Le parcours d’intégration favorise-t-il l’accès à l’emploi ?
Pascale Felten
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2021
Pour citer cette analyse
Pascale Felten, « Le parcours d’intégration favorise-t-il l’accès à l’emploi ? », Analyses de l’IRFAM, n° 17, 2021.
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L’accès au marché de l’emploi constitue un facteur important d’intégration pour les personnes primo-arrivantes. Outre la rémunération et l’accès à des droits sociaux, l’emploi favorise l’inclusion sociale, l’acquisition de l’autonomie et la création d’un réseau social. Cependant, de nombreuses barrières rendent cette insertion difficile pour ces personnes. Sur base d’une recherche qualitative, la présente analyse vise à envisager les effets du parcours d’intégration et de comprendre si le dispositif permet aux primo-arrivants1 de trouver leur place sociale et professionnelle en Wallonie.
Le parcours d’intégration
Chargée de la politique d’intégration, la Région wallonne met en place un parcours d’accueil en 2014, dix ans après la Région flamande, organisé par les Centres Régionaux d’Intégration (CRI). Révisé en 2016, le dispositif devient partiellement obligatoire et est rebaptisé « parcours d’intégration » soulignant ainsi la responsabilité du primo-arrivant au sein du processus (Gossiaux et coll., 2019). La dernière révision du décret, datant de 2018, précise que le parcours d’intégration vise un « processus d’émancipation » décliné en quatre axes : « un module d’accueil personnalisé ; une formation à la citoyenneté ; une formation à la langue française si besoin ; une orientation socioprofessionnelle si besoin. » Ce dernier est obligatoire pour tous les primo-arrivants, avec certaines dispenses.
À l’instar de la Flandre, le dispositif mis en place en Wallonie s’inscrit dans une logique d’activation (Bousetta et coll., 2016, 28), dont le postulat conjugue la légitimité du migrant avec sa capacité à profiter économiquement au pays d’accueil. La volonté politique derrière ces dispositifs est que le migrant devienne actif, notamment sur le marché du travail. Dans une approche qualitative, nous avons rencontré huit professionnels du secteur2 et 17 primo-arrivants de la Province de Liège, avant la pandémie et ses conséquences, pour envisager les effets du parcours d’intégration sur l’insertion professionnelle. Nos observations sont déclinées selon six éléments clés qui influencent la capacitation des primo-arrivants à l’emploi.
1. Capacité de choisir
Les éléments légaux liés à la procédure d’installation et au titre de séjour peuvent fortement borner les choix des personnes migrantes quant à leur projet professionnel, leurs droits et ce qu’elles espèrent obtenir (Yakushko et coll. 2008). La charge administrative liée à cette procédure, mais également le parcours d’intégration lui-même peuvent impacter la disponibilité pour la recherche d’emploi. Les incertitudes de ces procédures et la contrainte à un temps d’attente peuvent avoir des effets dévastateurs sur le bien-être. La reconnaissance des diplômes et la validation des compétences représentent également une procédure « très énergivore ; il faut ramener des documents […] il faut attendre longtemps parce que les procédures sont longues et c’est coûteux » (entretien CRVI). Même si les primo-arrivants réussissent à réaliser les démarches nécessaires à une demande d’équivalence, ils doivent « majoritairement, trouver de l’emploi en dessous de ce qu’ils sont capables réellement de faire » (entretien CRIPEL). En l’absence de diplôme à faire reconnaitre, un dispositif de validation des compétences a été mis en place par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cependant, ce dispositif « est méconnu et très peu accessible aux personnes étrangères » (entretien CRVI). La reconnaissance des compétences est « souvent partielle » (entretien CRIPEL), et la procédure est uniquement réalisable en français. Bien que la maîtrise du français soit indispensable en Wallonie afin de ne pas être limité dans ses choix professionnels, son rôle dans le processus d’intégration ne fait pas consensus chez les professionnels et scientifiques. Une étude de De Cuyper et González Garibay (2013) suggère, par exemple, que la mise à l’emploi immédiate peut avoir plus d’effets positifs en termes d’intégration que les cours de langue. Apparaît ainsi l’importance de favoriser les cours de « FLE-métier », moins scolaires et plus adaptés aux besoins des primo-arrivants et des entreprises, étant donné leur efficacité approuvée autant par les professionnels du terrain que par le monde scientifique (Samek Lodovici, 2010 ; Manço et Hajar, 2018).
Les choix professionnels des personnes primo-arrivantes sont également limités par l’offre de formations trop restreinte sur le territoire et pas toujours adaptée à leurs besoins. Elles visent souvent des métiers en pénurie et contribuent ainsi au phénomène d’ethnostratification. L’orientation est également influencée par le réseau social et professionnel du primo-arrivant. Ainsi, « le plus important dans le cadre d’une recherche d’emploi, c’est le capital symbolique, c’est le réseau que vous pouvez mobiliser » (entretien CRVI). En effet, un certain nombre d’offres d’emploi sont relayées directement à l’intérieur d’un réseau social, à travers le « bouche à l’oreille » (Gatugu et coll., 2018), ou publiées sur des sites d’annonces peu connus des primo-arrivants. Il importe de promouvoir les dispositifs qui visent à renforcer le réseau de la personne, dans le but d’élargir et de multiplier les possibilités d’embauche et de renforcer le choix professionnel du primo-arrivant.
2. Capacités d’orientation
La connaissance et la compréhension des codes sociaux belges jouent un rôle important et nécessitent l’organisation d’un accompagnement spécifique (entretien opérateur associatif). Outre les cours de citoyenneté prévus par le parcours d’intégration, ces aspects peuvent être renforcés au sein de projets associatifs, de rencontres interculturelles mais également par la mise à l’emploi elle-même. Les primo-arrivants peuvent aussi rencontrer un manque d’information et de compréhension du paysage institutionnel, habité par une multitude d’acteurs, publics et associatifs, impliqués dans le parcours d’intégration. Or ce manque de cohérence et de clarté se répercute sur la connaissance que les migrants ont de leurs droits et obligations. Si le constat appelle à une coordination plus efficace des différents services, notons que l’opacité du parcours d’intégration est renforcée par le manque d’interprètes en Wallonie, malgré une augmentation du budget alloué au SeTIS (structure d’interprétariat social) en 2016. Pour soutenir l’orientation en dépit d’un réseau social souvent peu développé, des initiatives de mentorat, de bénévolat ou encore de stages en entreprise sont à promouvoir (Gatugu et coll., 2018). Un réseau social diversifié permet de renforcer d’autres aspects de la mise à l’emploi comme des apprentissages spécifiques, techniques ou linguistiques (entretien opérateur associatif), tout en encourageant la mixité culturelle. La capacité d’orientation du primo-arrivant dépend, in fine de ses compétences individuelles. Chacun dispose de compétences, de capacités de résilience, d’un capital social, etc., qui peuvent l’aider à s’intégrer et à s’orienter plus facilement au sein de la société d’accueil (Manço, 2008).
3. Capacité de travail
Les dispositions des travailleurs à entrer sur le marché de l’emploi peuvent être affectées par des aspects comme la santé. L’exil peut entrainer des effets physiques et psychologiques parmi les migrants (Yakushko et coll., 2008), et la précarité dans le pays d’installation peut engendrer un sentiment d’insécurité et d’impuissance. Ces limites concernent aussi l’entrée en formation, notamment, en langue : « avant de parler, on veut être en sécurité » (entretien CRVI). Or, le dispositif d’intégration ne s’occupe que très peu de la satisfaction de ces besoins de base. À cela s’ajoute la déconstruction des imaginaires migratoires qui peut nécessiter un accompagnement social pour reconstruire un projet professionnel en adéquation aussi bien avec les compétences et attentes du primo-arrivant que du marché du travail belge. Le caractère obligatoire du parcours peut, quant à lui, susciter un sentiment de traitement inégal par rapport au reste de la population. Ceci apparaît en contradiction avec l’objectif d’émancipation énoncé dans le décret, alors que selon un témoin, membre du SeTIS, les primo-arrivants ont de toute manière, dans leur grande majorité, la volonté de se former et d’accéder au travail. L’obligation ne serait finalement qu’un « symbole » censé rassurer la population autochtone.
4. Inégalités spatiales
Le parcours d’intégration socioprofessionnelle des migrants est également impacté par des facteurs géographiques liés, notamment, à la distribution inégale des services sociaux. Si le centre des villes comme Liège et Verviers comprend de nombreuses associations et institutions dédiées à l’accueil, à la formation et à l’insertion des publics immigrés ou des structures d’accueil à l’enfance, tel n’est pas le cas en périphérie et en zones rurales (observation CRIPEL). De plus, l’accessibilité par les transports en commun y reste limitée. La mobilité a en effet un impact sur la capacitation à l’emploi et crée des inégalités entre primo-arrivants selon leur localisation. La détention d’un permis de conduire valable en Belgique et l’achat d’un véhicule personnel demandent, quant à eux, de nombreuses autres conditions matérielles. De plus, le remboursement des frais de transport des migrants qui participent aux activités du parcours d’intégration n’est pas automatique, « ce qui fait que, de facto, le dispositif n’est pas gratuit » (Gossiaux et coll., 2019, 69). Enfin, les inégalités spatiales sont accentuées par les différences de niveaux de collaboration entre organismes d’insertion. Le bénéficiaire de ces organismes fait face à des structures qui coopèrent pour plus d’efficacité ou qui vivent leur cohabitation sur le mode de la concurrence. Notre recherche montre également que les rôles des CRI et du FOREM, dans le cadre du parcours d’intégration, ne sont pas encore clarifiés sur l’ensemble du territoire wallon.
5. Absence des entreprises
Certains obstacles, notamment liés aux discriminations à l’embauche et au manque de collaboration entre opérateurs et entreprises influencent, à leur tour, la capacitation des primo-arrivants à l’emploi. Même si de nombreux outils existent et contribuent à la lutte contre la discrimination, tels que normes, chartes, conventions et programmes internationaux, leur application fait encore souvent défaut (Gatugu, 2018). Le manque de contacts entre organismes d’insertion et entreprises est une réelle difficulté qui compromet l’efficacité du travail d’insertion socioprofessionnelle. L’implication des entreprises dans la mise en place de tels dispositifs peut contribuer à les sensibiliser, et à les rendre plus enclines à proposer des stages et des emplois à des primo-arrivants (entretien FOREM). Or la sensibilisation, l’accompagnement et l’information auprès des entreprises sont absents du décret actuel et tant les CRI que le FOREM et les associations de terrain manquent de ressources pour réaliser ces démarches. Une des voies passe sans doute par la mobilisation de la responsabilité sociétale des entreprises (Cocagne et Stokkink, 2019).
6. Inégalités de genre
La capacitation à l’emploi dépend enfin du sexe et de la charge de famille des travailleurs et travailleuses. En Province de Liège, plus de 53 % bénéficiaires du « revenu d’insertion » sont des femmes. Pour celles qui accèdent à un emploi, bon nombre de primo-arrivantes se retrouvent dans des secteurs comme les soins ou le nettoyage, faute d’autres possibilités. Aux difficultés structurelles de discrimination viennent s’ajouter celles d’ordre individuel. À titre d’exemple, les femmes monoparentales sont nombreuses parmi les immigrées qui, par définition, sont éloignées de leurs réseaux primaires (parents, collatéraux…). Le coût et la disponibilité des structures de garde des enfants sont un véritable obstacle dans l’accès à l’emploi, d’autant plus que, souvent, les salaires auxquelles les primo-arrivantes peuvent prétendre sont à peine plus élevés que les aides et allocations qu’elles reçoivent. « J’aimerais faire quelque chose, mais si je ne trouve pas de crèche pour mon fils, comment je vais y arriver ? » (entretien primo-arrivante). Une des conséquences de cette situation est la dépendance matérielle et psychologique du mari, notamment pour les femmes arrivées par la voie d’un regroupement familial. Le titre de séjour sera conditionné à la poursuite de l’union… C’est alors que l’accès à l’emploi prend tout son sens en termes d’émancipation sociale et d’éducation des enfants.
Vers un parcours plus individualisé
Un grand nombre d’éléments peuvent influencer, positivement ou négativement, et à des intensités variables, la capacitation des primo-arrivants à l’emploi. Les professionnels rencontrés sont cependant unanimes sur un point : les primo-arrivants ont besoin d’une approche plus individualisée quant à leur accompagnement en matière d’intégration socioprofessionnelle. Il s’agit d’apporter des réponses spécifiques, adaptées aux réalités de l’individu. Inutiles pour les uns, les quatre heures d’orientation du parcours sont insuffisantes pour les autres. Toutefois, un parcours individualisé pose la question du temps et des moyens à y investir, alors que les professionnels rencontrés déplorent déjà leur manque pour l’accompagnement individuel des primo-arrivants. Si le temps, l’approche basée sur la qualité et l’accueil individuel sont des facteurs de réussite, l’évaluation qui est faite du travail presté est toujours d’ordre quantitatif et dépend du nombre de dossiers traités. Une des stratégies adoptées, dans ce contexte d’inadéquation, est d’inciter les primo-arrivants qui en expriment le désir à consulter d’autres associations spécialisées afin de poursuivre leur accompagnement.
Conclusions et recommandations politiques
Les éléments influençant la capacitation des primo-arrivants à l’emploi sont nombreux et touchent des niveaux macro, méso et micro. Les constats de cette analyse contribuent à affirmer que l’individualité des personnes primo-arrivantes n’est pas suffisamment prise en compte dans le dispositif d’intégration actuel, caractérisé par sa linéarité, proposant une solution unique et générale à toute la population considérée. Par conséquent, il est possible d’affirmer que le parcours d’intégration dans son état actuel qui ne consacre formellement que quatre heures à la recherche d’emploi ne permet pas une capacitation optimale de tout un chacun sur le marché du travail. Ceci se reflète également dans les constats d’autres recherches récentes : le dispositif actuel n’amène pas « à un changement au niveau de la situation économique des personnes concernées » (Gossiaux et coll., 2019, 85).
Le dispositif mis en place responsabilise surtout les participants sur l’issue de leur intégration socioprofessionnelle alors que l’intégration est censée être un processus à double sens, engageant autant la personne primo-arrivante que la société d’accueil. Plus de moyens doivent ainsi être investis dans le cadre du dispositif d’intégration, afin d’augmenter le temps accordé à un accompagnement plus individualisé et, par conséquent, plus adapté aux besoins, ainsi que mieux orienté vers le monde de l’entreprise. Une mise à l’emploi rapide des travailleurs migrants dans le cadre d’une insertion professionnelle durable et de qualité, notamment via la réduction des barrières évoquées, sera bénéfique non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les sociétés d’accueil et d’origine.
Il nous parait essentiel d’améliorer la collaboration entre tous les acteurs impliqués par l’insertion socioprofessionnelle afin d’arriver à plus de cohérence et de complémentarité au sein du parcours d’intégration. Cette collaboration comprenant les employeurs doit être élargie à une approche transversale, prenant en compte divers aspects de la vie des primo-arrivants. La prise en compte des aspects structurels de l’insertion professionnelle des migrants nécessite de renforcer la lutte contre la discrimination et d’inclure, dans le dispositif, l’approche interculturelle. Il parait en outre indispensable de rendre les procédures d’équivalence des diplômes, de validation des compétences et de reconnaissance du permis de conduire plus accessibles, ainsi que d’améliorer l’accès à des formations adaptées aux besoins des primo-arrivants. Il importe également de prendre en compte les difficultés de mobilité et de garde d’enfants. Par ailleurs, il s’agit d’encourager le partenariat entre opérateurs associatifs et entreprises, dans le but d’une sensibilisation de ces dernières à l’emploi des primo-arrivants, mais aussi d’une plus grande proximité entre les contenus de formation et les besoins des entreprises. Ceci ne pourra que renforcer le développement des pratiques telles que les mises en stage, les cours de langue-orientés métier, ainsi que des incitants à l’embauche de primo-arrivants. Dans cette optique, il parait intéressant de valoriser les projets agissant en réseau, ainsi que les actions des entreprises qui s’engagent dans la gestion de la diversité, ou celles proposées par les associations de migrants. L’information des primo-arrivants sur le dispositif et son caractère obligatoire doit être améliorée. Il s’agit d’y accorder plus de temps, de pédagogie et prendre compte des besoins individuels.
Bibliographie
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