Du déni des compétences comme gaspillage à l’auto-emploi comme résilience
Altay Manço, Joseph Gatugu, Charlotte Poisson
© Une étude de l’IRFAM, Liège, 2024
Pour citer cette étude
Altay Manço, Joseph Gatugu et Charlotte Poisson, « Du déni des compétences comme gaspillage à l’auto-emploi comme résilience », Étude n°2 de l’IRFAM, 2024.
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L’IRFAM accompagne depuis de nombreuses années les professionnels de l’action sociale, assistants sociaux, juristes, formateurs de français langue étrangère, etc., et se veut être un organisme ressource mettant à leur disposition études et analyses de référence sur des sujets qui les interpellent en particulier. Les jobcoaches et assistants sociaux des équipes du secteur de l’intégration des migrants que nous suivons régulièrement rapportent leurs interrogations (et aussi leur impuissance) face à la non-reconnaissance des diplômes des personnes immigrées qu’ils et elles accompagnent individuellement ou collectivement. Ces professionnels ont observé dans leur pratique l’aboutissement souvent insatisfaisant de procédures introduites de reconnaissance de diplômes et compétences acquis à l’étranger. Les migrantes et migrants accompagnés se voient dès lors freinés dans leur parcours de formation et d’emploi avec des espoirs et des projets avortés. Au-delà d’un sentiment de gâchis des talents et des compétences largement partagé par les professionnels, il en va aussi d’un enjeu de confiance dans les institutions belges de la part des personnes issues de l’immigration. Or, les observations montrent que c’est davantage un sentiment de défiance qui prédomine auprès de ce public issu des diversités, ce qui a des conséquences néfastes sur leur engagement et leur participation citoyenne. Notre institut de penche sur le sujet depuis de longues années et est allé à la rencontre de femmes et d’hommes dont les qualifications n’ont pas été (totalement) reconnues et qui se sont lancés dans d’autres projets d’insertion professionnelle, dont l’entrepreneuriat, afin d’y trouver une satisfaction professionnelle à la hauteur de leurs compétences et aspirations. L’étude présentée ici apporte des clés de lecture et de compréhension face au phénomène de la non-reconnaissance des diplômes et capacités — tant par les institutions publiques que par le marché du travail — qui reflète des inégalités d’accès aux droits de formation et aux droits économiques d’un public migrant dont le taux d’occupation est un des plus faibles d’Europe. In fine, nous traitons du droit à la reconnaissance sociale, en Belgique, des membres des groupes issus des migrations.
Ce déni de reconnaissance intervient par divers mécanismes : blocages administratifs, discrimination à l’embauche, ethnostratification… Le marché de l’emploi et l’administration marginalisent les personnes migrantes expérimentées et occasionnent chômage, sous-emploi, conséquences socio-économiques. De manière paradoxale, le pays d’installation est également lésé : pénuries de main-d’œuvre, notamment qualifiée, absence de rentrées contributives et prestations sociales accrues, difficile intégration sociale et citoyenne pour des personnes issues de l’immigration qui ne se sentent pas ou peu reconnues dans ce qu’elles peuvent apporter à la société d’accueil. Cette étude tire son origine du désarroi des personnels du secteur de l’intégration en Wallonie. Ces personnes sont souvent sans voix face aux migrantes et migrants déqualifiés. L’étude se base sur une veille vieille de 30 ans, menée par l’IRFAM auprès des institutions chargées de l’intégration. Elle est alimentée par des travaux scientifiques et des témoignages tant de professionnels que de personnes migrantes. Ces dernières ont en particulier été rencontrées tout au long de l’année 2023. Elles nous ont fait part de leurs préoccupations et de leurs questionnements sur le sujet. L’observation porte aussi sur des dispositifs actuels et passés tentant de dépasser l’exclusion des personnes immigrées qualifiées, y compris l’autopromotion, à savoir : la création d’entreprises ou d’associations. La conclusion finale permet d’énoncer des recommandations éprouvées à l’endroit des femmes et hommes décideurs, acteurs ou migrants. Signalons également que des professionnels du secteur de l’intégration wallon ont été sollicités pour réagir et alimenter le présent travail qui servira notamment à interpeller les décideurs en la matière.
Des qualifiés déqualifiés
La Directive 2009/50/CE établissant les conditions de séjour des ressortissants de pays tiers dans l’Union Européenne (UE) à des fins d’emploi qualifié s’applique aux personnes disposant d’un titre d’études supérieures d’au moins trois années. Lespersonnels visés sont censés assumer innovation et compétitivité ou présenter un talent distinctif (Chaloff et Lemaitre, 2009).Ces dernières décennies ont vu accroître les flux de personnes qualifiées vers les pays de l’OCDE. Cette situation résulte d’une augmentation de l’accès à l’éducation dans les pays émergents et de la politique migratoire sélective des pays industrialisés. Ceci constitue un transfert de ressources humaines des pays pauvres vers les pays riches. Depuis les années 2010, il existe autant de femmes qualifiées que d’hommes qui migrent vers les pays développés (Feld, 2019). Certains sont en emploi d’autres aux études.
Dans la zone OCDE, l’équivalence n’est jamais automatique entre un diplôme étranger et des titres locaux. La concurrence est perpétuelle entre systèmes d’enseignement. La non-reconnaissance est une politique de protection des titres et marchés locaux (Ouali, 2007). Roussel (2014) pointe l’inopérabilité des compétences des migrants en regard des besoins du pays d’installation. L’objection est courante pour les professions juridiques, administratives, en lien avec la comptabilité, les questions de sécurité ou de pouvoir public. L’auteur indique une faible transférabilité des compétences académiques d’un contexte à l’autre. D’autres obstructions institutionnelles concernent les métiers protégés comme l’architecture, les services sociaux, l’enseignement, le secteur de la santé, etc. Soulignons aussi l’exclusion des non-nationaux de nombreux emplois du secteur public. Enfin, il faut noter la faiblesse en Europe d’une offre spécifique en matière d’insertion professionnelle pour migrants qualifiés (Benton et coll., 2014).
Au sein des pays membres de l’OCDE, et de longue date, plus de 40 % des migrants qualifiés sont déclassés ou inactifs (Dumont et Monso, 2007). Ce taux varie suivant divers paramètres. Les femmes immigrées sont davantage exposées (Diop, 2011), surtout si elles sont voilées (Ouali, 2012). Le problème concerne plus les travailleurs vieillissants, ceux installés dans les régions rurales. Les migrants hors UE sont davantage déclassés par rapport aux migrants de l’UE (OCDE, 2015). Les personnes dont le statut de séjour est précaire ont plus de mal à trouver un poste correspondant à leurs qualifications. C’est notamment le cas des demandeurs d’asile (Berthoud, 2012). Les migrants entrant en Europe pourvus d’un emploi ou pour étudier affichent des taux de déclassement inférieurs par rapport à ceux immigrant dans un autre cadre, mais qui n’égale pas celui des diplômés autochtones (Damas de Matos, 2014). Les personnes récemment arrivées sont plus exposées au déclassement que celles installées de longue date (Roller, 2012). En période de récession économique, les travailleurs étrangers sont davantage vulnérables à la déqualification (OIT, 2012). Les secteurs d’emploi propices à l’ethnostratification comme les services aux entreprises et aux personnes comportent également plus de travailleurs déqualifiés. Les titres obtenus en dehors des pays industrialisés sont davantage susceptibles d’être non reconnus. Les diplômes en sciences exactes, appliquées et économie exposent moins à la déqualification que les diplômes en sciences humaines et dans un domaine artistique. Le niveau élevé des études protège dans une certaine mesure les migrants de la déqualification, bien que l’argument de la surdiplomation soit couramment utilisé pour leur refuser un poste. La déqualification touche plus les travailleurs qui ont peu d’expérience professionnelle. Les migrants diplômés qui ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine voient leurs connaissances s’effriter : la durée d’exposition au chômage est un facteur de fragilisation des travailleurs (Gatugu, 2017). La méconnaissance des langues du pays d’accueil expose davantage encore à la déqualification.
La déqualification en Belgique
L’arrêté royal belge du 20 juillet 1971 détermine les conditions de l’équivalence. Il a pour objet d’interdire à l’impétrant la transition à des études ou titres qui ne lui sont pas accessibles dans le pays où le diplôme a été délivré. Une démarche administrative est nécessaire pour l’obtention de cette homologation. Peu de recherches l’évaluent, mais le constat est qu’elle est lourde, longue et coûteuse. Elle nécessite de nombreux documents difficiles à assembler. Elle est désormais entièrement en ligne et pose la question de fracture numérique. Tout document doit être traduit en français (ou quelques autres langues européennes) et certains certifiés. Dans la plupart des cas, c’est une « équivalence de niveau » qui est accordée, mais pas de domaine. L’utilité sur le marché de l’emploi de ces « diplômes blancs » est limitée. Les milieux associatifs sont critiques face aux procédures appliquées en Wallonie-Bruxelles (Corman, 2016 ; Gatugu, 2017 ; Goffin, 2022). Les services d’admission des universités peuvent valoriser des cursus pour permettre à des étudiants étrangers l’obtention de dispenses de cours. La démarche est plus souple dans la partie flamande du pays.
Il n’existe pas de statistiques précises en Belgique francophone sur la reconnaissance des diplômes étrangers ni de liste de critères d’équivalence. Compte tenu de cette situation dissuasive, peu de migrants extra UE tentent une demande d’équivalence : selon les publications associatives, cela représente 10 000 demandes annuelles pour un diplôme de niveau secondaire et 5000 pour le niveau supérieur, à comparer avec les 40 000 demandes annuelles de reconnaissance d’un titre d’enseignement secondaire portées par les étudiants français nombreux à réaliser leurs études supérieures en Belgique. Les demandeurs d’équivalence représentent 6 à 12 % de porteurs de titres universitaires venant d’un pays hors UE (Huddleston et Dag Tjaden, 2012). Dans ces circonstances, 40 % des personnes immigrées inscrites aux organismes publics de formation et d’emploi apparaissent comme ne détenant aucun titre académique et huit diplômes déclarés par des porteurs migrants sur dix ne sont pas reconnus.
Selon le Monitoring socio-économique (2022), bilan socioprofessionnel de l’ensemble des travailleurs inscrits au système de sécurité sociale belge, un quart des primo-arrivants (personnes originaires de pays tiers présentes en Belgique depuis moins de trois ans et âgées de 20 à 64 ans, soit une personne sur dix parmi les actifs) sont titulaires d’un diplôme d’études supérieures d’une durée d’au moins trois années (sachant que les 40 % des diplômes concernent des études de cinq ans ou plus). Le taux de diplômés d’études supérieures (reconnus ou non par la Belgique) parmi les personnes originaires de Turquie, du Maroc ou de l’Inde est de 15 %, de l’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient 20 %, de l’Europe de l’Est ou de l’Amérique latine 30 % et de l’Extrême-Orient 45 %. Les diplômes les plus courants sont dans les domaines de la santé et des soins (13 %), de l’administration et du management (11 %), de l’économie, de la comptabilité et de la gestion (10 %), des sciences naturelles (9 %), de l’information et de la communication (9 %), du droit, des sciences politiques et humaines (9 %), des lettres et des langues (8 %), du commerce et du marketing (7 %)…
La déqualification a des effets sur le taux d’occupation des personnes migrantes originaires de pays hors UE. Une partie des étudiants internationaux ne regagne pas leur pays d’origine après les études. Faute de trouver du travail, nombreux sont ceux qui restent sur les bancs des universités. D’après le Monitoring socio-économique (2022), 9 % des Belges diplômés d’études supérieures de 25 à 64 ans sont inactifs, ce taux est de 17 % chez les autres ressortissants de l’UE, 21 % chez les personnes d’origine turque ou marocaine, 27 % chez celles issues de l’Afrique subsaharienne, de l’Europe de l’Est, de l’Extrême-Orient ou de l’Amérique latine et 35 % parmi les originaires du Moyen-Orient. Les difficultés d’emploi sont plus prononcées dans la partie francophone par rapport à la partie néerlandophone du pays ; il en est de même pour les détenteurs de diplômes de cycle court face aux personnes ayant réalisé des études supérieures de cinq années ou plus.
Ce gaspillage de ressources humaines est ancien (Gatugu et coll., 2001) et peu d’améliorations sont notées. Si moins de 10 % des diplômés d’études supérieures belges se trouvent dans les trois déciles salariaux les plus bas, cette valeur est de 30 à 40 % pour les migrants issus de pays hors UE (Monitoring socio-économique, 2022). Selon le Conseil supérieur de l’emploi (Manço et Scheurette, 2021), le marché du travail belge se caractérise par un taux de surqualification plus élevé chez les personnes étrangères (38 %) que natives (18 %) (Jacobs, 2021).
Parmi les facteurs de déclassement, il faut souligner un défaut de capital social parmi les migrants qui n’accèdent pas à des réseaux ou à des informations utiles à leur insertion, d’autant plus que la plupart ont un besoin immédiat de source de revenus. La faible maîtrise des langues locales est aussi un des obstacles d’accès à l’emploi des migrants (Manço et Scheurette, 2021). Les personnes au chômage de longue durée voient leur confiance en elles s’éroder, aussi ont-elles tendance à éviter les emplois qui correspondent à leurs connaissances et cherchent à s’insérer à tout prix (Stokkink et coll., 2015).
À la recherche d’augmenter leur profit et peu familiers avec la législation régissant la reconnaissance des titres étrangers, les employeurs s’orientent vers des travailleurs dont le profil professionnel et culturel semble s’accorder avec leur entreprise (Damas de Matos, 2014 ; Lejeune et Bernier, 2014). Les choix se portent sur des voies informelles de recrutement. Cette situation dénote une méfiance à l’égard de la qualité des diplômes des pays en développement, des compétences des migrants, ainsi que leur rentabilité supposée. Parfois, la manière d’obtenir les diplômes est aussi mise en cause : on soupçonne la corruption. Ces stéréotypes ouvrent vers des abus tant dans le secteur public que privé et conduisent à exploiter l’expérience des personnes qualifiées occupées à des postes subalternes, pour des salaires inférieurs à ce qu’elles pourraient prétendre si leur qualification était reconnue. Des monographies illustrent l’impossibilité de faire valoir des diplômés originaires des pays du Sud dans le domaine de la santé. Les infirmières et médecins sont insérés comme aides-soignants, même si leurs études ont été accomplies en partie dans des universités belges, même si l’origine de leur diplôme n’a pas fait obstacle à ce qu’ils pratiquent la médecine en Belgique lors de leurs stages. Cette situation kafkaïenne que documente Ouali (2007) se perpétue aujourd’hui encore ! Le déclassement professionnel révèle ainsi une situation d’inadéquation entre les compétences d’un travailleur et celles exigées par le poste qu’il occupe : soit le domaine d’études du travailleur ne correspond pas au secteur dans lequel il travaille, soit son niveau d’études est supérieur à celui exigé par son poste de travail, ou encore un sous-emploi sur ces deux axes.
Conséquences de la déqualification
Pour Carcillo et Valfort (2018), le coût humain de l’exclusion sur le marché de l’emploi réside dans le fait que les personnes discriminées sont sujettes à l’angoisse de confirmer le caractère d’incompétent qu’on leur attribue a priori. La répétition d’expériences de discrimination finit par générer un stress qui mine l’estime de soi et la santé mentale des personnes concernées (Schmader et coll., 2008). Des recherches indiquent que les membres des minorités sont plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de discriminations et plus souvent sujets à la dépression (Dubet et coll., 2013). La défiance éprouvée à l’égard des personnes discriminées induit chez ces dernières un manque de confiance en la société, ainsi qu’en ses institutions comme les structures de formation et d’aide à l’emploi, les entreprises, la justice. Putnam (2007) attire l’attention sur le lien négatif entre diversité ethnique et confiance dans les institutions. Or, le manque à gagner généré par la défiance est important. L’auteur souligne que la confiance est l’un des ingrédients de la prospérité, car elle conditionne l’investissement. Son absence est synonyme de fermeture et de protectionnisme qui freinent considérablement la prise de risque et le développement socio-économique.
La défiance envers les immigrés est fonction de la croyance des citoyens dans l’incapacité de leur gouvernement à gérer les migrations et le doute vis-à-vis des apports de ces dernières, comparés aux coûts sociaux qu’elles sont estimées représenter. Si les travaux synthétisés par Manço et coll. (2017) montrent les effets positifs des migrations à long terme, cette information générale ne calme pas les inquiétudes de la population des pays de réception, dans la mesure où leur angoisse prend sa source dans des impressions localisées. Ces perceptions sont dopées par le pressentiment de citoyens qui s’estiment mis en concurrence avec des flux de travailleurs migrants de surcroît qualifiés. Cela renforce l’inadéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail. Les effets en sont pénuries de main-d’œuvre, absence de rentrées contributives et prestations sociales, toutes charges pour les contribuables et les entreprises. Ces perturbations sapent les bénéfices attendus de l’intégration à l’emploi des migrants tant en termes de productivité ou capacité d’innovation que de recettes publiques, alimentent le sous-emploi, parfois infralégal, et contreviennent à la diversité culturelle et à la cohésion de nos sociétés.
À la lueur de cette situation, il est nécessaire de revoir l’intégration des personnes primo-arrivantes qualifiées en termes de droit au travail, mais aussi en termes de droit à la reconnaissance et à la dignité. Ces personnes sont confrontées à de nombreux obstacles : complexité et rigidité de la législation de séjour et de la reconnaissance des diplômes, deuil du passé, questions de langue, vieillissement, discriminations, emplois parfois moins rétribués que l’aide sociale… Cela occasionne un déclassement socioprofessionnel et identitaire important, plus encore chez les femmes (en charge de famille) que les hommes (Merla et coll., 2022).
Illustrons ces constats généraux par le cas de Maria. Maria est originaire du Cuba où elle a travaillé comme enseignante maternelle en contexte d’immersion en langue anglaise. Arrivée en Belgique il y a quelques années avec sa fille et son mari, elle a commencé à suivre des cours de français pour ensuite chercher un travail. Elle n’a pas obtenu de reconnaissance de son diplôme et a envisagé de se réorienter professionnellement. Après avoir postulé, sans succès auprès de différents employeurs, elle décide de suivre une formation en nettoyage :
« J’avais besoin de trouver un travail. Mon diplôme n’a pas été reconnu en Belgique, j’ai dû faire le deuil de ma vie professionnelle passée, ça m’a pris un peu de temps, ce n’est pas facile de s’imaginer travailler dans le secteur du nettoyage après avoir été enseignante. Mais j’avais besoin de travailler. J’ai suivi une formation, j’ai fait un stage dans un hôpital, cela m’a plu et j’ai été engagée. J’ai maintenant un contrat de travail stable et j’ai pu faire venir ma mère en Belgique. »
Ce témoignage rejoint les conclusions d’une autre travailleuse issue de l’immigration :
« Il faut accepter d’aller vers d’autres horizons. Surtout pour certains métiers dont les compétences ne sont pas transférables dans le pays d’accueil. Je sais que c’est frustrant de reprendre des études ou une formation professionnelle surtout dans un autre domaine qu’on ne maîtrise pas, mais il faut être flexible et aller vers les métiers en pénurie dans le pays d’accueil ».
La valorisation des compétences peut, toutefois, être aussi un passeport pour l’emploi. S’il ne permet pas toujours l’accès (immédiat) au marché de l’emploi, il augmente les chances d’y arriver. La reconnaissance des compétences représente également d’autres enjeux pour les personnes migrantes, comme la valorisation identitaire et pécuniaire. Pour les employeurs également, elle est synonyme de confiance et d’apport durable de talents, parfois en pénurie. Remarquons que plusieurs pays européens ont commencé à revoir leur législation sur la question après 2010 pour des raisons démographiques et en lien avec la crise de l’accueil des réfugiés de 2015.
Dispositifs de valorisation
Si différentes directives européennes visent la lutte contre l’exclusion professionnelle, leur application pose problème (Gatugu et Manço, 2018). Il s’agit d’ajuster les capacités académiques des migrants aux contextes des pays d’emploi (Damas de Matos et Liebig, 2014). La reconnaissance des qualifications signifie l’évaluation d’un titre académique acquis à l’étranger que l’on doit exhiber. Elle repose sur des éléments tels que l’authenticité, la transparence, l’actualité et la portabilité (Bardak, 2014). Le document doit permettre une reconnaissance aisée des savoirs acquis, ayant une valeur transposable sur le marché du travail ciblé. Cette valeur est estimée par rapport à un niveau d’instruction formel, sachant que la qualité des établissements d’enseignement varie entre eux et dans le temps (Mestres, 2014). Il n’existe pas de méthode aisée pour considérer les différences de niveau entre pays en matière de programmes d’enseignement (Damas de Matos, 2014). De plus, l’éducation formelle n’est pas une indication directe des savoir-faire. L’évaluation de l’expérience et des compétences non formelles est plus complexe encore (Schuster et coll., 2013). Elle peut être normative et comparer la qualification du récipiendaire à un groupe de référence, faire usage de tests. Dans le cas de candidats migrants, cela peut poser la question de la langue dans laquelle les épreuves (orales ou écrites) sont proposées, ainsi leur dimension transculturelle. L’évaluation critériéeconsiste à comparer, non pas le migrant à un groupe, mais ses compétences par rapport à un référentiel défini par consensus. L’évaluation performativeest la démonstration d’une capacité dans un contexte standardisé. L’évaluation authentique est apporter la preuve de sa compétence tout en prenant en considération le temps et les conditions d’exécution, ainsi que les savoir-être, comme des compétences psychosociales (esprit d’équipe, initiative, autonomie, responsabilité, réflexivité…), dont des compétences interculturelles (Manço, 2002), habiletés de communication, d’adaptation, de négociation dans des situations de diversité culturelle.
La reconnaissance des compétences et titres étrangers dans l’UE et au sein du Conseil de l’Europe est encadrée par la Convention de Lisbonne. Chaque pays signataire s’engage à prendre des mesures en conformité avec ses dispositions légales pour évaluer équitablement si les migrants remplissent les conditions pour l’accès à l’enseignement supérieur ou à l’exercice d’une activité professionnelle, même lorsque les qualifications obtenues ne peuvent être prouvées par des documents. L’intention est également adoptée par l’UNESCO qui recommande plus de souplesse dans l’examen des compétences des réfugiés en recourant à des mesures adaptées telles que des examens. Il convient de signaler le financement par l’UE de nombreux projets visant l’insertion professionnelle des populations immigrées. Ces fonds favorisent l’émergence de pratiques innovantes. Toutefois, l’application de ces dispositions sur le terrain présente une grande diversité. Selon le Migrant Integration Policy Index (2020), les pays nordiques, l’Allemagne et le Portugal se montrent favorables à la mobilité professionnelle des migrants. La Belgique et la France sont situées dans la moyenne des pays de l’OCDE, alors que la situation dans l’Est de l’Europe est défavorable. Si les initiatives les plus massives sont publiques, la créativité des actions associatives est inspirante et le rôle des associations d’immigrés ne doit pas être oublié (Teknetzis et Manço, 2023).
Initiatives publiques inspirantes
En Suède, l’Agence nationale pour l’enseignement supérieur et le service public d’emploi ont mis en place une validation des qualifications acquises à l’étranger comprenant un large partenariat d’acteurs. L’objectif est de permettre aux nouveaux arrivants (dont des réfugiés) de trouver rapidement un emploi correspondant à leurs qualification et expérience. L’approche s’emploie à leur trouver des parrains ou propose un processus de recherche d’emploi dans une visée holistique (emploi, logement, vie familiale, mobilité, santé, formation…). Depuis 2004, l’État et la Confédération suédoise des entreprises permettent aux migrants de travailler à l’essai (stages encadrés) pour se mettre en évidence dans un environnement professionnel : 40 % de ces tentatives débouchent sur des contrats. Des subventions existent pour le perfectionnement des personnes engagées afin de garantir la pérennité de l’emploi. Les personnes non insérées sont orientées vers les institutions d’enseignement pour l’ajustement de leurs capacités aux exigences du marché.
La question de la reconnaissance des compétences se pose en Norvège eu égard au nombre de migrants qualifiés : 40 % possèdent un diplôme d’études supérieures acquis à l’étranger. Créée en 2003 de la Norwegian Agency for Quality Assurance in Education est un service gratuit qui propose un accompagnement de six à huit semaines. La moitié des demandes d’équivalence est accordée au moins partiellement. La reconnaissance des qualifications permet aux migrants de jouir d’une condition avantageuse sur le marché du travail, bien qu’inférieure à celles des personnes ayant acquis leurs qualifications en Norvège. Une procédure simplifiée s’adresse aux migrants qui ne peuvent pas fournir les preuves de leurs qualifications. Elle est basée sur des entrevues avec des experts, adaptées aux compétences linguistiques des candidats. Il en est également ainsi de la validation des acquis de l’expérience menée avec la participation des syndicats. Souvent une formation additionnelle est indiquée pour valider les compétences, elle nécessitera la maîtrise des bases du norvégien. Pour les professions réglementées, l’examen (plus laborieux) est organisé par la chambre professionnelle concernée, bien que laisser décider les ordres de métiers semble produire des blocages.
Le système allemand de validation des compétences ambitionne d’arrimer des migrants qualifiés en tenant compte des besoins du marché du travail (Lejeune et Bernier, 2014). Der Qualifikationsrahmen, dispositif visant à faciliter la comparaison des titres, s’appuie sur la loi fédérale de 2012 et reconnaît aux migrants le droit de faire évaluer leurs qualifications dans les trois mois suivant leur demande. La procédure repose sur un référentiel numérique d’équivalences aux diplômes allemands ouvrant vers des professions réglementées. S’il s’avère que les qualifications sont similaires (durée de formation, connaissances acquises, expérience), une homologation est accordée. Elle est parfois assortie d’un complément de formation ou d’un examen réalisables en cours d’emploi. Tout refus est motivé. Le requérant doit fournir à des agences d’information les originaux de ses titres et autres documents pertinents. La reconnaissance des titres pour les professions non réglementées est conseillée (pour une régulation barémique), mais non obligatoire.
Au Portugal, différents ministères (Santé, Intérieur et Affaires étrangères) ont mis au point en collaboration avec des universités et des organisations non gouvernementales un programme pilote pour les médecins formés à l’étranger dont on a constaté qu’ils exerçaient des métiers faiblement qualifiés. Le programme prévoit la traduction de documents, des cours passerelles dans des facultés de médecine, des internats dans des hôpitaux et une formation linguistique spécifique à la profession. Les participants doivent réussir un examen final. À la fin du projet, quelque 90 % des participants exercent la médecine. Les participants sont suivis pendant un an pour s’assurer qu’ils sont durablement intégrés. Ce programme efficace datant des années 2000 est généralisé à d’autres professions qualifiées.
Initiatives associatives exemplaires
L’Association des Nouveaux Danois qualifiés, Novum, fondée en 2009 établit des ponts entre ce public et les PME qui souhaitent conquérir les marchés internationaux. L’initiative part du principe que les migrants qualifiés, de par leur expertise professionnelle, connaissance des marchés, de la culture des affaires et des normes, des langues, ainsi que leurs potentiels réseaux dans leur pays d’origine, peuvent faciliter les affaires des entreprises danoises dans ces régions. Entre autres activités, Novum propose du conseil et du soutien en matière d’emploi, ainsi que des formations pour les néo-Danois qualifiés. L’organisation les représente et les aide à conserver leur emploi.
En Suède, un projet d’insertion professionnelle des femmes migrantes qualifiées est initié par le Centre contre le racisme et un réseau de 90 organisations travaillant dans la lutte contre les discriminations, dont des associations afro-suédoises. Le constat est que pour un grand nombre de femmes immigrées jouissant d’un bon niveau d’éducation, la probabilité d’une insertion correspondant à leur qualification est inférieure à celui des hommes migrants qui eux-mêmes s’insèrent moins bien que leurs homologues suédois. Les objectifs poursuivis sont : améliorer le taux d’insertion des femmes immigrées, informer les employeurs et les agences d’emploi sur le potentiel des migrantes, et construire des liens entre demandeuses d’emploi immigrées et entreprises. Les activités menées sont la consultance, ainsi que la préparation de plans de carrière. Résultats : mises en formation et emploi (30 %), développement d’un réseau 800 entreprises partenaires, généralisation du dispositif aux hommes.
Le projet de valorisation du savoir-faire artisanal des migrants en France (La Fabrique nomade) envisage des compétences souvent transmises de manière non formelle. L’objectif est de permettre aux artisans de vivre de leur art et de faire face au déclassement socioprofessionnel. Le constat montre que la conversion professionnelle est difficile pour les migrants aux compétences non reconnues en France tels que potiers, brodeuses, sculpteurs. Bien souvent, leur entourage et les institutions d’insertion les poussent à abandonner ces métiers. On les encourage à aller vers des professions en demande (soins, entretien, bâtiment…). Le risque est de perdre une part de leur identité et d’accepter des emplois précaires. L’initiative se fixe comme but d’encadrer ces personnes en leur permettant d’exercer leurs métiers. Elles sont accompagnées dans la validation de leurs acquis et une coopérative est en charge de la commercialisation de leur production.
Exemples associatifs belges
L’initiative VITAR (Valorisation Identitaire, Transferts, Autonomie, Réalisations) menée par l’IRFAM vise à mettre à contribution les talents des personnes qualifiées issues de l’immigration en Belgique, dont des compétences citoyennes et interculturelles (Manço, 2002). L’insertion socioprofessionnelle est possible à travers la valorisation de leurs compétences spécifiques (De Bruyn et coll., 2009). L’initiative se déroule entre 2001 et 2007 et mobilise 145 participants (hommes et femmes) participant à deux cohortes de deux ans : formations et stages (en Belgique et à l’étranger) dans les domaines du commerce international, de la coopération au développement, de la création d’entreprises, des activités socioculturelles et de la formation à l’interculturel. Il s’agit de donner corps à un modèle de pratiques d’insertion socioprofessionnelle spécifiques pour ce public. Les évaluations menées deux ans après la fin de chaque cohorte montrent qu’un tiers des participants sont en emploi et autant en formation diplômante. Sept participants sur dix se disent satisfaits du déroulement et du contenu (Manço, 2008). Une évaluation à long terme est menée dix ans après la clôture et contacte une dizaine d’anciens participants (Felten, 2021). Elle montre que la moitié des anciens participants sont en emploi et qu’ils ont pu se maintenir dans des postes qualifiés dans le domaine du développement (chargé de projets, formateur, consultant, animateur). En outre, la moitié des répondants affirment avoir cofondé une ou des associations et participer activement à la société civile de leur localité (églises, syndicats, partis politiques). Tous affirment toutefois avoir bénéficié de l’aide sociale au cours de ces dix dernières années et être encore à la recherche d’un emploi stable dans leur domaine. Un suivi dans la recherche d’emploi et le lien avec les entreprises, après la fin du projet VITAR aurait, selon les participants, été utile afin d’avoir un meilleur impact.
L’association Culture in vivo, a lancé, en 2011, une formation nommée Actio (Alen, 2013). Elle vise à répondre à la pénurie de travailleurs dans l’industrie pharmaceutique en formant des techniciens de laboratoire. L’idée est de valoriser des diplômés étrangers (non reconnus) dans ce secteur.La formation s’étale sur huit semaines afin de valoriser leurs acquis et orienter les participants vers la fonction de technicien biomédical. Le programme et son stage immersif en laboratoire visent le retour à l’emploi ou un transfert vers des formations qualifiantes. L’évaluation auprès des stagiaires portant sur les trois premières cohortes montre que tous les candidats arrivent à la fin du parcours, 41 % atteignent l’objectif de l’emploi : le barrage de la langue et l’absence d’un suivi postformation sont identifiés comme des freins. Les participants relèvent l’utilité de rencontrer les anciens du projet, ainsi que de potentiels employeurs. La combinaison d’apports techniques et de compétences transversales est appréciée ; prolonger la formation et intensifier les liens avec les entreprises pourraient représenter des plus-values.
L’examen de ces dispositifs montre que si les travailleurs migrants qualifiés sont considérés comme une ressource pour les pays d’accueil, dans le cadre de professions « intermédiaires », proches de leurs qualifications, leur insertion s’accélère et les exemples identifiés parviennent rapidement à placer en emploi près de la moitié des cohortes. Ces actions sont souvent portées par de larges consortiums public/privé et impliquent les immigrés dès leur arrivée dans une approche holistique (un guichet unique face à des obstacles multiples). Les programmes proposés sont innovants, de courte durée, se basent en général sur un principe d’évaluation authentique avec immersion rapide en milieu de travail. Les compléments de formation sont prodigués en cours d’insertion professionnelle. La dimension psychologique qui vise l’acculturation au pays d’emploi est importante, notamment dans la gestion du deuil que des diplômés immigrés vivent : de la perte d’une position d’élite au pays d’origine vers la conquête d’un emploi intermédiaire au pays d’installation.
L’autopromotion comme résilience
Malgré ces initiatives, la valorisation des migrants qualifiés est insuffisante dans les pays d’installation. Aussi, il n’est pas étonnant de constater la présence importante des personnes immigrées dans le champ de l’auto-emploi qu’ils s’agisse de création d’entreprises (Sumption, 2013 ; Kuete et Manço, 2021) ou de lancement d’associations (Manço et Gerstnerová, 2016 ; Debelder, 2023). En 2019, le nombre de travailleurs indépendants au sein de l’UE représente 14 % des forces actives. Les chiffres montrent que c’est en Europe du Sud et de l’Est que le travail indépendant est le plus courant parmi les travailleurs immigrés. Dans certains pays (Pologne, Slovaquie, Tchéquie, Hongrie) où existent peu de dispositifs afin de valoriser les qualifications des migrants hors UE, la surreprésentation des immigrés parmi les indépendants (20 à 30 % des travailleurs étrangers) s’explique par la souplesse du régime des visas pour investisseurs étrangers. Selon les données de la Sécurité sociale des indépendants (2020), en Belgique également, le taux de travailleurs autonomes est plus élevé parmi les actifs nés à l’étranger (15 %) que ceux nés dans le pays (12 %).
Les précédents travaux de l’IRFAM (Gatugu et coll., 2001 ; Manço, 2005) suggèrent que l’activité indépendante ou associative peut être un choix par dépit pour nombre d’immigrés dont les diplômes et l’expérience professionnelle, obtenus dans la région d’origine, ne sont pas valorisés sur le marché de l’emploi du pays d’immigration. Pour Pécoud (2012) et De Angelis et coll. (2017), la création d’entreprises est une nécessité pour les immigrés confrontés à un processus de déqualification.
Une récente recherche-action de l’IRFAM analyse pourquoi des migrants développent en Wallonie des activités entrepreneuriales et examine les difficultés, mais aussi les structures d’opportunités qui permettent à ces personnes de trouver un appui ou non au sein de leurs communautés, auprès de structures d’accompagnement et sur le marché local (Kuete et coll., 2024). L’analyse permet de mettre en évidence leurs relations à divers moments de leur carrière : la proximité culturelle, mais aussi de nouvelles alliances. On mesure les effets de ces interdépendances non seulement sur l’activité économique, mais également sur l’inclusivité plus ou moins importante de la société d’accueil. C’est ainsi que la description du contexte dans lequel les entrepreneurs migrants développent leurs activités nourrit la compréhension du pourquoi et des facteurs de réussite de la création d’entreprises en contexte postmigratoire. Croiser les carrières d’entrepreneur et les carrières de migration (Martiniello et Rea, 2011) est ainsi une perspective éclairante.
La recherche a permis, en 2022, de rencontrer 61 créateurs d’entreprises hommes et femmes originaires de pays hors UE, établis à Liège et Namur. Au sein de l’échantillon empirique, 45 personnes sont détentrices d’un diplôme d’études supérieures, pour la plupart non reconnus en Europe. En Belgique, 40 % des indépendants d’origine étrangère ont un diplôme d’études supérieures (OCDE, 2011). Quelles motivations poussent les migrants qualifiés vers un statut d’indépendant ?
Raisons d’entreprendre
Plus des trois quarts des entrepreneurs migrants énoncent comme motivation à leur démarche d’entreprise la volonté de « devenir son propre patron ». Un quart des entrepreneurs disent avoir créé leur entreprise pour contrer la discrimination à l’emploi qu’ils ont dû affronter. À la question « Auriez-vous choisi de créer une entreprise en Belgique, peu importe votre situation professionnelle ? », 25 des 61 indépendants migrants répondent par l’affirmative, même si six d’entre eux déclarent qu’ils auraient préféré un statut de salarié, s’ils avaient eu le choix, mais leur situation ne l’a pas permis. En témoignent ces participants au projet Briller Ensemble à Namur (BEN) mené en collaboration avec l’IRFAM qui a pour but de présenter des expériences de personnes d’origine étrangère, travailleuses indépendantes ou cheffes d’entreprise pour déconstruire les préjugés afin de favoriser la diversité sur le marché du travail namurois :
« Les non européens ne peuvent pas occuper certains types de fonctions. J’avais déjà en tête de lancer mon entreprise, en pensant à mes enfants aussi, pour leur transmettre » (comptable indépendant). « La plupart des difficultés que les étrangers rencontrent ici, c’est au niveau des équivalences [des diplômes] et des accès à la profession. On va commencer à mettre devant eux, un mur » (entrepreneur dans la restauration). « On se disait “qu’est-ce qu’on va faire en Belgique ?” On faisait du nettoyage. Moi j’ai dit “non”, moi j’ai mon métier » (coiffeuse).
Le tableau est similaire pour la question « Auriez-vous choisi le même secteur d’activité, peu importe votre situation en Belgique ? » : 26 réponses positives pour dix réponses négatives, et le reste ne sachant pas se positionner. De nombreux répondants ajoutent que la raison derrière leur choix de s’investir dans un secteur en particulier est principalement due à la conjoncture familiale, sociale et administrative dans laquelle ils se trouvaient avant de lancer leurs affaires. Ces constats sont cohérents avec les travaux de Volery (2007) qui propose une approche multidimensionnelle pour expliquer les logiques pour lesquelles des migrants se lancent dans la création d’une entreprise. Il énumère quatre aspects sur la base desquels les commerçants migrants pourraient être différenciés des travailleurs immigrés salariés : (1) caractéristiques psychologiques spécifiques telles que le besoin d’accomplissement, la volonté de contrôle sur sa vie et la propension à prendre des risques, dans un contexte social où ils estiment vivre des exclusions ; (2) l’accès à l’information utile grâce à un passé particulier et des réseaux ad hoc ; (3) capacité d’analyser les opportunités et de les transformer en projet d’affaires ; (4) goût pour affronter des défis, des dispositions de jugement rapides et efficaces. Il en ressort que la médiation de facteurs environnementaux constitue à la fois un contexte de contraintes et offre des structures d’opportunités avec lesquelles l’entrepreneur doit interagir. Une partie de ces facteurs sont spécifiques aux migrants (comme la sélectivité de la mobilité internationale qui favorise des individus qualifiés) et font référence aux éventuelles difficultés linguistiques, aux barrières administratives, aux discriminations.
Pour la moitié des entrepreneurs, ces difficultés inspirent de la résilience et de l’ardeur pour préparer leur activité. En revanche, pour un quart des répondants, les barrières éprouvées évoquent des pertes et leur vulnérabilité.
« Au début, quand j’ai lancé mon entreprise, je n’ai pas eu les bons réflexes d’aller vers des structures d’accompagnement. Je ne savais pas qu’elles existaient » (ingénieur, entreprise de conseil en informatique). « J’avais du mal à trouver du travail. J’avais beaucoup de mal à gagner la confiance du client. Dès qu’on entend l’accent, le client ne te rappelle pas et te dit qu’il a trouvé quelqu’un d’autre » (ingénieur, créateur d’une entreprise de construction).
Face aux problèmes, les répondants estiment que la mise en place de plateformes entre acteurs chargés de soutenir les créateurs d’entreprises, d’une part, et d’autre part, des immigrés qui ont lancé des affaires commerciales permettraient une interconnaissance entre créateurs migrants et administrations ou structures chargées de les soutenir. Ils pensent que ce type de dispositifs d’information et de réseautage contribueraient à des prises de conscience, de part et d’autre, afin de mieux comprendre les besoins et les opportunités mutuelles. Ils voient les associations créées par les migrants jouer un tel rôle d’intermédiation.
Vers une typologie
L’analyse des entretiens avec les créateurs d’entreprises immigrés suggère une structuration des observations autour de deux axes. D’une part, la motivation à la base du lancement de l’entreprise : celle-ci peut faire l’objet d’un désir ou d’une « passion », selon certains, et s’inscrire dans la suite d’une expérience académique ou professionnelle et consister en une « démarche par opportunité » (Volery, 2007). L’exercice d’une profession indépendante peut aussi faire l’objet d’un « non-choix », être une situation subie par le travailleur migrant, contrarié dans son insertion ou avancement professionnel. D’autre part, la taille de l’entreprise considérée au moment de l’interview : au sein de l’échantillon, cet indicateur peut varier de la seule personne de l’entrepreneur (la moitié) jusqu’à une équipe de 20 travailleurs. La distribution de cet indicateur est également en relation avec d’autres variables, comme le nombre et l’origine des associés et partenaires d’affaires.
La majorité des personnes qui subissent le statut d’indépendant travaillent seuls ou au sein d’une équipe réduite et composée par des personnes de leur origine. En revanche, les répondants qui aurait créé leur entreprise quelle que soit leur situation professionnelle sont plus équitablement répartis entre entreprises de tailles diverses et de degré d’hétérogénéité différent quant à la provenance de la main-d’œuvre.
L’anamnèse des entrepreneurs d’opportunité montre qu’une majorité y bénéficie de la présence, parmi leurs proches, de commerçants et de chefs d’entreprise, voire de personnes exerçant la même activité qu’eux. Ces entrepreneurs reconnaissent s’en être inspirés et avoir été conseillés par ces personnes (Kuete et coll., 2021). Les entrepreneurs par nécessité sont rarement accompagnés dans la création de leur entreprise, même s’ils sont nombreux à avoir été confrontés à des difficultés, en lien avec des préjugés sur leurs origines.
Conclusion et recommandations
La non-reconnaissance des titres académiques et expériences professionnelles, la déqualification des diplômés, l’ethnostratification de l’emploi, la fermeture de certains postes aux étrangers et la rareté d’une offre d’accompagnement en matière d’insertion pour le public migrant qualifié sont, en Belgique, les moteurs d’une discrimination systémique. Les travaux présentés permettent de cerner les déterminants de ce phénomène qui équivaut à gaspiller des talents. Cette perte affecte tant les travailleurs concernés et leurs familles que les économies des pays d’origine et d’accueil. Le marché du travail est régi par une logique de maximisation du profit des entreprises grâce à la mise en concurrence des salariés, à l’inflation des diplômes, à la pression à la baisse sur les salaires et la qualité des conditions de travail.Il est aussi de plus en plus exigeant envers les travailleurs et vise à disposer d’un personnel qualifié, polyvalent, mobile et flexible. Cela conduit à une dualisation du marché avec un secteur central qualifié, lucratif, valorisé, sécurisé et une périphérie comprenant les corvées exercées dans des conditions précaires (Leduc et Genevois, 2012). Dans ce contexte, les travailleurs, même qualifiés, considérés comme étant à la marge (les migrants) sont jugés moins concurrentiels que d’autres, du fait de la suspicion pesant sur la qualité de leurs qualifications et afin de protéger les travailleurs locaux.
La question de la reconnaissance des compétences des migrants est politique : qui accepter dans l’emploi et qui non ? Cette reconnaissance n’est pas seulement une considération de leur qualification comme équivalente à celle des natifs, mais aussi une acceptation de ces étrangers comme des citoyens compétents, dont la production est un vecteur d’identité et une valeur ajoutée. Ne pas reconnaître leurs compétences est discriminatoire et préjudiciable à leur épanouissement. C’est un déni de droits (Gatugu, 2018). Il contrevient aussi au développement de la société de laquelle désormais ils font partie. A contrario, la reconnaissance des compétences contribue à leur valorisation identitaire et professionnelle. Cela se traduit par une mise à l’emploi facilitée dans un poste correspondant leur profil, un développement personnel et une contribution à la collectivité (Manço et coll., 2017).
En Belgique, les principaux obstacles à la reconnaissance des acquis professionnels des immigrés sont d’ordre institutionnel : lourdeur de la procédure, coûts directs et indirects, absence des critères objectifs d’évaluation, institutions impliquées non coordonnées, méfiance a priori à l’égard de certains diplômes, etc. Certes, la reconnaissance universelle des compétences est inconcevable vu la diversité des systèmes de formation, il s’agit de chercher à ajuster les compétences des migrants au contexte culturel et économique du pays d’accueil.
En l’absence d’un tel principe, l’auto-emploi apparaît comme une issue valorisante pour nombre de personnes migrantes. Notre synthèse montre que la création d’entreprise peut être une voie de résilience si l’environnement proximal de l’entrepreneur (famille, communauté, structures d’aide) se montre soutenant. Parmi les tuteurs de résilience, force est de constater que les éléments communautaires sont plus bénéfiques que les éléments institutionnels : très peu de migrants consultent les structures d’aide à la création d’entreprise et très peu de ces organismes se penchent sur la spécificité des porteurs de projets issus de l’immigration.
Pour dépasser cette situation préjudiciable, nous allouons des recommandations aux acteurs politiques et institutionnels belges, ainsi qu’aux migrants qui expérimentent la déchéance professionnelle. Ces préconisations sont issues de notre pratique d’accompagnement de praticiens de l’insertion et sont corroborées par de nombreux rapports internationaux, dont le guide pratique de l’OIT (2020) pour faciliter la validation des compétences des migrants, celui de l’OCDE (2019) et le rapport L’équivalence des diplômes : passeport pour l’emploi des personnes d’origine étrangère de la Fondation Roi Baudouin (2014), de même que le guide de l’OCDE afin de soutenir l’entrepreneuriat des personnes immigrées en Wallonie (Lavison et coll., 2023).
Décideurs et acteurs
Afin de valoriser le plus tôt possible les personnes primo-arrivantes qualifiées, la première étape est de faciliter l’accès à une information critique sur la validation de leurs compétences. Sur ce terrain persiste une complication à obtenir une indication de qualité, de même qu’une difficulté à identifier l’intérêt de l’équivalence dans chaque situation, compte tenu de la procédure et des possibilités sur le marché de l’emploi. En effet, l’épanouissement socioprofessionnel peut être accessible par diverses trajectoires. L’expérience internationale montre que cette orientation est mieux servie par un guichet unique capable d’une prise en charge holistique des individus. L’approche nécessite un consortium autour de structures dédiées comme les centres régionaux d’intégration en Wallonie. Si une reconnaissance de titre devait s’imposer, les conditions à remplir et la liste des documents demandés sont importantes et la procédure rigide : nombreux blocages administratifs limitant l’accès à diverses professions ont disparu des régions voisines alors qu’elles persistent encore en Belgique francophone. Les organisations internationales conseillent la gratuité des services et une plus grande souplesse, notamment dans le cas de personnes réfugiées (copies numérisées, traductions automatiques, preuves alternatives). L’ensemble de ces opérations gagneraient à être mises en œuvre avec la collaboration d’employés issus des pays d’origine et des associations d’immigrés, ainsi que des réseaux médiatiques qui s’adressent aux groupes cibles. Les services de l’État et ceux financés par l’argent public doivent montrer l’exemple en mobilisant un personnel diversifié. En suivant l’exemple allemand, la mise au point d’un cadastre numérisé des compétences des migrants permettrait plus d’objectivité, de célérité et de transparence aux décisions administratives, tout en garantissant à la procédure de reconnaissance des diplômes une plus grande cohérence à l’échelle européenne.
Une autre façon de valoriser les compétences des travailleurs immigrés et de lutter contre la discrimination à l’emploi est de généraliser un système de stages payés en entreprise (pour candidats qualifiés), à l’instar des pays nordiques, d’autant plus que de nombreuses fonctions sont actuellement sous tension. La démarche se base sur la responsabilisation tant des employeurs amenés à juger des compétences nécessaires à leur industrie que des candidats issus de l’immigration à démontrer leurs savoir-faire. Bien entendu, des formations d’appoint pourraient être proposées là où nécessaires, grâce à un partenariat avec les structures d’insertion professionnelle. L’approche intégrée comprendra utilement l’implication du secteur de l’intégration afin de sensibiliser à la diversité et aux apports des migrants et accompagner la création de pratiques inclusives. L’expérience de l’IRFAM montre l’importance de traiter les « impensés de l’insertion » : questions de mobilité (en particulier dans les zones non urbaines), de numérisation, de garde d’enfant, de cours de français en entreprise, de tutorat au travail soutenu, par exemple, par les fonds de formation sectoriels, afin d’accéder à des postes de qualification intermédiaire, mais aussi de « pièges à l’emploi » comme la surtaxation des demandeurs d’asile logés dans les centres d’accueil.
L’observation montre combien l’entrepreneuriat est une des voies de la valorisation des talents des personnes immigrées. Informer mieux sur les initiatives en matière d’accompagnement en collaboration avec des associations communautaires et leurs médias est une voie à approfondir. Les structures du domaine doivent appréhender les modes de fonctionnement et les ressources des entrepreneurs migrants : service multilingue, professionnels d’accompagnement également issus de l’immigration, meilleur accueil des projets portés par des collectifs. Reste à alléger les démarches administratives relatives à l’entrepreneuriat des personnes migrantes en supprimant la carte professionnelle (un anachronisme de la Belgique francophone) et en facilitant l’accès au crédit des candidats d’origine étrangère. Il s’agit également de visibiliser (notamment sur les réseaux sociaux) l’entrepreneuriat des personnes migrantes et améliorer le regard sur ce groupe, mais aussi nourrir la vocation entrepreneuriale au sein de ces communautés : appels à projets dédiés aux publics éloignés de l’emploi, plateformes d’échange notamment avec des migrants ayant réussi dans l’entrepreneuriat, projets de mini-entreprises au sein des écoles des quartiers populaires, etc.
Reconnaissance contre déchéance
L’amélioration du regard sur le groupe des personnes d’origine étrangère est un facteur déterminant dans le soutien aux projets professionnels qu’ils soient entrepreneuriaux ou non de ce groupe tant on connaît le poids des stéréotypes et leurs impacts négatifs sur la perception de soi et la confiance en ses propres capacités de réussir. La psychologue Racky Ka montre l’impact des stéréotypes négatifs sur les personnes noires en France (par exemple celui d’être perçu comme moins intelligent par rapport au groupe dominant des personnes blanches) et comment ces croyances stéréotypées sont intériorisées et ont des conséquences négatives sur la réussite, l’épanouissement personnel et professionnel des personnes concernées. La psychologue reçoit régulièrement en consultation des patients qui vivent au quotidien des situations d’injustice et « qui se demandent pour quelle raison ils n’ont toujours pas trouvé de travail, contrairement à leurs camarades blancs ». Elle rapporte, dans une interview de R. Diallo et G. Ly que ses patientes, qui sont à 95 % des femmes noires, certaines sont en arrêt maladie pour un burn-out directement lié à des procédures discriminantes (par exemple non reconnaissance des diplômes) ou à des comportements et propos discriminants répétitifs vécus en entreprise (remarques, pressions, etc. liées à leur couleur de peau). La majorité des entrepreneurs rencontrés pour la présente étude témoignent eux aussi avoir subi des moqueries, mises en doute de leur projet, commentaires désobligeants sur leur accent, stéréotypes sur leur apparence physique et leur genre. Ils conseillent les jeunes entrepreneurs issus de la diversité qui souhaitent démarrer leur projet entrepreneurial :
« Peut-être que les gens vont se moquer de toi, mais tu dois expliquer ton savoir-faire. Tu t’en fiche, tu passes à autre chose » (entrepreneur en bâtiment). « Mes collègues blanches et blancs me disaient : “Est-ce tu vas y arriver ? Qui va venir à tes consultations ? Qui va venir dans tes formations ? » (infirmière, somatothérapeute).
Les propos discriminants ou les mises en question des compétences répétées entraînent des conséquences néfastes à long terme sur la santé mentale et la qualité de vie des personnes concernées telles que de l’anxiété, du stress, des états dépressifs, des troubles du sommeil, etc. Ces difficultés détériorent leur confiance en elles, leur estime de soi, leur confiance en l’avenir, en leurs capacités et compétences. La confiance dans la société d’accueil est également entamée. La confiance est pourtant un des éléments cités comme essentiel par les entrepreneurs dans la réalisation de leur projet professionnel et leur épanouissement personnel :
« Si vous avez un projet qui vous tient à cœur, il faut avoir la confiance en soi, l’estime de soi et la détermination. Et aussi il faut aller dans les réseaux pour communiquer avec les autres. » « Il ne faut pas avoir peur. Il y a beaucoup d’aides qui existent, il faut aller voir. » « On peut faire tellement de grandes choses si on se donne les moyens d’aller au-delà des préjugés. Croyez en vous ! »
Marie Dasylva, « coache de survie au travail pour les personnes marginalisées » accompagne des travailleurs et travailleuses minorisés ayant vécu des situations de discriminations sur leur lieu de travail. Elle aide à combattre ces discriminations en utilisant de nombreuses techniques qu’elle a mises au point grâce à son propre vécu et les répertorie dans un ouvrage où elle voulait « raconter ce qui se passe dans nos tripes quand on est agressé, micro-agressé, rabaissé ou humilié par les discriminations ». Selon l’autrice, une personne marginalisée en société (c’est-à-dire qui ne serait ni blanche ni hétérosexuelle) se trouve dans une situation de survie au travail, davantage encore si elle est assignée à des métiers dévalorisés tels que les métiers du nettoyage, du bâtiment, de l’Horeca. Son ouvrage liste des techniques de survie à destination des personnes concernées comme recenser ses réussites, connaître ses droits, se syndiquer, réseauter et s’entourer. Interrogée par C. Lesacq (2022), Dasylva estime cependant que la démarche la plus efficace doit être la mobilisation collective et la volonté politique de traiter de ces questions, car il existe des véritables impensés de la part des pouvoirs publics : « En France, on a l’arsenal juridique nécessaire pour lutter contre les discriminations. Ce qu’il manque c’est la volonté radicale de l’appliquer. Aujourd’hui, le racisme subi n’est absolument pas reconnu comme une maladie professionnelle alors que les oppressions ont un réel impact sur l’individu ».
Les pouvoirs publics et les entreprises prennent de plus en plus conscience de l’importance de traiter les questions de santé mentale dans leurs politiques de santé, d’emploi, d’éducation et encouragent les pratiques d’inclusion que ce soit dans leurs instances ou auprès des entreprises. Par ailleurs, une concertation entre les politiques de santé, d’emploi d’action sociale et de formation serait intéressante à mettre en place afin de les harmoniser et de rendre plus efficaces les solutions multisectorielles apportées aux problématiques rencontrées par des individus se trouvant à l’intersection de ces différents champs de compétences. La Flandre, par exemple, a particulièrement investi dans l’évaluation détaillée de la santé mentale des personnes bénéficiant d’une allocation de chômage afin de détecter précisément les obstacles, les problèmes sous-jacents et apporter un traitement le plus pertinent possible. L’accès aux soins de santé doit également être renforcé et garanti, davantage encore pour les personnes migrantes confrontées à une discrimination systémique sur le marché de l’emploi, et à une précarisation des conditions de travail. Il importe de rendre accessibles les lieux de soins en santé mentale et de diffuser des informations sur les troubles mentaux afin d’en assurer leur détection précoce. Des campagnes de sensibilisation devraient promouvoir des environnements de travail inclusifs et non discriminants. La mise en place des procédures internes d’accompagnement et de gestion du bien-être au travail (procédure d’accueil des nouveaux travailleurs, réception et de suivi des plaintes déposées, évaluation des politiques de diversités et de bien-être, projets de conciliation entre vie de famille et vie professionnelle…) sont bénéfique pour tous et participent à conscientiser les responsables d’équipe du « racisme ordinaire » et de la nécessité de prendre en charge les travailleurs et travailleuses ayant subi des discriminations. Elle contribue encore à une prévention des risques liés à la discrimination.
Notre expérience appelle ainsi à développer davantage de recherches et d’évaluations de pratiques dans les domaines évoqués. Il s’agit de jauger les dispositifs pour en apprécier la pertinence et l’efficacité, et d’appliquer les conclusions. Pour encourager cette rare démarche, il serait utile de favoriser les échanges transfrontaliers entre structures d’accompagnement belges francophones et d’autres initiatives. Un observatoire et un appareil statistique devraient accompagner ces offres de services afin de fournir une vue transparente sur leurs impacts en termes d’inclusion. L’IRFAM et ses partenaires sont en cours d’inventorier les résultats obtenus par les migrants qui ont introduit une demande de reconnaissance de diplôme ces dix dernières années afin de relever les limites de cette démarche coûteuse tant pour les personnes concernées que la collectivité.
Personnes migrantes
Une série de recommandations visent spécifiquement les personnes immigrées qualifiées. Il s’agit de l’importance d’actualiser et d’adapter ses savoirs, savoir-faire et savoir-être aux réalités et opportunités des pays d’implantation. Tant la littérature internationale que les pratiques d’accompagnement en insertion montrent avec insistance que la transférabilité directe des compétences est un leurre. Chaque candidat doit examiner avec objectivité ses apports en regard des exigences du marché de l’emploi européen et au besoin accepter de se reconvertir vers d’autres métiers qualifiés, se former et adapter ses pratiques, connaissances et compétences aux us et coutumes locaux. Cela implique de mobiliser des réseaux ad hoc, de s’informer sur les dispositifs d’insertion et autres opportunités pour personnes qualifiées comme la création d’entreprise, d’apprendre de l’expérience des migrants qui ont réussi dans cette voie. De nombreux migrants qualifiés sont ouverts à l’offre de formations. Une reprise d’études (compte tenu des dispenses possibles au sein des universités) peut être bien plus valorisante et utile qu’une démarche de reconnaissance de titre. Il en est de même d’une valorisation des acquis de l’expérience (nonobstant les questions de langue, de domaine, de délais et de mobilité que cela peut poser). Dans ces champs, le rôle d’information, d’illustration, de discernement et d’éducation permanente revient aussi à des associations de migrants qui doivent être soutenues dans cette tâche (Teknetzis et Manço, 2023 ; Debelder, 2023).
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