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Associations de migrants et codéveloppement : retour sur analyse

Pour citer cette analyse
Anouchka Bruneau, « Associations de migrants et codéveloppement : retour sur analyse », Analyses de l’IRFAM, n°11, 2023.

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Cette analyse vise à réinterroger les dynamiques de solidarité internationale des associations de personnes migrantes en Wallonie et à Bruxelles en s’intéressant aux actions menées conjointement en Belgique et au sein des pays africains dont les membres sont issus. Nous souhaitons réactualiser la connaissance de ces acteurs associatifs — déjà étudiés par l’IRFAM dans les années 2000 et 2010 — et évaluer leurs actions menées à l’étranger, ainsi que les savoir-faire développés dans des domaines comme la santé, l’éducation ou la gouvernance, tant en Belgique que dans les pays d’origine.

Les recherches antérieures de l’IRFAM ont montré que les apports potentiels des associations de migrants se déclinent principalement en termes d’interculturalité et d’intégration locale (Manço et Aschenbroich, 2012). Ce qui nous permet d’avancer que les projets menés à l’étranger par ces associations de droit belge pourraient effectivement avoir des impacts sur les systèmes de santé et d’éducation des régions d’origine, mais aussi influencer, par une approche interculturelle, les instances politiques locales en Belgique.

Pour Maggi et Sarr (2022), en effet, si les migrants et migrantes établis en Europe mettent en œuvre des initiatives de soutien et de développement des populations de leur pays du pays d’origine, ils élaborent ces activités dans une dynamique translocale de codéveloppement : par ces initiatives associatives, ils contribuent également au développement d’identités individuelles et collectives transnationales. Selon cette approche récente du transnationalisme, ces actions ont des impacts tant dans les pays d’origine que dans la société d’installation : dans cette dernière, elles renforcent l’inclusion sociale de manière complémentaire au maintien de liens de solidarité avec les pays de départ.

L’importance des associations de migrants

Selon Gatugu et coll. (2004), la vie associative est un des piliers de la participation populaire et démocratique dans de nombreux États et la Belgique n’y fait pas exception. Les associations de personnes immigrées observent des rôles importants et détiennent de plus en plus de responsabilités au sein de la société belge. Venant en aide aux nouveaux arrivants, ces associations représentent une forme de soutien moral et de solidarité concrète pour leurs bénéficiaires. C’est de longue date que les communautés issues de l’immigration s’organisent en associations, afin de regrouper leurs ressources financières et matérielles, et d’intervenir dans des projets d’intérêts collectifs dans leurs pays d’origine et d’accueil (Daum, 2007). Les migrants et les migrantes sont des personnes ayant développé une expérience et des compétences spécifiques, ainsi qu’une habileté d’adaptation lors de leurs mobilités internationales. Ce sont des savoir-faire qui peuvent trouver une utilité dans les pays d’installation et être transférés aux pays d’origine, d’autant plus que ces transferts symboliques sont complétés par des envois de fonds conséquents.

Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds vers les pays d’origine sont en augmentation régulière depuis des décennies (Daum, 2007). L’institution financière note que les investissements directs des personnes migrantes sont environ deux fois plus élevés que l’aide internationale en faveur des pays en émergeants. La majeure partie de ces sommes sont investies dans le bien-être et la santé des familles, ainsi que l’éducation des jeunes. L’espoir des contributeurs est de voir cette épargne également investie dans des activités productives, la création d’entreprises et d’emplois. Cela qui favoriserait l’autonomie des familles et créerait, par la même occasion, des alternatives à l’immigration (Feld, 2019).

Le codéveloppement : rendre la région d’origine autonome ?

La migration est un phénomène continu et omniprésent, déterminé par la transformation économique des pays en développement, du non-respect des droits et des changements sociaux (Gerstnerova, 2013). Un nombre important d’acteurs associatifs rencontrés par cette auteure pensent que les personnes migrantes sont conditionnés par un système de pensée qui tente de les convaincre que l’émigration représente la solution aux problèmes qui frappent leur pays d’origine. Pour ces responsables associatifs, rencontrés dans divers pays européens, il est important de réaliser que l’Eldorado européen n’existe pas. À leur arrivée en Europe, les personnes migrantes ont des aspirations professionnelles et sociales. Toutefois, leurs chances d’atteindre ces objectifs sont estimées être faibles, en raison de leur appartenance ethnique, des discriminations systémiques et de la marginalisation dont elles sont victimes. Par ailleurs, soutenir financièrement leurs proches restés au pays apparaît être un devoir qui éprouve nombre de familles immigrées dans leurs efforts d’intégration dans le pays d’accueil. Aussi, dès les années 1980, le codéveloppement apparaît pour les associations de migrants, comme une alternative à l’immigration à la chaîne et aux envois de fonds privés, selon l’IRFAM.

La finalité principale des associations œuvrant pour le codéveloppement, la solidarité internationale ou réalisant des projets en dehors de l’UE est de rendre le pays d’origine et sa population plus autonome. Ces associations contribuent à l’amélioration la qualité de vie des personnes restées au pays d’origine, favorisent leur autonomie, ainsi que leur agentivité, en mettant sur pied des programmes ou des activités qui permettent de faire de la migration un choix et non une obligation, en plus de favoriser l’interculturalité (Manço et Bolzman, 2010). Afin de réaliser ces différents objectifs, les associations de migrants et migrantes mettent sur pieds des projets qui tendent à améliorer les soins de santé dans les pays du Sud et d’y créer des centres de formation professionnelle (Manço, 2008). Elles y envoient aussi des biens comme du matériel scolaire, électronique ou des vêtements. En plus, ces structures travaillent dans le cadre de projets favorisant l’autosuffisance et la création d’entreprises, ainsi que d’activités de prévention et de sensibilisation face aux dangers que représentent les réseaux d’immigration clandestine.

Notre approche

L’analyse se base sur une relecture des principaux travaux de l’IRFAM sur le codéveloppement et les associations de personnes immigrées à l’aune de travaux plus récents, ainsi que sur des entrevues conduites entre février et mars 2023 au sein de différentes associations de personnes migrantes situées en Wallonie, ainsi qu’à Bruxelles. Trois hommes et six femmes responsables associatifs, âgés entre 30 et 60 ans, ont été rencontrés afin de retracer avec eux l’historique de leur engagement et pratique associative. Ces acteurs associatifs appartiennent à sept organisations aux origines variées (camerounaise, tunisienne, nigérienne, congolaise et sénégalaise) œuvrant dans des domaines tels que le recyclage de téléphones cellulaires, de vêtements et d’ordinateurs, envoyés au pays d’origine ; la constitution d’un fonds pour intervenir auprès de personnes malades du pays d’origine n’ayant pas les moyens de financer leurs soins ; la formation et de l’insertion à l’emploi de jeunes femmes ; ainsi que la promotion des droits politiques des personnes issues de l’immigration et la lutte contre les discriminations. En Belgique, ces associations travaillent au quotidien avec des personnes migrantes aux statuts variés : des résidents de longue date ayant pris la nationalité belge aux étrangers primo-arrivants, sans oublier les personnes sans-papier ; des jeunes (jeunes mères, étudiants) aux personnes âgées, etc. Leur travail consiste à soutenir ces individus face à des difficultés posées par l’exil (problèmes administratifs, de formation, d’insertion…).

La création d’associations : une réponse à des besoins personnels

Les interviews réalisées dans le cadre de la présente analyse permettent de rappeler que, conformément aux travaux précédents de l’IRFAM, les associations de personnes migrantes sont principalement créées pour répondre à des besoins et des défis, ainsi que des obstacles rencontrés par les fondateurs de ces structures, mais aussi pour faciliter la vie des futures générations issues des migrations. Les principaux besoins visés sont en lien avec l’accès à la scolarisation et à l’emploi, l’intégration sociale et la justice. Le respect des droits, les conditions de travail, la dignité et la liberté des personnes migrantes apparaît comme un enjeu de démocratie, ainsi que de lutte contre le racisme et la discrimination. Parmi les préoccupations des personnes créatrices d’association, il existe encore la volonté de partager le bien-être construit en immigration avec leurs proches restés au pays d’origine. Cela est vécu comme un enjeu de respect et d’équité, non seulement au sein de leur propre famille ou communauté, mais également à un niveau plus général, en termes d’échanges plus équilibrés et justes entre le Nord et le Sud de la planète.

L’association Les rescapés de Paquita illustre ces constats. Elle fut créée en 2018, même si sa fondatrice a débuté informellement ses activités bien avant, dès son arrivée en Belgique, il y a plus de vingt ans. Le but de la structure organisée en association sans but lucratif est d’apporter son soutien moral et matériel aux enfants abandonnés de la République Démocratique du Congo. Leurs histoires rappellent la vie de la fondatrice de cette association. Rejetée dans son enfance par sa propre famille, arrivée en Belgique à l’âge adulte, elle souhaite à présent «donner de la chaleur» aux enfants abandonnés, non scolarisés, aux orphelins, aux jeunes sorciers, aux enfants-soldats et aux mamans mineures.

L’action de son association située à Liège est principalement destinée à la RDC. Elle vise d’abord la création d’un réseau de soutien en Belgique et au Congo autour de son objet. La fondatrice rassemble ainsi auprès des proches et sympathisants ce qu’elle nomme « des histoires» : vêtements, téléphones, ordinateurs, etc. qui ne servent plus, mais qui représentent une utilité pour la population cible. Avec tout ce que l’on lui donne, la responsable associative organise des envois vers la RDC. Pour faire vivre son réseau, elle anime une église. Adossé à son ASBL, le lieu de culte est un espace de solidarité qui permet aussi d’aider, à Liège, «tous ceux qui sont dans le besoin». Depuis l’église, elle oriente, par exemple, les personnes en séjour précaire vers d’autres associations qui peuvent les soutenir. Tandis qu’au Congo, les membres de l’association, organisées en communauté, travaillent l’agriculture et l’élevage. Les produits (manioc, haricots, maïs, mais aussi cochons et poulets) sont vendus auprès de la population locale et les profits sont investis dans l’association.

Les activités sont cependant limitées en raison de la difficulté d’obtenir des soutiens financiers pour ce type de projets privés qui sortent du cadre de financement des subventions publiques. Du côté de la communauté congolaise en Belgique, nombreux souhaitent aider, mais «les temps sont durs pour tout le monde», les revenus générés par les dons des membres sont limités : chacun est d’abord «la Croix Rouge de ses propres proches».

Une autre représentante d’association de migrants, Josette (nom d’emprunt), également originaire de l’Afrique subsaharienne, rencontrée dans le cadre de la présente observation, fait part des obstacles rencontrés dans sa recherche d’emploi à son arrivée en Belgique. La témoin rencontrait constamment diverses complications l’empêchant de trouver un travail : elle ne disposait pas du bon titre de séjour pour travailler, ses compétences professionnelles n’étaient pas celles recherchées sur le marché de l’emploi ou encore il y avait toujours une personne locale avant elle sur la liste, possédant l’expérience utile… Durant son parcours, Josette a remarqué que de nombreux migrants autour d’elle se trouvaient dans la même situation qu’elle face à emploi. D’ailleurs, plusieurs avaient tendance à retourner aux études pour acquérir de nouveaux titres (parfois dans des domaines très différents), dans l’espoir de décrocher, enfin, un emploi en Belgique. Ces constats ont amené Josette, en 2020, à mettre sur pied une association pour accompagner les personnes migrantes dans leur cheminement professionnel et de leur permettre de trouver un emploi décent dans leur champ de compétences : «Un emploi qui tiendrait compte de ce que ces individus souhaitent réellement accomplir, un emploi qui ne serait pas le choix de la Belgique, mais bien le leur.»

Une troisième entrepreneuse sociale originaire du Cameroun, rencontrée dans le cadre de la présente analyse s’est servie de sa propre expérience d’étudiante jobbiste lors de ses études, tant dans son pays qu’en Belgique. Son idée fut d’exporter des sacs de vêtements usagés vers sa ville d’origine, où un groupe de jeunes femmes, regroupées dans un atelier, peuvent créer, à partir de ces pièces, de nouveaux habits à vendre sur les marchés et de les aider à achever leurs études. Dès 2018-2019, la témoin s’est organisée avec divers partenaires, sous la forme d’une association permettant à ces jeunes femmes, en Belgique et dans le pays d’origine, de concilier études et travail, tout en favorisant le recyclage des textiles et le commerce circulaire.

On pourrait décliner de nombreuses autres expériences similaires que l’enquête a permis d’identifier. Ainsi, une des associations consultées a mis sur pied un programme permettant à des femmes séropositives du Burkina Faso d’apprendre un métier dans le domaine de l’agriculture et d’échapper au rejet qu’elles vivent en raison de leur maladie ; un espace de rencontre et d’accompagnement promu par la même structure les y aide.

À un niveau plus général, on constate que des associations créées par les migrants en Belgique participent aussi, en Afrique, à des programmes d’information aux dangers représentés par les réseaux de migration clandestine. Des responsables associatifs émigrés sont conviés à titre d’experts à ces évènements organisés par les pouvoirs locaux et l’OIM, notamment au Cameroun. Ces rencontres mettent en avant l’exemple de jeunes créateurs et créatrices d’activités qui sont restés dans leur pays, mais qui peuvent travailler avec leurs proches se trouvant en Europe. Une illustration de ce type d’initiatives peut être The Africa Games Festival. Le but de ce rassemblement est de promouvoir les jeux de société traditionnels africains, de nombreux pays y sont invités à faire la promotion de leurs traditions ludiques. Des coopérations touristiques, culturelles et économiques sont négociées dans cet enceinte entre participants africains et européens, dont des associations créées par des émigrants. Dans le même ordre d’idées, certaines associations tunisiennes de Belgique participent à des programmes transméditerranéennes qui consistent en l’organisation de voyages en Tunisie, afin de créer des coopérations entre acteurs de la société civile, de part et d’autre de la Méditerranée. Cela a notamment donné lieu à la participation d’un groupe de jeunes tunisiens issus de l’immigration en Belgique et de jeunes belges à l’observation des élections tunisiennes dans le but de comparer les façons de faire des deux pays et de débattre, avec des jeunes vivant en Tunisie, sur la gouvernance et la démocratie.

Ces exemples montrent à quel point les préoccupations des personnes migrantes, mais aussi leurs vécus d’exclusion orientent les sujets travaillés par les associations et combien leurs responsables font preuve de débrouillardise en utilisant les ressorts d’un parcours privé riche et complexe. Ces acteurs sociaux sont, par ailleurs, portés par un élan de solidarité embrassant tant leurs compagnons de route que les personnes du pays d’origine, ainsi que la jeunesse amenée à vivre les mêmes expériences d’eux.

Les impacts interculturels des projets associatifs

Les projets cités en illustration montrent en quoi ils permettent aux participants non seulement de se familiariser avec la politique, mais aussi d’observer ce comment la gouvernance est mise en œuvre dans diverses régions, de s’interroger, en groupes hétérogènes selon les lieux de vie, sur ce comment est appliquée la démocratie. Nous constatons aussi la pertinence de mettre sur pied des actions permettant aux personnes originaires des pays du Sud d’observer et de critiquer les politiques développées dans les pays du Nord. Ces différentes activités signent la rencontre et la coopération entre différentes populations. Aussi, elles permettent de mettre en lumière de nouvelles manières de voir, ainsi que de favoriser le transfert de connaissances. Cette interaction promue par les associations de personnes migrantes modère sans doute les idées préconçues et brise bien des tabous. Le fait que les actions réalisées par les différentes associations de personnes immigrées rencontrées ciblent des publics jeunes constitue ainsi un atout, dans la mesure où cette population représente justement la génération future.

La lutte contre le racisme et la discrimination : une préoccupation pour les associations

Les associations de migrants que nous avons observées ne mettent toutefois pas explicitement la lutte contre le racisme et les discriminations au centre de leurs préoccupations. Cependant, lorsque l’on analyse leurs actions tant en Belgique que dans les pays d’origine, on constate que ces préoccupation fusent en filigrane de leurs réalisations. Ainsi, ces associations proposent, premièrement, des services qui favorisent l’insertion sociale et professionnelle des migrants en Belgique ou des personnes marginalisées dans les pays d’origine. Les principaux moyens mis en œuvre à cet effet sont des permanences juridiques, sociales et administratives, ainsi que des activités d’information (défense des droits, accès aux soins de santé, entrepreneuriat…) ou de formation (renforcement des capacités numériques…). Deuxièmement, ces structures d’entraide luttent contre l’exclusion en proposant aux personnes victimes (migrants en Belgique, femmes et jeunes dans les pays d’origine) un accompagnement concret. Ce soutien s’avère d’autant plus riche qu’il se présente comme un groupe de solidarité entre pairs.

La question du financement

Les différents entretiens conduits dans le cadre de cette analyse suggèrent que l’accès au financement est une question problématique qui taraude les responsables associatifs issus des migrations. Les principaux bailleurs de fonds du domaine sont, pour ce qui est des actions en Belgique, les communautés et les régions, et pour ce qui est des interventions dans les pays d’origine, Wallonie Bruxelles International. Des pouvoirs locaux et des fondations peuvent compléter ce tableau. Il s’agit souvent d’un fonctionnement par appel à projets. Toutefois, selon les responsables des associations, il est difficile d’avoir accès au financement par ces voies. Les témoins rencontrés estiment que, souvent, il leur est reproché de ne pas avoir assez d’expérience en tant qu’association pour être éligibles aux subsides. Il arrive aussi que des appels à projets soient annulés ou que le pouvoir adjudicateur décide finalement de ne pas distribuer le budget prévu. L’Union européenne, autre pouvoir subsidiant, est encore moins accessible pour de petites associations, d’autant plus qu’elle ne peut financer des projets qui se déroulent dans des pays avec lesquels elle n’a pas d’accords internationaux ou avec lesquels ces derniers sont suspendus. Ce qui, en fin de compte, exclut nombre de pays. Enfin, les participants au sondage ont le sentiment que les associations dirigées par des personnes issues des migrations ont plus de difficultés à décrocher des fonds que les structures locales, mieux insérées dans des réseaux institutionnels.

Pour ces raisons, l’autofinancement reste la formule la plus commune aux associations de migrants. Aussi, la création d’activités génératrices de revenus représente la principale préoccupation de ces organismes pour pallier les difficultés en lien avec l’obtention de financement. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il s’avère, selon les témoignages, que les membres de la diaspora, ne constituent ni le groupe le plus nombreux ni le plus généreux contribuant au financement des associations de migrants. Des sympathisants belges, davantage solvables, jouent plus souvent ce rôle. Aussi, selon certains responsables associatifs, il est important de favoriser l’intégration sociale et professionnelle des personnes immigrées, notamment par l’entrepreneuriat, afin de contribuer davantage à l’aide au développement promue par ces personnes.

Discussion des résultats

Nous constatons, à l’issue de ce réexamen rapide des précédents travaux de l’IRFAM que, malgré le changement de génération de responsables associatifs issus des migrations (mieux formés et maîtrisant davantage la langue française), peu de modifications sont constatées dans le fonctionnement de ces organisations. Les personnes immigrées issues de l’Afrique subsaharienne restent actives sur le champ de la vie associative qui croise souvent la formation de lieux de cultes internes à cette communauté. Toutefois, ces organisations de petite taille sont couramment l’œuvre de quelques fondateurs, un groupe plus féminisé aujourd’hui et en lien avec le tissus de commerces généré par cette population (Mapatano, 2010). Il est encore courant que ces associations cherchent des réponses aux besoins intimes des groupes qui les ont constituées, comme la recherche de reconnaissance sociale dans la société d’installation ou le souhait de venir en aide aux proches restés au pays d’origine. Aussi, considérées comme « peu professionnelles » par les organismes publics, ces associations demeurent rarement éligibles à des financements publics.

En effet, selon Kleist (2014), qui examine la manière dont les agences d’aide au développement de l’Europe soutiennent ou non les activités de développement des organisations des diasporas, la relation entre les migrants et le développement, d’une part, et ce comment cette implication est perçue par les organismes publics de financement, d’autre part, doivent être interrogées. Un petit nombre de ces organismes collaborent, en réalité, avec les associations de la diaspora par le biais de programmes de financement traditionnels. Les rares initiatives observées sont le fait de subsides spécifiques réservés aux structures des diasporas. Trois tendances semblent expliquer ces observations qui corroborent les nôtres : (1) une forte importance accordée aux solutions techniques par les bailleurs de fonds ; (2) une tension au sein des organismes de financement entre, d’une part, la perception des organisations de la diaspora en tant qu’agents spéciaux de développement et, d’autre part, la représentation de l’intégration sociale de ces migrants ; et, enfin, (3) les risques que représenteraient les associations mues par les personnes migrantes en raison l’implication personnelle de ces dernières dans les pays d’origine. Ces divers points viendraient contrecarrer la vision technocrate sous-jacente du développement planifié et professionnalisé. Aussi, ces préjugés renforcent le rôle marginal que jouent les organisations de la diaspora tant dans le domaine du développement des pays d’origine que dans celui de l’intégration en Europe.

Conclusion et recommandations

À la lumière de la présente analyse, il est permis d’égrainer cinq constants principaux en lien avec le monde associatif des personnes issues de l’Afrique subsaharienne en Belgique et leur lien au codéveloppement : premièrement, la vivacité associative des populations immigrées très actives dans le champ de la solidarité internationale, essentiellement dans le but de répondre à des besoins, obstacles ou défis qu’elles ont elles-mêmes rencontrés. Deuxièmement, la finalité assignée au codéveloppement : rendre les personnes du pays d’origine autonome et de faire de la migration un choix parmi d’autres. Troisièmement, les impacts interculturels de projets menés par des groupes de migrants en dehors de l’Union européenne : réels, mais difficiles à objectiver. Quatrièmement : une lutte contre l’exclusion et les discriminations ici et là-bas comme filigrane de l’engagement des associations de migrants. Enfin, cinquièmement : la marginalisation de ces associations sur le plan du soutien public.

Ces constats mènent à diverses recommandations afin de diminuer la marginalisation des associations de personnes migrantes et d’exhausser leurs impacts tant sur les politiques d’intégration en Belgique que leurs apports sur la coopération pour le développement des pays d’origine. Il s’agit principalement de reconnaître davantage les compétences de ces populations et de les mettre en valeur, notamment au travers de ces quelques pistes concrètes : (1) simplifier et rendre plus inclusifs les appels à projets ; (2) mettre en œuvre des jumelages entre associations de migrants et organisation de coopération internationale, permettant aux uns et aux autres d’évoluer ensemble sur le terrain ; (3) relancer (comme dans les années 2000-2010) des programmes de financement spécifiques pour ces associations. C’est à ce prix que graduellement on verra le bénéfice qu’apporte le monde associatif des personnes migrantes en Belgique tant sur le territoire national qu’au-delà des frontières.

Bibliographie

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Gatugu J., Amoranitis S. et Manço A. (2004), La vie associative des migrants : quelles (re)connaissances? Réponses européennes et canadiennes, Paris :L’Harmattan.

Gerstnerova A. (2013). Temps de crise et vie associative. Migrants de l’Afrique subsaharienne et des Balkans en Europe, Paris : L’Harmattan.

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Maggi J. et Sarr D. (2022), Associations de migrants et coopération internationale. Agriculture et développement durable au Sénégal, Zurich : Seismo.

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Mapatano J. B. (2010), « Les réseaux diasporiques africains de Suisse entre “intégrationnisme” et transnationalisme », Manço A. et. Bolzman C. (sous la dir.), Transnationalités et développement : rôles de l’interculturel, Paris : L’Harmattan, p. 59-70.

Anouchka Bruneau