place de courtes formations de bases afin que les mamans puissent se relayer auprès de la puéricultrice pour accueillir les enfants (comme des exemples en existent dans des centres d’accueil de réfugiés).
  • Privilégier les solutions de garde à temps partiel, locale (de type « Bébébus » où l’on peut déposer son enfant une ou deux fois par semaine).
  • Informer dans le cadre du parcours d’intégration sur les possibilités de garde d’enfants en Belgique (rien n’y figure pour le moment dans les formations à la citoyenneté obligatoires pour les primo-arrivants).
  • Sensibiliser les professionnels à adopter un prisme genre dans le développement de leurs actions et formations afin de contribuer à réduire les obstacles que vivent spécifiquement les femmes.
  • L’ONE pourrait davantage soutenir et accompagner les initiatives atypiques émanant des entreprises ou d’acteurs qui ne sont pas « spécialistes » de l’accueil de la petite enfance.
  • Promotion de l’accueil interculturel dans les crèches, de la présence d’équipes issues des diversités ; l’organisation de séances de sensibilisation et d’information pour le personnel et le public.
  • Sensibiliser les entreprises à leur responsabilité et rôle sociétal dans la participation à la recherche de solutions pérennes pour la garde d’enfants.

Perspectives et conclusion

Si l’on souhaite soutenir l’accès aux droits des femmes et à plus forte raison des migrantes, leur insertion sociale et professionnelle, nous devons inclure dans les réflexions la problématique de la garde d’enfants (Hugret et Manço, 2022). Car il s’agit d’imaginer des politiques publiques (de l’emploi, de la formation, de la santé, du logement, de la mobilité…) qui intégreraient systématiquement dans leur réflexion le sujet de la garde d’enfants afin de garantir une participation des femmes et la représentation de leurs préoccupations propres.

Les résultats de cette recherche participative montrent qu’il serait nécessaire de renforcer et d’encourager l’« interconnaissance » entre parents migrants et milieux d’accueil en proposant, par exemple, des visites guidées des milieux d’accueil, des journées de découverte en partenariat avec des centres d’insertion socioprofessionnelle, des CPAS, des centres de formation en français langue étrangère, des associations portées par les personnes migrantes, des lieux de culte… Il serait également bénéfique pour les primo-arrivants inscrits dans le parcours d’intégration obligatoire, de faire figurer dans le programme une sensibilisation au milieu d’accueil de la petite enfance en Belgique, d’expliquer leur fonctionnement et de proposer des visites de crèches ou d’inviter des accueillantes à témoigner. Ce qui nous amène à affirmer qu’une volonté de soutien à l’intégration sociale et à l’insertion professionnelle des femmes migrantes passe nécessairement par une remise en question des pratiques actuelles en termes d’accueil de la petite enfance et par une ouverture à des solutions innovantes, atypiques et autogénérées qui correspondraient davantage aux besoins des mamans.

C’est ce que souligne Dubois en pointant le manque de soutien apporté aux initiatives innovantes ou atypiques qui émergent en Fédération Wallonie-Bruxelles face à l’enjeu central du manque perpétuel de places en crèche. Ces structures innovantes ont souvent un fort ancrage local. Les conditions d’accueil qu’elles proposent sont établies en fonction des caractéristiques du territoire afin de répondre au mieux et au plus proche des besoins et préoccupations des publics concernés. « On assiste à un renversement de perspective dans la définition de la qualité des pratiques d’accueil. La question n’est pas uniquement de définir les conditions nécessaires auxquelles on ne peut déroger pour assurer un accueil de qualité, mais plutôt de définir et d’assurer la qualité de l’accueil compte tenu des conditions disponibles. Le point de départ est la situation de l’enfant et de sa famille (par exemple, la structure familiale, les contraintes professionnelles des parents) » (Dubois, 2016, p. 11).

Il s’agit également de faire confiance aux solutions autogénérées par les mamans. On voit que les microsolutions alliant confiance, connaissance, solidarité et flexibilité sont préférées. Alors, pourquoi ne pas davantage soutenir des micro-initiatives de type baby-sitting en mettant à la disposition des parents un local communal et une puéricultrice/accueillante chargée d’un nombre restreint d’enfants et de l’encadrement de bénévoles, en favorisant de courtes formations d’accueillantes de la petite enfance comme elles se donnent dans certains centres d’accueil de la Croix-Rouge, en soutenant les centres de formation qui proposent conjointement à leur cours des haltes-accueil, en interpellant les entreprises qui pourraient prendre une partie de la charge de la création de places d’accueil… La multiplication de ces initiatives participe à rendre la société plus inclusive pour les familles migrantes et à plus forte raison celles qui sont monoparentales.

La recherche participative a jeté les bases des directions à prendre pour la suite. Le Monde des Possibles souhaite réintroduire auprès de l’ONE sa candidature pour devenir un lieu de rencontre enfants-parents et soutenir la parentalité des personnes d’origine étrangère. Des perspectives de collaboration continuent avec les autorités publiques des Villes de Herstal et de Liège qui sont intéressées par la réflexion et le travail amorcés afin de soutenir l’emploi des femmes en lien avec la problématique du manque de place en crèche qu’elles rencontrent, mais aussi les pénuries de main-d’œuvre notamment dans le secteur des soins. Enfin, des perspectives au niveau européen sont envisagées afin de collecter les pratiques dans différents pays européens, de partager les réflexions et les bonnes pratiques autour de cet enjeu et d’en faire une question éminemment politique et collective et non plus laissée à la responsabilité individuelle des femmes.

Bibliographie

Dubois A. (2016), «Pourquoi l’offre d’accueil de la petite enfance reste-t-elle insuffisante ? », Bruxelles, CERE.

Dujardin et coll. (2015), « Does formal child care availability for 0-3 year olds boost mothers’ employment rate ? Panel data-based evidence from Belgium », Namur, IWEPS, ULG.

Eremenko T. et coll. (2017), « Organiser la garde des enfants quand on est mère seule : une spécificité des mères immigrées ? », Revue française des affaires sociales, n° 2, p. 207-228.

Gautier C. (2023) « La crèche, un puissant lieu de pouvoir », Médor, n° 30, p. 38-45.

Gélineau L., (2011), « Nous sommes riches d’être pauvres. Expertises de familles en situation de pauvreté sur les saines habitudes alimentaires et propositions aux acteurs de la santé publique », Laval, Partenariat Solidarité-Famille-Limoilou (PSFL).

Genette C. et coll. (2023), « La petite enfance au défi du genre en contexte interculturel », Rapport intermédiaire, Bruxelles, ONE Academy.

Hugret M. et Manço A. (2022), « L’accueil d’enfants de parents immigrés : effets sur l’accès à l’emploi et l’égalité hommes/femmes », Analyses de l’IRFAM, n° 7.

Lenette C. (2022), Participatory Action Research. Ethics and Decolonization, New York, Oxford University Press.

Manço A. et Scheurette L. (éd.) (2021), Inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi. Bilan des politiques en Wallonie, Paris, L’Harmattan.

Vandenbroek M. (2021), « Les lieux d’accueil et d’éducation du jeune enfant qui peuvent faire la différence », Université de Gand.

Wagener M. et coll. (2022), « Non-recours aux services d’accueil temps libre et au milieu d’accueil de l’ONE », Bruxelles, ONE.

© Photo: Le Monde des Possibles


Notes

  1. Le projet WOW (WOmen knoW) s’articule autour de deux axes principaux. D’une part, une formation de cinq mois à raison de 16 heures par semaine de découverte du monde du travail, développement d’un projet d’entrepreneuriat, visites et stages (trois semaines en entreprise). D’autre part, et conjointement à cette formation, une recherche participative menée avec les participantes du projet afin de coconstruire le questionnement, valider la méthodologie, étudier et analyser collectivement la problématique pour en extraire des recommandations, interpeller des décideurs. Un total de 28 femmes ayant un parcours de migration, mères et en recherche d’emploi ont participé à la recherche participative qui s’est déroulée pendant l’année 2023-2024 à Liège.
  2. Pascale Camus (ONE), Luc Bourguignon (ONE), un membre du personnel de la crèche communale de Herstal (accord de principe), Sophie Neuforge (Département Petite Enfance Ville de Liège), Florence Pirard (ULiège), Joëlle Mottint (Réseau des Initiatives Enfants, Parents, Professionnels ASBL), Audrey Heine (Égalité des Chances, FWB), Marie-Christine Mauroy (Fonds Houtman).
  3. Cette collaboration est abordée plus loin dans le texte.
  4. Dans le rapport au corps : remarques négatives des professionnelles sur la façon dont les mères s’habillent ou sur les bijoux qu’elles font porter aux enfants, dans le rapport aux horaires : le non-respect des horaires étant interprété par les professionnelles comme une forme de résistance aux normes (Wagener et coll., 2022, p. 88).
  5. La Belgique francophone se caractérise par un taux d’emploi (64 %) en deçà de la moyenne européenne (73 %). Dans ce contexte, et depuis plus de dix ans, le taux d’emploi des personnes issues d’un pays hors UE est lui-même inférieur à 50 %, soit plus de 20 points de pourcentage de moins que les personnes nées en Belgique. D’après le Conseil supérieur de l’emploi, il s’agit de la troisième plus mauvaise position après les Pays-Bas et la Suède, pays qui, à la différence de la Belgique, connaissent un taux d’emploi global élevé (Manço et Scheurette, 2021).
  6. Les femmes connaissent un taux de chômage plus élevé que les hommes de la même origine, mais elles subissent aussi plus fréquemment des situations d’inactivités puisqu’elles sont, de manière globale, à la fois moins souvent à l’emploi et moins souvent inscrites comme chercheuses d’emploi (Khadija Senhadji, Monitoring selon l’origine nationale, Actiris, 2019).
  7. Soulignons l’initiative du Relais Familles Monoparentales qui soutient les parents solos qui veulent passer leurs permis de conduire en organisant des moments d’étude collective à Liège.
  8. Certains milieux d’accueil portent une attention particulière à l’interculturalité, tels que la Halte accueil de La Bobine à Liège, Les P’tits Bouts du Monde à Seraing. Ces deux structures sont également des centres de formation en français langue étrangère et proposent une série d’autres accompagnements pour les primo-arrivants.
  9. Soulignons l’initiative des « Bébébus » qui sont des haltes-accueil itinérantes qui sillonnent les différentes communes des Provinces wallonnes pour proposer un accueil collectif aux enfants d’un à trois ans un jour par semaine. Le projet se concrétise par un minibus qui emmène chaque jour les accueillantes et le matériel nécessaire vers un local communal autorisé par l’ONE, pour installer « une crèche d’un jour ». Ce projet permet « de lutter contre l’exclusion sociale en permettant aux parents de sortir de l’isolement, de retrouver du temps pour eux et de faciliter l’articulation entre vie familiale et vie sociale et professionnelle ». Les Bébébus remplissent des besoins non couverts par des milieux d’accueil plus classiques, permettent un accueil occasionnel, mais un accueil tout de même en contre-pied d’une organisation des crèches exigeant souvent d’occuper une place « à temps plein ».
  10. Une gardienne privée reconnue par l’ONE.
  11. Castaigne, M. « Les pièges à l’emploi : quand travailler coûte. Analyse d’une remise à l’emploi pas toujours simple pour les bénéficiaires du revenu d’intégration », 2023, Fédération des CPAS.
  12. Les femmes d’origine non UE sont « confrontées à une triple vulnérabilité. Elles ont une probabilité plus grande d’être au chômage ou une fois à l’emploi, d’être confinées dans des métiers faiblement rémunérateurs, peu gratifiants, exigeants physiquement (Horeca, soins, nettoyage) » Khadija Senhadji, Monitoring selon l’origine nationale, Actiris, 2019.

Charlotte Poisson