Les centres Croix-Rouge, acteurs clés dans l’insertion des DPI
Kristina Teknetzis
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.
Pour citer cette analyse
Kristina Teknetzis, « Les centres Croix-Rouge, acteurs clés dans l’insertion des DPI », Analyses de l’IRFAM, n°12, 2024.
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Dès leur arrivée en Belgique, les personnes demandeuses de protection internationale (DPI) disent avoir pour objectif de trouver un travail (Gatugu, 2018). Les centres régionaux d’intégration et autres associations avec lesquelles l’IRFAM travaille sont souvent confrontés à des demandes d’emploi de la part des DPI. De nombreuses entreprises se rapprochent des centres d’accueil afin d’y puiser les ressources humaines qu’ils ne trouvent plus ailleurs. La politique d’accueil souhaite désengorger le réseau par la mise en emploi des DPI qui, s’ils continuent à loger dans ces centres, s’y voient taxés. Les programmes d’intégration des personnes étrangères en Wallonie visent, entre autres, à faciliter l’accès au marché du travail par l’apprentissage du français, le tutorat et l’initiation aux codes sociétaux. L’analyse de ces trajectoires d’intégration révèle des difficultés et les raisons pour lesquelles ces programmes ne garantissent pas un accès qualitatif au marché du travail (Dimitriadis, 2023, 264). Lintner et Elsen (2020) soulignent que ces politiques perpétuent les inégalités structurelles et bloquent les migrants dans des emplois précaires. Les réfugiés reconnus et les DPI se trouvent le plus souvent orientés vers des emplois informels dans les secteurs du travail domestique, du transport, de la logistique, de l’agriculture, de la construction. Il se retrouvent également dans l’économie informelle afin de survivre. Selon l’Eurostat (2023), leur taux d’activité est de 71 % en Belgique, cette valeur est de 75 % pour l’Union européenne (UE).
Tels sont les éléments d’un débat de plus en plus courant dans le secteur de l’intégration. À leur arrivée en Belgique, comment les DPI sont-ils accompagnés dans leur démarche d’insertion socioprofessionnelle par les centres d’accueil de la Croix-Rouge ? C’est à travers ce cadre que notre observation vise à identifier le rôle des travailleurs sociaux et du réseau associatif dans l’intégration économique des DPI. Notre volonté est de produire une analyse en réponse à ces interrogations : quelles structures et moyens sont-ils mis en place pour soutenir les DPI dans leur recherche d’emploi ? Ont-ils un accès facilité à ces services et aides ? Quel est leur impact ?
Il s’agit de mieux comprendre les enjeux de cette insertion au cours de la procédure de demande de protection internationale et le rôle qui y est joué par les collaborateurs de la Croix-Rouge, afin de contribuer à l’identification de pratiques positives qui respectent les droits fondamentaux des DPI.
Nous avons interrogé une dizaine de professionnels dans trois centres d’accueil de la Croix-Rouge en Wallonie, ainsi que des résidents et résidentes de ces centres pour récolter leur avis, pratiques et expériences afin d’éclairer le débat sur une insertion plus juste des personnes en demande d’asile.
Socialisation, accès à l’emploi et estime de soi des DPI
Les intervenantes et intervenants sociaux envisagent en premier lieu de renforcer les compétences linguistiques et transversales des bénéficiaires avant de les orienter vers le marché du travail ou vers des structures d’insertion telles que le Forem. Les observations et les entretiens menés révèlent, en revanche, que la volonté première des primo-arrivants est de trouver un emploi. Le rôle de l’accompagnateur social est dès lors d’expliquer le fonctionnement du système belge et le délai des quatre mois (à dater du dépôt de la demande d’asile) avant l’autorisation de travailler. Cet accompagnement individuel ou collectif, selon le type d’informations à transmettre, permet aux DPI d’être « prêt » pour le marché du travail, estiment les travailleurs sociaux. Les projets de vie, spécificités des parcours individuels et aspirations des DPI sont également évoqués dans ces accompagnements. L’enjeu est de formaliser ces attentes, de les prendre en compte et de tenter de les mettre en adéquation avec les conditions du marché du travail en Belgique. Pour les DPI, le travail et le développement d’un réseau social sont des enjeux importants, bien qu’il soit difficile pour eux de se projeter dans un avenir professionnel à cause de leur situation précaire et l’incertitude liée à la procédure de demande d’asile. Les demandeurs se retrouvent alors dans une situation complexe, où ils doivent faire face à l’attente. Souvent vécue comme une période d’inaction, le temps de latence avant d’avoir l’autorisation de travailler, est perçue comme une « stagnation temporelle » (Mathieu, 2021). Selon les travailleuses et travailleurs sociaux, cette période est bien souvent une souffrance pour les DPI.
« C’est difficile pour nous, ça fait quatre ans qu’on est en procédure (de demande d’asile), plusieurs fois on a eu des négatifs (réponses négatives), mais c’est impossible de retourner dans mon pays. Je ne peux pas ramener mes filles au pays. Ça devient long, c’est dur moralement » (résident en centre d’accueil).
Cette impossibilité de participer au marché du travail et de se sentir intégré dans la société d’accueil peut engendrer un sentiment d’inutilité et une diminution de l’estime de soi. D’autant plus que l’attente de la décision à la demande d’asile est souvent un obstacle en soi au processus d’intégration, même avec un permis de travail. Les travailleurs sociaux essayent de proposer aux résidents des activités qui puissent les intéresser pour essayer d’optimiser ce temps d’attente. Souvent organisées par des associations, il s’agit de cours de langues, des tables de conversation ou encore des activités ludiques. Tout en permettant aux résidents de développer un réseau social (des connaissances), ces activités participent à leur revalorisation (Mathieu, 2021).
« Ça fait du bien de sortir du centre, de voir d’autres personnes. Moi, je vais au foot et ça permet de déconnecter. J’ai des amis là et je peux un peu aller chez eux, ça fait du bien. Pareil, quand j’étais à l’école en mécanique, le fait d’avoir des stages ça m’a permis de faire la connaissance de plusieurs patrons et grâce à ça j’ai obtenu des jobs » (jeune homme résident d’un centre d’accueil).
Le travail et le réseau social sont des dimensions importantes afin de ne pas se sentir exclus de la société, où la précarisation et la rupture des liens sociaux se révèlent être des marqueurs de désaffiliation (Castel, 2003). Les chemins d’insertion que doivent entreprendre les DPI sont toutefois d’une grande complexité. Ils rapportent régulièrement des expériences de discrimination. Aussi, les travailleurs sociaux craignent que l’activation vers l’emploi ne devienne un instrument de contrôle des bénéficiaires, avec une obligation de résultat à tout prix, et contrevienne à leurs aspirations sociales.
Collaborations entre la Croix-Rouge et des partenaires externes
L’accès à l’emploi des DPI dans l’UE varie d’un pays à l’autre. La Suède offre la possibilité de travailler légalement dès l’enregistrement d’une demande d’asile. En Hongrie et en Slovénie, cette durée est de neuf mois et des autorisations spéciales peuvent être réclamées. La réduction de cette période d’attente pourrait permettre aux DPI une plus grande autonomie et favoriser leur intégration sociale, s’ils bénéficient plus tard d’une protection internationale. Certains pays comme l’Allemagne et Chypre considèrent que l’accès rapide au travail permet de réduire les pénuries de main-d’œuvre. À l’inverse d’autres États membres de l’UE ont indiqué que la principale raison de maintenir une période d’attente longue était d’éviter que les ressortissants de pays tiers non éligibles à la protection internationale ne déposent une demande dans l’unique but d’obtenir un accès — au moins temporaire — au marché du travail (EMN, 2023). Ces incohérences font débat et ajoutent à la détresse des DPI.
En Belgique, les travailleuses et travailleurs sociaux des centres d’accueil n’épargnent pas leurs efforts pour essayer d’adapter leur accompagnement à chaque résident, à ses attentes et besoins. Il devient dès lors complexe de s’y retrouver, aussi bien pour les professionnels que pour les bénéficiaires. Les intervenants doivent jongler avec de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences, apprendre à naviguer parmi tous les dispositifs et règlements d’accès à l’emploi.
L’offre en formations et activités au sein d’associations partenaires reste inférieure à la demande du public. La méconnaissance des rôles et missions des organisations liées au marché du travail complique la construction d’un partenariat qui soit pertinent par rapport aux attentes des DPI. Par ailleurs, toute offre n’est pas disponible partout et à tout moment ; les centres d’accueil sont souvent placés dans des zones éloignées des villes.
L’enjeu de ces collaborations autour des centres réside également dans le fait de ne pas laisser reposer sur un seul acteur les défis et la responsabilité que représente l’intégration des personnes étrangères. Les collaborations entre différents dispositifs dépendent souvent de mises en réseau informelles, ce qui sous-entend une organisation et un investissement de temps supplémentaire de la part du personnel des centres.
A côté des centres régionaux d’intégration, le Forem est cité comme un partenaire clé. Il contribue à l’activation en aidant à la réalisation de curriculum vitae et à la recherche d’emploi. Il est sollicité aussi pour diverses mesures d’insertion socioprofessionnelle, comme les dispenses de formations, pour les profils qualifiés ou expérimentés. Si les résidents sont régulièrement dirigés vers le Forem pour des conseils, établir un partenariat durable avec cette institution reste toutefois difficile. Ces coopérations sont pourtant essentielles afin d’obtenir des compléments d’information par rapport à une situation singulière et de déléguer certaines tâches à des services plus adéquats, afin de mieux répondre aux besoins des résidents.
L’organisation des cours de FLE est également un axe essentiel des collaborations. La connaissance de la langue étant considérée comme indispensable pour accéder à l’emploi et aux formations professionnelles. Les référents formation encouragent vivement son apprentissage : « Une des premières missions du bureau formation est l’apprentissage du français, c’est pourquoi, dès qu’ils arrivent, on propose aux résidents des cours de langue. Ici on a de la chance, des cours de français sont donnés quotidiennement pendant la période scolaire par une professeure de l’enseignement de la promotion sociale » (accompagnatrice sociale). Les travailleurs sociaux s’accordent toutefois à dire que les cours ex cathedra présentent une efficacité relative en termes d’apprentissage, alors qu’une immersion professionnelle est jugée plus efficace tant pour l’apprentissage de la langue française que pour le renforcement des compétences professionnelles.
Il est également conseillé aux DPI de se former dans différents secteurs en pénurie, afin d’avoir des qualifications supplémentaires et recherchées qui augmenteront leur chance d’intégration sur le marché du travail. En Belgique, la reconnaissance des diplômes étrangers est un parcours semé d’embûches, qui aboutit rarement à des résultats positifs
« J’ai voulu faire valoir mes études au pays, je suis ingénieur, mais ici mon diplôme n’est pas reconnu. Je me suis renseigné, mais il demande énormément de papiers que je n’ai pas avec moi, j’ai entamé les démarches, mais c’est long. Je suis obligé de travailler dans un autre secteur en attendant » (résident d’un centre).
Les collaborateurs du bureau formation essayent d’identifier quel projet professionnel les résidents souhaitent mettre en place : trouver un travail, trouver une formation professionnalisante ou obtenir une équivalence de diplômes, dans quel ordre et avec quelle idée de carrière. Le constat fait est que la demande la plus récurrente des résidents des centres d’accueil est de trouver un emploi pour diverses raisons : « Ça dépend des résidents, mais souvent leur demande première, c’est le travail pour subvenir à leurs besoins et aux besoins de leurs familles parfois restées au pays. Ensuite, j’ai souvent des demandes pour faire valoriser leurs études » (coordinatrice de centre).
Pour répondre à ces attentes, les collaborateurs et collaboratrices de la Croix-Rouge écoutent ces aspirations et exposent différentes possibilités : « Quand ils arrivent, on leur demande quels sont leurs envies et leurs projets, je trouve ce moment assez flou. Ils désignent un secteur et puis on fait une recherche et pendant la recherche, ils disent : ‘ah, mais ce secteur m’irait aussi’. Ce n’est pas toujours clair, on leur parle des métiers en pénurie et des agences intérimaires auprès desquelles ils peuvent s’inscrire. On les aide à fournir tous les documents nécessaires, à rédiger un CV, à téléphoner. On leur explique un peu la marche à suivre » (accompagnatrice sociale référente formation).
Les travailleurs de la Croix-Rouge n’ont pas de relations privilégiées avec les agences intérim ou autres entreprises, certaines contactent les centres lorsqu’il y a des campagnes de recrutement en cours, par exemple pour un travail dans telle usine, à des périodes précises. Autrement, les DPI doivent suivre les mêmes démarches que les autres demandeurs d’emploi. Concernant les formations, celles que proposent généralement le Forem ou les centres de formation socioprofessionnelle sont peu adaptées, car trop longues et ne conviennent pas à la réalité des DPI. Se pose souvent la question du niveau de maîtrise du français. Les résidents et résidentes des centres d’accueil sont davantage en demande de formations courtes qui permettent de trouver un emploi rapidement :
« L’Institut des travaux publics a récemment ouvert une formation pour devenir maçon en six mois avec l’obtention d’un certificat de qualification secondaire supérieur. Cette option, c’est super chouette parce que c’est six mois et c’est une demande qu’on a souvent, des formations courtes. Quand c’est plus long, pour un DPI qui ne sait pas comment sa procédure va se terminer, qui ne sait pas de quoi demain sera fait, c’est difficile à imaginer. Les gens qui arrivent ici, certains sont jeunes, d’autres avec une famille. Leur objectif, c’est de gagner de l’argent pour envoyer dans leur pays. Pour plein de raisons, les formations ne correspondent pas à leur réalité. Sauf cette formation-là de six mois, cela correspond bien à leurs attentes » (accompagnatrice sociale référente formation).
Toutefois, les collaborations ne sont pas toujours simples avec des centres de formation ou le Forem, même quand les DPI sont autorisés à suivre des formations. « C’est difficile d’être en contact avec le Forem. Pour moi, ce n’est pas un partenariat, c’est à sens unique où eux, ils sont l’administration, et nous, on est un peu comme les résidents : à devoir répondre à une demande. Il n’y a pas une prise en charge vraiment assidue de la part du Forem » (accompagnatrice sociale). La prise de contact avec le Forem, jugée très procédurale, rend le suivi des résidents plus difficile : « Le Forem est très procédurier et difficile à contacter, on ne sait même pas si, sur place, il y a toujours une cellule migration. On n’a pas de contact avec eux » (accompagnateur social). Il semblerait qu’il y ait une divergence d’intérêts entre les deux institutions et un manque de volonté d’améliorer la communication pour mettre en place un réel partenariat puisque les DPI ne constituent qu’une petite partie du public cible du Forem, leur accompagnement est complexe et dès lors plus limité. Pourtant, lorsque la collaboration se passe bien, et que l’échange entre le centre et le Forem est facilité des effets apparaissent : « On a une super collaboration avec une dame du Forem. Une fois qu’on a rencontré les résidents et qu’ils savent plus ou moins vers quoi ils veulent se diriger, on les met en contact avec cette travailleuse, qui elle, va les accueillir et essayer de trouver une formation qui leur convient, en prenant le temps de vérifier s’ils y ont bien accès, si les déplacements sont pris en charge et s’il y a des possibilités dans les crèches. Le Forem s’occupe de les conseiller et trouver le projet qu’ils veulent mettre en place » (accompagnatrice sociale). Lorsque les résidents sont suivis efficacement, on remarque l’avantage de travailler en réseau. L’échange d’informations entre les institutions permet une prise en charge des résidents plus complète et mieux adaptée.
L’« employabilité » des DPI et les jobs précaires
Si l’urgence des DPI est d’obtenir un revenu, pour les intervenantes et intervenants des centres, il est essentiel qu’elles et ils soient prêts en termes « d’employabilité ». Être employable signifie connaître les attentes des employeurs, maîtriser les codes formels et informels du monde du travail, pouvoir y communiquer efficacement avec les collègues, les clients, etc. C’est un processus qui nécessite du temps (Vandermeerschen et coll., 2023) et un accompagnement adapté pour former et outiller les chercheurs d’emploi d’origine étrangère. Bien que les DPI souhaitent participer rapidement au marché du travail, les collaborateurs de la Croix-Rouge leur conseillent d’utiliser la période d’attente de quatre mois pour s’acclimater au nouveau pays, comprendre ses codes sociaux et d’en apprendre la langue. Les entretiens révèlent cependant un décalage entre les attentes des résidents et les formations organisées, qui débutent généralement à des périodes fixes une à deux fois par an, ce qui ne coïncide pas toujours avec l’arrivée des DPI. Par conséquent, il est parfois compliqué de trouver une opportunité qui leur convienne et qui soit accessible, cela les oriente régulièrement vers des emplois en pénurie et/ou précaires : « C’est important pour moi de travailler : au pays j’avais un restaurant avec ma femme et j’étais couturier. Je ne peux pas rester sans rien faire. Je trouve toujours des petits emplois dans le jardinage, la peinture, ou dans les cuisines. Il faut que je sorte ! » (Résident d’un centre, en recherche d’emploi).
Les travailleurs sociaux sont perçus comme des « gardiens en termes d’activation du marché du travail » (Vandermeerschen et coll., 2023). Bien que l’insertion socioprofessionnelle soit une de leurs missions, ils estiment que pour être aptes à travailler, les demandeurs d’asile doivent avoir comblé d’autres besoins primaires (santé mentale et physique, condition de vie, garde des enfants). Une partie du public des Centres d’accueil peut se trouver en situation de grande vulnérabilité (analphabétisme, manque de formation professionnelle, traumatismes, addictions…) et leur situation de demandeurs de protection internationale augmente leur stress et nervosité. L’accès au marché du travail est ainsi rendu d’autant plus compliqué. De plus, rappelons que les DPI rencontrent souvent énormément de difficultés à accéder au système bancaire afin d’ouvrir par exemple un compte bancaire à leur nom. Le rôle des intervenants des Centres d’accueil dans ce contexte est dès lors davantage de faciliter les démarches d’insertion et de recherche d’emploi, et d’effectuer un travail de fond de sensibilisation des banques pour que soit respecter l’obligation du service bancaire de base.
Dans les centres, ce sont généralement les accompagnateurs sociaux individuels qui prennent en charge cet aspect. Leur rôle est d’être une personne de confiance pour les résidents dont ils sont référents et d’établir une relation de confiance avec eux. Ils accompagnent les résidents sur des aspects privés ou professionnels, tels que la recherche d’un accompagnement psychologique, la recherche de crèche pour les enfants, ou autres problèmes rencontrés au centre. Ils font également le lien avec d’autres professionnels tels qu’infirmières, pour des suivis médicaux. Cette démarche permet d’évaluer conjointement si les besoins primaires des résidents sont satisfaits et s’ils se sentent prêts à intégrer le marché du travail. Bien que les mesures d’activation sociale visent à inciter l’intégration par l’emploi, certains travailleurs sociaux estiment que les nouveaux arrivants ne sont pas « prêts » à intégrer le marché du travail, et soulignent même la nécessité de les « protéger » d’un marché difficile. Il ne suffit pas seulement d’être « prêt » à travailler, il faut également disposer d’options « réalistes » pour le marché (Vandermeerschen et coll., 2023).
Les chiffres montrent que le taux d’emploi des DPI et réfugiés est généralement plus faible par rapport aux nationaux (Herman et Rea, 2017). D’autres recherches mettent en évidence le fait que le taux d’emploi des DPI est généralement plus élevé que celui des réfugiés. Ceci peut s’expliquer par la plus grande disposition des DPI à accepter des emplois sous-qualifiés dans des secteurs tels que la construction, la restauration et l’hôtellerie (Piguet et Wimmer, 2000). La situation d’instabilité dans laquelle ils se trouvent et la nécessité d’avoir un revenu les poussent à accepter des jobs variés, même si ce n’est pas en lien avec leur formation de base :
« C’est compliqué de trouver un travail, surtout que je ne parle pas bien français. Du coup, j’accepte un peu tout. Durant l’été, il y a la cueillette des fruits, ça nous permet d’avoir un peu d’argent » (Résident d’un centre).
Selon Herman et Rea (2017), « Dans l’agriculture, les demandeurs de protection internationale ont remplacé les saisonniers. Lorsqu’ils obtiennent le statut de réfugié, ces personnes changent de secteur d’activité et cherchent un emploi dans un secteur plus en lien avec leur qualification ». Le réseau social peut également aider dans la recherche d’emploi :
« J’ai une copine qui m’a parlé d’une association qui aidait dans la recherche d’emploi, et c’est grâce à elle que j’ai pu les contacter. Par la suite, j’ai pu trouver un travail au KFC » (résidente d’un centre).
Des recherches affirment que les femmes ont plus de difficulté à trouver un emploi que les hommes, les taux d’occupation masculins sont deux fois supérieurs à ceux des femmes (Piguet et Wimmer, 2000). En effet, pour les femmes ayant un enfant, il est plus difficile de travailler, car c’est à elles que revient la responsabilité de s’occuper de l’enfant et sans solution de garde, elles ne peuvent pas se libérer pour travailler. Une résidente mère monoparentale affirme :
« Pour moi, c’est compliqué de travailler, j’ai un enfant en bas âge, je ne peux pas me permettre de le laisser, surtout que les services de crèches sont difficilement accessibles. Cette situation complique le fait que je puisse travailler en dehors du centre, c’est pour ça que je travaille beaucoup dans le centre dans les services communautaires ».
À l’inverse, être père de famille accroît la probabilité d’obtenir un emploi, car le père est perçu comme celui qui doit subvenir aux besoins de la famille.
Conclusion
Les accompagnatrices et accompagnateurs sociaux de la Croix-Rouge jouent un rôle crucial dans l’insertion socioprofessionnelle des DPI. Jugeant la maîtrise de la langue du pays d’accueil comme primordiale pour une intégration réussie, ils et elles poussent les résidents à entreprendre son apprentissage. Le travail développé en réseau et en partenariat avec d’autres associations et structures est complexe, mais a des retombées positives sur les parcours des DPI et favorise la complémentarité des compétences des acteurs de l’insertion sociale et professionnelle. Cependant, les formations proposées sont rarement en adéquation avec les attentes et besoins des DPI qui, d’une part souhaitent obtenir rapidement un emploi et d’autre part, envisagent leur avenir sur le court terme, contraint par une instabilité due à la procédure d’asile. Ils souhaitent davantage entreprendre des formations de quelques mois, plutôt que des formations qualifiantes d’un ou de deux ans proposées par les institutions de formation. On observe une responsabilisation accrue des DPI, les poussant à trouver eux-mêmes les ressources pour accéder à l’emploi, d’autant plus que, les pénuries de main-d’œuvre aidant, certains employeurs, également, viennent de plus en plus à la rencontre des DPI. Les accompagnateurs sociaux deviennent théoriquement des intermédiaires entre les DPI, les entreprises et les services dédiés. Le réseau social que le demandeur parvient à créer joue aussi un rôle dans son intégration socioprofessionnelle, soulignant l’importance des contacts extérieurs pour une insertion réussie dans la société belge.
Les témoignages entendus nous poussent pourtant à mentionner un point d’attention. Les travailleurs sociaux, formés à l’accompagnement social sont peu familiers des entreprises et exercent plus volontiers leurs missions sur de la « pré-insertion » (aide à la rédaction de CV, orientation vers des formations, etc.) que de la mise à l’emploi direct ou des mises en stage. Les partenariats avec les entreprises ne vont pas de soi, la rencontre ne se fait pas, sauf dans quelques initiatives isolées qui mériteraient d’être valorisées. Les collaborations durables avec des entreprises, basées sur un partenariat encadré et discuté en amont, semblent inexistantes, si ce n’est la mention d’une entreprise d’emballage et de logistique de la région liégeoise qui cherche à embaucher du personnel rapidement pour effectuer un travail de nuit, avec des contrats de courte durée. Les interlocuteurs de la Croix-Rouge, les responsables du bureau formation, n’ont pas des connaissances, des compétences, des réseaux et des liens utiles pour des mises en emploi accélérées. Dans une vision quelquefois paternaliste, certains souhaitent « protéger » les primo-arrivants d’un marché du travail qu’ils jugent trop brutal, au lieu d’imaginer leur rôle comme un accompagnement dans l’intégration. Cela indique une évolution que nous considérons comme nécessaire de leur métier, compte tenu de l’objectif émis par les DPI à leur arrivée en Belgique, à savoir obtenir un emploi rapidement. Nous sommes tentés de penser qu’un système d’orientation des DPI plus uniformisé et cohésif, en relation avec les entreprises, donnerait l’opportunité aux DPI d’accéder à plus d’opportunités et offrirait aux professionnels plus de clés pour l’accompagnement socio-économique. Aussi, des questions subsistent quant à l’efficacité réelle de l’accompagnement des DPI, tant que ce service reste envisagé comme actuellement, et aussi à cause du manque d’évaluation de l’impact de l’intervention de la Croix-Rouge dans ce domaine. La question est : comment influer les politiques afin de développer davantage d’organismes spécifiquement dédiés à l’insertion socioprofessionnelle des publics migrants, répondant véritablement à leurs besoins et aux réalités démographiques de notre région ?
Bibliographie
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Gatugu J. (2018), « Demandeurs d’asile et assimilés, demandeurs d’emploi aussi », Manço A. et Gatugu J. (éds), Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan, p. 99-123.
Herman B. et Rea A. (2017), « La longue et sinueuse route vers l’emploi : les carrières d’insertion professionnelle des réfugiés sur le marché du travail en Belgique », Revue européenne des migrations internationales, v. 33, n° 4, p. 109‐134.
Lintner C. et Elsen S. (2020), « Empowering refugees and asylum seekers in the Italian agriculture sector by linking social cooperative entrepreneurship and social work practices », International Journal of Social Welfare, v. 29, n° 4, p. 356‑366.
Mathieu S. (2021), « Les travailleurs sociaux face à la demande d’asile », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, n° 33.
Piguet E. et Wimmer A. (2000), « Les nouveaux ‘Gastarbeiter’ ? Les réfugiés sur le marché du travail suisse », Journal of International Migration and Integration / Revue de l’intégration et de la migration internationale, v. 1, n° 2, p. 233‐257.
Vandermeerschen H., Santos A. C. et Mescoli E. (2023), « Labour Market Activation and Newly Arrived Immigrants », H Mescoli E., Vandermeerschen H., Lafleur J.-M. et De Cuyper P. (dir.), Newcomers Navigating the Welfare State, Leuven University Press, p. 123‐142.
©Photo: Maxime Dotrenge