Hospi’Jobs PRO valorise les expériences des personnes migrantes
Charlotte Poisson et Pierre Guyot
La validation des compétences s’inscrit dans les directives européennes visant la valorisation des acquis de l’expérience des citoyens et citoyennes et donc une reconnaissance des compétences au-delà des diplômes. En Belgique, la non-reconnaissance de tout ou partie des diplômes des personnes issues des migrations est un fait rapporté par de nombreux professionnels qui accompagnent ces personnes dans leur parcours d’insertion socioprofessionnelle. Privés de la reconnaissance de leur diplôme ou de leur expérience professionnelle, les candidats à l’emploi issus des migrations se voient restreints dans leurs opportunités et une fois en emploi, dans leur possibilité d’évolution.
L’initiative Hospi’Jobs PRO lancée en 2023, à Liège, par le Monde des Possibles, avec l’appui méthodologique de l’IRFAM et de l’IFAPME répond à cette préoccupation de valorisation des compétences et expériences des personnes migrantes. Le projet qui vise la validation des compétences dans les métiers de la logistique et de la cuisine collective (catering) s’inscrit dans la continuité de Hospi’Jobs qui renforce l’insertion rapide des migrants et migrantes dans les métiers visés ci-dessus, mais non une validation des compétences.
En juin 2023, une évaluation du dispositif Hospi’Jobs a été effectuée auprès des 80 stagiaires passés par la formation. Les chiffres collectés révélaient que 32 % des participants étaient sans diplôme ou avaient au mieux un certificat d’études primaires ; 40 % étaient diplômés d’études secondaires ; et seulement 28 % diplômés d’études supérieures. Uniquement la moitié de ces diplômes étaient reconnus par la Belgique. Une partie des personnes qualifiées avaient également une expérience professionnelle dans leur pays d’origine. Hospi’Jobs PRO souhaite donc soutenir les migrants et migrantes dans leur possibilité d’évolution professionnelle grâce à l’acquisition d’un titre de compétences qui permet une reconnaissance de leur expérience dans un métier spécifique.
En Belgique francophone, le Consortium de validation des compétences rassemble les partenaires sociaux ainsi que les acteurs de l’enseignement et de la formation (Forem, Bruxelles Formation, IFAPME, Enseignement de promotion sociale). Il est reconnu pour organiser la validation des compétences pour de nombreux métiers pour lesquels sont définies les activités clés et les compétences à exercer. Les effets positifs du titre de compétence sont multiples : preuve officielle des capacités, renforcement de l’estime de soi, reprise d’une formation avec dispenses, mise à l’emploi, évolution barémique. C’est ce que témoigne, Amadou, ouvrier polyvalent : « De nombreuses personnes ont des compétences qu’elles n’arrivent pas à valoriser sur le marché de l’emploi. La validation donne l’opportunité de le faire et d’avancer dans la vie. Cela vous donne des ailes. »
« Hospi’Jobs PRO m’a permis de voir plus loin »
Hospi’Jobs PRO prépare la validation des compétences des stagiaires — principalement (mais pas exclusivement) — qui ont reçu une évaluation positive de leur stage de logistique ou de catering pendant la formation Hospi’Jobs. Pour ce faire, il s’agit de renforcer des compétences en français langue étrangère (FLE) orienté vers le métier concerné, de manière concomitante à un stage qui lui a pour objectif de consolider les capacités professionnelles dans cette même profession. Du côté entreprise, les départements logistique et catering du grand centre hospitalier liégeois CHC soutiennent ce dispositif en identifiant les compétences requises, en accueillant les stagiaires et en les accompagnant dans l’acquisition des compétences, ainsi qu’en participant aux évaluations.
Fort des relations de confiance et des expériences positives nouées dans le projet Hospi’Jobs avec le CHC, Hospi’Jobs PRO a pu compter sur le soutien des équipes professionnelles pour mettre en œuvre ce parcours de renforcement des compétences soutenu par la Région wallonne. Deux sessions de formation de dix semaines furent organisées regroupant un total de seize personnes. Une formation de 370 h (dont 100 h d’apprentissage du métier de la logistique et 120 h de pratique professionnelle) a été mise en œuvre avec l’IFAPME chargé du contenu des profils professionnels.
Le FLE métiers, l’accompagnement individuel et la médiation avec le CHC ont été les missions du Monde des Possibles et l’organisation du tutorat était à charge du CHC. La majorité des stagiaires recrutés était passée par le programme Hospi’Jobs, et avait une expérience dans les domaines de la logistique ou du catering, ou avait développé, par ailleurs, une expérience professionnelle dans ces secteurs. Les stagiaires retenus étaient motivés par la validation de leurs acquis et voyaient dans la formation une opportunité de faire reconnaître et d’approfondir leurs savoir-faire. L’ensemble des participants a effectué un stage en logistique et catering grâce au partenariat avec le CHC.
Les stagiaires qui avaient soit peu d’expérience professionnelle en Belgique soit cumulaient des contrats précaires (intérim, remplacement…) ont témoigné de la pertinence du dispositif qui leur a permis de « voir plus loin ». En effet, le manque de connaissance du monde du travail en Belgique allié à des vécus professionnels négatifs, à des discriminations et images stéréotypées véhiculées par la société d’accueil font que les candidats migrants sont cantonnés à occuper certains types d’emplois, souvent atypiques. Ces personnes ont pour unique référence, l’intérim qui n’est pas utilisé comme un tremplin, mais comme une voie obligatoire pour accéder au travail. Ils ne connaissent dès lors pas l’existence de la validation des compétences.
Hospi’Jobs PRO, en ouvrant d’autres possibilités basées sur la reconnaissance et la valorisation des savoir-faire acquis, a permis aux stagiaires d’ouvrir d’autres perspectives professionnelles. L’accompagnement individuel et collectif des stagiaires, l’aide à la rédaction de CV, le suivi post-formation, ainsi que la dynamique du groupe animé par le Monde des Possibles ont complété la démarche et renforcé l’insertion professionnelle des stagiaires.
Des entreprises impliquées dans la formation professionnelle
Nous avions pensé au départ développer le dispositif auprès d’anciens stagiaires Hospi’Jobs recrutés par l’entreprise à la suite de leur stage et de leur permettre d’évoluer dans leur emploi, mais cela n’a pas eu lieu. Bien que les entreprises considèrent le titre de compétence comme un outil de référence lors du recrutement, toutes n’intègrent pas encore cet objectif de validation de compétences dans leur planification des ressources humaines en y voyant un investissement sur le long terme et une opportunité de professionnalisation de leur personnel. En effet, fonctionnant bien souvent à flux tendus, les entreprises rencontrent des difficultés à dégager du temps pour leurs employés afin qu’ils aillent se former et passer l’épreuve de validation tout en continuant à travailler en parallèle. De plus, le tutorat jouant un rôle déterminant, d’éventuels problèmes de communication en interne dans l’entreprise (entre services, entre personnes responsables de l’accompagnement sur le terrain et RH) peuvent avoir des répercussions et retombées négatives qui compliquent l’intégration des stagiaires pendant leur stage. De l’autre côté, les candidats employés ne voient pas forcément, dans l’immédiat, le sens de retourner suivre une formation pour passer une épreuve alors qu’ils souhaitent davantage s’intégrer dans leur équipe, prendre leurs marques dans le métier et ne pas faire « faux bond » à leurs nouveaux collègues en s’absentant pour suivre des cours. Le processus de validation des compétences doit donc être intégré à long terme dans la vision stratégique de l’entreprise, ainsi qu’être vu comme une opportunité d’évolution de carrière pour les candidats.
Ensuite, la particularité du métier de la logistique en milieu hospitalier se retrouve dans le traitement et la manipulation de matières dites « sensibles » (matériel stérile, médicaments, produits spécifiques, etc.). Ces actes ont un effet direct sur le bon fonctionnement (ou non) de la structure hospitalière dans son ensemble. Ce qui engendre stress et pression pour les équipes manutentionnaires dans les entrepôts où arrivent, sont stockés et distribués les produits. Dans ce contexte, les possibilités d’apprentissage pour des stagiaires en logistique sont limitées. En effet, les responsables d’équipe vont d’abord s’assurer de la bonne réception et envoi des commandes avant de laisser effectuer ces deux tâches clés par un ou une stagiaire. Les stagiaires seront donc davantage placés aux postes de stockage et préparation des commandes, jugés moins « à risque ». Par manque de pratique, les stagiaires ayant passé l’épreuve de validation ont échoué à ces deux postes (réception et envoi). Dans ce contexte, il pourrait dès lors être intéressant de développer un tutorat basé sur un binôme composé d’un stagiaire et d’une ou d’un professionnel fonctionnant, pendant quelques jours, sur les tâches dites « sensibles », afin de permettre à l’apprenant d’observer, se familiariser, pratiquer, sous la supervision serrée du responsable, et être de plus en plus à l’aise avec cette tâche également.
Conclusion
Aux termes de l’initiative Hospi’Jobs PRO, les sorties sont positives dans le sens où la moitié des participants étaient en emploi, d’autres ont repris une formation. Les femmes en charge de jeunes enfants ont éprouvé le plus de difficultés à clôturer la formation et pour certaines n’ont pas pu se rendre à l’épreuve de validation à Bruxelles faute de solution de garde pour leurs enfants. Bien qu’aujourd’hui, seulement trois stagiaires aient passé l’épreuve de validation et aucun n’ait réussi, l’initiative a cependant remporté un vif intérêt de la part des stagiaires et des entreprises en comblant un manque dans le secteur de l’insertion à l’emploi des personnes migrantes, comme en témoigne le taux de mise à l’emploi de 50 %.
La faible participation des stagiaires à l’épreuve de validation peut s’expliquer entre autres par la nécessité d’ajuster les calendriers et impératifs des partenaires impliqués dans le projet. L’offre d’examen est rare, demande un long déplacement et une certaine disponibilité, cette dimension institutionnelle doit être revue. L’épreuve de validation a eu lieu en septembre alors que les deux sessions se sont clôturées respectivement en mars et juin ce qui a contribué à diminuer la participation des stagiaires, mais puisqu’ils et elles ont continué à chercher et pour certains à trouver de l’emploi, ce qui est en soi l’objectif ultime du projet.
Ensuite, le manque de pratique à deux postes clés du métier de magasinier a pu démotiver certains stagiaires. Notons que les candidats ont réussi l’épreuve aux deux autres postes (stockage et préparation des commandes) sur lesquels ils avaient bénéficié de l’encadrement des entreprises et où ils avaient pu s’entraîner pendant leur stage.
Il apparaît que l’initiative basée sur le métier de la logistique en milieu hospitalier, pourrait être élargie vers d’autres secteurs tels que les magasins de jardinage ou de matériaux de construction où les stagiaires auraient plus de facilité à s’entraîner sur les tâches de réception et d’envoi de marchandises sur du flux de matières jugées moins sensibles qu’en milieu hospitalier. Le projet est certainement à renouveler, car il a prouvé sa pertinence en amenant des personnes faiblement qualifiées à entamer un processus de validation des compétences, mais aussi dans le renforcement du sentiment de légitimité des participants à postuler à des emplois vers lesquels ils n’auraient pas d’emblée osé proposer leur candidature.
©Photo: Le Monde des Possibles