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Accès aux stages : défis et discriminations

Vannessa Belgrade Makemeza

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette analyse
Vannessa Belgrade Makemeza, « Accès aux stages : défis et discriminations », Analyses de l’IRFAM, n°11, 2024.

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Réalisée en collaboration avec l’IRFAM, cette analyse s’intéresse au contexte des difficultés sociales, économiques et de formation des étudiants et des étudiantes d’origine étrangère dans la région liégeoise. En collaboration avec des groupes d’étudiants étrangers concernés, la présente réflexion interroge les multiples défis de leur parcours et, en particulier, les discriminations vécues dans leurs accès et maintien en stage. Notre travail auprès des groupements estudiantins de l’université et des hautes écoles de Liège montre, en effet, que nombre d’entre eux relèvent des obstacles significatifs lorsqu’il s’agit d’effectuer des stages. Ces derniers sont pourtant essentiels aux étudiantes et étudiants étrangers non seulement pour achever leurs études, mais aussi pour préparer leur insertion sur le marché du travail du pays d’accueil, y développer de nouveaux réseaux sociaux, ainsi que des liens culturels. Parmi ces obstacles, on note des discriminations basées sur l’apparence, la religion, le patronyme ou même l’accent. Par ailleurs, les ressources financières limitées de personnes concernées, ainsi que la pauvreté de leur cercle de relations en Belgique sont autant de problèmes dans leur recherche de stage, voire pour se déplacer vers leur lieu de travail.

Les étudiantes et les étudiants étrangers sont ainsi affectés par la manière dont leurs caractéristiques personnelles visibles influencent leur capacité à trouver des stages adaptés à leurs formations. Ces difficultés les concernent de manière disproportionnée par rapport aux personnes issues de milieux culturels et sociaux différents. Qu’elles soient implicites ou explicites, elles façonnent les parcours académique et socioprofessionnel des jeunes. Elles révèlent des inégalités structurelles profondes au sein des systèmes de formation et plus largement dans la société belge, dans son ensemble, qui exacerbent les inégalités déjà présentes. La revue de littérature proposée d’entrée de jeu met en lumière les principaux enjeux autour de l’intégration des étudiants étrangers dans le monde professionnel par-delà les stages, tout en illustrant les discriminations courantes auxquelles ils sont confrontés. Ces discriminations et difficultés se traduisent par une marginalisation accentuée des personnes concernées par rapport aux autres étudiants, souvent mieux intégrés dans le tissu social local et disposant de ressources culturelles et financières plus robustes. Ce déséquilibre, bien que connu, mérite une attention accrue afin de forcer une véritable égalité des chances et raffermir l’inclusion sociale des jeunes de diverses origines.

Dans cette perspective, l’approche adoptée permet aussi d’explorer les expériences vécues par ces étudiants et étudiantes, tout en leur donnant droit à l’expression : au-delà des témoignages, ils font preuve de force de propositions et d’égrainer de nombreuses recommandations. En effet, comprendre et intégrer la diversité culturelle à travers une gestion plus inclusive des ressources humaines est une priorité incontournable pour garantir l’accès équitable à des opportunités professionnelles. Et cela, dès le temps des études.

Obstacles financiers, institutionnels et socioculturels

La recherche de stage se relève être non seulement un véritable défi pour les étudiants étrangers, mais aussi leurs vécus démontrent l’existence indéniable d’inégalités persistantes au sein de notre société. Les obstacles financiers sont l’un des principaux défis pour les étudiants en quête de stage, d’autant plus que ces stages sont non rémunérés, à la différence de pays comme la France ou le Luxembourg. Selon Curiale (2009), les étudiants économiquement précaires doivent parfois contracter des dettes ou multiplier les emplois pour financer leurs stages. Cette situation est particulièrement difficile pour les étudiants étrangers, qui doivent souvent supporter des coûts supplémentaires liés à leur statut d’immigrant, tels que les frais de visa ou de déplacement. Sur le plan institutionnel, il existe une inégalité dans l’accompagnement proposé par les établissements d’enseignement pour aider les étudiants à trouver des stages. Certains étudiants bénéficient d’un soutien plus important grâce à leurs réseaux sociaux ou à l’aide d’enseignants, tandis que d’autres, notamment ceux issus de milieux moins favorisés, se retrouvent isolés dans cette démarche (Bene et Vourc’h, 2023).

Les discriminations socioculturelles et institutionnelles constituent un obstacle majeur pour les étudiantes et étudiants étrangers. Celles-ci prennent différentes formes : discriminations raciales, liées au genre ou à la religion, fondées sur le patronyme, etc. Ces étudiants rapportent régulièrement des expériences négatives lors de leur recherche de stage, où leur couleur de peau ou leur nom peuvent affecter leur chance d’obtenir une opportunité (Brinbaum et coll., 2015). De plus, le manque de capital social est un frein important. Les étudiants qui n’ont pas accès à des réseaux professionnels ou personnels (ou à ceux de leurs proches) éprouvent des difficultés accrues à trouver un stage, car de nombreuses opportunités sont encore réservées à ceux qui bénéficient de recommandations ou de connexions privilégiées. Ces réseaux jouent un rôle important dans l’accès aux stages et, par extension, à l’emploi.

Les discriminations dans l’accès aux stages sont souvent subtiles, mais elles affectent profondément le parcours des étudiants. Des études ont montré que les étudiants étrangers sont souvent victimes de préjugés et de stéréotypes. Cela crée un environnement où ils doivent souvent adapter leur comportement ou leur apparence pour maximiser leurs chances de succès. Par exemple, les étudiantes voilées peuvent se sentir obligées de retirer leur voile lors d’entretiens pour éviter toute stigmatisation (Lazrak, 2019). En somme, bien que le stage soit un levier pour l’insertion professionnelle, les étudiants d’origine étrangère sont confrontés à des défis spécifiques qui compliquent leur parcours. Les discriminations socioculturelles et le manque de soutien institutionnel restent des barrières importantes à surmonter. Pour y remédier, il est nécessaire de repenser les politiques d’accompagnement des étudiants étrangers, en favorisant une inclusion plus forte et en sensibilisant les employeurs aux enjeux de la diversité.

État des lieux en Belgique

La Belgique est un pays caractérisé par sa diversité culturelle et linguistique. Cette pluralité est également reflétée dans ses établissements d’enseignement supérieur, qui accueillent un nombre croissant d’étudiants d’origine étrangère. Selon les données de l’Observatoire de l’Accueil des Étudiants Étrangers, près de 15 % des étudiants inscrits dans les universités belges proviennent d’un pays tiers , avec une forte représentation des étudiants en provenance d’Afrique. Cependant, ces étudiants font souvent face à des complications spécifiques liées à leur statut. Beaucoup d’entre eux ont des antécédents éducatifs et culturels différents, ce qui peut engendrer des difficultés d’adaptation tant sur le plan académique que professionnel. Ces difficultés les poursuivent également dans les stages.

La Belgique dispose d’un cadre légal visant à garantir l’égalité d’accès à l’emploi et aux stages, indépendamment de l’origine ethnique ou de la nationalité. La Loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre la discrimination et le Code du travail belge stipulent clairement que toute discrimination fondée sur l’origine, la race ou l’ethnicité est prohibée. En outre, la stratégie nationale pour l’intégration des immigrants, mise en place par le gouvernement belge, souligne l’importance de favoriser l’accès à l’éducation et à l’emploi pour les personnes d’origine étrangère. Cette stratégie comprend des initiatives visant à sensibiliser les employeurs à la diversité et à promouvoir des pratiques de recrutement inclusives. Malgré ce cadre favorable, des disparités persistent sur le terrain. Les entreprises, surtout dans le secteur privé, peuvent ne pas respecter ces directives, souvent par méconnaissance ou par biais implicite. Aussi, la mise en œuvre effective de l’égalité d’accès aux stages reste un défi majeur.

À la recherche de témoignages

Notre démarche exploratoire s’est déroulée entre février et mai 2024, dans un cadre où les étudiants de divers parcours académiques, issus de pays hors UE ont été invités à participer volontairement à la recherche. Ils ont partagé leurs expériences, difficultés et perceptions des discriminations rencontrées. Les témoignages de 104 étudiants et étudiantes de Liège ont permis de mieux comprendre la réalité des obstacles  vécus lors de leur recherche de stage, tant sur le plan académique que matériel. Ces interactions ont confirmé l’importance de s’intéresser à cette problématique et de l’inscrire dans une réflexion sur l’intégration des étudiants étrangers dans la société et le monde du travail. Il est nécessaire pour les universités et hautes écoles, les centres de guidance pédagogiques et autres acteurs de reconnaître cette problématique, de suggérer des solutions concrètes afin de mieux soutenir ces étudiants dans leur parcours. Ces acteurs doivent s’impliquer, s’inspirer de pratiques développées ailleurs et tenter des initiatives pour réduire les inégalités d’accès aux stages. Ces démarches auront pour finalité d’améliorer l’accompagnement psychopédagogique et matériel des étudiants d’origine étrangère, en prenant en compte leurs besoins spécifiques et en identifiant les points de blocage institutionnels.

Besoins et contraintes

Au cours des interviews menées, nous avons pu identifier plusieurs besoins et contraintes auxquels les étudiants étrangers sont confrontés dans leur recherche de stage en Belgique. Les témoins évoquent le besoin d’une meilleure compréhension du marché du travail belge, notamment en ce qui concerne les attentes des recruteurs, les compétences recherchées et les secteurs en demande. Ils souhaitent un accès renforcé à des stages rémunérés ou proposant une compensation financière pour les dépenses engendrées par le stage (frais de transport, accès à des documents, etc.). Ils demandent un soutien institutionnel plus concret pour l’accompagnement dans la recherche de stage, sachant que les étudiants étrangers sont sans leur familles et installés en Belgique depuis peu de temps : ils n’ont pas de réseau utile. Par ailleurs, ils subissent des discriminations en raison de critères tels que la couleur de peau, le patronyme ou le port de signes religieux visibles comme le voile. Ils ne savent pas vers qui se tourner en pareille situation.

Ces besoins pointent l’utilité d’une adaptation des structures universitaires et du marché du travail aux spécificités des étudiants d’origine étrangère, afin de favoriser leur réussite et leur intégration professionnelle. On constate que les stagiaires d’origine extra-européenne vivent des contraintes financières, des obstacles institutionnels et des barrières socioculturelles.

Ainsi près de la moitié des stagiaires rencontrés ont dû faire face à des dépenses liées à leur recherche de stage et deux tiers n’ont reçu aucune aide en cette matière :

« Je devais prendre en charge mes déplacements pour aller en stage » (Hector — prénoms d’emprunt).

« Ce n’est pas logique que l’étudiant est obligé de payer son train 15 € par jour, pendant deux mois ; c’est énorme, au moins une contribution » (Lucie).

Dans les universités, contrairement aux établissements d’enseignement supérieur, les structures d’aide à la recherche de stage sont rares. Les étudiants universitaires sont souvent livrés à eux-mêmes. Ce soutien insuffisant est un problème pour certains étudiants. On note que des offres de stages sont affichées au sein de l’université (un tiers des participants en ont bénéficié), mais la moitié des étudiants étrangers se retournent vers leur réseau d’amis :

« Comme j’ai eu ce souci-là, j’en ai parlé avec une collègue qui avait déjà été prise chez […] Ils m’ont pris maintenant » (Gaston).

D’autres sont livrés à eux-mêmes :

« J’ai contacté l’université, et ils m’ont dit de chercher. J’avais demandé, ne pouvez-vous pas m’aider ? Ils m’ont recommandé les pistes, mais pas de propositions concrètes » (Nathan).

Les barrières socioculturelles jouent  un rôle significatif dans les difficultés de recherche de stage pour nombre d’étudiants d’origine étrangère. Plus de la moitié des entreprises exigent des compétences techniques et transversales, ainsi que de l’expérience pour recruter des stagiaires (sic). Certains étudiants étrangers se demandent si ces exigences pour accepter un stagiaire qui est par définition un apprenant ne sont pas une manière déguisée de les éviter. Ainsi trois quarts des stagiaires interrogés pensent avoir été victime de discrimination.

Discriminations

La plupart des étudiants et étudiantes ayant le sentiment d’avoir vécu une discrimination en contexte de stages sont des personnes originaires de l’Afrique subsaharienne. Ces dernières sont également plus susceptibles de ressentir une discrimination dans la recherche de stage. Ces discriminations se manifestent souvent de manière subtile lors des processus de recrutement. Elles laissent désemparées les personnes concernées :

« En lien avec ma couleur de peau, mais je ne veux pas en parler ».

Parfois, la situation est explicite :

« Je n’ai pas été retenue parce que je suis africaine, et ils ont dit qu’ils ont atteint leur quota de personnes de couleur » (Sonia).

Le port du voile est la deuxième situation de discrimination le plus souvent rencontrée. Les étudiantes voilées se sentent plus discriminées dans l’expérience de recherche de stage que celles qui n’en portent pas.

« Pendant une année universitaire, j’ai postulé à plus de quinze offres de stage, je n’avais reçu aucun appel téléphonique ni rien du tout. Lorsque j’ai changé la photo sur mon CV par photo sans voile, résultat : chaque semaine au moins deux appels et des entretiens ».

Ce témoignage rend compte du frein que le port du voile représente dans l’accès au stage. Une autre étudiante musulmane précise qu’elle est consciente que le port de son voile est un frein dans la vie professionnelle :

« Je postule avec de l’expérience et un beau portfolio, mais mon voile gêne » (Wafa).

« Pendant ma recherche de stage, j’ai postulé à une vingtaine d’offres de stage, j’ai eu deux réponses favorables pour passer un entretien et là je n’étais pas sélectionné et c’est probablement par rapport à mon origine et mon voile, ma nationalité et mon patronyme » (Mariam).

En effet, une forte relation est identifiée entre l’origine du nom et le ressenti de discrimination au sein de l’échantillon d’étudiants liégeois. Les étudiants avec un nom étranger se sentent significativement plus discriminés dans l’expérience de recherche de stage que ceux avec un patronyme francophone.

« Je cherchais un stage et j’ai passé un coup de fil à l’entreprise qui m’a clairement dit qu’il recherchait un stagiaire et que je devais envoyer mon CV. Après avoir dit mon nom au téléphone, j’ai ressenti un changement de ton de la dame qui a changé de discours et j’ai compris que c’était à cause de mon nom et finalement je n’ai pas eu le stage chez eux » (Khalid).

Ce type d’expériences découragent les étudiants d’origine étrangère  qui  partent défaitistes dans la recherche de stage.

« Le refus, c’est à cause de mon nom qui est plutôt maghrébin » (Mostafa).

Le nom permet d’avoir des indices sur les origines d’un individu et/ou son appartenance à un groupe : «votre nom, c’est de quelle origine ? ». C’est un critère discriminant qui manifestement crée des obstacles dans la recherche de stage pour les étudiants d’origine étrangère. Même implicites ces allusions sont ressenties profondément par les étudiants et constituent un frein à leur insertion socioprofessionnelle. Ces étudiants rencontrent des difficultés qui accentuent les inégalités sur le champ des études et de l’emploi. Elles poussent les étudiants et les étudiantes à développer des stratégies pour s’y adapter et augmenter leurs chances d’accéder à un stage.

Stratégies d’adaptation

Les étudiants d’origine étrangère confrontés à des obstacles socio-économiques, institutionnels et culturels, mettent en place diverses stratégies  pour maximiser leurs chances de succès dans la recherche de stage. Parmi ces stratégies, la modification du CV et l’activation du réseau personnel sont les plus couramment observées.

Les étudiants étrangers adoptent différentes approches pour adapter leur CV afin de contourner les discriminations perçues. L’une des stratégies les plus courantes consiste à retirer leur photo ou à modifier leur apparence sur leur CV (en enlevant par exemple leur voile). Cette situation correspond au cas de la moitié des répondants.

Selon Aïcha, cette approche semble donner des résultats :

« J’ai mis une photo sans voile, avec un peu de maquillage, et la première semaine, j’ai eu deux entretiens. »

Samuel, originaire de l’Afrique subsaharienne, dit :

« J’ai finalement retiré la photo du CV… Et j’ai eu cinq entretiens dans la semaine. »

Il est aisé d’imaginer que ces ajustements tactiques ont une efficacité limitée et peuvent ne pas passer la rampe de la première interview. En revanche, ils révèlent l’importante pression que vivent les étudiants d’origine étrangère pour se conformer à des normes culturelles et physiques.

La mobilisation du réseau personnel est une autre approche pour surmonter les obstacles dans la recherche de stage. Cette relance des relations personnelles montre l’importance du réseau dans la recherche de stage, mais dans le cas des étudiants étrangers, force est de reconnaître que ledit réseau est très limité.

Discussion à la lumière d’autres recherches

S’agissant des obstacles financiers, Hora et coll. (2022) rappellent que la non-rémunération des stages est un obstacle majeur, pour les étudiants aux conditions modestes, notamment ceux venant de l’étranger. En Belgique, la rémunération des stages n’est pas courante et cette réalité semble largement acceptée par les étudiants et les établissements d’enseignement supérieur. Cela soulève néanmoins des questions d’équité. Certaines structures comme l’IRFAM tentent de longue date de compenser l’absence de rétribution par un encadrement rapproché qui renforce la réussite et les apprentissages, mais aussi par une intervention pour des frais de déplacement, de communication, de documentation, voire dans des situations d’exception (ex. la pandémie liée à la COVID 19, certains problèmes de logement). La possibilité de publier sur les supports de cet institut, ainsi que l’accès à son large réseau de partenaires, est sans doute un des atouts dans le lancement de la carrière des diplômés de toute origine (IRFAM, Rapport d’activités 2020, p. 11-12). Nombreux sont les travaux sociologiques qui soulignent que le capital symbolique et économique est crucial dans l’accès aux opportunités professionnelles. Ainsi, les étudiants étrangers qui peuvent particulièrement manquer de ce type de capitaux peuvent renforcer leur position en s’associant à l’image de l’organisation qui les a accueillis en stage. Il serait nécessaire de généraliser les solutions financières spécifiques pour les étudiants en difficulté, telles que des subventions ou des compensations pour couvrir les frais liés à la recherche et à l’exécution de stages.

Sur le plan institutionnel, les étudiants d’origine étrangère expriment leur frustration face à l’insuffisance du soutien offert par les établissements d’enseignement. Cela met en lumière un manque de soutien personnalisé, en accord avec les travaux de Farvaque (2009), qui distingue entre une logique pédagogique de responsabilisation de l’étudiant et une logique de placement où l’institution joue un rôle plus actif. Dans notre étude, il semble que la logique pédagogique prédomine à l’université, ce qui peut ne pas suffire à répondre aux besoins spécifiques des étudiants d’origine étrangère qui font face à des obstacles supplémentaires tels que les discriminations ou le manque de réseaux. Une des solutions évoquées par les étudiants serait un accompagnement plus personnalisé :

« Il devrait y avoir un accompagnement personnalisé pour des étudiants étrangers, parce que je trouve qu’il n’y a pas suffisamment d’accompagnement pour nous » (Henriette).

Les institutions pourraient envisager de mieux mobiliser leurs ressources, notamment les réseaux professionnels, pour offrir un soutien plus adapté à ces étudiants, réduisant ainsi les inégalités d’accès aux stages.

En ce qui concerne les barrières socioculturelles et les discriminations constituant des obstacles importants pour les étudiants d’origine étrangère, notamment en raison de leur couleur de peau, de leur religion ou de leur patronyme, rappelons qu’elles touchant les trois quarts de participants à notre observation. La discrimination raciale est un thème récurrent dans les témoignages dans notre échantillon. Ce constat rejoint les travaux de Brinbaum et coll. (2015) qui soulignent l’existence de discriminations systémiques à l’encontre des descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sur le marché du travail. Le rejet auquel font face les étudiantes musulmanes voilées croise cette observation par une dimension genrée et islamophobe (Lazrak, 2019). Gilibert et Salès-Wuillemin (2005) ajoutent encore une dimension linguistique concernant les étudiants et étudiantes ayant un accent, un patronyme à consonance étrangère. Ils sont également confrontés à des biais inconscients ou explicites intervenant dans les choix des recruteurs.

Propositions et recommandations

Les étudiants d’origine étrangère rencontrés dans cette enquête ont partagé plusieurs pistes d’actions pour améliorer leur accès aux stages en Belgique. Ces propositions s’étendent au-delà de la recherche de stage, en intégrant d’autres situations de détresse (liens études et droit de séjour, problématique de logement, etc.) et d’autres éléments structurels des politiques publiques et des pratiques au sein des établissements d’enseignement supérieur. Elles couvrent divers niveaux, allant des actions institutionnelles aux initiatives personnelles que les étudiants peuvent mettre en place pour contourner les obstacles identifiés.

Selon les étudiantes et étudiants rencontrés individuellement ou au sein de leurs groupements, renforcer la diffusion de connaissances utiles aux étudiants étrangers, dans des réseaux qui leur sont particuliers (associations, plateformes numériques…) semble primordial, et ce dès le pays d’origine, afin de mieux informer ce groupe sur leurs droits et devoirs, sur les opportunités de stages, sur le marché de l’emploi, ainsi que sur les services de soutien spécifiques proposés par les universités, écoles et associations. Des brochures multilingues en ligne ou des sessions d’information dédiées pourraient être mises en place pour faciliter cette diffusion.

Sensibiliser les employeurs aux réalités des étudiants d’origine étrangère est une autre proposition. Il est nécessaire de développer des campagnes de sensibilisation auprès des entreprises et des employeurs pour déconstruire les stéréotypes liés à l’origine des étudiants. Ces actions pourraient inclure des ateliers de formation sur les biais inconscients (Cornet et El Abboudi, 2012) et des sessions d’information sur les défis spécifiques auxquels ces étudiants font face. Une information sur les apports potentiels de ces personnes issues de la diversité (connaissances linguistiques, créativité, persévérance, succes stories, etc.) pourrait encourager les entreprises à diversifier leurs équipes et à valoriser l’interculturalité comme un avantage.

Le complément logique du point précédent serait l’implémentation de pratiques de recrutement inclusives (Gatugu, 2017). Les établissements d’enseignement et les entreprises doivent être encouragés à adopter des procédures plus inclusives, telles que l’anonymisation des CV, afin de limiter les discriminations basées sur l’apparence, le patronyme ou l’origine. Les annonces de stages devraient être diffusées sur des plateformes accessibles à un public diversifié, en veillant à ce que les étudiants d’origine étrangère puissent y accéder facilement.

En créant des partenariats pour faciliter l’accès aux stages(Manço, 2015), les universités et hautes écoles pourraient nouer des partenariats avec des entreprises et des associations locales pour développer des programmes de stage qui peuvent intéresser les étudiants d’origine étrangère. Telle est d’ailleurs la pratique de l’IRFAM avec plusieurs universités et hautes écoles situées en Belgique francophone. Du reste, ces partenariats pourraient s’appuyer sur une charte de bonnes pratiques.

« Lorsque l’étudiant justifie la difficulté qu’elle n’arrive pas à trouver de stage, l’université doit s’en charger, doit trouver des solutions pour collaborer » (Claude).

Une telle collaboration devrait intéresser les entreprises faisant face à des pénuries de main-d’œuvre qualifiée, afin d’initier des jeunes dans le but, évidemment, de les embaucher en fin de stage.

Un soutien financier ciblé pour les étudiants d’origine étrangère pourrait considérablement améliorer leur accès aux stages et favoriser leur réussite académique. Cela inclurait des aides pour couvrir les frais liés à la recherche de stage (déplacements, hébergements temporaires, etc.), ou encore la mise en place de stages rémunérés pour compenser le manque de rémunération actuellement en vigueur dans le système belge. Ce type de soutien pourrait être offert par les universités ou par des fonds publics dédiés à l’inclusion des étudiants internationaux.

La création de programmes de mentorat/tutorat spécifiques ou d’accompagnement personnalisé pour les étudiants d’origine étrangère prolonge la mesure précédente dans une dimension d’intégration socioculturelle. On pourrait ainsi offrir un soutien personnalisé et aider à surmonter les défis liés, notamment, à la recherche et à l’exécution d’un stage et à l’accomplissement d’un travail de fin d’études de qualité. Ces programmes mettraient en relation les étudiants étrangers avec des professionnels de leur secteur ou d’anciens étudiants ayant réussi leur insertion sur le marché du travail belge. Ces services pourraient inclure des conseillers spécialisés dans l’accompagnement des étudiants d’origine étrangère, capables de les aider dans leur recherche de stage, ainsi que des ateliers dédiés à la préparation aux entretiens de recrutement et à la compréhension des attentes du marché du travail belge :

« Je pense que l’université devrait mieux aider, mieux encadrer les étudiants à la recherche de stage » (Doriane).

Le mentorat (ou le tutorat quand il s’agit d’un référent au sein de la structure d’accueil) permettrait, du reste, de partager des expériences, de renforcer les réseaux sociaux et de fournir des conseils pratiques sur la manière de naviguer dans le marché du travail en Belgique. Telle est également la pratique préconisée au sein de l’IRFAM au bénéfice des stagiaires au nombre moyen d’une douzaine par an.

En synthèse, il est essentiel de promouvoir des initiatives favorisant l’inclusion sociale des étudiants d’origine étrangère au sein des campus et dans les entreprises et organisations non seulement pour faciliter leur succès académique, mais aussi pour diversifier et renforcer le marché de l’emploi en Belgique. Ces initiatives pourraient encore inclure des événements de networking, des foires aux stages, ainsi que des programmes d’intégration qui sensibilisent les étudiants locaux aux réalités des étudiants étrangers. Cela permettrait de créer un environnement plus inclusif, propice au développement de réseaux sociaux et professionnels pour tous.

Perspectives et conclusion

Cette analyse a mis en lumière les défis auxquels sont confrontés les étudiants d’origine étrangère dans leur recherche de stage en Belgique, soulignant l’ampleur des discriminations et des obstacles institutionnels qui freinent leur intégration professionnelle. Pour améliorer leur accès aux opportunités de stage et favoriser une inclusion réelle, des actions concertées et des politiques publiques ambitieuses sont nécessaires.

L’un des enseignements majeurs de cette étude est l’importance des compétences interculturelles dans la réussite des étudiants d’origine étrangère. Les résultats suggèrent qu’une meilleure compréhension et maîtrise de ces compétences pourraient favoriser leur intégration sur le marché du travail, en améliorant la perception des employeurs et en renforçant les interactions professionnelles. De plus, la manière dont les étudiants surmontent les discriminations et obstacles structurels mérite une attention particulière. Leurs stratégies d’adaptation et de résilience, telles que l’utilisation de réseaux sociaux ou la participation à des ateliers de développement personnel, constituent des leviers pour leur réussite.

L’adoption d’une approche longitudinale permettrait de suivre l’évolution des expériences des étudiants d’origine étrangère depuis leur recherche de stage jusqu’à leur insertion professionnelle. Cela offrirait une vision plus complète des dynamiques en jeu, permettant d’identifier les périodes de vulnérabilité et les moments clés où des interventions sont les plus nécessaires. Un tel suivi pourrait éclairer l’élaboration de politiques de soutien plus efficaces, basées sur les besoins spécifiques des étudiants tout au long de leur parcours.

Les perspectives incluent également la création de partenariats renforcés entre les écoles et les universités, les entreprises et les associations pour faciliter la transition des étudiants et étudiantes d’origine étrangère vers le marché de l’emploi. Des initiatives innovantes, telles que des programmes de mentorat spécifiques et des dispositifs de soutien institutionnel mieux adaptés, devraient être explorées pour répondre aux défis identifiés dans cette analyse.

Enfin, la nécessité d’une collaboration européenne apparaît cruciale. En partageant les bonnes pratiques et en mettant en commun les expériences entre différents pays européens, il serait possible d’élaborer des solutions plus globales et inclusives. Il est essentiel que la question de l’inclusion des étudiants d’origine étrangère dans les environnements académiques et professionnels soit traitée de manière collective et non laissée à la responsabilité individuelle des étudiants eux-mêmes.

En conclusion, nous plaidons pour une refonte des pratiques de recrutement et de soutien institutionnel dans le but de promouvoir une égalité des chances et de créer un environnement inclusif pour tous les étudiants. Les établissements d’enseignement supérieur et les employeurs jouent un rôle crucial dans cette transformation, et la mise en place d’interventions concrètes, telles que la sensibilisation aux biais inconscients et l’accompagnement personnalisé des étudiants étrangers, est nécessaire pour construire un avenir plus équitable et diversifié.

Bibliographie

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©Photo: Unsplash/Desola Lanre Ologun

Vannessa Belgrade Makemeza