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Fast track to jobs : microformations et microcertifications de gestes professionnels

Andrée Debrulle et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette analyse
Andrée Debrulle et Altay Manço, « Fast track to jobs : microformations et microcertifications de gestes professionnels », Analyses de l’IRFAM, n°6, 2024.

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Chômer n’est pas un métier! Un emploi, c’est plus qu’une activité rémunératrice couverte par un contrat, c’est (re)trouver une place dans la société par-delà le travail. C’est aussi recouvrer la santé physique et mentale. C’est encore se faire du bien à soi et à son entourage. Exclure n’est pas résoudre : retirer aux personnes en situation d’inactivité de longue durée le bénéfice d’allocations sociales — comme un vent politique actuel le suggère —, sans corollairement se pencher sur qui sont ces exclus et pourquoi ils le sont, n’est qu’une stigmatisation de plus qui appauvrira l’ensemble de la communauté.

L’expérimentation discutée dans le présent texte trouve son origine dans un projet soutenu par l’Union européenne (UE) dans le cadre du programme Erasmus + et appelé SKY pour SKills for long term unemploYed. Elle a été menée par le Comité Européen de Coordination (CEC) basé à Bruxelles et dont l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM) est un des membres et collaborateurs depuis une quinzaine d’années.

Iconoclaste, l’objectif de ce projet est de déconstruire les offres d’insertion socioprofessionnelle courantes qui ne traitent pas adéquatement de la (re)mise en emploi de personnes durablement éloignées du monde du travail, afin de proposer des alternatives probantes. L’expression « durablement éloigné » renvoie à un groupe de personnes souvent pointées pour leur « responsabilité personnelle » dans la situation de « non-contribution à la société » dans laquelle elles se trouvent.

Cette analyse fut écrite en 2024, année de multiples élections en Belgique et ailleurs en Europe. C’est un moment propice à des exercices de musculation oratoire, donnant à certains l’occasion de stigmatiser les chômeurs et les immigrés, les désignant comme responsables du déficit budgétaire du pays et de l’insécurité qui y serait ressentie. Il s’agit d’un discours non seulement infondé, mais aussi inefficace dans la mesure où il omet d’interroger les dogmes et les pratiques en matière de formation professionnelle et d’insertion en emploi en application. À travers l’expérimentation SKY, nous souhaitons revoir les pratiques d’activation répétitives et vexatoires qui ne permettent pas aux intéressés d’atteindre rapidement un contrat, et de mettre en exergue d’autres initiatives qui rafraîchissent les actions dans ce domaine et arrivent à raccourcir le chemin qui mène les chômeurs de longue durée vers le travail.

Les origines

L’inspiration de ce projet vient de l’intérêt manifesté, en Belgique, au dispositif français des « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée » (TZCLD). Même si cet intérêt prend du temps à être concrétisé, l’initiative SKY entend jouer un rôle d’accélérateur dans cette mise en pratique. TZCLD vise à mettre l’économie au service de la société et, en priorité, au service de celles et ceux qui sont les plus exclus de l’emploi et donc d’une citoyenneté capacitaire.

L’ambition est de permettre aux gens de retrouver, par le travail, leur dignité et une place dans la société. Il s’agit de mobiliser des acteurs économiques et des territoires autour d’un projet social positif, d’aborder des questions de société, notamment sur l’économie et le marché de l’emploi, par la praxis.

Un calcul met rapidement en évidence le coût social et humain du chômage, l’approche TZCLD souhaite démontrer que les bénéfices générés par le retour à l’emploi sont supérieurs au coût de l’insertion et du chômage. L’Association TZCLD a ainsi été créée en 2016 pour assurer la mise en pratique de cette vision. Il s’agit de montrer concrètement qu’il est possible, à l’échelle de territoires locaux et sans surcoût pour la collectivité, de proposer à tout chômeur de longue durée qui le souhaite, un emploi à durée indéterminée, à temps choisi, en développant des activités utiles à une région et à sa population.

Pour les initiateurs de la démarche TZCLD, l’emploi est un droit objectif. De nombreuses lois dans différents pays européens le prévoient s’appuyant sur la Déclaration universelle des droits humains (article 23), même s’il s’agit souvent de mesures programmatiques plus que d’un vrai droit fondamental, offrant, par exemple, la possibilité d’un recours devant des juridictions, en cas d’exclusion. Un autre postulat des TZCLD est : « personne n’est inemployable ». Toute personne durablement privée d’emploi a des savoir-faire et des compétences à faire valoir. Enfin, pour TZCLD, ce n’est pas le travail qui manque, mais l’emploi, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits et ce n’est pas le contexte démographique actuel occasionnant des pénuries de main-d’œuvre qui le démentira.

Ainsi, le projet TZCLD bouleverse les approches classiques du marché du travail en mettant en évidence un autre modèle économique que celui qui entend — mais avec peu de succès — répondre au problème du chômage de longue durée. Le projet TZCLD remet en perspective le lien entre emploi et dignité, d’une part, et entre emploi et solidarité, d’autre part, au sein d’un territoire qui s’en trouve redynamisé.

Dans cette nouvelle approche, on abandonne la logique qui veut que le chômeur soit seul responsable de sa situation de sans-emploi. On abandonne aussi l’inquisition lui reprochant son (in)aptitude, ses (mauvais) choix de formation, son (in)disponibilité et son (in)employabilité, voire son inappétence face à un marché du travail ne voyant en lui qu’un coût ou une variable d’ajustement.

L’emploi, quant à lui, est vu comme un bien de première nécessité et considéré dans une logique de complémentarité au sein d’une communauté territoriale. Le projet TZCLD se caractérise en effet par la place déterminante accordée à l’échelle locale. La récente crise sanitaire, par exemple, a mis en évidence l’importance de la dimension territoriale et de ses multiples liens, au sein desquels le rôle essentiel des acteurs de proximité est à souligner. Sans que cette proximité ne devienne un obstacle au déploiement des actions, les acteurs locaux sont les plus aptes à mobiliser les ressources disponibles et à faire la correspondance entre compétences décelées et besoins identifiés.

Une première en Belgique francophone

La transposition du projet TZCLD dans le contexte belge a été entamée dès 2019 par la mise en œuvre d’une expérience menée dans la région de Charleroi, zone paupérisée par des crises économiques successives. Cette expérimentation fut conduite en dehors de tout cadre réglementaire et en front commun par deux des trois syndicats interprofessionnels belges (la FGTB et la CSC). Elle fut soutenue par un comité ad hoc animé par l’Instance Bassin Enseignement Formation Emploi (IBEFE) du Hainaut Sud. Cette instance qui réunit tant les représentants des employeurs (dont les communes) que ceux des travailleurs, ainsi que ceux de l’enseignement qualifiant et de la formation professionnelle, est à la fois un territoire et un dispositif institutionnel. Le territoire du sud du Hainaut se compose de 27 municipalités et l’IBEFE assure un rôle d’interface et de concertation entre les interlocuteurs cités. Elle insiste sur l’importance de la complémentarité entre besoins, ressources et acteurs.

La démarche nécessite de construire une « fabrique de consensus », pour assurer que le projet soit porté par tous les acteurs locaux : ceux issus du monde politique, du monde des entreprises et des organismes, ainsi que de la population, en l’occurrence les personnes sans emploi. Dans un pays comme la Belgique, la situation est rendue particulièrement complexe par la répartition des compétences entre entités fédérales et fédérées, comme une publication de l’IRFAM l’a montré (Debrulle, 2021). Par ailleurs, éviter que le débat ne soit confisqué par les institutions est aussi un préalable complexe et indispensable qui prend du temps. La mobilisation des demandeurs d’emploi (volontaires) dont il faut recenser les savoir-faire et le positionnement face au travail et à la formation est encore un point particulièrement sensible, comme l’analysent diverses organisations d’éducation permanente. Enfin, il faut identifier les « travaux utiles » sur le territoire (défini par référence à des quartiers relégués) en veillant à y associer les entreprises et les associations locales adhérant au projet, afin de lister les besoins collectifs à satisfaire.

Le projet SKY ou comment sortir de l’approche basée sur les compétences

Porté par les convictions des TZCLD, le projet SKY s’est focalisé sur des points liés à la question de la formation et de la certification du public éloigné de l’emploi. Comment réconcilier un public fragilisé avec l’emploi et la formation ? Comment aborder avec eux la question de la formation pour quels besoins identifiés ? Comment en construire la complémentarité avec les ressources et les habiletés des personnes éloignées du marché du travail ? Comment ajuster l’équilibre entre les mises en emploi rapides et l’impératif de la qualification ? Comment organiser, dans ce champ, le concours des entreprises qui connaissent des pénuries de main-d’œuvre et qui s’engagent dans l’accueil d’un public sans expérience professionnelle ? Comment, enfin, adapter au mieux et améliorer, dans le contexte européen institutionnellement diversifié, les principes du projet TZCLD ? Tels sont les défis envisagés par l’action SKY à la lumière des difficultés identifiées dans le cadre des précédentes expérimentations françaises.

En tant que projet financé par les instances européennes, l’initiative SKY s’inscrit dans le cadre du Socle européen des droits sociaux, adopté en 2017. Cet instrument non contraignant permet à l’UE de fixer un cadre et des objectifs en matière socio-économique, en cohérence avec les politiques sociales de chacun des États membres. Mais l’UE ne peut légiférer en matière sociale que de façon limitée, les États membres gardant l’essentiel du pouvoir en cette matière. En 2021 à Porto, les États membres ont privilégié, trois grandes finalités structurant les politiques sociales européennes, à l’horizon 2030 : (1) un emploi pour au moins les 78 % des 20-64 ans (cette valeur fut de moins de 75 % en 2022) ; (2) une participation à des formations pour au moins 60 % des adultes (ce chiffre est de 38 % en 2016) ; et (3) une réduction de 20 % de la population de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale (qui s’élève à 74 millions en 2021).

Tenir compte des spécificités du public

Proche de cette dernière catégorie de population, le groupe cible du projet SKY est caractérisé par le fait qu’il s’agit de personnes durablement éloignées de l’emploi et souvent étrangères également à l’habitude de se former dans un schéma académique classique. Les raisons de cette situation vont (1) d’une scolarité contrariée (personnes en décrochage scolaire) ou (2) d’un arrêt prématuré des études (jeunes ni à l’emploi ni en enseignement ni en formation) à (3) l’inactivité prolongée pour diverses raisons (femmes dites « rentrantes » sur le marché du travail, travailleurs victimes d’une restructuration avec des compétences désuètes, en difficulté face à la numérisation, immigrés aux diplômes non reconnus, ne maîtrisant pas la langue du pays d’installation, victimes de discriminations, etc.), en passant par (4) l’obstacle que constitue, dans cette trajectoire, la perte de l’estime de soi, sans oublier (5) les questions liées à des difficultés de cognition, d’attention ou de concentration, ainsi que (6) les troubles de la santé mentale (personnes en situation de burn-out, d’addiction, malades de longue durée…) conduisant à un rejet des méthodes et des institutions liés aux apprentissages formels.

Les constats et expériences dans le cadre du CEC ont montré que les formations professionnalisantes proposées à ce groupe cible, vaste et polymorphe, restent trop formelles et longues. Elles font souvent appel à des technologies de l’information peu accessibles aux personnes ciblées pour des raisons sociales et économiques. Des problèmes d’accessibilité se posent également en matière de mobilité, ou à travers des questions linguistiques et culturelles. Ces formations ont recours à des connaissances théoriques qui semblent trop éloignées du savoir-faire pratique (geste, adresse, inventivité…) détenu par le groupe cible. En revanche, un grand nombre de personnes présentent des habilités par le fait d’expériences professionnelles ou personnelles passées, d’engagements sociaux bénévoles ou d’activités de loisirs. Ces facilités gestuelles — comme la compréhension du positionnement spatial fort utile pour la pratique de métiers d’adresse — sont souvent ignorées par les organismes de formation ou d’insertion, ainsi que les entreprises.

Pour soutenir l’implication de ce public cible spécifique, le projet SKY a souhaité s’inscrire dans une démarche de satisfaction partagée entre, d’une part, les chômeurs de longue durée et, d’autre part, un territoire et ses acteurs : l’objectif étant de retisser du lien social, mais aussi de reconquérir, au-delà des aptitudes professionnelles, une revalorisation personnelle.

Habiletés contre compétences

Comme les classements de l’UE ou de l’Organisation Internationale du Travail le montrent, l’approche de l’enseignement ou des formations techniques et professionnelles est fortement centrée sur l’acquisition de compétences formatées au sein de référentiels de métiers. Le schéma pyramidal des compétences développé dans les années 2000 par le Département du Travail des États-Unis hiérarchise neuf paliers organisés en trois axes : les paliers liés à l’occupation, ceux liés au secteur d’activité et les compétences fondamentales s’appuyant sur une expérience formelle. Manifestement, l’approche voudrait que des objectifs formels définissent les accomplissements à obtenir — qui brassent des connaissances, des savoir-faire et des savoir-être — au départ d’aptitudes académiques existantes. Pareille architecture des savoirs écarte les habiletés informelles ou non formelles et rend très complexe l’accès aux qualifications de personnes qui, pour diverses raisons, n’ont pas pu accéder aux niveaux académiques considérés comme étant un socle nécessaire de compétences.

Les approches évoquées ici procèdent d’une hégémonie du savoir maîtrisé au détriment des « capacités à faire » soit une hiérarchisation qui ne facilite pas l’insertion professionnelle d’une importante part de la population peinant à entrer dans des cases préformatées. Le projet SKY a opté pour une autre méthode, dite des « microformations », qui part des habiletés avérées des publics réputés éloignés de l’emploi et tente de les épanouir à travers des approches formatives brèves, basées sur la pratique, et qui présentent l’avantage d’être modulables. Ces formations brèves contribuent ainsi, de proche en proche, au développement d’une maîtrise professionnelle au travers de la valorisation des acquis de l’expérience.

Dans une démarche inductive, l’apprenant est accompagné dans sa montée en compétence, au travers de l’observation et de l’expérimentation de situations et de problèmes concrets pour lesquels il finit par développer ses propres solutions. Les microformations doivent révéler la valeur et l’utilité de gestes professionnels. Elles doivent permettre de « capitaliser » des habiletés et des postures professionnelles à travers un système ad hoc de certification progressive respectant le rythme de l’apprenant (microcertifications), et de permettre une entrée dans le monde du travail ou la poursuite de formations ouvrant de nouvelles perspectives, étapes durant lesquelles le participant est accompagné et orienté.

Il est important de garder à l’esprit l’utilité collective de l’approche. Au profit de publics sans emploi, et donc ayant pour vocation d’alléger la charge des prestations sociales, les microformations servent aussi à rencontrer les besoins d’un territoire et de ses entreprises, en proie à des difficultés de recrutement, surtout dans la gamme des métiers faiblement qualifiés. Si le temps d’habituation et d’apprentissage n’est pas toujours raccourci par rapport à des approches académiques, ce temps est presté en entreprise, dans un contexte de stage ou d’emploi, permettant aux organismes de jouer un rôle déterminant dans la formation de personnes inoccupées. Il faut également rappeler les aspects qualitatifs d’une réinsertion en termes de confiance et d’estime de soi, ainsi qu’en termes de santé sociale.

Mise en œuvre du projet

Deux axes de travail ont été concomitants dans la mise en œuvre du projet SKY : premièrement, un travail de terrain avec des chômeurs de longue durée, avec lesquels il s’agissait de développer des aptitudes professionnelles transférables sur le marché du travail, à travers la mise en place de formations brèves, autour de la notion de « gestes professionnels » ; et deuxièmement, une réflexion sur un ensemble d’outils formatifs complémentaires entre eux et adaptés aux besoins spécifiques du public.

Cinq partenaires1 de terrain distribués dans autant de pays s’y sont attelés entre mars 2022 et février 2024, parcourant diverses étapes : inventaire de pratiques inspirantes, relevé des secteurs d’activité intéressants, identification des entreprises locales volontaires et de leurs besoins, inférence des gestes professionnels à développer, conception des microformations et des microcertifications, leur test et évaluation auprès des participants, et proposition de recommandations pour la poursuite de l’expérience.

À titre d’exemple, le partenaire français a choisi de travailler l’utilisation d’un lève-patient, objet de demandes sur le terrain. Trois gestes professionnels ont été développés : préparation du patient ; réalisation du transfert ; maîtrise du protocole de sécurité et d’hygiène. À Barcelone, le partenaire s’est lié avec un employeur actif dans le secteur du recyclage d’ordinateurs. Avec son implication, trois tâches sont mises en évidence : lecture des étiquettes des ordinateurs pour déterminer ceux qui seront démontés et ceux qui passeront le test de réutilisation ; identification des outils adéquats et leur utilisation correcte afin de démonter les pièces dans un ordre spécifique ; reconnaissance des pièces de valeur et connaissance des prix des composants sur le marché.

Accueil des chômeurs de longue durée

Le public, principalement féminin, âgé de 30 à 50 ans, comportait, dans les zones urbaines investies, de nombreuses personnes d’origine extra-européenne, avec des niveaux d’éducation variables, allant d’aucun diplôme à un début dans l’enseignement supérieur.

La phase du premier accueil est cruciale, car elle détermine l’engagement dans le projet de formation. Chacun a des talents, des compétences, des qualifications à « réveiller », un projet professionnel à construire, quelque chose à apporter dans une société plus inclusive pour peu qu’il soit suffisamment accompagné et soutenu. Chacun a aussi un fardeau à décharger, comme a pu en témoigner, lors du séminaire final du projet SKY, au Parlement européen à Bruxelles, un participant polonais confronté à l’alcoolisme.

L’accueil est une opération « d’accouchement ». Ce mot est important. Il renvoie à la maïeutique chez Socrate, soit l’art du questionnement dont l’objectif est de montrer à celui qui se croit ignorant qu’il ne l’est en réalité pas. Le but de cette phase est d’apporter aux personnes du groupe cible, la conscience de détenir des savoirs, talents et aptitudes utiles et de donner aux stagiaires, la chance de les révéler.

Lors des rencontres initiales, il faut détecter les compétences informelles en dépassant d’entrée de jeu, le discours urgent du moment : « je veux travailler ». Il s’agit de rechercher la maille la plus fine des aptitudes et des attitudes professionnelles et en faire un atout pour revenir à la vie active. L’intuition du candidat doit, au terme de cette phase, se transformer en projet structuré.

Un entretien spécifique à l’emploi visé par le participant le mettra en confrontation aux exigences professionnelles du domaine. Des visites d’entreprise, des échanges avec des professionnels, l’utilisation de tutoriels présentant l’environnement de travail et les gestes professionnels semblent essentiels pour permettre au candidat de se faire une idée précise des habiletés à acquérir et de se convaincre que le métier en question lui conviendra. À l’issue de cette phase d’accueil, l’objectif est de déterminer ensemble ce que les partenaires du projet ont appelé le « delta », soit le fossé à combler entre les aspirations du candidat à la microformation et ses aptitudes objectivement dévoilées. Une fiche de positionnement aide à définir ce hiatus, mais aussi à permettre un suivi de la progression du candidat par rapport à ses attentes et ses acquis.

Microformation aux gestes professionnels en milieu de travail

Les microformations par gestes professionnels visent à développer rapidement l’employabilité dans une fonction donnée. Ces formations couvrent l’essentiel de l’apprentissage de gestes professionnels dans un métier par des organismes de formation en lien avec des entreprises. Elles se déroulent en entreprise sur des périodes successives de trois jours.

La finalité de la microformation est l’acquisition de gestes professionnels de base, lesquels sont requis pour accomplir des tâches précises en entreprise qui permettent une adaptation progressive à l’exercice d’une fonction manuelle. Dans cette démarche, il s’agit de partir de la somme des capacités détenues par la personne et non de calquer une formation sur des référentiels de métier.

Au terme de l’expérimentation collective SKY, le geste professionnel est défini comme étant la plus petite maille qui contribue à identifier et, ensuite, à acquérir une compétence contextualisée. Le geste professionnel (par exemple, l’usage d’un lecteur de codes-barres) est ainsi l’ensemble des réponses authentiques aux questions que le formateur et le travailleur se posent sur le terrain, en vue d’un cheminement commun vers une montée en compétence. Comment procéder dans telle situation ? Comment faire savoir le savoir-faire ? Mon geste est-il utile et reproductible ? Que penser du résultat ? Est-il améliorable ? À quelles conditions ? Quels sentiments au bout du chemin ? Et quelles suites ?

La suite de questionnements le montre : cette définition est le résultat d’un travail empirique et collectif aboutissant à un consensus qui ne fut pas simple à atteindre. Les partenaires du projet ont souvent renâclé face à l’expérimentation et sa conceptualisation. Si le présent texte se veut être la synthèse d’une expérience collaborative, il ne doit pas occulter les difficultés d’arriver à une méthode de travail qui rallie tous les points de vue et les cultures professionnelles des participants.

Le geste professionnel doit ainsi être analysé en profondeur avec l’opérateur, telle une pratique modélisée, tant dans ses dimensions formelles et techniques que dans ses dimensions psychologiques et identitaires, sans oublier les questions relatives aux règles d’hygiène et de sécurité. Il sera décrit par le stagiaire et son accompagnateur avec leurs mots, simples et concrets. Du photolangage, des pictogrammes, des brochures illustrées, voire la réalité virtuelle font partie du matériel susceptible de faciliter le chemin de l’apprentissage, notamment dans les situations compliquées par la faible maîtrise de la langue du travail. De brèves vidéos, démocratisées par les téléphones intelligents, ont une double utilité, tant comme ressource pédagogique à discuter avec des collègues que reflet de sa propre pratique que l’on peut revoir et conserver, afin de comparer avec une phase ultérieure de la formation, voire pour montrer à un employeur potentiel.

À titre d’exemple, l’action du partenaire espagnol a permis la participation de 29 stagiaires, dont 19 migrants extra UE. Il rapporte que le langage simplifié utilisé a renforcé l’efficacité de la communication entre participants, formateurs, et les employés des entreprises accueillantes. Nombreux participants ont pu accéder à un emploi dans les centres de récupération de la région de Barcelone. D’autres, encouragés par leurs résultats en entreprise, ont préféré s’inscrire dans des formations davantage formelles. L’expérience de la microformation leur a non seulement permis d’acquérir des compétences pratiques, mais a également renforcé leur confiance en eux, les aidant ainsi à trouver un emploi ou développer de nouvelles compétences.

Des partenariats pour réussir

La réussite de la méthode des microformations par les gestes professionnels exige la coconstruction des parcours de formation. Ce travail associe les entreprises, les travailleurs et leurs représentants syndicaux, ainsi que les équipes de formateurs dans une démarche de concertation. Cette dernière est nécessaire pour répondre efficacement à des défis tels que l’équilibre entre, d’une part, les besoins du marché de l’emploi (métiers dits en tension ou en pénurie) et, d’autre part, les besoins des personnes en insertion, mais aussi la concertation en matière de politique de formation professionnelle et d’insertion, concertation incluant également les décideurs impliqués par ces matières.

Le travailleur décrit son activité de production et son intégration dans l’entreprise. La représentation syndicale veille sur le respect des droits des travailleurs, tant les nouveaux en formation que les anciens présents dans l’entreprise. L’employeur prescrit des tâches et détermine les objectifs de production en fonction des équipements. L’organisme de formation ou d’insertion travaille à la conciliation entre la compétence professionnelle attendue et les acquis des participants à la microformation. Les décideurs, enfin, examinent les apports du dispositif de microformations et de microcertifications en regard des résultats de l’offre classique en insertion. Il s’agit, dans ce processus de concertation, animé par l’équipe des formateurs, d’analyser le chemin parcouru, de croiser les points de vue pour renforcer le dispositif autour de son objet, son déploiement et sa pérennisation.

Éléments d’évaluation

Un des constats récurrents au sein des structures partenaires du projet SKY est la réaction d’étonnement des stagiaires issus de l’immigration par rapport aux réglementations portant sur la sécurité et l’hygiène, ainsi l’importance accordée à la culture des entreprises. L’usage massif des technologies numériques dans l’exécution des emplois de faible qualification fait également partie des surprises vécues par les travailleurs d’origine étrangère, nombreux à être concernés par l’action SKY. En Europe, les normes de santé et de sécurité, tant celles des travailleurs que celles des consommateurs ou de l’environnement, sont de plus en plus strictes dans de nombreux secteurs d’activités et les entreprises doivent s’y conformer sous peine d’amendes ou des poursuites judiciaires. C’est une situation complexe qui laisse peu de place à l’intuition et à des appréciations personnelles comme « chez nous, nous le ferions autrement… ».

Ce constat implique de manière frontale la didactique des microformations qui souhaite instaurer un dialogue entre les pratiques maîtrisées des candidats à l’insertion et celles exigées par les entreprises partenaires. Il signe aussi l’importance des séquences de formation sur l’interculturalité en entreprise et le développement de compétences transversales comme l’empathie, la centration sur l’autre et les techniques de négociation. Il en va de même pour les questions de fracture numérique et d’acquisition de la langue de la région d’installation.

Les réponses à apporter à ces problématiques ne sont pas antinomiques avec la méthodologie des microformations. Il faut toutefois les envisager spécifiquement dans la phase de coconstruction des parcours, comme il faut envisager également divers autres obstacles accablant spécifiquement les travailleurs issus des classes populaires et des groupes migrants, notamment des difficultés de mobilité. C’est à ce niveau que l’aide des partenariats à la base de l’initiative SKY s’avère importante. Ainsi, le partenaire belge a conduit, à Charleroi, en coopération avec des acteurs locaux, une microformation ayant pour objectif de développer les savoir-faire numériques des aides-ménagères pour faciliter leurs déplacements vers la clientèle.

Les évaluations menées auprès des applications locales du projet SKY permettent d’identifier diverses plus-values. L’une d’entre elles montre un gain de précision dans les méthodes de gestion prévisionnelle des ressources humaines, ainsi qu’un accroissement en efficacité dans la recherche de la main-d’œuvre la plus adéquate possible par rapport aux défis à rencontrer sur un marché du travail. Tel est l’apport estimé du projet au sein des entreprises partenaires. Les organismes de formation participants suggèrent également des constats similaires : grâce à une écoute plus approfondie des participants, ils ont pu mieux orienter et accompagner les chercheurs d’emploi. Tant les entreprises que les structures de formation ont pu ainsi développer une vision plus nuancée du recrutement. L’expérimentation SKY a ainsi conduit les entreprises partenaires à penser différemment la façon de définir leurs besoins et à expérimenter une pratique d’ouverture dans leur culture d’entreprise. La vision de la reconnaissance liée à un diplôme, à une expérience, voire à une origine, a pu évoluer vers une logique de formation en entreprise accessible aux publics estimés éloignés du marché du travail, afin de leur permettre d’évoluer dans leur intégration professionnelle.

Le nombre important d’insertions en emploi ou de reprises de formation qualifiante au sein des participants du projet SKY indique qu’une méthode qui part de l’autopositionnement des personnes réputées éloignées du travail, sur base des activités qu’elles ont pratiquées et de leurs acquis informels, conduit à renforcer l’autonomie et le sens des responsabilités des apprenants. Un accueil empathique a contribué à dissiper parmi les participants les problématiques psychologiques et les craintes liées au monde socioprofessionnel. Une alliance autour de ce projet et de son outil principal qu’est la microformation entre entreprises, organismes de formation et d’insertion, ainsi que chercheurs d’emploi de longue durée s’est donc avérée être vertueuse. Des partenaires politiques et syndicaux se sont intéressés au modèle, afin de contribuer à sa validation et dissémination.

Une reconnaissance des acquis capitalisable sur le marché du travail

La microformation par gestes professionnels doit être complétée par l’acquisition d’un début de qualification pouvant trouver sa place dans un portefeuille de compétences, en vue d’un retour sur le marché du travail ou dans un cycle de formations.

La formation professionnelle initiale ou continuée est un marché fortement concurrentiel et il représentait en France, en 2021, un chiffre d’affaires potentiel de 33 milliards d’euros, selon une étude de Ludalab, organisme de formation pour adultes proposant des formations à distance. Dans un marché sous tension, il existe des opportunités de croissance pour les organisations qui auront investi dans le développement des compétences internes et formé leurs équipes. Il en va de même pour la certification des compétences acquises.

Signalons d’emblée que le projet SKY s’est volontairement détourné de la logique mercantile de reconnaissance des acquis. À défaut d’un outil répondant aux spécificités du groupe cible, le partenariat SKY a préféré recourir à une formule de contractualisation des résultats à atteindre, partagée par les acteurs du projet. Les acquis des microformations sont ainsi reconnus au travers d’un gentlemen’s agreement passé avec l’entreprise, l’organisme de formation et le bénéficiaire. Cet outil sui generis, non assorti de sanctions, rend ces acquis potentiellement certifiables grâce à l’accord explicite des parties prenantes. Le document remis au participant fait clairement mention des tâches accomplies et de la satisfaction de l’employeur reconnaissable par ses pairs. En effet, les microformations sont soumises à une évaluation permanente, en cours de formation au travers d’un regard croisé porté par le tuteur dans l’entreprise, l’organisme accompagnant et l’apprenant sur les acquis de l’apprentissage, ce qui garantit la qualité du parcours professionnel. L’accord, quant à lui, définit précisément les niveaux d’implication bienveillante attendus des partenaires. Il décrit les étapes assurant la qualité de l’exécution adaptée à l’individu en formation et dont on s’assure qu’il comprend pleinement le déroulement. Il définit encore la microformation et sa raison d’être, ainsi que les savoirs à acquérir : une convention synallagmatique, en somme, créant des engagements réciproques entre parties. Encore à l’état de prototype, ce processus de microcertification a le mérite — même s’il n’est pas exempt de reproches en termes de praticabilité — d’être une initiative simplifiée et peu coûteuse d’objectivation, négociée entre parties.

Position de l’UE sur les microformations et microcertifications

Une recommandation du Conseil de l’UE adoptée le 16 juin 2022 portant sur une approche européenne des microcertifications pour l’apprentissage tout au long de la vie et l’employabilité met en évidence que les systèmes de formation devraient répondre aux besoins et capacités propres à chaque apprenant. Ils devraient également offrir à tous des possibilités d’apprentissage, y compris dans des contextes non formels et informels.

Mais, il convient d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que les mêmes mots n’ont pas toujours et partout le même sens. D’abord, la microformation et la microcertification ne sont pas fongibles l’une dans l’autre. En outre, le groupe cible mentionnée par l’UE n’est pas nécessairement le même que celui visé par la présente expérimentation.

Pour l’UE, les microcertifications valident les acquis d’une formation de courte durée. C’est un moyen souple et précis d’aider la population à développer les savoirs et les aptitudes dont ils ont besoin pour leur épanouissement personnel et professionnel. La recommandation pose ainsi les bases d’un outil présenté comme flexible, léger en charge administrative, peu exigeant en termes de travail, orienté directement vers le marché du travail, permettant la modularité des acquis et autorisant une grande variété de participants. Elle introduit aussi la question de l’octroi de subsides, mais laisse, enfin, aux États le soin de définir les groupes cibles.

Toutefois, les recommandations du Conseil ne sont pas contraignantes et s’adressent aux États membres qui en assurent la mise en œuvre selon leurs réalités juridiques, leurs systèmes de concertation, leurs politiques en matière de formation professionnelle et, enfin, leur conception de la charge administrative. Le risque existe que les membres de l’UE optent pour le financement de projets académiques ou offerts en ligne et perdent en chemin le public vulnérable sur le marché du travail. Peut-on, dans ce cadre, comparer ce qui se fait en Espagne, en Finlande ou en Slovaquie, pays de pratiques très différentes en matière de formation professionnelle et d’outils législatifs ? N’aurait-on pas besoin de lignes directrices européennes assorties d’une définition plus précise des populations concernées et d’indicateurs de suivi clairs pour encourager l’intégration des microformations et microcertifications dans les politiques destinées aux publics défavorisés sur le marché du travail, par ailleurs soumis à des tensions ? Pourquoi, enfin, ne pas envisager la complémentarité des microformations avec des cursus plus longs, de façon à rendre plus inclusifs les schémas éducationnels ?

Forces et faiblesses du projet SKY : leçons apprises

Les microformations permettent d’offrir aux personnes dites éloignées de l’emploi la possibilité de tester des gestes professionnels dans plusieurs secteurs d’activités. Ceci favorise un positionnement rapide par rapport à un « métier qui fait sens » (Nardon et Hari, 2022) et permet d’envisager la poursuite d’un parcours de microcertifications. Les formations pratiques de courte durée facilitent la mobilisation et l’implication des publics en difficulté d’insertion, en renforçant leur estime et la confiance en soi par la maîtrise rapide de gestes professionnels de base, répondant aux besoins des entreprises, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Les microformations ne sont pourtant pas une fin en soi. Elles doivent être vues comme des outils complémentaires à des dispositifs classiques de formation et contribuer à les rendre davantage ouverts à des publics peu scolarisés, exclus du marché du travail ou issus des migrations. Les partenaires du projet SKY soulignent l’importance d’une coopération entre associations locales et cursus académiques, afin de permettre une insertion progressive, qualitative et durable aux participants, tout en y impliquant les entreprises, et autres acteurs publics et privés. L’accent est mis sur une flexibilité organisationnelle permettant la mise en place de partenariats à géométrie variable, sans lourdeur administrative ni blocage de principe.

Cependant, la nécessaire relation avec le monde des entreprises n’a pas été comprise de la même façon par tous les partenaires du projet SKY. La négociation de la stratégie « microformations » avec les pouvoirs publics n’a pas non plus été abordée avec la même efficacité dans toutes les localisations de l’expérience. Un point d’interrogation porte encore sur la participation des entreprises et, au sein de celles-ci, sur la sensibilisation du personnel à la diversité parmi les employés, notamment ceux directement impliqués auprès des stagiaires. Si de nombreuses entreprises souffrent d’un manque d’employés, paradoxalement, peu s’investissent dans la formation de candidats. C’est particulièrement le cas des petites et moyennes entreprises.

Dès lors, pour garantir la viabilité des microformations, il semble nécessaire de mener une politique volontariste à destination des institutions de formation (dont l’enseignement professionnel), du monde associatif concerné par les questions d’insertion et des fonds de formation sectoriels cogérés par les partenaires sociaux, prévoyant d’accorder des financements spécifiques aux expériences de microformation et de microcertification. Ces financements devraient prioritairement couvrir les frais de formation et les coûts liés au transport des stagiaires, ainsi qu’à l’encouragement des tuteurs en entreprise. Une attention doit être portée au financement de mesures permettant la conciliation entre la participation aux parcours de formation et la vie familiale. Aussi, la façon dont les pouvoirs publics intègrent le concept des microformations et certifications est la question qui reste en suspens, bien qu’en Belgique, les nouveaux gouvernements régionaux le mentionnent dans leur déclaration politique.

Bibliographie

Debrulle A. et Timmermans P. (2021), « La Belgique, un territoire zéro chômeur ? Pour une rupture culturelle dans l’approche du retour à l’emploi », Manço A et Scheurette L. (dir.), Inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi Bilan des politiques en Wallonie, Paris : L’Harmattan, p. 177-190. Nardon L. et Hari A. (2022), Making Sense of Immigrant Work Integration. An Organizing Framew


[1]  AGFE (France), BARKA (Pologne), MIREC (Belgique), SCF (Italie) et TRINIJOVE (Espagne).

Photo: Unsplash/Ptti Edu

Notes

  1. AGFE (France), BARKA (Pologne), MIREC (Belgique), SCF (Italie) et TRINIJOVE (Espagne).

Altay Manço, Andrée Debrulle