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Pratiques inclusives des employeurs favorables au port du voile islamique

Ouafila Zidan

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette analyse
Ouafila Zidan, « Pratiques inclusives des employeurs favorables au port du voile islamique », Analyses de l’IRFAM, n°13, 2024.

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Femmes voilées, diversité, discrimination à l’embauche… sont des mots-clés courants au sein des associations dédiées à l’intégration des populations immigrées qu’accompagne l’IRFAM. La présente analyse s’inscrit dans une série de publications programmées en 2024. Ces dernières proposent une réflexion critique dans le champ de la conciliation entre la liberté de culte de certaines travailleuses et l’exigence de neutralité des entreprises en Belgique. Dans cette collection, la présente analyse a la particularité de mettre le phare sur les pratiques inclusives des entreprises de la grande distribution à Liège qui emploient des femmes portant le voile islamique. Notre objectif consiste à décrire ces pratiques de gestion des ressources humaines, à analyser les facteurs institutionnels et contextuels qui favorisent leur mise en œuvre, et d’en évaluer l’efficacité, à travers le prisme de la justice organisationnelle. Nos constats révèlent que certains établissements adoptent des pratiques inclusives telles qu’un recrutement neutre et une considération des compétences professionnelles, indépendamment de l’identité culturelle des employés. Des sanctions sont également en place pour assurer le respect des règles inclusives. Ces pratiques mettent en lumière les efforts déployés pour établir un environnement de travail respectueux et équitable.

Dans le contexte belge, la population musulmane n’a cessé de croître au cours de la dernière décennie, selon le rapport de l’ambassade des États-Unis en Belgique (2024) concernant la liberté de religion dans le monde. Une étude réalisée en 2018 par l’Institut Leibniz pour les sciences sociales révèle que la proportion de la population musulmane en Belgique s’élève à 7 % (Czymara C. et Eisentraut M., 2020). Il est prévu qu’en 2030, cette catégorie se stabilise à 10 % de l’ensemble de la population belge, avec une concentration de 30 % au sein de la région bruxelloise (La Libre, 2012). Au sein de cet ensemble, on remarque une présence notable de femmes voilées, dont une partie ayant suivi des études supérieures. Les différentes polémiques qui entourent le port du voile sur le lieu de travail et, plus généralement, dans l’ensemble de la société ont ainsi un impact sérieux sur le marché de l’emploi, notamment dans les localités où ce public est concentré, par ailleurs touchées par des pénuries de main-d’œuvre.

Nous avons choisi d’analyser les politiques des employeurs du secteur de la grande distribution qui acceptent de recruter des femmes voilées. Ce secteur est caractérisé par un contact direct avec la clientèle, ce qui rend intéressant de comprendre comment certaines chaînes ont réussi à être inclusives vis-à-vis des femmes voilées. Nous nous sommes donc penchés sur les pratiques et les politiques derrière cette démarche d’inclusion afin d’inspirer d’autres réflexions, dans d’autres secteurs économiques.

Nous avons recueilli les propos des managers et des employées voilées afin de mieux comprendre leurs points de vue et expériences respectifs. Nous avons sélectionné quatre chaînes de la grande distribution à Liège et réalisé des entretiens avec trois managers ainsi que neuf travailleuses voilées dans ces magasins. L’analyse a permis de dégager des constats significatifs relatifs aux pratiques inclusives.

Discrimination, stigmatisation et neutralité

La discrimination se manifeste par un traitement inéquitable d’individus se trouvant dans des contextes identiques, mais qui se différencient par diverses caractéristiques telles que la prétendue race, l’ethnicité, le sexe, le handicap, l’orientation sexuelle ou d’autres statuts socioculturels ou politiques. Elle peut résulter directement d’une exclusion explicite fondée sur ces attributs ou émaner indirectement de règles apparemment neutres qui désavantagent de manière disproportionnée et implicite certains individus ou groupes par rapport à d’autres. Ces disparités peuvent être le fruit de cultures organisationnelles ou sociétales qui privilégient certains groupes au détriment d’autres, en raison d’héritages historiques, de législations ou de politiques publiques et s’organiser en système (Fibbi et coll., 2021).

La stigmatisation est un fait souvent lié à la discrimination. Elle implique la mise en évidence de certaines différences, ce qui conduit à une simplification des individus en catégories distinctes. Ces distinctions acquièrent une portée sociale et modifient les perceptions. Liée à des stéréotypes négatifs, cette catégorisation renforce les préjugés et les comportements d’exclusion : une dichotomie « nous/eux » est construite, et les individus étiquetés sont perçus comme différents, voire inférieurs, pouvant justifier un traitement déshumanisant. Ainsi, les individus stigmatisés se heurtent fréquemment à des désavantages, tels que des inégalités de revenus, d’éducation, de logement, d’accès aux soins et de bien-être. Ce processus entraîne une marginalisation systématique des groupes concernés (Link & Phelan, 2001).

Il est important de souligner que les femmes musulmanes qui portent le voile subissent différentes formes de stigmatisations. Les discours, qu’ils concernent le voile, les femmes musulmanes qui l’adoptent ou l’islam dans son ensemble, constituent une première manifestation de cette stigmatisation. Ce stigmate ne se limite pas à provoquer de la curiosité ou des désaccords ; il peut également entraîner des conflits ou conduire à une exclusion (Beuagé, 2015).

Même si la neutralité n’est pas explicitement énoncée dans la Constitution, L’État belge peut être interprété comme « neutre » à travers divers articles de celle-ci. L’article 19 assure la liberté de culte et d’expression, l’article 20 stipule que l’État ne peut imposer de restrictions aux pratiques religieuses et l’article 21 prohibe toute ingérence de l’État dans la désignation des ministres du Culte. Ces dispositions établissent de manière implicite une forme de neutralité de l’État à l’égard des religions (eDiv).

Pierik et van der Burg (2014) identifient trois approches de la neutralité : la neutralité exclusive, première approche, postule qu’un cadre impartial ne peut être atteint que si l’État fait abstraction des différences religieuses et culturelles. Cela implique l’élimination des expressions identitaires de l’espace public. En revanche, la neutralité inclusive vise à intégrer de manière équitable la culture et la religion dans l’espace public, en prenant en compte tous les points de vue pertinents, y compris ceux qui sont controversés, lors du processus décisionnel. La troisième variante, la neutralité proportionnelle, représente une approche inclusive qui veille à ce que la représentation des groupes minoritaires et le soutien de l’État à leur culture soient proportionnels à leur nombre.

La justice organisationnelle permet justement de comprendre comment les pratiques des décideurs, d’un levier politique, dans des organisations ou dans des entreprises influencent la perception, l’inclusion et le traitement équitable des diversités et, en l’occurrence, des employées voilées, en examinant si elles se sentent, notamment, respectées et valorisées dans leur milieu de travail.

Processus de recrutement neutre et non discriminant

Les témoignages recueillis au sein des entreprises révèlent une politique de non-discrimination et de neutralité inclusive concernant le port du voile par les employées musulmanes. Cette politique se manifeste dès le processus de recrutement, favorisant ainsi une approche inclusive qui se poursuit par la suite à travers des pratiques de gestion des ressources humaines. En effet, le port du voile est reconnu comme acceptable dès l’entretien d’embauche par les responsables :

« Dès que je suis arrivée, la responsable m’a directement expliqué que le voile ne l’intéressait pas. Ce qui l’intéresse, c’est l’intérêt de la personne à venir travailler » (Chaimae).

Dans un autre cas, le voile n’est pas un sujet de préoccupation pendant l’entretien d’embauche :

« J’étais parmi les premières voilées dans le magasin, et durant l’entretien cela n’est même pas revenu » (Ilham).

Cette attitude met en avant l’importance des compétences et de l’engagement des candidates, reléguant au second plan les considérations relatives à l’apparence physique :

« La présence d’autres employées portant le voile au sein du magasin favorise la normalisation de cette diversité, ce qui crée un environnement de travail où les nouvelles recrues portant le voile se sentent acceptées, je voyais bien que dans l’équipe, il y avait deux trois personnes voilées, donc je savais bien qu’il n’y allait pas avoir de soucis» (Ouissame). 

Affirmer que le port du voile est considéré normal, montre que la diversité est respectée dans le processus de recrutement. Le sentiment d’acceptation fait que la candidate ne se sente pas définie juste par son voile et peut mettre en avant ses compétences :

« La question du voile ou pas de voile, peu importe la différence physique ou religieuse, ce n’est pas du tout une question qu’on se pose vraiment. Je suis arrivée à mes entretiens, j’étais voilée, on ne m’a jamais demandé si je comptais le porter à l’entreprise, parce que c’est normal. En travaillant, je ne me suis jamais sentie comme la fille qui porte le voile » (Nourayne).

Les relations interpersonnelles au travail

D’après les témoignages des employées, l’environnement de travail se caractérise par une tolérance envers le voile ; et l’apparence n’est pas une priorité professionnelle. Une interviewée raconte ses interactions avec son supérieur :

« J’étais venue avec le voile, le manager m’a directement dit moi “ça ne me dérange pas du tout, tu viens comme tu veux”. C’est une politique au sein du magasin, l’ai senti partout, c’est qu’il n’y a aucune discrimination, chacun vient habillé comme il veut, franchement je n’ai rien ressenti de la part de mon employeur ni de mes collègues, et de la part des clients, heureusement, je n’ai jamais eu de commentaire négatif » (Faiza).

Une autre personne évoque une aptitude relationnelle remarquable, ainsi qu’un environnement caractérisé par l’inclusivité :

« C’était une bonne relation, il y avait du respect, ça fait partie des valeurs de l’entreprise. On ne s’est jamais sentie jugée. La manager, elle pouvait nous faire un compliment sur le voile, sur notre tenue. C’était convivial, j’ai bien aimé travailler là, pas pour le travail, parce que ça reste du travail fatiguant. Mais parce qu’il y avait cet aspect relationnel positif, et c’était le cas pour tout le monde » (Ouissame).

Une des employées suggère que plus l’environnement de travail est convivial, moins les différences entre employés sont un obstacle à la bonne entente entre les collègues : «Même si on est très différent, on s’entend tous très bien. Tout le monde rigole ensemble» (Chaimae).

L’aspect familial de l’environnement de travail où la diversité culturelle et religieuse est reconnue et mise en valeur est remarqué. Les employés musulmans et non musulmans cohabitent harmonieusement, ce qui témoigne d’un climat de tolérance et d’inclusion, pensent les interviewées. Cela renforce le sentiment d’appartenance et de solidarité au sein de l’entreprise :

« En fait faut savoir qu’on est un peu comme une famille, il y a énormément de musulmans, non musulmans c’est très multiculturel, il n’y a pas de problème à ce niveau » (Yousra).

Sensibilisation et formation du personnel

Parmi les pratiques inclusives observées, un manager d’une chaîne de magasins mentionne la sensibilisation des travailleurs sur les sujets de diversité. Cette sensibilisation se manifeste, notamment, par la mise en place d’un mensuel d’entreprise qui aborde différentes fêtes religieuses et des moments culturels importants. Cette initiative permet de sensibiliser l’ensemble de l’équipe aux questions culturelles et religieuses, montrant aussi l’engagement du magasin dans l’inclusion et la reconnaissance de la diversité : «On a un journal d’entreprise qui parle beaucoup de sujets de ce type, que ce soit par exemple le ramadan, l’Aïd, Pâques ou Noël […] sensibiliser tous et toutes, et participer à l’amélioration de l’inclusion au sein de l’entreprise […] c’est un ensemble d’actions qui font […] l’impact» (Manager A).

Les valeurs de l’entreprise ne se limitent pas à une communication, mais se manifestent également de manière visuelle au sein des locaux, comme l’a souligné un autre manager afin de garantir que les employés soient conscients des valeurs de la chaîne : «Je sais que sur le site, il y a énormément sur les valeurs et l’explication de ces valeurs. C’est important. Je vous assure qu’elles sont sur tous les murs (images, photos, décoration)» (Manager B).

Par ailleurs, ces valeurs imprègnent les réunions d’équipe quotidiennes : «Avant de commencer le travail, on va faire une petite réunion, on va donner un exemple, sur des choses qui se passent. C’est important dans la politique de l’entreprise» (Ouissame).

Mesures disciplinaires

Parmi les autres pratiques constatées, figure la mise en place d’une politique de sanction et l’intolérance envers les comportements discriminatoires. Les piliers réglementaires luttent également contre les discriminations au travail. L’un des managers rencontrés a décrit une politique de tolérance zéro à l’égard des comportements discriminatoires, avec des mesures sévères pouvant aboutir au licenciement. Il a également souligné l’accompagnement et le soutien apportés aux employées victimes de tels comportements : «Dans une expérience négative liée à la problématique du voile, on va distinguer deux points. Premièrement, les problèmes en interne avec des managers, des collègues. Un conflit préexistant. Deuxièmement, les preuves : est-ce établi? La personne coupable de ça, sort de l’entreprise. L’image de l’entreprise, ses engagements ne le permettent pas. […] On a eu des problèmes avec des employés et qui ont été victimes d’insultes racistes proférées par des collègues. Ce sont des choses auxquelles on est très attaché. S’il y a une personne qui se sent mal à l’aise par rapport à ça; nous sommes dans les magasins pour nous entretenir avec les employés. Quel est le souci? Nous échangeons avec toute personne, qu’elle soit musulmane ou athée, etc. Notre vision est de parler avec la personne concernée, victime ou coupable […] pour sensibiliser, comprendre le problème. […] Mais si la chose est établie, une sanction en ressortira […] Si des employés sont victimes de racisme de la part des clients, on fait tout pour les protéger. Le client est automatiquement sorti de notre magasin, ça peut aller plus loin, on peut même appeler la police ou porter plainte : il y a déjà eu des cas. Nos employés reçoivent le soutien nécessaire» (Manager A).

Dans autre chaîne commerciale, le témoin mentionne avoir mis en place des canaux de communication pour permettre aux employés d’exprimer leurs vécus : «Si une expérience négative apparaît, il y a différentes manières de s’exprimer. On a un environnement ouvert et un département RH qui peut entendre ce genre de choses et qui est disponible. On a également un conseil en prévention et la protection au travail qui est là également pour entendre tout malentendu, toute mauvaise expérience » (Manager B).

Dans une autre enseigne, l’importance du respect de la diversité est appuyée : tout le monde est tenu de respecter un code de conduite fondée par le respect mutuel. En cas d’écarts, des sanctions pourraient être mises en place pour lutter contre toute forme de discrimination et maintenir un environnement de travail inclusif : «Il y a un code de conduite. […] Dans le cas d’un écart important, il y aura des procédures d’enquête interne qui conduisent, si c’est nécessaire, à des sanctions, on est très clair» (Manager C).

Éléments contextuels

Il convient de signaler que les enseignes concernées par l’investigation ont leur maison-mère installée aux Pays-Bas, en Suède ou en Grande-Bretagne qui sont des pays ayant une culture sociopolitique libérale et multiculturaliste. Ces pays sont marqués aussi par des modalités de gestion davantage pragmatiques que la Belgique francophone ou la France, où certains principes philosophiques peuvent constituer des traditions puissantes au sein des entreprises.

Par ailleurs, les magasins visités lors du présent travail se situent tous dans des quartiers centraux de Liège, marqués par une importante population issue de l’immigration. La clientèle de ces commerces populaires est de toute origine, comprenant notamment des femmes portant le foulard islamique. La vente est un des secteurs d’emploi en tension en Wallonie, où attirer et fidéliser une main-d’œuvre compétente et motivée est un enjeu important pour les entreprises.

Enfin, nous constatons la présence de responsables d’origine maghrébine parmi les managers interrogés. Ils nous rappellent que les choix et les valeurs dont on parle sont propres aux maisons-mères et diffusés au sein des travailleurs. Cela ne représente donc pas nécessairement le point de vue personnel des employés, mais que tous se sont contractuellement engagés à les respecter.

Discussion à l’aune de la justice organisationnelle

Les différentes pratiques citées se lisent tant dans le discours des managers que celui des employées. Cela montre la cohérence entre les dires et les gestes des entreprises sondées. Les pratiques envisagées sont par ailleurs cohérentes avec le concept de justice organisationnelle, défini par Cropanzano et coll. (2007) comme « une évaluation personnelle de la position éthique et morale de la conduite managériale». En effet, l’application des pratiques inclusives, telles que la neutralité, l’équité, la non-discrimination et la valorisation des compétences, par la direction rencontre l’agrément des travailleuses rencontrées.

Dans les trois entreprises de la grande distribution de la région liégeoise, au regard de la situation en emploi de femmes portant le voile islamique, les représentants des directions semblent se saisir d’événements qui peuvent susciter un sentiment subjectif d’injustice du point de vue des employées minoritaires. Les pratiques rencontrées croisent de fait les trois dimensions de la justice organisationnelle identifiées par Cropanzano et coll. (2007).

La justice distributive, d’abord, reposant sur trois principes : l’équité qui récompense les employés selon leurs contributions ; l’égalité, qui prône une répartition équitable des tâches et des rémunérations ; et les besoins, où les avantages sont accordés en fonction des nécessités individuelles de chaque employé.

La deuxième dimension, la justice procédurale se concentre sur la pertinence du « processus d’allocation ». Elle repose sur la cohérence du traitement des employés : l’absence de biais, l’utilisation d’informations validées pour la prise de décision, la participation des parties prenantes pertinentes, un mécanisme pour corriger les erreurs et le respect des normes éthiques.

Enfin, la justice interactionnelle : elle se réfère à la manière dont les employés sont traités par leurs supérieurs. Cette dimension interpersonnelle exige un traitement digne, courtois et respectueux, et le partage d’informations pertinentes.

Un recrutement varié marque une distribution équitable des opportunités d’emploi : «Je vais recruter des personnes d’origines diverses, de religions diverses, de pratiques diverses, d’horizons divers également. J’ai recruté des femmes voilées, ça a toujours été accepté» (Manager B). On note également que les employées voilées reçoivent un foulard aux couleurs de l’enseigne, ce qui témoigne de l’engagement envers une répartition équitable des ressources, ce qui a un impact sur la reconnaissance et la valorisation des employées voilées et favorise leur intégration : «Chez nous, on en a fait un morceau d’uniforme. Par contre on demande que ça soit le même pour tout le monde. Il y a effectivement un voile dans les pièces d’uniformes» (Manager C). La mise en œuvre d’un code de conduite visant à assurer la diversité et le respect mutuel est encore un exemple de la mise en œuvre de la justice distributive.

Les témoignages ont montré de manière comparative que les procédures de recrutement sont appliquées de façon équitable à tous les candidats. Les employées voilées ont affirmé que les managers ont privilégié leur potentiel lors des entretiens d’embauche, sans prendre en compte leur voile : «Dans l’entretien, cela n’est même pas venu (le voile), ils parlaient juste de mon expérience professionnelle» (Israa). L’équité des procédures utilisées pour traiter les comportements discriminatoires incarne l’engagement à maintenir une politique inclusive, basée sur l’intolérance à la discrimination.

Au cours des entretiens, les candidates voilées ne reçoivent que des informations pertinentes à l’emploi et la communication des valeurs de l’entreprise renforce la perception de justice : «Pour nous une employée qui porte le voile comme une employée qui ne le porte pas, c’est la même chose et donc du coup si la personne est compétente et elle évoluera» (Manager A). Ce passage illustre la manière égalitaire dont les employées sont traitées dans les relations interpersonnelles.

Conclusion

Nous avons cherché à saisir les pratiques inclusives adoptées par les employeurs qui soutiennent le port du voile islamique dans le domaine de la grande distribution. Il a été constaté que ces milieux professionnels mettent en œuvre différentes pratiques inclusives, comme un processus de recrutement basé sur la neutralité, l’importance accordée aux valeurs de l’entreprise et une évaluation basée exclusivement sur les compétences professionnelles, peu importe l’identité des individus. En outre, il est prévu des sanctions en cas de non-respect de ces principes d’inclusion.

Les témoignages recueillis montrent une forte cohérence entre le discours des managers et les expériences vécues par les employées, avec un engagement réel en faveur de la diversité et une valorisation de celle-ci. Ces magasins illustrent comment un environnement de travail peut s’enrichir grâce à un personnel diversifié, prouvant qu’il est possible de concilier exigences professionnelles et respect des identités.

Les femmes voilées interrogées ont fait part de leur admiration pour la culture de la communication et de la sensibilisation qui règne dans ces entreprises, ainsi que pour le soutien fourni en cas de discrimination, qu’elle soit causée par des collègues ou des clients. La possibilité pour les femmes de porter le voile au travail leur permet de préserver leur identité, ce qui favorise leur épanouissement personnel et professionnel.

Pour favoriser un environnement de travail inclusif, il est recommandé de former les managers de façon continue aux diversités culturelles et aux pratiques religieuses, incluant le port du voile, afin de prévenir les préjugés qui pourraient affecter l’équipe. Une connaissance approfondie des significations religieuses du voile permettrait aux responsables de rester ouverts et tolérants envers les principes religieux des employées, tout en respectant leurs valeurs. Ces pratiques incluent aussi la mise en place d’aménagements raisonnables pour éviter que ces employées ne se sentent stigmatisées ou exclues du marché du travail.

Ces démarches peuvent inspirer d’autres employeurs à reconnaître qu’avoir des employées voilées ne compromet en rien la performance ou la rentabilité de l’entreprise, comme le signale une précédente analyse de l’IRFAM (Thomas et Manço, 2024). Les pratiques d’inclusion, bien au contraire, créent un cadre de travail respectueux et sain, propice à la motivation et à la productivité. L’intérêt économique des entreprises est compatible avec le respect des diversités. Il est donc recommandé d’adapter et d’étendre les mesures inclusives à d’autres secteurs professionnels et de renforcer leur transversalité par une communication proactive, qui facilite la prévention et la résolution des conflits potentiels.

Bibliographie

Beaugé J. (2015), « Stigmatisation et rédemption : le port du voile comme épreuve ». Politix, n° 111, p. 153-174.

Cropanzano R., Bowen D. E. et Gilliland S. W. (2007), « The Management of Organizational Justice », Academy of Management Perspectives, v. 21, n° 4, p. 34-48.

Czymara C. et Eisentraut M. (2020), « A Threat to the Occident ? Comparing Human Values of Muslim Immigrants, Christian, and Non-religious Natives in Western Europe », Frontiers in Sociology, v. 5.

Fibbi R., Midtbøen A. H. et Simon P. (2021), Migration and Discrimination : IMISCOE Short Reader, Amsterdam : Springer.

Link B. G. et Phelan J. C. (2001), « Conceptualizing stigma », Annual Review of Sociology, v. 27, n° 1, p. 363-385.

Pierik R. et van der Burg W. (2014), « What is neutrality ? », Ratio Juris : An International Journal of Jurisprudence and Philosophy of Law, v. 27, n° 4, p. 496–515.

Thomas T. et Manço A. (2024), « Port du foulard islamique et son impact professionnel », Analyses de l’IRFAM, n° 7.

©Photo: Diego Fornero, Corso Sommeiller, Torino, febbraio 2010, site Internet Lallab.

Ouafila Zidan