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Le parrainage interculturel : vers une solidarité mutuelle ?

Mégane Dethier et Joachim Debelder

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette analyse
Mégane Dethier et Joachim Debelder, « Le parrainage interculturel : vers une solidarité mutuelle ? », Analyses de l’IRFAM, n°3, 2024.

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Parfois spontanée au sein de collectifs citoyens ou d’hébergements solidaires, la création de relations entre des citoyens ancrés de longue date en Belgique et de nouveaux arrivants peut également être formalisée. Au cours des dernières années, un nombre croissant d’associations, mais aussi d’acteurs publics et privés, coordonnent ces mises en relation dans l’objectif de soutenir des personnes issues des migrations face aux inégalités qu’elles rencontrent. Ces « dispositifs relationnels » prennent la forme du mentorat, du parrainage ou encore du jumelage selon les modalités et les objectifs de l’accompagnement. En découle une logique relationnelle plus ou moins hiérarchique ou égalitaire entre individus1. Ces dispositifs ont pour principe la mise en relation, aussi appelée matching ou appariement, de personnes bénévoles, qui ne reçoivent donc ni rémunération ni défraiement pour leur participation.

En complément des accompagnements traditionnels, le recours à ces projets dans le champ de l’action sociale vise à répondre à des besoins en termes d’accès à l’emploi, d’apprentissage de la langue ou de connexions sociales, par exemple. Depuis peu, les « duos pour l’inclusion » peuvent aussi faire l’objet d’un soutien financier de la Région wallonne dans le cadre de sa politique d’intégration.

Tandis qu’elles se multiplient, nous souhaitons nous intéresser aux relations nouées dans ces pratiques de solidarités semi-formalisées : quels sont les enjeux de ces relations, quelles sont les motivations et les attentes de ceux et celles, belges ou étrangères, qui s’y investissent? Et, finalement, quels sont les apports mutuels, de même que l’impact de cette forme d’engagement?

Le parrainage interculturel de Tandems solidaires

Notre analyse est ancrée dans les réalités de Tandems solidaires, un projet de parrainage porté par l’association pluridisciplinaire Espace 28. Situé à Verviers, l’organisme propose un service social, juridique, psychologique et de formation aux personnes étrangères. Les bénéficiaires tendent à rencontrer des situations difficiles et sont socialement isolés. Pour répondre à ces besoins, l’équipe de professionnels développe en 2019 le projet avec pour finalité de combler les trous dans le maillage social de la région verviétoise et de développer l’interculturalité. Leur fondement est que l’intégration est un processus réciproque au sein duquel les acteurs de la société d’installation devraient mettre en place des facilitateurs en favorisant les rencontres interculturelles.

Depuis sa création, plus d’une centaine de personnes ont rejoint le projet Tandems solidaires. La majorité des tandems formés se sont poursuivis au-delà de leur engagement initial, et certains durent depuis plusieurs années. À la demande de l’organisme, l’IRFAM a réalisé une évaluation du projet dont la méthodologie croise des approches quantitatives et qualitatives (rencontres avec les volontaires belges et étrangers, ainsi que des membres du personnel d’Espace 28).

Relations entre les volontaires

Le projet Tandems solidaires cherche à établir une interaction basée sur l’engagement mutuel et le partage interculturel. Cependant, l’établissement de relations réciproques n’est pas une évidence.

Les relations de parrainage sont caractérisées par une inégalité intrinsèque. Le parrain, possédant l’expérience ou les ressources à partager, se retrouve dans une situation où il aide le parrainé, renforçant ainsi une dynamique aidant-aidé. Celle-ci se voit d’autant plus renforcée dans le cadre de projets interculturels en raison de la différence de profils des volontaires. Le projet Tandems solidaires met en relation des personnes dont les situations sociales, économiques et administratives sont marquées par de très fortes inégalités. Celles-ci sont par ailleurs traversées par les dimensions du genre, de la race, ou de la religion. L’enjeu du projet est ainsi de composer avec ces différences de positions sociales des volontaires belges et étrangers, tout en leur proposant comme perspective une relation d’échange aussi égalitaire que possible.

Inégalités structurelles et inégalités interactionnelles 

Dans le contexte des initiatives citoyennes de soutien aux migrants nées à la suite de la crise de l’accueil, de nombreuses recherches ont mis en avant les apports et les enjeux des relations qui se tissent entre de nouveaux arrivants et des bénévoles européens. Elles ont souligné de façon récurrente les problématiques liées aux asymétries de pouvoirs dans ces types de relations. De nombreux organismes et projets qui visent à renforcer le pouvoir d’agir des acteurs (locaux ou étrangers) s’attachent ainsi à construire des stratégies relationnelles pour gérer ces asymétries. Afin d’en clarifier l’approche, Carlsen et al. (2022) proposent de distinguer deux niveaux d’inégalité : interactionnelle et structurelle. De cette façon l’engagement bénévole a généralement pour finalité de réduire les inégalités structurelles, c’est-à-dire celles qui concernent la société dans son ensemble. Comme les auteurs le soulignent, dans les projets de renforcement du pouvoir d’agir, les acteurs s’intéressent également aux pratiques quotidiennes qui permettent de réduire les inégalités interactionnelles entre les « aidants et les aidés ». Cette approche distingue ces projets de formes de volontariat traditionnelles, davantage philanthropiques ou paternalistes. L’objectif est alors de «chercher à cultiver une sensibilité pour les inégalités interactionnelles et institutionnaliser des modes d’interaction qui minimisent la manière dont les inégalités structurelles produisent des inégalités interactionnelles ». L’une des tactiques préconisées est de favoriser la mutualité des échanges : chaque acteur rejoint le dispositif afin de «faire, recevoir et accomplir quelque chose» (Carlsen et al. 2022, 61).

Relations d’aides et d’entraide

Nous distinguons deux formes d’engagement relationnel. Pour être plus optimal, l’étape du matching distingue si les volontaires souhaitent s’orienter vers des relations d’aide ou vers des relations d’entraide. La frontière est poreuse entre ces catégories et une même relation peut bien entendu passer d’une à l’autre.

Dans une relation d’aide, le ou la volontaire belge exprime sa volonté d’aider concrètement une personne à atteindre des objectifs prédéfinis. Dans ce cas, l’aide concernera principalement l’apprentissage du français, la recherche d’une formation ou d’un emploi, l’obtention d’un logement, etc. La relation peut se dérouler sur du court terme (moins de 6 mois) et ses objectifs seront plutôt orientés vers les résultats. Les activités réalisées par le duo seront davantage planifiées et organisées. Enfin, la proximité géographique n’est pas essentielle au bon déroulement de la relation. Il en résulte une relation inégalitaire dans laquelle, sans que ce soit intentionnel, un volontaire pourrait prendre l’ascendant sur l’autre. Le risque est, par exemple, qu’un volontaire belge adopte la posture d’un assistant social par rapport au volontaire étranger.

La coordination développe une vigilance afin d’éviter le développement d’attentes inappropriées ou de situations critiques qui mettraient à mal la relation.

Au sein d’une relation d’entraide, chaque volontaire souhaite apporter quelque chose à l’autre. Ce type de relation s’envisage sur du plus long terme (minimum 6 mois) pour permettre le développement d’une confiance mutuelle. Les objectifs sont plutôt relationnels et se concentrent sur la relation en elle-même : il s’agit de la rendre la plus agréable possible pour l’un comme pour l’autre. Comme le soulignent Crijns et De Cuyper (2021, 35), la fréquence des rencontres est déterminante pour ce type de relation pour développer une connaissance mutuelle. Les relations d’entraide sont ainsi favorisées par des activités qui s’intègrent dans le quotidien des volontaires. La proximité géographique est donc un élément important pour favoriser la spontanéité des rencontres. Les activités qui demandent peu de moyens ou d’organisation sont préférables afin d’ouvrir la possibilité à des « contre-dons », de rendre la pareille de façon accessible. Cela augmentant de facto la satisfaction par rapport au projet. Les différentes caractéristiques de ces deux types de relations sont à prendre en compte lors du matching pour favoriser au maximum la mise en place de l’un ou l’autre type de relation.

Les motivations et les attentes des volontaires

Dans leur ensemble, les volontaires belges et étrangers ont des priorités similaires pour s’engager dans le projet. Ils et elles ont avant tout le désir de partager des moments d’amitié et des loisirs2.

Les volontaires étrangers expriment logiquement des attentes en lien avec des enjeux d’intégration, à savoir l’apprentissage du français, l’élargissement de leur réseau social et l’insertion socioprofessionnelle.

Les volontaires belges sont principalement motivés par trois aspects : le désir d’aider et de se sentir utiles, l’envie de découvrir d’autres cultures et la recherche de lien social. Les motivations sont souvent accompagnées d’attentes implicites qui peuvent exercer une pression sur l’autre personne du tandem.

En premier lieu, la volonté d’aider peut créer une attente d’efficacité de leur engagement, ce qui peut générer une pression sur les volontaires étrangers pour montrer des progrès visibles. Deuxièmement, la motivation de découvrir d’autres cultures peut également créer des attentes, comme le désir d’en apprendre plus sur la culture culinaire du pays d’origine du volontaire étranger, et ce avec toutes les déclinaisons que peuvent prendre les préconceptions qui y sont associées. Lorsque ces attentes implicites ne sont pas rencontrées au sein du duo, ou que les préconceptions associées ne collent pas à la façon dont la personne s’est imaginée vivre la relation, des situations critiques peuvent apparaitre et mettre à mal le tandem.

À titre d’exemple, une volontaire belge souhaitait « se rendre utile », tandis que l’un des objectifs de son duo était de soutenir le volontaire étranger dans son apprentissage du français. Après un an, il n’y avait pas d’évolution dans la pratique de la langue et la volontaire belge a exprimé sa frustration et sa déception, alors qu’il y avait eu beaucoup d’autres objectifs réalisés au cours de leur relation. Dans un autre cas, un volontaire étranger qui souhaitait créer une relation amicale sollicitait son duo quotidiennement et cela est vite devenu trop lourd à assumer pour le volontaire belge. La relation a été arrêtée afin de trouver un volontaire belge davantage disponible.

L’engagement au sein de ces projets se fait sur base volontaire et les travailleurs sont régulièrement confrontés à des formes de désengagement. Maintenir un engagement constant chez les volontaires constitue un enjeu central. L’engagement citoyen de soutien aux personnes migrantes comporte une forte charge morale ou éthique (Debelder, 2020). Dans le cas des volontaires belges, cette dimension morale (ou son pendant de culpabilité) peut renforcer la difficulté à exprimer le souhait de se retirer du tandem, que ce soit pour mettre fin à une relation spécifique ou pour se désengager du projet en général. Une attitude couramment rencontrée par la coordinatrice du projet est une coupure progressive de la communication, parfois partielle mais généralement totale, allant jusqu’à ne plus du tout répondre aux sollicitations. Le désengagement peut survenir très tôt, juste après l’inscription dans le projet, ou après la mise en relation avec un autre volontaire. Le message qu’il renvoie à l’autre personne est problématique et peut susciter des questionnements : « Ai-je fait quelque chose de mal ? N’ai-je pas été à la hauteur ? ». C’est d’autant plus dommageable que cela peut représenter une nouvelle rupture, après celle douloureuse de l’exil, avec une personne avec qui le volontaire souhaitait tisser des liens, et un trait d’union tangible avec la population locale.

L’enjeu pour la coordinatrice du projet est de soutenir les diverses formes d’engagements et de degrés d’implications que les futures volontaires souhaitent investir dans le projet, afin de créer des relations épanouissantes. Il s’agit de trouver l’équilibre entre, d’un côté, un cadre plus formel comprenant, par exemple, une formation plus longue des volontaires ou une plus grande disponibilité, mais au risque d’exclure certains volontaires. Et, d’un autre côté, un cadre trop faible ne permet pas toujours de soutenir la création de relations durables entre les volontaires.

L’impact sur la vie des volontaires

Soutien à l’inclusion sociale et culturelle systémique

Les projets de parrainage visent à apporter un soutien qui renforce les services d’accompagnement social, juridique, d’insertion socioprofessionnelle ou d’apprentissage du français. Il ne s’agit pas de les remplacer, mais de proposer une approche complémentaire. Les effets du parrainage se perçoivent dans les interstices des actions d’accompagnement plus traditionnelles. Pour en saisir l’impact, nous nous appuyons sur la distinction que font Crijns et De Cuyper (2021, 70) entre les «hard results» et les «soft results». Ces derniers concernent toutes les étapes intermédiaires qui permettent d’atteindre, finalement, les résultats évidents comme l’accès à un logement ou à un emploi, par exemple.

Apprentissage du français

Les tandems se révèlent complémentaires aux cours de Français Langue Étrangère (FLE) proposés par Espace 28. En général, les tandems ne partagent pas de langue commune, hormis le français dont la maîtrise est variable. Bien qu’ils ne se rencontrent pas à une fréquence suffisante pour avoir un impact manifeste sur la langue, les tandems sont souvent l’unique occasion pour de nombreux volontaires étrangers de pratiquer le français avec un locuteur natif, et ce dans des situations quotidiennes et informelles. Les témoignages soulignent une évolution dans l’apprentissage du français, relevant ainsi l’impact positif et complémentaire au cours de FLE. Par ailleurs, des volontaires belges soulignent que la relation est facilitée lorsque la communication peut se dérouler sans traducteur électronique.

Réseau social

Les volontaires étrangers témoignent de leur isolement, et souffrent de l’absence d’un tissu social. Malgré qu’ils ne développent pas ou peu de relations avec l’entourage du volontaire belge, ils rencontrent les proches de leur tandem et partagent des moments de convivialité. Et, si des liens durables ne sont pas créés, cela apporte une ouverture aux cercles familiaux, amicaux et professionnels des volontaires belges, une sociabilité et favorise la confiance en soi. Dans un contexte social marqué par les discriminations, le projet permet aussi de faire le trait d’union avec la population belge locale. Un volontaire étranger exprime ainsi que « avec le racisme, au début, pour moi c’était pas du tout facile de me rapprocher des Belges (…) Mais vu que j’ai côtoyé (le tandem), maintenant, ça me met moins mal à l’aise ». Les tandems permettent de favoriser la création d’un espace prévisible et sécurisant où appréhender la relation interculturelle.

Social

Le tandem constitue un soutien émotionnel sans égal. Les liens forts qui ont été créés et les moments partagés démontrent de l’importance et l’impact positif du projet dans la vie des volontaires étrangers : « j’étais isolé dans un centre d’accueil. J’ai été accueilli comme un roi par toute la famille ». Une collègue psychologue rapproche la relation en tandem d’une «présentation du monde à petites doses», pour reprendre le concept de Winnicott (Riand et al., 2008) : le volontaire constitue une personne-ressource essentielle pour intégrer les codes de conduite de la nouvelle société d’installation, limitant ainsi les risques de traumatisme migratoire.

Insertion socioprofessionnelle

Au niveau de l’insertion socioprofessionnelle, Tandems solidaires agit sur les « soft results », comme le suggèrent Crijns et De Cuyper (2021, 70). Il s’agit des étapes intermédiaires qui conduisent à l’emploi en tant que tel. De cette manière, les volontaires témoignent de l’apport du tandem en termes de soutien moral, des informations, des conseils pratiques, ou quelques contacts au sein d’un réseau professionnel qui permettent d’augmenter le capital social des volontaires étrangers.

Soutien administratif et matériel

Par ailleurs, les volontaires belges reçoivent les demandes en termes de soutien administratif et matériel de leur tandem, mais celles-ci sont plutôt ponctuelles et spécifiques. Il s’agit d’un soutien sur mesure par rapport à un déménagement, un soutien face à la fracture numérique, etc.

L’évaluation constate que ces demandes ne sont pas systématiques et que les volontaires étrangers mobilisent aussi d’autres ressources. Ainsi, le tandem correspond à un soutien supplémentaire, mais pas à un remplacement des assistantes sociales.

Création de relations interculturelles

Les volontaires belges soulignent sur leurs valeurs d’ouverture culturelle. La découverte d’une autre culture représente la deuxième motivation la plus importante pour rejoindre le projet, après la volonté d’être utile et d’apporter son aide. Les entretiens suggèrent que les volontaires ont cependant une représentation de leur réseau social qui est plus diversifiée qu’il ne l’est probablement. Leurs relations avec des personnes d’origine étrangère semblent en général issues soit du milieu professionnel, comme bénéficiaires de services, soit elles sont distantes de nombreuses années.

Pour les volontaires belges rencontrés, la relation tissée au sein du tandem semble être la principale relation entretenue activement dans le cadre privé avec une personne étrangère, porteuse d’autres pratiques ou codes culturels. « J’ai eu des rencontres avec des personnes d’origine étrangère dans le cadre de mon travail, mais ici c’était différent, car c’était vraiment dans le cadre de mon quotidien », témoigne une volontaire belge. Les volontaires considèrent qu’il s’agit là d’apports pour eux et pour leur famille.

Dans un autre cas, le volontaire belge s’attendait à vivre davantage cette dimension interculturelle. « Avec le recul, je ne dirais pas que c’est une manière de faire de l’échange culturel. J’ai envie de rencontrer, et j’ai l’habitude de relations d’égal à égal. Tandis qu’ici il y a la précarité entre nous deux, les incertitudes [concernant l’avenir, le statut de séjour, etc.] » . À défaut d’une relation d’échange interculturel mutuel, ce volontaire belge a pris conscience des obstacles et de la dureté des conditions de vie auxquels son tandem est confronté. « La participation au projet m’a appris ce que vit vraiment une personne qui arrive d’Afghanistan ».

Le projet vise le développement de relations bidirectionnelles et les volontaires belges tirent également des apports de leur relation. Le projet permet de confronter les préjugés, mais aussi de rendre compte des difficultés de l’exil, de l’installation et de l’intégration au sein de la nouvelle société d’accueil. L’un des principaux impacts du projet sur les volontaires belges concerne le développement de leurs compétences citoyennes, à savoir les compétences psychosociales qui conditionnent la pensée et l’action des citoyennes et citoyens actifs, responsables et critiques, dans une société démocratique.

Il renforce leurs compétences citoyennes et leurs compétences interculturelles en leur faisant rencontrer des réalités diverses au cœur de la société qu’ils et elles habitent. La rencontre de ces réalités les conduit à développer une autre connaissance de leur ville, de leur pays, tout en soutenant activement leur participation sociale.

Par ailleurs, plusieurs volontaires se sont engagés dans le projet Tandems solidaires à la suite d’un changement majeur dans leur vie, comme la retraite ou la perte d’un conjoint. Les relations formées ont également accompagné plusieurs volontaires belges pendant ces moments de transition importants.

Conclusions

Tandems solidaires soutient l’engagement solidaire de la population de Verviers. Il permet d’apporter un soutien informel, multidimensionnel et personnalisé aux personnes étrangères, nouvellement arrivées dans la région, qui prend le relais là où s’arrêtent les autres services publics généraux ou spécifiques à l’accueil et l’intégration. Les témoignages des acteurs mettent en évidence le rôle positif des duos sur des dimensions structurantes de la vie des volontaires étrangers.

Pour ces derniers, le parrainage correspond à une ressource précieuse, mais située parmi d’autres ressources dont ils disposent. Cela contribue à relativiser le risque de dépendance au tandem avec pour effet de rééquilibrer des positions inégalitaires intrinsèques à la relation.

Les volontaires belges soulignent aussi les apports des tandems sur leur vie. L’engagement tend ainsi à produire des relations solidaires, mutuelles et conviviales entre des Verviétois et de nouveaux arrivants issus des migrations. Grâce aux liens interpersonnels qui sont créés entre population étrangère et native, les duos contribuent à remettre en question les stéréotypes et les préjugés, tout en offrant un cadre sécurisant où, à travers des évaluations et intervisions régulières, les volontaires sont amenés à travailler sur leurs réflexions et à échanger sur leurs expériences dans un objectif d’éducation permanente.

Enfin, notons que les politiques d’accueil et d’intégration évoluent vers l’incorporation institutionnelle des actions portées par les citoyens bénévoles. Le risque lié à cette tendance générale concerne la déprofessionnalisation de l’intervention sociale. Avec sa formule et ses finalités, Tandems solidaires permet d’appuyer la dimension complémentaire des duos et de renforcer les compétences citoyennes et interculturelles des acteurs impliqués.

Recommandations

Préparation du matching et des volontaires

Nous recommandons une attention particulière concernant la phase de matching et de préparation des volontaires. Il est essentiel de recevoir chaque volontaire individuellement pour mieux comprendre ses motivations et ses attentes. Il n’existe pas de règle qui garantisse la pérennité d’un duo, les profils et les motivations des volontaires sont plutôt hétéroclites. La littérature n’est pas univoque au sujet de l’influence de facteurs personnels dans le matching. Elle suggère cependant que la perception subjective d’une similarité avec l’autre personne augmente la réussite d’un duo. Les ressemblances entre deux personnes qui sont liées à leurs attitudes, à leurs croyances, à leurs valeurs, ou à leur personnalité semblent davantage importantes que les facteurs sociodémographiques (Crijns et De Cuyper 2021, 24). La réussite d’un duo dépend davantage du feeling et de la correspondance des attentes des volontaires.

À la suite de l’entretien individuel, nous pouvons décliner la préparation des volontaires en différentes recommandations :

  • Recueillir des informations de chaque volontaire
  • Expliquer le concept de volontariat, qui peut varier culturellement
  • Déterminer avec le duo les attentes mutuelles
  • Informer les volontaires sur les différentes dynamiques de relation

Adopter un cadre d’évaluation

Nous recommandons de mettre en place un système d’évaluation afin de permettre un retour réflexif et critique régulier sur le projet. En plus d’un suivi individuel intermédiaire, l’évaluation comprend un bilan systématique après 6 mois de duo pour à la fois souligner les accomplissements de chaque volontaire, permettre un espace d’expression sur la relation, et assurer une vision globale du projet. Enfin, la mise en place de modalités de sortie du duo permet d’éviter une rupture de la relation par interruption de communication.

  • Créer un court formulaire pour évaluer régulièrement la satisfaction
  • Utiliser un tableur pour organiser les données recueillies
  • Équilibrer l’évaluation quantitative et qualitative du projet

Renforcer les compétences interculturelles des volontaires

Étant donné les situations critiques rencontrées, il est essentiel de développer une formation à l’interculturalité préalable à l’entrée dans le projet dans une démarche d’éducation permanente. À titre d’exemple, des intervisions thématiques avec les professionnels de l’équipe d’Espace 28 intéressent les volontaires et permettent d’ouvrir leurs perspectives. Les situations critiques vécues au sein du projet peuvent également servir de casus pour amener les volontaires à réfléchir sur leurs propres postures et réactions.

Consolider la communauté de volontaires

Développer des activités collectives gratuites permet de créer une communauté, de renforcer l’adhésion des volontaires au projet et de passer un moment ensemble sans devoir inclure la question financière.

S’appuyer sur un service pluridisciplinaire

Pour éviter une transgression des rôles et de se retrouver face à des volontaires belges qui auraient été trop loin dans l’accompagnement en prenant la place d’une assistante sociale, il est essentiel de pouvoir compter sur un service pluridisciplinaire de référence. En effet, il est rassurant pour les volontaires belges de savoir qu’ils intègrent une structure prenant déjà en charge de manière systémique les volontaires étrangers, mais c’est aussi rassurant pour l’association qui se garantit que les volontaires belges ne dépassent pas (ou moins facilement) le cadre de l’accompagnement social et administratif.

Soutien politique à la pérennisation des projets

Les volontaires sont essentiels au projet et leur sensibilisation implique d’importantes démarches afin de susciter et concrétiser leur engagement. Il s’agit aussi de la dimension la plus chronophage pour la coordination du projet. La pérennisation des projets nécessite des moyens propres aux missions de communication qui font généralement défaut au secteur associatif. Le référencement centralisé des projets existant afin de les visibiliser est une seconde piste en ce sens.

Le projet Tandems solidaires assure le lien entre les différents services de l’association porteuse. Actuellement, ces projets de parrainage sont financés par des appels à projets renouvelables chaque année. Pourtant, comme la littérature et notre analyse le souligne, il est nécessaire de créer des relations de minimum 6 mois pour prétendre à la création d’une relation de confiance qui favorise le bien-être des personnes engagées. Un financement plus pérenne permettrait de relâcher la pression sur le travail à fournir pour les appels à projets et laisserait la place pour une concentration sur le cœur interculturel du projet.

Bibliographie

Carlsen H. B., Doerr N. et Toubøl J. (2022), « Inequality in Interaction: Equalising the Helper – Recipient Relationship in the Refugee Solidarity Movement », Voluntas n° 33, p. 59-71.

Crijns M. et De Cuyper P. (2021), Handbook Social Mentoring for Newcomers: Initial guidelines for social mentoring programs for newcomers, HIVA – KU Leuven.

Debelder J. (2020), « Les mobilisations solidaires envers les personnes migrantes. Une modalité locale de la gestion des diversités pour un bénéfice partagé ? », Études de l’IRFAM.

Gatugu J., Manço A. et Kabirou O. (2016), « Réseaux sociaux et insertion socioprofessionnelle des migrants : rôles des “dispositifs relationnels” en Europe et en Amérique du Nord », Analyses de l’IRFAM, n° 14.

Riand R., Plard V. et Moro M-R. (2008). « Familles et cultures : porter, penser et rêver les bébés », Spirale, n° 46, p. 19-28.

Notes

  1. Pour une distinction de ces différentes formes d’accompagnement dans le champ de l’insertion socioprofessionnelle et l’origine de la notion de « dispositifs relationnels » voir Gatugu, Manço et Oumarou (2016).
  2. L’importance des loisirs communs pour le maintien de la relation semble être limitée. Nous suggérons de se concentrer davantage sur les activités que les volontaires aimeraient partager, plutôt que sur leurs loisirs individuels existants.

Joachim Debelder, Mégane Dethier