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Agressions envers le personnel racisé dans les maisons de repos : actions nord-américaines inspirantes pour Wallonie-Bruxelles

Léa Vandevelde et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2025.

Pour citer cette analyse
Léa Vandevelde et Altay Manço, « Agressions envers le personnel racisé dans les maisons de repos : actions nord-américains inspirantes pour Wallonie-Bruxelles », Analyses de l’IRFAM, n°4, 2025.

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« Une pensionnaire blanche criait : “Ne me touche pas !”
Elle ne voulait pas être soignée par une professionnelle noire. »

Selon StatBel (2021), en Belgique, les personnes âgées de 65 ans et plus représentent 19 % de la population totale. Le taux de « dépendance vieillesse », qui est le rapport entre le nombre de personnes de plus de 65 ans et celui de personnes de 15 à 60, s’élève à 30 %. Cela signifie qu’il y a environ trois travailleurs pour chaque personne retraitée. En 2011, ce ratio était de quatre travailleurs pour une personne retraitée. Cette évolution démographique entraîne une charge croissante pour la population active et constitue l’un des facteurs contribuant aux pénuries de main-d’œuvre que rencontre le pays, notamment dans le secteur des activités médico-sociales.

D’après un site spécialisé, le pays compte plus de 1500 maisons de repos et de soins (MRS), dont un peu moins de la moitié se trouve dans la partie francophone. Ces organismes occupent 100 000 travailleuses et travailleurs pour plus de 120 000 bénéficiaires. Selon l’AWIQ (2022), 40 % de ces personnes actives sont des aides-soignantes, 30 % du personnel d’hôtellerie et 16 % des infirmières.

Les femmes, dont celles issues de l’immigration, sont surreprésentées dans ce secteur économique, mais restent malgré tout minoritaires au sein du groupe des travailleurs (Binst et coll., 2023). D’après le Monitoring socio-économique (2019), près du quart des travailleurs et travailleuses du secteur médico-social sont originaires d’un pays hors Union européenne (UE), bien que cette catégorie ne représente que 11 % de la population active. Les personnes d’origine subsaharienne sont particulièrement surreprésentées dans ce secteur, elles y travaillent quatre fois plus que leur proportion dans la population active ne le laisserait prévoir. Les personnes originaires du Maghreb, quant à elles, sont présentes dans ce secteur 1,2 fois plus que leur proportion dans la population active.

Ainsi, les services médico-sociaux sont des lieux de vie multiculturels et intergénérationnels, où la population native vieillissante, majoritairement féminine, cohabite et interagit quotidiennement avec un personnel également féminin, issu de l’immigration.

Ces faits induisent une problématique identifiée dès les années 2000, mais encore peu étudiée en Belgique : le racisme envers le personnel soignant d’origine étrangère dans le secteur des maisons de repos (Dossogne et Nejjar, 2007). Mougang et Manço (2024) examinent les défis rencontrés par les aides-soignantes originaires d’Afrique, en s’appuyant sur des témoignages de personnes exerçant à Bruxelles ou en Wallonie. Tous les témoignages soulignent les discriminations et le harcèlement auxquels elles font face dans l’exercice de leur profession.

Ces faits relèvent du racisme que UNIA définit comme « une pensée de supériorité selon laquelle une prétendue race est meilleure qu’une autre ». Au quotidien, cela peut se traduire au niveau interindividuel par des préjugés, de la maltraitance, des discours haineux ou de la violence physique. Le racisme peut aussi être structurel, se reportant aux mécanismes institutionnels de discrimination, à l’intersection de l’ethnicité et du genre des personnes concernées.

Selon Mougang et Manço (2024), ces discriminations se manifestent par des affectations discriminatoires et essentialisantes, comme l’idée que « les femmes noires sont naturellement habituées aux corvées », des temps de travail partiels imposés, des horaires de travail contraignants, une non-reconnaissance des qualifications, un accès limité aux formations, des sanctions disciplinaires plus sévères que pour le personnel blanc pour des fautes équivalentes, un traitement condescendant, l’impunité des actes subis irrespectueux, voire excluants, des pratiques d’évitement ou de dénigrements, etc. Le racisme au sein des MRS peut se manifester aussi bien au sein des équipes professionnelles que dans les relations entre soignants, patients, et leurs familles.

La présente analyse a pour objectif d’exposer et de discuter divers dispositifs proposant des solutions face aux discriminations et violences envers les soignants racisés, dans les MRS. Ces initiatives représentent une nécessité à plusieurs égards. En luttant contre la discrimination, elles permettent d’améliorer les conditions de travail et de vie des soignantes et soignants racisés et favorisent leur entrée et maintien en emploi. Elles contribuent ainsi à garantir la qualité et la quantité de soins pour le public de ces établissements. Elles favorisent également un meilleur vivre-ensemble dans ces contextes multiculturels, en renforçant leur caractère inclusif.

Les pratiques que nous analysons concernent majoritairement le Canada et les États-Unis, en raison de la relative abondance de la littérature dans cette région. Ces actions ont pour objectif de développer un contexte relationnel et une communication qui favorisent le respect, l’égalité et l’inclusion des diversités entre les responsables, le personnel, les résidents et leurs familles au sein des milieux de soins. Par la réflexion critique sur ces pratiques, nous souhaitons sensibiliser et interpeller le secteur des soins socio-médicaux en Belgique francophone, et espérons l’inspirer pour des initiatives favorisant l’inclusivité et le bien-être de tous.

Les approches nord-américaines peuvent-elles éclairer la situation belge ?

Selon le Service Public Fédéral belge « Emploi, travail et concertation sociale », la discrimination ethnique sur le marché du travail est une réalité dans notre pays, les personnes d’origine étrangère sont souvent confrontées à des traitements inéquitables en raison de leur nationalité, de la couleur de leur peau ou de leurs supposées origines ethniques ou appartenances religieuses. Même si des mesures législatives et institutionnelles ont été prises pour favoriser la diversité et l’égalité de traitement au travail (à l’embauche, lors des promotions et accès à des postes à responsabilité, au moment des licenciements), on observe un traitement différencié selon que le candidat soit un « Belge d’origine », un « Belge issu de l’immigration » ou un étranger, en particulier ressortissant d’un pays hors UE.

Bien que des recherches européennes et belges reconnaissent la présence du racisme et des discriminations dans nos sociétés, les études concernant la mise en place de dispositifs antiracistes sont rares. Selon Fadil et Martiniello (2020), ce manque peut s’expliquer par un « rejet du multiculturalisme » et nous motiver à nous inspirer d’autres contextes ayant de l’avance en matière de gestion de la diversité dans les milieux de soins.

Notre démarche vise, en effet, à identifier, analyser et adapter des pratiques de prévention nord-américaines inspirantes pour l’intégration des immigrés extra-européens dans les services gériatriques en Belgique francophone. Elle repose sur une recherche documentaire à propos des pratiques en Amérique du Nord et d’une réflexion sur la gestion du multiculturalisme en Belgique.

Selon Fariha Ali, adjointe à la coordination et chargée d’animation chez BePax, la société belge porte les traces de son passé colonial qui influence ses dynamiques culturelles, politiques et socio-économiques : les stéréotypes, préjugés et attitudes de rejet à l’égard des immigrés — en particulier ceux originaires des anciennes colonies belges — trouvent leurs racines dans cette période historique. Dans sa récente conférence tenue au CRIPEL, Ali explique que les représentations négatives, héritées d’un discours colonial paternaliste et dévalorisant, persistent aujourd’hui dans nos institutions, impactant directement la manière dont ces populations sont perçues et traitées au sein de la société (Watrin, 2024). Les personnes issues de l’immigration sont parfois vues comme moins instruites et moins aptes à s’intégrer dans la société d’accueil. Ce préjugé raciste contribue à minimiser leurs compétences, tant sur le plan du savoir-être que du savoir-faire. D’autres stéréotypes discriminatoires les dépeignent comme paresseux et les associent à des clichés les présentant comme enclins à la criminalité et à la violence. Ces idées peuvent être particulièrement répandues à l’égard des personnes de confession musulmane.

Ce poids historique contribue à maintenir des inégalités structurelles et des discriminations systémiques qui limitent l’intégration des immigrés et entravent les efforts pour une gestion multiculturelle et inclusive (Lafleur et Marfouk, 2018), notamment dans des secteurs comme celui des soins gériatriques.

La littérature nord-américaine préconise une action à long terme et à plusieurs niveaux pour lutter contre le racisme institutionnel : politique, organisationnel et communautaire (Hassen et coll., 2021).

Dans un premier temps, il faut mettre en place des recommandations concrètes pour aborder les dimensions systémiques du racisme. Les mesures proposées visent à transformer les institutions afin de garantir l’égalité des chances et de prévenir les discriminations de manière proactive.

Ensuite, il est essentiel d’intervenir au niveau des relations interpersonnelles, car le racisme s’exprime souvent à travers les attitudes et comportements quotidiens. Des actions ciblées à ce niveau permettent de déconstruire les préjugés, de créer des interactions positives et de favoriser un climat de respect et de collaboration.

Agir à la fois sur les structures institutionnelles et sur les relations interpersonnelles est essentiel pour construire des institutions inclusives et multiculturelles. Cette approche globale ne se limite pas à corriger les manifestations visibles du racisme, mais vise à s’attaquer aux racines, en modifiant à la fois les structures et les dynamiques sociales. En combinant ces efforts, il devient possible de créer un environnement où chacun se sent respecté, valorisé et intégré.

Agir au niveau systémique

Malgré les législations antidiscriminatoires et l’effort éducatif pour lutter contre les exclusions, les inégalités persistent, notamment sur le marché de l’emploi. Les appels à l’application des valeurs démocratiques d’égalité et de solidarité ne suffisent pas. Il est donc essentiel d’agir à d’autres niveaux, notamment sur le plan organisationnel, en parallèle des actions précédemment évoquées, afin de promouvoir l’émergence d’une culture de la diversité au sein des structures.

Griffith et coll. (2007) ont proposé aux États-Unis un modèle d’action afin de démanteler le racisme dans les organisations, notamment dans le système des soins de santé. Ce modèle souligne l’importance de reconnaitre l’existence des inégalités raciales et ethniques dans les MRS à l’égard des soignants racisés.

Une manière d’acter cette reconnaissance sera de multiplier les études, par exemple, dans les MRS, pour comprendre comment diverses formes de discriminations envers le personnel racisé opèrent, et d’être en mesure d’y intervenir efficacement. Hassen et coll. (2021) insistent sur le fait que ces recherches soient conduites par des groupes d’experts issus de différentes origines, professions, ainsi qu’ayant personnellement vécu des discriminations. Ce type de groupes de travail sont davantage en mesure d’instaurer des pratiques pertinentes pour faciliter la transition vers une organisation antiraciste.

Il est essentiel de sensibiliser le personnel de gestion des services de santé pour favoriser une culture inclusive et multiculturelle. En s’inspirant du modèle « Dismantling Racism » proposé par Griffith et coll. (2007), des ateliers collaboratifs pourraient être mis en place pour permettre le partage d’informations et d’expériences de discrimination vécue au travail. De plus, conscientiser le personnel à l’histoire de l’immigration et aux parcours des professionnels issus de communautés ethnicisées aiderait à déconstruire les mécanismes racistes, en particulier dans le domaine de l’emploi.

Le personnel de gestion et de direction dans les structures de santé et de soin détient un rôle clé dans les mécanismes discriminatoires. En effet, il est responsable de décisions cruciales telles que le recrutement, l’attribution des contrats, la composition des équipes, la répartition des tâches, l’organisation des horaires, l’accès à la formation continue et la politique des promotions ou des sanctions. Il est donc pertinent que ce groupe soit particulièrement ciblé par des actions antiracistes, car leur gestion impacte directement l’équité et l’inclusivité au sein des structures.

Des interventions, telles que des workshops animés par des associations spécialisées dans les problématiques liées aux minorités ou à l’immigration, pourraient être proposées dans le cadre de la formation continue. Ces actions pourraient se concentrer sur des structures où des cas de racisme ou de discrimination ont été rapportés, mais aussi servir de prévention dans d’autres établissements. L’offre pourrait contenir une dimension éducationnelle, par exemple, un exposé illustré sur la thématique, ce qui peut contribuer au développement d’un langage et d’une vision commune, facilitant la communication et la compréhension de la problématique.

Toutefois, une simple approche informationnelle ne suffit pas à la déconstruction des mécanismes de discrimination. La formation devrait être enrichie par une approche interculturelle permettant aux professionnels de comprendre « de l’intérieur » les effets des discriminations sur les victimes et de développer leur empathie. Les participants devraient prendre conscience de leurs éventuels biais racistes sous-jacents et envisager le changement de leurs pratiques pour plus d’égalité et d’inclusivité. Il est également important d’investiguer les bénéfices matériels et moraux des pratiques inclusives pour l’organisation, pour chacun des travailleurs et usagers, quelle que soit leur origine. Par exemple, le fonctionnement des MRS en Wallonie-Bruxelles doit impérativement condamner les actes et les propos racistes. Ces pratiques juridiquement répréhensibles peuvent entacher la réputation de l’entreprise et attiser des conflits au sein de son personnel, mettant à mal le service dû à sa clientèle, et au-delà, gripper le bon fonctionnement de son programme de recrutement de nouveaux collaborateurs. Les responsables, formés à l’interculturalité et à la gestion de la diversité, devraient élaborer ou adapter des protocoles antiracistes et inclusifs pour prévenir et gérer les discriminations.

Hassen et coll. (2021) montrent qu’il est essentiel d’agir aussi au niveau « communautaire » pour lutter contre le racisme institutionnel. Ils préconisent des actions impliquant non seulement le personnel des MRS, mais aussi leurs résidents et familles, ainsi que des partenariats avec des structures externes représentants les groupes concernés. Des échanges de pratiques entre organisations confrontées aux mêmes problématiques sont aussi préconisés.

Ces initiatives peuvent favoriser l’intégration des migrants et d’autres groupes de personnes issus de la diversité, tout en transformant les perceptions négatives que certains patients âgés peuvent avoir envers le personnel racisé. Cela contribuerait à instaurer des relations plus sereines et un environnement plus inclusif. De plus, ces activités peuvent offrir aux jeunes participants une vision moins biaisée des personnes âgées, tout en facilitant la déconstruction du racisme et des préjugés mutuels dans les institutions.

À ce niveau communautaire, les activités culturelles, artistiques, ludiques et récréatives, suscitant le partage et l’échange de savoir-faire dans un cadre plaisant et égalitaire, sont particulièrement efficaces pour susciter une émotion et un souvenir motivant, incitant à adopter de manière durable de nouvelles perceptions et des attitudes d’ouverture envers les « Autres ».

Sur le plan organisationnel, ces découvertes devraient inciter les entreprises à envisager des mécanismes « correcteurs », afin de lutter contre les biais de perception. Il pourrait s’agir de « quotas » afin de garantir une représentation équitable des personnes racisées à des postes à responsabilité. Des « comités d’avis » comprenant à la fois des membres de l’entreprise et des experts externes pourraient aussi être créés, pour guider les politiques de diversité et d’inclusion. Les structures existantes, telles que les délégations syndicales, les comités de sécurité et de bien-être, et autres instances, devraient s’approprier ces enjeux et promouvoir la valorisation des diversités. La combinaison de ces efforts contribuerait à promouvoir les travailleurs ostracisés tout en assurant une gestion qui prend en compte les enjeux et les besoins spécifiques de tous les membres du personnel et des résidents, définissant ainsi une organisation inclusive et égalitaire.

D’un point de vue politique, rappelons qu’en Belgique, le plan d’action fédéral de lutte contre le racisme n’a été promulgué qu’en 2021. Le plan de lutte contre le racisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles et celui de la Région wallonne sont encore plus récents (2023). La multiplication de ces initiatives soulève des questions sur la cohérence politique entre les différents niveaux de gouvernance. L’évaluation de ces directives politiques et de ces recommandations pratiques, en ce qui concerne leur mise en œuvre concrète et leur efficacité, sera cruciale.

Agir au niveau interpersonnel

Dans les MRS, les relations interpersonnelles jouent un rôle fondamental dans la qualité des soins prodigués. Pourtant, des discriminations, notamment racistes, persistent, compromettant non seulement le bien-être des soignants racisés, mais aussi la cohésion des équipes et, par extension, la prise en charge des résidents. Ce constat souligne l’urgence de mettre en place des initiatives visant à prévenir et à gérer ces comportements dans un cadre où les interactions humaines sont au cœur de l’activité.

En Belgique francophone, ces enjeux restent peu explorés, bien que des travaux nord-américains aient montré l’efficacité d’approches interpersonnelles pour contrer les dynamiques racistes dans les environnements de soins. Des espaces de dialogue inclusifs, des activités de sensibilisation ou encore des mécanismes formels de gestion des conflits peuvent jouer un rôle positif dans la déconstruction des préjugés et la promotion d’une culture de respect et d’inclusion.

Cette partie propose d’explorer ces initiatives à travers une approche pragmatique et contextualisée. En s’inspirant de la littérature existante et des besoins spécifiques des MRS, nous présentons des stratégies concrètes pour renforcer la cohésion des équipes, offrir un soutien adapté aux soignants racisés et promouvoir un environnement de travail exempt de discriminations. Plus précisément, nous mettrons en avant l’importance des ateliers participatifs, des espaces de communication interpersonnelle et des mécanismes de prévention et de résolution des conflits, en tenant compte des sensibilités du contexte belge francophone.

La déconstruction des comportements discriminatoires et racistes passe inévitablement par des efforts de sensibilisation et de formation. Ces actions permettent d’identifier et de déconstruire les préjugés, d’encourager des comportements inclusifs et de préparer les professionnels à gérer des situations complexes avec bienveillance. Dans les MRS, la mise en place d’ateliers de sensibilisation, de formations continues ainsi que de moments réflexifs constitue une étape essentielle pour instaurer une culture organisationnelle respectueuse et équitable.

Dans un avis adressé à l’Ordre des infirmières du Québec, Ndengeyingoma et Ferrada-Videla recommandent d’intégrer des modules spécifiques sur le racisme et les préjugés dans les programmes de formation initiale des professionnels de la santé. Cette démarche vise à déconstruire les idées reçues et à combattre les attitudes discriminatoires influencées par des stéréotypes culturels et sociétaux. En effet, ces initiatives permettent non seulement de sensibiliser les futurs soignants à la réalité des discriminations auxquelles leurs collègues racisés pourraient être confrontés, mais également de prendre conscience de leurs propres préjugés vis-à-vis de ces futurs collègues dans un contexte de diversité culturelle. Ces apprentissages incluent la reconnaissance des micro-agressions et l’adoption d’une communication inclusive et respectueuse. En encourageant une remise en question individuelle et collective, ces initiatives jettent les bases d’une pratique professionnelle plus éthique et bienveillante.

En abordant ces thématiques dès la formation initiale, les établissements éducatifs contribuent à prévenir les comportements racistes et à promouvoir des environnements de travail sains et inclusifs dès le début de la carrière des soignantes. Intégrer ces formations au cursus contribue à renforcer la légitimité des professionnels issus, par exemple, des communautés subsaharienne ou nord-africaine, en valorisant leur expérience et en sensibilisant les étudiants à la richesse de leur vécu. Ce volet éducatif favorise un rééquilibrage des dynamiques de pouvoir.

Le théâtre : vivre l’autre pour mieux le comprendre

L’utilisation du théâtre en milieu professionnel est largement reconnue pour sa capacité à encourager l’introspection, l’expression émotionnelle et le dialogue. Inspirée des recommandations de Van Bewer et coll. (2021), l’intégration d’un atelier de théâtre dans les MRS représente une initiative novatrice pour déconstruire les préjugés racistes. Ces ateliers permettent de mettre en scène des situations inspirées du vécu des soignants racisés et des relations interpersonnelles au sein des structures de soins, offrant ainsi un espace pour explorer les dynamiques de pouvoir, les stéréotypes et leurs impacts émotionnels.

Pour éviter que ces ateliers soient perçus comme une activité explicitement « antiraciste » — un terme qui peut susciter des résistances ou être perçu comme politisé —, il est préférable de les introduire comme un moment de teambulding ou de partage, favorisant une participation volontaire et détendue. Pendant ces sessions, les participants sont invités à jouer des rôles inversés ou à expérimenter des interactions sous différents points de vue. Par exemple, une soignante non racisée pourrait interpréter le rôle d’une soignante racisée confrontée à des remarques discriminatoires, ce qui permet de ressentir, même temporairement, la teneur de ces expériences. Chaque atelier se conclut par un retour réflexif structuré, organisé en deux groupes : d’un côté, les soignants racisés peuvent partager leur vécu, leurs stratégies face au racisme et exprimer des émotions souvent réprimées dans un cadre sécurisant et thérapeutique ; de l’autre, les soignants non racisés sont invités à réfléchir sur leurs comportements, identifier leurs préjugés éventuels et comprendre l’impact de leurs attitudes sur leurs collègues. La jonction des sous-groupes peut donner lieu à des perspectives utiles.

Ces activités théâtrales, combinées à des moments de réflexion structurée, ainsi que sur les multiples rôles et usages de l’humour, permettent non seulement de briser l’isolement, mais aussi de renforcer l’empathie, la compréhension mutuelle et la collaboration au sein des équipes. En encourageant la réhumanisation des relations professionnelles, ces initiatives participent à créer un environnement de travail plus respectueux et inclusif, tout en sensibilisant chacun à la diversité et à l’équité dans les pratiques de soins.

Par ailleurs, la gestion des conflits interpersonnels, en particulier ceux liés au racisme, est essentielle pour instaurer un climat de bienveillance dans les MRS. Ces conflits, souvent implicites, peuvent survenir entre soignants, avec les supérieurs hiérarchiques, entre soignants et famille des résidents, ou encore entre soignants et résidents eux-mêmes. Une approche structurée, inspirée des pratiques nord-américaines, met l’accent sur l’instauration d’espaces de communication sécurisés et l’utilisation de stratégies adaptées à chaque situation.

Lorsqu’un conflit survient entre une famille et un soignant racisé, il est crucial d’adopter une démarche formalisée. Tout d’abord, la plainte doit être documentée de manière objective en identifiant les faits, le contexte et les parties impliquées. Ensuite, une analyse approfondie permet de déterminer si des comportements discriminatoires sont en cause. Dans ce processus, il est essentiel d’offrir un soutien moral et professionnel au soignant concerné, notamment en discutant de la situation et des stratégies pour y répondre. Enfin, une médiation peut être organisée entre la famille et le soignant, en présence d’un médiateur formé à la diversité culturelle. Ce dialogue structuré favorise la compréhension mutuelle et permet d’apaiser les tensions.

Les tensions au sein des équipes peuvent être exacerbées par la pression et la charge émotionnelle du travail dans les MRS. Des initiatives de cohésion d’équipe, comme des ateliers de teambulding ou des activités de relaxation, peuvent jouer un rôle facilitateur. Par exemple, des ateliers cuisine où chacun partage un plat de son origine permettent de valoriser positivement la diversité culturelle. De même, des sessions de méditation ou de respiration collectives offrent un moment de détente et renforcent la collaboration en créant des expériences partagées. Ces activités aident à désamorcer les tensions et à encourager des interactions respectueuses.

Une expérience en cours à Liège a montré l’importance de mettre en place des groupes de réflexion pour les travailleurs et agents des ressources humaines des hôpitaux accueillant des stagiaires issus de l’immigration. Ces séances, réunissant une quinzaine de participants pendant trois heures par semestre, abordent des situations critiques vécues par des stagiaires en insertion. Elles visent à sensibiliser aux sources de l’incommunication et à leur prévention, à travers la décentration et la gestion des conflits dans une approche intersectionnelle. Par exemple, la question du foulard islamique au travail, face à un règlement de sécurité imposant une tenue spécifique, peut entraîner des tensions et des abandons de stage. Cet exemple souligne la nécessité de travailler la gestion des diversités et d’offrir des accommodements raisonnables afin de produire des solutions créatives et négociées face à ce type d’antagonismes, au bénéfice des stagiaires, de leurs tuteurs et tutrices ainsi que des responsables d’équipes et les directions des structures hospitalières. L’analyse collective des incidents critiques favorise une meilleure compréhension des contextes et des situations de vie des personnes migrantes, faits parfois méconnus de leurs collègues, et établit un terrain de dialogue pour, enfin, tendre vers une entente interculturelle et le bien-être des personnes, dans un environnement de travail inclusif.

Relations résidents-personnels

Les conflits interpersonnels entre des résidents et des soignants racisés se manifestent souvent par des violences verbales ou des attitudes racistes. Dans de telles situations, il est essentiel de rappeler clairement aux résidents que ces comportements ne sont pas tolérés, en joignant si nécessaire les familles des résidents. Des ateliers de parole peuvent être organisés pour encourager les résidents à réfléchir à leurs préjugés, notamment en les confrontant à des témoignages positifs sur la diversité. Par ailleurs, impliquer les soignants racisés dans des activités de partage, comme des ateliers d’ergothérapie, permet d’humaniser leurs relations avec les résidents et de réduire les tensions en favorisant des interactions basées sur le respect et la découverte mutuelle. Dans ce cadre, des artistes, des animateurs, des intervenants et des associations représentatives des groupes racisés constituent des ressources précieuses. La gestion des violences raciales en MRS est un enjeu majeur, tant pour la qualité des relations entre résidents que pour la qualité des soins prodigués. Les directions d’établissements devraient considérer ce type d’initiatives comme des investissements essentiels.

La première étape pour prévenir ces violences raciales consiste à instaurer une communication claire et directe avec les résidents sur l’intolérabilité de tout comportement raciste. Dès leur arrivée, les résidentes et les résidents doivent être informés des règles de conduite prônant le respect et l’égalité entre toutes les personnes, indépendamment de leur origine ou de leur culture. Cette communication répétitive peut se faire par des supports écrits (chartes, affiches, brochures), mais également par des réunions d’accueil expliquant les règles en vigueur. Une telle approche vise à créer un cadre de bienveillance où le respect mutuel est une valeur partagée et où les conséquences de comportements discriminatoires sont clairement établies.

Afin de déconstruire les préjugés et de promouvoir la tolérance, les groupes de parole se révèlent particulièrement efficaces. Ces ateliers permettent à des résidents aux attitudes racistes de dialoguer avec ceux ayant des expériences positives de la diversité. Ce cadre d’échange, où chacun peut exprimer ses opinions tout en écoutant l’autre, brise les stéréotypes et ouvre de nouvelles perspectives. Ces moments d’écoute mutuelle facilitent l’établissement de relations respectueuses et offrent des solutions aux malentendus culturels, même s’ils ne prétendent pas, au départ, se baser sur des incidents racistes et arborent une approche généraliste : « vivre les uns avec les autres ».

L’implication des soignants racisés dans les activités quotidiennes des résidents est un moyen puissant de renforcer les liens et de réduire les tensions raciales. Par exemple, en participant à des ateliers comme la coiffure ou le dessin, voire un ciné-club, où les soignants ont l’occasion d’échanger de manière informelle avec les résidents. Ces moments de convivialité, où se révèlent les talents et compétences de chacun, permettent de dépasser les stéréotypes et de créer des interactions fondées sur le respect et la curiosité. Cette participation active des soignants racisés envoie un message fort : la diversité est une richesse à célébrer. Elle contribue à ce que les groupes investis envisagent, de proche en proche, d’autres dimensions du vivre-ensemble, au-delà des caractéristiques ethniques ou culturelles : genre, classes sociales, invalidités, etc.

Des initiatives d’éducation permanente de type « université tous âges » seront complémentaires pour sensibiliser les résidents à la diversité et les aider à comprendre les enjeux liés à la coexistence interculturelle. Ces ateliers abordent des thèmes variés, tels que l’histoire et la sociologie des migrations, les bénéfices de la diversité, ou encore des exemples de collaborations interculturelles. Ces actions éducatives renforcent l’idée que le respect des autres, quelles que soient leurs origines, est une valeur fondamentale à préserver dans l’établissement.

Les actions mises en place pour prévenir et gérer les violences raciales auront un impact direct sur la vie quotidienne au sein de la MRS. Elles permettent de réduire les tensions et de créer un environnement où la diversité est vécue comme une ressource et non un problème. Ces initiatives contribuent à construire une atmosphère de coopération entre les résidents et les soignants racisés, offrant ainsi un cadre de vie plus harmonieux et respectueux pour tous. La mise en œuvre de ces stratégies favorise également un climat de sécurité émotionnelle, essentiel au bien-être de chacun. Toutefois, le risque zéro n’existant pas, l’instauration d’une instance d’écoute — qu’il s’agisse d’une personne de confiance, d’un médiateur ou d’un référent interculturel — est indispensable pour apaiser les préoccupations de tous, tout en garantissant un suivi de leurs recommandations par des spécialistes et sous l’égide de la direction.

Ainsi, la prévention et la gestion des violences raciales en MRS ne peuvent s’envisager sans une approche inclusive tant au niveau interpersonnel qu’institutionnel. Par une communication claire, des ateliers, l’implication des soignants racisés dans les activités des résidents et une sensibilisation continue à la diversité, il est possible de créer un environnement de respect mutuel. Cette démarche participe non seulement à la qualité des soins, mais aussi à l’épanouissement des résidents et des soignants dans leur lieu de vie.

Conclusion

Les agressions envers le personnel racisé dans les MRS mettent en lumière une réalité complexe, où les dynamiques interpersonnelles et structurelles interagissent pour créer un environnement parfois hostile aux soignantes et soignants issus de l’immigration. Ce constat, à la fois alarmant et mobilisateur, soulève la nécessité d’actions concrètes pour prévenir et combattre les discriminations.

Les solutions inspirées des pratiques nord-américaines offrent des perspectives pertinentes pour la Belgique francophone. La formation et la sensibilisation apparaissent comme des leviers essentiels pour modifier les représentations et les comportements. L’intégration de modules spécifiques sur le racisme et les discriminations dans les cursus de formation des soignants permet de déconstruire les préjugés et d’encourager des pratiques professionnelles plus inclusives. Par ailleurs, la mise en place d’ateliers participatifs, notamment des activités théâtrales, favorise une prise de conscience des difficultés rencontrées par les soignants racisés et stimule l’empathie au sein des équipes.

Sur le plan institutionnel, les MRS doivent adopter une politique de tolérance zéro face aux discriminations et violences. Cela passe par la création de dispositifs de signalement efficaces, permettant aux victimes de se manifester sans crainte de représailles, ainsi que par la formation des gestionnaires et responsables à la détection et à la gestion des conflits discriminatoires. La mise en place de comités d’avis intégrant des représentants des soignants racisés, des patients et de leur famille pourrait également constituer un levier pour assurer une meilleure inclusion et une prise en compte des réalités du terrain.

L’organisation d’activités favorisant la mixité et les échanges interculturels entre soignants, résidents, intervenants externes peut jouer un rôle dans la réduction des tensions. Des initiatives comme les ateliers récréatifs, les groupes de discussion ou encore les activités de partage d’expérience permettent de renforcer la cohésion sociale et d’humaniser les relations.

Toutefois, la lutte contre le racisme dans les MRS ne saurait se limiter à des actions ponctuelles. Elle doit s’inscrire dans une démarche de transformation systémique et permanente, impliquant l’ensemble des acteurs du secteur. L’expérience nord-américaine montre qu’une approche intégrée, combinant interventions institutionnelles et initiatives interpersonnelles, est la plus efficace pour réduire les discriminations et favoriser une culture du respect et de l’égalité.

Enfin, la prise de conscience croissante des enjeux liés à la diversité et à l’inclusion dans le secteur gériatrique doit encourager les décideurs à agir de manière proactive. L’adoption de mesures réglementaires plus contraignantes, le soutien aux recherches et évaluations sur le sujet et l’encouragement des bonnes pratiques en entreprise sont autant de pistes à approfondir pour transformer durablement le secteur des soins en un espace plus juste et respectueux des droits de chacun.

Ainsi, loin d’être une fatalité, les discriminations envers le personnel racisé dans les MRS peuvent et doivent être combattues par une mobilisation collective, à travers une action coordonnée des acteurs institutionnels et associatifs, des employeurs, des soignants et des résidents eux-mêmes. Il en va de la qualité des soins, du bien-être des professionnels de la santé, mais aussi de la dignité et des valeurs d’équité et de respect qui fondent nos sociétés.

Bibliographie

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Altay Manço, Léa Vandevelde