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Couples interraciaux en Afrique du Sud

Par Toufeili Ismael Hamidou Kassim

L’union interraciale implique des conjoints appartenant à différents groupes ethnoculturels, mais aussi n’ayant pas la même couleur de peau. Dans la plupart des cas, cela signifie une relation interculturelle. Différentes raisons ont accéléré l’essor de couples interculturels et/ou interraciaux. Les flux migratoires, par exemple, sont devenus de plus en plus massifs et globaux, dès le début des colonisations. Les couples interraciaux et interculturels apparaissent, par ailleurs, comme un lieu privilégié de rencontre des cultures et de fusion de nouvelles identités, puisque les partenaires ont été élevés dans des cultures différentes et, bien souvent, engendrent, à leur tour, des enfants qu’ils éduquent en commun.

Les couples interraciaux, qu’ils soient mariés ou non (voire hétéro ou homosexuels), peuvent être confrontés à de nombreux problèmes sociaux tels que des stéréotypes négatifs, le rejet par des membres de leurs familles qui désapprouvent cette union, diverses hostilités et de l’intimidation, ainsi que des propos dérogatoires en public. Des conflits peuvent également apparaître entre les époux ou partenaires, si, par exemple, l’un cherche à imposer sa culture à l’autre.

Malgré l’augmentation du nombre de mariages interraciaux dans le monde, dans beaucoup de sociétés, ce type de mariage n’est toujours pas le bienvenu. Le présent texte aborde la perception des couples hétérosexuels interraciaux dans le contexte particulier de l’Afrique du Sud. Il vise à décrire les différents défis sociaux que l’on peut identifier dans le cas des mariages interraciaux ou multiethniques.

L’Afrique du Sud est un État où les relations interraciales furent strictement cadrées pendant de nombreuses décennies, notamment sous le régime de l’Apartheid. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que, devenus légaux à la suite de l’abolition de l’Apartheid, les mariages interraciaux ont lentement commencé à s’y développer (Amoateng et Heaton, 2017).

Les unions interraciales avant et depuis la fin du régime de l’Apartheid

L’Apartheid mis en place par le gouvernement du Parti national sud-africain fut un système radical de ségrégation ethnique et raciale pratiqué en Afrique du Sud entre 1948 et 1994. Durant cette période, les autorités ont privé les Noirs, la majorité des Sud-Africains, de leurs droits politiques et civiques. En conséquence, les Sud-Africains étaient censés vivre séparément, dans des catégories raciales spécifiques (Dalmage, 2018). Les mariages interraciaux étaient frappés par l’un des interdits imposés par l’Apartheid. Les personnes qui s’impliquaient dans des relations interraciales, durant ce régime, étaient confrontées à un danger important. L’État et les classes dominantes de la société sud-africaine considéraient les membres des couples interraciaux comme des personnes « rebelles », vivant « contre nature » ou des « immoraux ». Des lois spécifiques furent élaborées pour s’opposer à ces unions, comme The Prohibition of Mixed Marriages Act de 1949. Cette loi interdisait les mariages entre les Blancs et les personnes d’autres races. Elle a été complétée par l’Immorality Act de 1950, interdisant tout mariage mixte entre Blancs, Noirs, Indiens ou autres personnes de couleur (Steyn et coll, 2018). La rétrospective historique montre qu’au XVIIe siècle déjà, les Blancs qui possédaient des esclaves n’étaient pas autorisés à avoir des relations intimes avec eux, parce qu’ils n’étaient pas de la « même race ». Prendre une esclave comme concubine fut interdit à leurs propriétaires par l’Assemblée de la colonie, dès 1678 (Mojapelo-Batka, 2008). D’inspiration religieuse, l’objectif de ces interdits est d’empêcher toute relation sexuelle entre personnes de « races différentes », ce qui fut considéré comme une abomination. Il est également utile de rappeler que les mariages interraciaux de citoyens sud-africains célébrés hors du pays n’étaient pas reconnus par le gouvernement sud-africain.

La fin de l’Apartheid (1991) a apporté de nombreux changements en Afrique du Sud, parmi lesquels une constitution qui garantit les relations entre races et groupes ethniques et donc les unions entre personnes de couleur de peau différente. Aussi, la nouvelle République sud-africaine voit se déployer peu à peu des mariages interraciaux. Ces unions passent de 0 à 5 % des mariages enregistrés, dès les premières années qui suivent l’abolition du régime raciste (Amoateng et Heaton, 2017).

Toutefois, comme le constatent Amoateng et Heaton (2017), ces changements sont lents et de nombreuses personnes et communautés subissent encore aujourd’hui les effets du racisme. Steyn et coll. (2019) montrent qu’il existe une forte tendance aux mariages endogamiques au sein de la population d’Afrique du Sud, en général. Les Noirs et les Blancs, par exemple, préfèrent se marier au sein de leur groupe. Seulement 1 % de ces deux groupes ont choisi des conjoints issus d’autres groupes ethniques. Les changements sont plus rapides auprès des personnes métisses et des Asiatiques. Ces minorités occasionnent l’essentiel des mariages mixtes du pays (Amoateng et Heaton, 2017).

Malgré des changements législatifs importants, la société sud-africaine continue donc à vivre les effets culturels et psychologiques des nombreuses stratifications ethniques et raciales qui marquent les populations. En particulier, les mariages interraciaux ne sont toujours pas acceptés dans le pays. Les timides tentatives d’hybridation raciale de la société suscitent beaucoup de stigmatisation et de harcèlement.

Raisons du rejet des mariages interraciaux

Dans un pays multiracial comme l’Afrique du Sud, les mariages homogames sont considérés comme étant la norme. La société sud-africaine est très ségréguée racialement, c’est l’une des causes majeures qui font que les mariages interraciaux sont non seulement peu probables, mais aussi désignés encore comme un problème. Certains Sud-Africains sont convaincus que les conjoints devraient avoir la même race, appartenir au même groupe ethnique, voire avoir les mêmes croyances religieuses. Le passé ségrégationniste du pays a toujours une influence importante sur le choix du conjoint. Dans certaines familles blanches, par exemple, se marier avec une personne de couleur peut être vécu comme involution socio-économique, car, selon leurs représentations, les Noirs constituent une classe inférieure (Jacobson et coll., 2004).

Au sein de certaines familles noires, également, les mariages interraciaux sont considérés comme une forme de trahison du groupe d’origine, car ce serait « s’unir avec l’ennemi ayant colonisé le pays et esclavagisé le peuple noir ».

Se marier hors de son groupe ethnique ou racial, dans un contexte critique post-Apartheid, peut également être ressenti, par de nombreux groupes, comme une menace, une perte d’identité culturelle, dans une situation de changement social majeur, toujours en cours (Jaynes, 2010).

Enfin, l’avenir des enfants issus des couples mixtes constitue encore une autre catégorie de préoccupations pour les personnes envisageant une union interraciale. Il s’avère que les enfants métis sont stigmatisés au sein de l’ensemble des groupes ethniques composant la société sud-africaine. Les conséquences de ces exclusions peuvent être importantes sur le développement psychosocial et l’identité des jeunes.

Ces difficultés diminuent la probabilité de la composition de couples mixtes en Afrique du Sud. Elles les invisibilisent également (Ngcongo, 2022) : en effet, nombreux sont les couples interraciaux qui évitent de s’afficher en tant que tel en public, ce qui peut engendrer un inconfort autant que des dissensions au sein des couples interraciaux. Par ailleurs, il faut noter que le degré de mixité des couples interraciaux va en général bien au-delà des questions raciales : souvent les membres de ces couples sont aussi différents en termes socio-économiques, d’éducation, etc. Ce qui peut être une autre source de divisions et de conflits au sein de la famille (Mojapelo-Batka, 2008).

Bibliographie

Amoateng A. Y., et Heaton T. B. (2017), « Changes in Interracial Marriages in South Africa : 1996–2011 », Journal of Comparative Family Studies, v. 48, n° 4, p. 365–381.

Dalmage H. M. (2018), « Mixed-Race Families in South Africa : Naming and Claiming a Location », Journal of Intercultural Studies, v. 39, n° 4, p. 399–413.

Jacobson C. K., Amoateng A. Y. et Heaton T. B. (2004), « Interracial Marriages in South Africa », Journal of Comparative Family Studies, v. 35, n° 3, p. 443–458.

Jaynes C. (2010) « The Influence of the Family on Interracial Intimate Relationships in Post-apartheid South Africa », South African Journal of Psychology, v. 40, n° 4, p. 396–413.

Mojapelo-Batka E. M. (2008), Interracial Couples Within the South African Context : Experiences, Perceptions and Challenges  Unpublished Doctoral Dissertation in Psychology, Pretoria: University of South Africa.

Ngcongo M. (2022). « To Tell or Not to Tell ? Interracial Romantic Couples. Management of Social Network Influence », Marriage and Family Review, v. 58, n° 5, p. 471–493.

Steyn M., McEwen H., et Tsekwa J. (2019), « Hyperracialized : Interracial Relationships in Post-apartheid South Africa and the Informal Policing of Public Spaces », Ethnic and Racial Studies, v. 42, n° 10, p. 1669–1685.

Toufeili Ismael Hamidou Kassim