Skip to main content

Hospi’Jobs : une expérience d’insertion rapide à l’emploi de personnes migrantes dans le secteur hospitalier belge en pénurie de main-d’œuvre 

L’insertion à l’emploi des personnes migrantes est un enjeu politique et social pour tendre vers des sociétés plus inclusive aux diversités. La Belgique francophone se caractérise par un taux d’emploi (64 %)1, en deçà de la moyenne de l’UE (73 %). Dans ce contexte, le taux d’occupation des personnes issues d’un pays hors UE est inférieur à 50 %. Cette moyenne cache des disparités importantes, car le taux de chômage dépasse les 25 % au sein des populations originaires de la Turquie, du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne, où les femmes sont nettement défavorisées, soit en moyenne 13 % de plus que celui des hommes des mêmes origines. Ce marché se caractérise également par un taux de surqualification élevé chez les personnes étrangères (38 %) par rapport aux natives (18 %). Cette différence est due, entre autres, à la non-reconnaissance des qualifications obtenues à l’étranger. De plus, l’écart salarial lié à l’origine reste l’un des plus élevés d’Europe : les personnes étrangères gagnant en moyenne 43 % de moins que les natives. Ce constat s’explique par le fait que les personnes nées en dehors de l’UE sont concentrées dans des postes faiblement qualifiés des secteurs peu rémunérateurs, tels que les services hôteliers ou l’entretien où la présence féminine est massive. À l’inverse, on enregistre une sous-représentation de personnes d’origine étrangère au sein des services publics : on n’y recense que 5 % de personnes originaires d’un pays hors UE, là où cette population représente une personne sur dix parmi les résidents.

La question spécifique de l’emploi des femmes issues des migrations est de plus en plus mise en lumière à l’aune d’études montrant les obstacles auxquels elles sont particulièrement confrontées ainsi que le déficit de leur taux d’emploi dans la plupart des pays européens et à plus forte raison en Belgique. Les raisons en sont multiples et fortement liées au contexte sociétal peu propice à l’insertion des femmes qui sont encore majoritairement en charge du soin et de l’éducation des enfants : structure genrée du monde socio-économique et des familles, absence de liens entre politiques de l’emploi et politiques de la petite enfance, manque de dispositifs de médiation entre les structures d’accueil et les parents migrants, manque de place en crèches, … 

L’expérience d’insertion Hospi’Jobs présentée ici propose une stratégie de formation innovante encore peu usitée en Belgique francophone. Le projet promeut l’apprentissage en contexte du français langue d’insertion, en concomitance avec la mise à l’emploi via un stage en entreprise. Il met en place également un accompagnement spécifique de type médiation interculturelle tant des apprenants que des équipes qui les accueillent en entreprise. L’initiative participe à poser un regard nouveau sur les travailleuses migrantes et leur inclusion professionnelle, notamment dans un secteur essentiel, en forte pénurie de main-d’œuvre. L’initiative est menée en réseau. Au-delà de leurs diversités, les qualités et les compétences des partenaires formateurs ou hospitaliers se complètent, et leurs intérêts sont convergents. Cette conjonction marque une plus-value indéniable dans la mise en œuvre du dispositif dont le taux d’insertion professionnelle est de 50 %, peu après la fin du stage en hôpital.

L’objectif du présent texte est de relater la conception, la mise en œuvre et l’évaluation d’un dispositif de mise en emploi rapide dans le secteur hospitalier à Liège à destination d’un public issu de l’immigration extra-européenne, faiblement scolarisé et maîtrisant peu la langue française. Le dispositif se base sur l’étude des manquements de l’offre d’insertion en Belgique francophone à destination des travailleurs et travailleuses issus des migrations et s’inspire d’exemples étrangers efficients (Manço, 2018). La mise en application du projet et l’évaluation des résultats conduisent, en conclusion, à des recommandations afin d’améliorer l’accès au travail de celles-ci, estimées éloignées de l’emploi.

Repenser l’insertion : un exemple dans le secteur hospitalier

Selon Castra (2003), il s’agit, de dépasser la vision du chômage due uniquement à des défaillances individuelles. L’auteur constate la prégnance de cette vision réductrice au sein des structures dédiées à l’insertion et montre comment de nombreux dispositifs contribuent à consolider un système qui exclut, au lieu d’inclure. Pour lui, plutôt que de miser sur la formation professionnelle et la transformation sociopsychologique de l’individu en difficulté d’insertion, actions menées souvent sans lien avec le monde de l’emploi, il serait avisé de placer directement la personne en recherche d’emploi dans des conditions de travail réelles. Les compléments d’apprentissage nécessaires (langue, compétences transversales) peuvent intervenir en association avec les entreprises, durant leur temps de travail ou de stage. Il s’agit d’aider la personne en insertion à s’adapter aux exigences du milieu de travail, autant que de rendre plus inclusif ce dernier (Scheurette et Manço, 2021).

Au-delà du besoin d’informer et de mobiliser les entreprises en cette matière, il s’agit de réduire l’écart qui se creuse entre l’offre et la demande de compétences, par le biais d’un « acteur intermédiaire » (idéalement par secteur et par bassin) qui pourrait, notamment : (1) sonder les besoins en matière de savoir-être et de savoir-faire technique et linguistique des entreprises ; (2) identifier des personnes migrantes dont le profil s’en approche ; (3) mobiliser des structures locales de formation et d’accompagnement, afin de préparer et de soutenir le placement dans les entreprises en manque de main-d’œuvre ; (4) superviser cette triangulation, à des fins d’évaluation, de prévention des difficultés, d’amélioration de la satisfaction et, enfin, de dissémination (Manço, 2018).

C’est à ces objectifs que tente de répondre le projet pilote « Hospi’Jobs » mis en œuvre dès janvier 2020, à Liège, par l’IRFAM et le centre de formation Le Monde des Possibles. L’action s’adresse aux demandeurs d’emploi, hommes et femmes, originaires de pays hors UE, ayant accès à l’emploi, et s’implante au sein du secteur hospitalier, en pénurie de main-d’œuvre et soumis à la pandémie due au coronavirus. Elle propose une formation et un stage qui se déroulent en douze semaines, en collaboration avec les grands hôpitaux du ressort. Ses objectifs spécifiques sont : (1) insérer les stagiaires professionnellement par l’obtention d’un contrat ou l’orientation vers une autre opportunité ; (2) créer de nouvelles compétences en insertion auprès des partenaires du projet ; (3) inciter à plus d’inclusivité auprès des structures hospitalières avec qui le projet est mené.

Les stagiaires (volontaires) débutent la formation par un diagnostic social (obstacles en termes de mobilité, de garde d’enfant, appréhensions diverses ; diplômes ; expérience professionnelle ; projets d’emploi, positionnement en langue…) et une série d’apprentissages :

  • français langue étrangère orienté métier (100 h.) basé sur un sondage effectué à propos des besoins en langue du contexte hospitalier et ses documents authentiques (fiches de produits, mode d’emploi d’outils, plans, règlements, procédures, tutoriels, matériaux visuels…).
  • communication interculturelle (50 h.) : échanges autour des réalités du travail hospitalier et des expériences professionnelles des stagiaires, prévention des « tensions culturelles » en contexte professionnel, gestion du stress, du travail en équipe, confiance en soi…
  • visites et de rencontres en hôpital (100 h.) qui permettent de découvrir les métiers au sein desquels existe une possibilité de stage : cateringnettoyage et logistique. Cela offre la possibilité de sonder l’ambiance et les interlocuteurs du travail, de découvrir les lieux et les outils, d’échanger avec le personnel, notamment, issu de l’immigration.

L’immersion en emploi (Billett, 2011) s’étale, ensuite, sur une période d’un mois (150 h.) sous l’égide d’un tuteur en entreprise et la facilitation d’un médiateur, membre de l’équipe de formation.

Les bénéficiaires participent à une évaluation. Un entretien individuel est mené avec chacun au début et à la fin du programme, un questionnaire d’une vingtaine d’items est rempli aux deux occasions. La comparaison des interviews du début et de la fin permet d’identifier l’évolution des satisfactions et difficultés ressenties. Cela permet de les mettre en regard de l’appréciation exprimée par les référents en entreprise pour chacun des stagiaires (également recueillie par un questionnaire d’une vingtaine d’items : implication, autonomie, sens de l’initiative, intégration dans l’équipe, compréhension des consignes, etc.). L’ensemble de ces informations alimente la délibération des formateurs qui établissent, de concert avec les bénéficiaires, les perspectives d’après-stage.

Enfin, les stagiaires sont accompagnés dans leur recherche d’emploi : rédaction du CV et lettre de candidature, préparation d’un entretien d’embauche, aide à la négociation d’un contrat de travail, outils de recherche d’emploi, réorientation vers une formation qualifiante…

Hospi’Jobs en chiffres

En juin 2023, 76 stagiaires (six cohortes) ont participé au projet Hospi’Jobs. Il s’agit majoritairement de femmes (51). Six participants sur dix ont un ou des enfants (cinq mamans monoparentales et onze familles avec des difficultés de garde d’enfant). Ces personnes, situées entre 20 et 55 ans (M=37, ET=8), sont originaires de 35 pays, en particulier du continent africain (16 pays). Les stagiaires sont en Belgique en moyenne depuis sept ans (ET=4). Si ces variables ne distinguent pas les hommes des femmes, l’arrivée des femmes en Belgique est en moyenne deux années plus récente que celles des hommes. Elles sont également plus âgées (M=33, ET=9) que les hommes (M=27, ET=9) lors de leur arrivée dans le pays de résidence. Les femmes sont surreprésentées parmi les porteurs de statuts de séjour les moins stables (personnes bénéficiant d’un regroupement familial, p. ex.), c’est le contraire pour les hommes.

Le niveau de formation est variable : 32 % sont sans diplôme ou ont au mieux un certificat d’études primaires ; 40 % diplômés d’études secondaires ; et seulement 28 % diplômés d’études supérieures (uniquement la moitié de ces diplômes sont reconnus par la Belgique). Le niveau de maîtrise du français en début de formation est hétéroclite, bien que 42 bénéficiaires proviennent de pays partiellement de langue française. La situation des hommes et des femmes en termes de diplômes et de compétences linguistiques est équivalente. Les connaissances en français sont mesurées lors de l’interview initiale (orale et écrite) par les formateurs qui s’inspirent du cadre européen commun de référence :

  • Quinze ont un niveau débutant (1) : ils et elles peuvent difficilement comprendre à l’oral — et lire avec de l’aide — des mots familiers et des expressions courantes au sujet de leur environnement ; peuvent, au mieux, questionner et communiquer de façon simple à condition que l’interlocuteur soit disposé à reformuler ses phrases. Le niveau de l’écrit permet à peine de remplir un questionnaire à choix multiple.
  • Le niveau basique (3) correspond au cas de 29 personnes : elles peuvent entendre et lire des expressions et un vocabulaire fréquents relatifs à ce qui les concerne personnellement. Elles peuvent communiquer lors de tâches répétitives ne demandant qu’un échange simple et direct ; peuvent écrire des notes pour expliquer les situations qui les impliquent.
  • Seize personnes ont un niveau estimé « pré-basique » (2), situé entre les niveaux 1 et 3.
  • Enfin, seize ont un niveau de maîtrise moyen (4) ou supérieur et peuvent au moins comprendre (à l’audition et à la lecture) les points essentiels d’un propos (description de tâches, par exemple) ; peuvent prendre part sans préparation à une conversation sur des sujets familiers ou concernant le travail, et écrire un texte sur leurs expériences et impressions.

Le groupe a globalement une faible expérience professionnelle en Europe : seulement 24 personnes y ont exercé un emploi, dont un tiers des contrats de courte durée dans le secteur du nettoyage. Près de six hommes sur dix ont une expérience professionnelle même minime en Belgique, cela n’est le cas que d’une femme sur dix. Les personnes qui ont exercé un emploi au pays d’origine (56) ont majoritairement été ouvriers, agriculteurs ou vendeurs (près d’un tiers). La situation des hommes et des femmes est identique sur ce point. Les stagiaires habitent le centre-ville de Liège. Les hôpitaux partenaires étant situés en périphérie, la plupart sont tributaires des transports en commun : douze seulement ont un permis de conduire, tous des hommes. En tant que personnes sans emploi ou demandeuses d’asile, toutes celles (51) qui ne sont pas à charge d’un membre de leur famille bénéficient d’une aide sociale leur permettant de subvenir à leurs besoins essentiels et à ceux de leurs enfants. Les personnes sans aucune source personnelle de revenu sont donc au nombre de 25, dont 21 femmes (soit 41 % des femmes), les hommes dans la même situation ne sont que quatre (soit 16 % de leur groupe).

Résultats sur le savoir-être  

La majorité des stagiaires (hommes et femmes) sondés en fin de session fait part de sa satisfaction pour ce projet. Hospi’Jobs leur a permis de s’essayer dans un contexte professionnel complexe qui leur est étranger. Les formations sont appréciées pour leur articulation avec le terrain. En fin de cycle, les stagiaires affirment globalement avoir confiance dans leur capacité d’acquisition de nouvelles compétences en contexte d’emploi. Pourtant, si la moyenne des 25 hommes est pour cet item de 7,2/10, celle des 51 femmes est de 5,9/10. Cette différence significative (t=2,26, p<0,03) montre que les femmes sont moins confiantes dans leurs acquisitions à l’issue de la formation. Plusieurs autres indicateurs similaires censés mesurer l’augmentation de la confiance en soi dans l’abord du marché de l’emploi, à l’issue du dispositif, donnent le même résultat à l’avantage des hommes.

Nonobstant cette inégalité, pour la plupart des participants des deux genres, le travail en groupe, le personnel de formation pluriethnique, le suivi individualisé et permanent, la diversité des collègues lors du stage, etc. montrent qu’eux aussi peuvent surmonter les obstacles et obtenir un emploi. La technicité du contexte hospitalier, les contraintes en raison de la pandémie, la grande taille des entreprises, le constat de la demande de main-d’œuvre dans le secteur… indiquent que s’ils ont réussi à l’hôpital, ils le pourront dans des contextes.

La motivation et l’assiduité des participants sont également à noter, même en contexte de pandémie, alors que le lieu de travail représente un risque de type sanitaire. Nombreux sont ceux et celles qui ont conseillé cette offre de formation à leurs proches.

L’initiative a aussi permis aux stagiaires d’augmenter leur capital social. Les participants ont tissé des liens avec le personnel des hôpitaux, certes proportionnellement plus d’hommes sont dans cette situation que de femmes. La bonne ambiance au sein des groupes a été unanimement relevée lors des entretiens d’évaluation. En pleine pandémie, le projet fut l’occasion de garder un contact avec le monde extérieur.

Les questionnaires complétés par les tuteurs hospitaliers mentionnent également que la plupart des stagiaires ont socialisé avec leurs collègues. La majorité fait part d’un bon accueil et d’un soutien marqué. Lors des premiers jours, les responsables d’équipe ont identifié un nombre restreint de collègues vers qui les stagiaires pouvaient demander conseil. Ce cercle semble s’être progressivement élargi montrant une certaine adaptation au milieu de travail. Les stagiaires, suivant les conseils des formateurs, ont entrepris des contacts avec leurs collègues en annonçant d’emblée des difficultés en français et demandant de l’aide.

Des problèmes organisationnels et de communication au sein de l’entreprise impactent néanmoins la socialisation des bénéficiaires et sont source de tension. Il apparaît que certaines informations à propos du programme ne sont pas relayées sur le terrain. Les stagiaires ne sont pas toujours identifiés comme tels, ce qui peut générer des attentes indues à leur égard. Certains ont dû rappeler leur statut pour justifier qu’ils ne maîtrisent pas les gestes techniques ou le français. Les stagiaires sont amenés à travailler avec des personnes changeantes qui ne sont pas toujours informées du contexte du stage et des tensions peuvent émerger à cause de consignes dissonantes. Par ailleurs, les équipes sont régulièrement sous tensions en termes de ressources humaines et, par manque de personnel, ne peuvent pas toujours assurer un accompagnement optimal. Les stagiaires se retrouvent donc parfois comptés comme main-d’œuvre à part entière. Des attentes au niveau de l’autonomie dans les tâches et des exigences trop élevées sont alors exprimées envers ces derniers, ce qui peut engendrer du stress, dans un environnement non propice à l’apprentissage.

Aussi, les données montrent que les superviseurs en hôpital (une grande majorité de femmes) évaluent de manière systématique les participantes comme significativement moins compétentes que les stagiaires masculins qu’il s’agisse d’indicateurs concernant l’organisation du travail, le respect des consignes, la rigueur et la vitesse d’exécution, ou qu’il s’agisse de qualités comme la concentration, la disponibilité, la ponctualité, la motivation, etc. Bien que tant une majorité d’hommes que de femmes satisfassent les critères des référents.

Impacts sur les savoir-faire et l’insertion à l’emploi

Les interviews d’évaluation auprès des stagiaires montrent que les compétences techniques sont considérées comme l’aspect ayant le plus évolué durant le programme. Si les premiers jours semblent avoir été compliqués pour la majorité, la plupart des stagiaires se sont adaptés rapidement et ont acquis les gestes basiques du métier. La majorité des stagiaires considèrent, par ailleurs, que le vocabulaire technique en français, en lien avec le travail, est largement intégré. Des améliorations sont aussi notées en matière de conversations avec les collègues. En revanche, les échanges avec les supérieurs restent redoutés.

Des effets rapides de mise à l’emploi sont observés chez certains stagiaires, juste après les stages : ils ou elles sont approchés par les responsables des ressources humaines qui leur proposent des contrats temporaires. Pour d’autres, le stage aura permis de clarifier un projet professionnel, de se confronter à la réalité du travail dans les secteurs proposés (en termes d’horaires, d’exigences, de conditions de travail…) et d’expérimenter de possibles ajustements pour concilier responsabilités familiales (qui incombent majoritairement aux femmes) et professionnelles. Pour certains, c’est un ensemble de questionnements (immédiat ou sur la durée) qui émerge et aboutit, parfois, à la définition d’une nouvelle trajectoire professionnelle (réorientation vers un autre secteur, une formation qualifiante, un processus de reconnaissance des diplômes et acquits), un chemin qui peut également être couronné par un contrat d’emploi, même si la grande majorité des emplois générés par le dispositif se situent au sein des hôpitaux partenaires ou au sein de leurs succursales.

Bien entendu, les engagements (ou non) sont aussi fonction des besoins en personnel des entreprises et d’un ensemble de projections chez les partenaires. Il arrive que les responsables hospitaliers sollicitent l’équipe des formateurs quand une place est vacante. Nous constatons que le secteur du nettoyage est le métier qui propose le plus grand nombre de possibilités d’emploi. Les participantes y sont surreprésentées, tandis que le secteur de la logistique absorbe une majorité de participants masculins. Les responsables hospitaliers apprécient d’être tenus au courant du devenir professionnel des stagiaires qu’ils ont connus. Ils parlent désormais du « rôle sociétal » de leur entreprise. Ils estiment qu’à l’issue d’une série de contrats à durée déterminée, il est possible de proposer un emploi définitif aux travailleurs. Il est donc nécessaire d’observer l’évolution à moyen terme des participants et participantes au dispositif. Un procédé est mis en place afin de contacter les stagiaires 12 et 18 mois après la fin de leur stage.

ObservationsFemmes%Hommes%Total%
Abandon du stage1224141317
Emplois à la sortie du stage10208321824
Décline emploi à la sortie du stage6121479
Total des propositions d’emploi à la sortie du stage16319362634
Emplois 12 mois après le stage193713523241
Proportion de contrats longs/emplois 12 mois après la fin du stage12638622063
Emplois 18 mois après le stage265115604154
Proportion de contrats longs/emplois 18 mois après la fin du stage238812803585
Total511002510076100

Les observations montrent que la quasi-totalité des personnes qui abandonnent le stage sont des femmes. On constate également que les hommes sont surreprésentés parmi les 26 personnes qui reçoivent une proposition d’emploi immédiatement après le stage. Cet écart à l’avantage des stagiaires masculins persiste jusqu’à la fin de la période d’observation : un an après le stage, 52 % des hommes sont en emploi contre 37 % des femmes ; à l’issue de 18 mois, 60 % des hommes sont en emploi contre 51 % des femmes. On remarque toutefois que l’écart entre les hommes et les femmes ne se résorbe que peu avec la durée. Néanmoins, la qualité des contrats proposés aux femmes semble légèrement meilleure.

Les femmes premières concernées par les incidents critiques et les abandons de stage

Le partenariat avec les structures hospitalières est appréciable, le taux d’insertion, par exemple, est au-dessus des exemples cités dans l’introduction de l’article. Nous constatons toutefois l’importance de rappeler régulièrement au personnel hospitalier, à divers échelons, les principes du projet Hospi’Jobs en matière de gestion et de valorisation des diversités. Si la majorité des stages se déroule sans difficulté, certains cas se révèlent problématiques. Le recueil et l’analyse de 21 « situations critiques » (Cohen-Emerique, 2016 ; Deslauriers et coll., 2017) confirme les failles dans la transmission de l’information concernant le stage au sein du personnel hospitalier et des biais de perception vis-à-vis des stagiaires parmi ce groupe, de même que certaines limites factuelles des initiatives d’insertion[2] 2 (Duvoux, 2010). Les obstacles spécifiques aux personnes issues d’un parcours migratoire ne sont, en effet, pas suffisamment compris en compte par les institutions d’insertion et les employeurs. A chaque difficulté, les « faiblesses en français » sont brandies comme « la cause du problème », alors que la raison d’être du projet est justement de chercher les voies de la valorisation professionnelle, malgré les difficultés linguistiques.

On constate, de surcroît, que la majorité (19) de ces 21 frictions concernent des participantes, comme douze des treize cas d’abandon de stage ou de formation, ainsi que six des sept refus de contrats d’emploi proposés en fin de stage par les hôpitaux. Ces démissions corrélées entre elles désarçonnent les responsables hospitaliers et ébranlent leur foi dans le dispositif proposé. Ces constats indiquent également des difficultés spécifiques concernant les stagiaires féminins qu’il s’agit d’identifier et résoudre en collégialité.

Dès janvier 2022, il a donc semblé indispensable de proposer aux travailleurs et agents des ressources humaines des hôpitaux, ainsi qu’aux stagiaires (hommes et femmes), des groupes de réflexion (d’une quinzaine de participants) sur les situations identifiées ou similaires (trois heures par semestre par hôpital), afin de sensibiliser tous et toutes aux sources de l’incommunication et à leur prévention, par la décentration et la gestion des conflits, dans une approche intersectionnelle (Scheurette et Manço, 2021). Par exemple, l’approche des convictions religieuses au travail : si le règlement de sécurité et d’hygiène impose une tenue de travail, il ne tranche pas, avec clarté, la question du foulard islamique et peut ouvrir la voie à l’arbitraire3. Des tensions ont ainsi pu émerger et pousser à l’abandon plusieurs intéressées. Cet exemple souligne la nécessité de travailler la gestion des diversités et des accommodements raisonnables afin de produire des solutions créatives et négociées face à ce type d’antagonismes, dans l’intérêt mutuel (Devries et Manço, 2018). C’est l’objectif du projet intitulé Hospi’talité qui fonctionne maintenant de pair avec le projet Hospi’Jobs. Ce projet s’attèle à travailler avec les tuteurs et tutrices des stagiaires ainsi qu’avec les responsables d’équipes et les GRH des structures hospitalières les situations d’incidents critiques afin de favoriser une meilleure compréhension des contextes et situations de vie des personnes migrantes parfois méconnues des partenaires, établir un terrain de dialogue possible pour enfin tendre vers une entente interculturelle et le bien-être des personnes dans un environnement de travail inclusif.

Nous considérons cet objectif comme approché dans la mesure où les hôpitaux acceptent de reconduire l’expérience et envisagent désormais la recherche de solutions par l’instauration de séances réflexives semestrielles destinées à leur personnel. Les responsables hospitaliers souhaitent du reste que le temps de stage soit revu à la hausse, ce qui correspond également au vœu des formateurs et d’un certain nombre de participants. Ils demandent également que l’initiative s’élargisse vers d’autres métiers et vers des structures hospitalières secondaires de la région, une attente également présente parmi les stagiaires qui pourraient ainsi trouver un travail plus près de leur domicile. De plus, vu les résultats jugés positifs, l’expérience pilote est reconduite dans son financement par la ministre de tutelle qui a visité l’action en janvier 2023 et l’a inscrite comme « bonne pratique » dans le premier plan régional wallon de lutte contre le racisme (mesure 21).

De plus, les horaires atypiques (tôt le matin, tard le soir, les week-end) souvent pratiqués dans les secteurs de l’HORECA et du nettoyage où l’on retrouve une forte proportion de personnes migrantes et en particulier de femmes ne correspondent que rarement aux horaires des  milieux d’accueil de la petite enfance (La Ligue des familles, 2021) ce qui engendre une difficulté supplémentaire à la conciliation travail/vie de famille pour ces femmes. 

Conclusion

Hospi’Jobs est un projet qui promeut l’apprentissage en contexte du français, en concomitance avec la mise à l’emploi, une stratégie encore peu usitée en Wallonie. Il propose un accompagnement spécifique tant des apprenants que des équipes qui les accueillent en entreprise. L’initiative participe à poser un regard nouveau sur les travailleurs migrants et leur inclusion professionnelle dans un secteur essentiel et en pénurie de main-d’œuvre.

L’initiative est menée en réseau. Au-delà de leurs diversités, qualités et compétences, les partenaires formateurs ou hospitaliers se complètent, et leurs intérêts sont convergents. Cette conjonction signe une plus-value dans la mise en œuvre du dispositif dont le taux d’insertion est de plus de 50 %.

Le public migrant rencontre divers obstacles spécifiques durant son parcours d’accès à l’emploi. Ceux-ci impactent parfois leur implication au processus de stage, voire au-delà, dans la recherche de travail. Les femmes participant au projet rencontrent davantage encore d’obstacles liés à la charge de la garde des enfants dans un contexte de manque criant de places en crèches disponibles. Ces obstacles impactent lourdement leur implication au processus de stage, voire au-delà, dans la recherche d’emploi. L’accompagnement individualisé de ces problématiques apparaît comme primordial. Ainsi, Hospi’Jobs ne souffre pas de manque de participants, ce qui ne semble pas être le cas de nombreuses autres offres en insertion socioprofessionnelle développées en Région wallonne. Le dispositif propose une médiation entre institutions et stagiaires, ce qui facilite l’inclusion. L’expérience contribue ainsi à construire un nouveau paradigme en matière d’insertion, face à un public qui représente des ressources et un secteur en demande de talents, mais dont l’articulation s’avère complexe.

La reconduction du projet Hospi’jobs donne l’opportunité d’approfondir la mise au point du dispositif et de l’élargir vers des secteurs connexes, également en tension (maisons pour aînés, restauration de collectivité, secteur de la logistique, avec à la clé, une certification des participants). La formation est constituée de modules et d’interventions en entreprise dont les contenus sont évalués collégialement chaque semestre. La coopération sur le long terme est capitale afin de mieux se connaître entre partenaires (besoins, manières de travailler, priorités…) et créer un contexte de collaboration riche en apports, évolutif et durable, de même que pour consolider la confiance mutuelle.

La dimension tutorat en entreprise apparaît comme une des facettes dont le développement doit être poursuivi avec urgence : préparer davantage les employés et les responsables du secteur hospitalier à l’accueil, à la communication en contexte de diversité et à l’accompagnement des stagiaires issus de l’immigration aux compétences parfois en décalage par rapport aux habitudes locales.

De futurs partenaires sont sollicités en fonction de ces axes de travail, dont la diffusion du modèle proposé, dans les milieux professionnels et politiques : il pourrait compléter les différentes mesures d’activation mises en place par d’autres régions.

Bibliographie

Billett S. (2011), « Learning in the circumstances of work : the didactics of practice », Education and Didactique, v. 5, n° 2, p. 129-149.

Castra D. (2003), L’insertion professionnelle des publics précaires, Paris : PUF.

Cohen Emerique M. (2016), « Le choc culturel : révélateur des difficultés des travailleurs sociaux intervenant en milieu de migrants et réfugiés », Les politiques sociales, n° 3 et 4, p. 76-87.

Deslauriers J-M., Deslauriers J.-P. et LaFerrière-Simard M. (2017), « La méthode de l’incident critique et la recherche sur les pratiques des intervenants sociaux », Recherches qualitatives, v. 36, n° 1, p. 94-112.

Devries M. et Manço A. (2018), « Dialogues entre musulmans et non musulmans dans les entreprises : s’apprivoiser entre collègues pour un meilleur “travailler-ensemble” », Manço A. et Gatugu J. (éds), Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan, p. 293-312.

Duvoux N. (2010), « Le travail vu par les assistés : éléments pour une sociologie des politiques d’insertion », Sociologie du travail, v. 52, n° 3, p. 389-408.

Manço A. (2018), « Dispositifs d’intégration socio-économique des travailleurs migrants : une cartographie des pièges et tremplins », Manço A. et Gatugu J. (éds), Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan, p. 427-449.

Manço A. (2021), « Insertion des travailleuses migrantes : l’efficacité des dispositifs ? », Razafindratsimba D., Rachedi D., Perocco F., Manaï B. et Vatz Laaroussi M. (éds), Visages du racisme contemporain : les défis d’une approche interculturelle, Paris : L’Harmattan, p. 271-292.

Scheurette L. et Manço A. (2021), « Inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi en Wallonie : l’heure du bilan », Manço A. et Scheurette L. (éd.), Inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi. Bilan des politiques en Wallonie, Paris : L’Harmattan, p. 13-34.

Scheurette L. et Manço A. (2021), « Médiation interculturelle en entreprise : favoriser l’inclusion des diversités dans le monde du travail », Manço A. et Scheurette L. (éds), L’inclusion des personnes d’origine étrangère sur le marché de l’emploi. Bilan des politiques en Wallonie, Paris : L’Harmatan, p. 301-320.

Notes

  1. Données de l’OCDE (2019) et du Monitoring socio-économique (2019) du Service public fédéral belge Emploi.
  2. Des freins en lien avec des questions personnelles, de mobilité, de garde d’enfants, relevant du statut de séjour ou du permis de travail, de la non-reconnaissance des expériences et titres obtenus à l’étranger, de la pénibilité des emplois proposés en regard de leur faible reconnaissance pécuniaire, etc.
  3. Le foulard (ou la charlotte opaque) est accepté par une des structures partenaires (en cuisine), tandis qu’elle est refusée dans un autre hôpital (en nettoyage, où le personnel est visible des autres personnes qui se trouvent dans la structure). Un autre cas concerne des apprenantes membres d’une église évangéliste qui refusent de porter le pantalon de travail et réclament une jupe.

Altay Manço, Charlotte Poisson, Cossi Noudofinin