Migrants, acteurs d’une transition durable et équitable — ici et là-bas
Jean Marie Afana
© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2023.
Pour citer cette analyse
Jean Marie Afana, « Migrants, acteurs d’une transition durable et équitable — ici et là-bas », Analyses de l’IRFAM, n°9, 2023.
Voir ou télécharger au format PDF
Les personnes issues des migrations présentent le potentiel d’être des acteurs dans la transition écologique, tant dans les pays d’installation que ceux d’origine de par leur capital social, culturel et symbolique, ainsi qu’associatif. La migration est déjà, pour une part d’entre eux, une stratégie d’adaptation au changement climatique : ils y développent des capacités de résilience qui peuvent être utiles pour faire face aux défis liés au dérèglement du climat, car immigrer c’est transporter son histoire, ses traditions, ses manières de vivre, de sentir, d’agir et de penser, bref c’est partir avec sa culture et tenter de trouver des stratégies de négociation et d’adaptation dans le pays d’accueil qui présente d’autres « façons d’exister ». De là-bas, en terre de départ, à ici, en terre d’installation, en passant par d’éventuelles terres de transit, les personnes migrantes développent des expériences, acquièrent certaines aptitudes génératrices d’actions « ici et là-bas » (Sayad, 1999). Ce capital « migrant » renferme tant des habitus (Bourdieu, 2000) que des biens culturels, des reconnaissances institutionnelles ou sociales, des savoirs et des savoir-faire, ainsi que des savoir-être, qui sont autant de ressources pour les individus et contribuent à développer un comportement adapté aux milieux traversés, milieux eux-mêmes soumis à des changements importants. Le capital social des personnes immigrées est également patent : il renferme un ensemble de liens tant ici que là-bas, une « double présence », selon Sayad (1999), enrichissant ses initiatives. Enfin, en complément au précédent, le « capital associatif » (Arara et Tadlaoui, 2023) est, quant à lui, un espace-temps spécifique qui invite à l’échange, au partage de ressources, au débat sur les préférences et qui aide à l’expression de positions sur ce qui touche la communauté. Ces différents capitaux sont autant d’atouts qui peuvent permettre aux migrants et migrantes de se positionner dans le champ de la transition écologique, dans le pays d’installation et au pays d’origine.
La présente analyse ambitionne d’illustrer le rôle des acteurs du monde associatif immigré en ce qu’ils interviennent en faveur de la solidarité climatique. Des associations qui œuvrent en ce sens et dont certaines des chevilles ouvrières sont des personnes originaires d’Afrique subsaharienne installées en Belgique ou en France permettent de préfigurer le rôle des migrants en tant que vecteurs de la transition écologique ici et là-bas. La finalité est d’interpeller cette catégorie d’acteurs comme étant un des leviers potentiels d’une transition juste entre le Nord et le Sud de la planète.
Notre approche
Nous nous penchons sur les effets du changement climatique dans les pays du Sud et examinons, en particulier, les réponses associatives développées dans ce cadre, au Nord, par les migrants issus de ces pays. Il s’agit d’examiner comment ces migrants peuvent passer de la position de victimes du réchauffement global à celle d’acteurs d’une transition climatique équitable. La zone d’observation est limitée, au Sud, à l’Afrique subsaharienne et, au Nord, aux agglomérations bruxelloise et lilloise. Notre objectif est d’analyser la solidarité transnationale des associations créées par des personnes originaires de l’Afrique subsaharienne et installées en Belgique ou en France, afin d’y identifier spécifiquement les aides apportées (ou projetées) aux populations du Sud, dans le cadre de crises causées (ou prévisibles) par le dérèglement climatique. Il nous paraît important d’interroger les associations de migrants sur leur degré de conscience et de connaissance des risques climatiques qu’endurent leurs régions d’origine, ainsi que les actions éventuelles qu’elles envisagent, afin de soutenir la résilience des populations locales, mais également de conscientiser les populations tant au Nord qu’au Sud sur le partage inégal des responsabilités quant aux causes de ces dérèglements.
Après un survol de la littérature sur le sujet (encore peu développée), un groupe de six d’associations a été identifié, trois à Bruxelles et autant à Lille , afin d’y recueillir, à titre exploratoire, des témoignages, ainsi que des avis sur les rôles de ces structures par rapport à la problématique qui nous concerne. Il s’agit, in fine, de réfléchir sur le type de levier que peuvent actionner les associations créées par des personnes d’origine étrangère dans le domaine des migrations climatiques, du renforcement de la résilience des populations, ainsi que dans le débat sur les causalités menant aux menaces liées au climat. L’objectif est encore de réfléchir sur les plus-values de leur engagement à ce sujet, tant au Nord qu’au Sud, de par leur proximité culturelle et sociale avec les publics concernés et leur compréhension des réalités migratoires.
À ce sujet, l’action « MIGreenDeal », par exemple, promet un impact dans plusieurs pays européens dont la Belgique. Elle tend à valoriser le potentiel des jeunes migrants ou issus des migrations en tant que (futurs) porteurs de projets de transition durable en valorisant leurs capitaux associatifs, sociaux et interculturels, en terre d’immigration et d’émigration. Une précédente étude de l’IRFAM (2016), montre également ce que peuvent apporter des initiatives d’autodéveloppement en Afrique, promu notamment par des acteurs issus des migrations, installés en Europe, afin de sensibiliser, de mobiliser et de constituer dans les pays industrialisés des groupes de soutien et d’informer sur des questions de développement durable, de poussée migratoire, de solidarité internationale et, enfin, de traiter les questions liées aux relations équitables entre le nord et le sud de la planète.
Des États qui ne parviennent pas à tenir leurs engagements
Depuis la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1988, la question du climat s’impose à l’agenda politique international. Des sommets comme la 15e Conférence des Parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à Copenhague, en 2009 (COP15) et la COP21 à Paris, en 2015, constituent des réunions diplomatiques majeures à des fins de coopération internationale sur le climat, qui peut être considéré comme un bien public « dont les bénéfices s’étendent à toutes les nations et à toutes les générations » (Gemenne, 2015). C’est dans le sillage de cette diplomatie climatique que s’est tenu le premier sommet africain sur le climat à Nairobi, en septembre 2023. L’Afrique, petite émettrice de gaz à effet de serre, mais grande victime climatique, subit les conséquences les plus dramatiques du réchauffement de la planète. De plus, le changement du climat impacte plus durement encore les populations les plus vulnérables et est un multiplicateur d’inégalités sociales, économiques et environnementales (Gemenne, 2021).
Dans ce contexte, les interactions entre États africains consistent, en principe, à faire front commun face aux risques climatiques, mais aussi à concrétiser le potentiel du continent pour une « transition verte », afin de faire des Africains, non plus les victimes du changement climatique, mais les moteurs de la transition écologique et de responsabiliser les Etats du Nord sur les conséquences de leurs politiques (économique, sociale, migratoire) et de leurs actions sur les enjeux climatiques. Pour les participants, réunis sous l’égide de l’Union africaine, « L’Afrique possède à la fois le potentiel et l’ambition d’être un élément essentiel de la solution mondiale au changement climatique » (Libération, 6 septembre 2023).
Toutefois, force est de constater que ces négociations internationales ont beaucoup de mal à avancer, à tenir leurs promesses et à déboucher sur des actions concrètes : les solutions étant, le plus souvent, écartées des textes finaux de ces négociations internationales ou intégrées dans une version délestée de l’ambition initiale. Pour François Gemenne, membre du GIEC et spécialiste des migrations climatiques: « Les États ne parviennent pas à tenir leurs engagements, ils reviennent chaque année avec des objectifs revus à la hausse et qu’ils ont de plus en plus de mal à tenir. On devrait arrêter avec ces objectifs de moyen et de long terme, des objectifs qui vont au-delà des mandats de ceux qui les fixent et par rapport auxquels ils n’auront donc pas de comptes à rendre ». Ce constat amer invite à examiner — afin de s’en inspirer — de nombreux efforts unilatéraux de beaucoup de pays, d’entités locales, d’entreprises, voire d’individus et d’associations qui mettent en place des pratiques et des projets pour faire face au réchauffement de la planète. Le cas de la société civile et, en particulier, des projets portés par des personnes migrantes qui œuvrent pour une transition écologique juste font partie du lot.
Les rôles et les limites des associations pour la solidarité climatique
Ces dernières années, nous avons pu constater des situations climatiques critiques : hausse du niveau des mers, fortes précipitations ou sécheresses, récoltes en baisse… Le changement climatique se traduit aussi par la dégradation des sols et le stress hydrique (Afana, 2023), or nous sommes tous dépendants de la terre et de l’eau. En Afrique subsaharienne, en particulier, la moitié des ménages vit directement de l’agriculture, ce qui les rend encore plus vulnérables face aux dérèglements climatiques. Certes, les populations concernées cherchent à développer leurs connaissances et techniques agraires afin de faire face à la disparition de leurs revenus (Mbaye et coll., 2023). Mais elles ne parviennent plus à tirer des ressources suffisantes de l’agriculture et sont finalement contraintes d’envoyer leurs enfants en ville, voire à l’étranger, dans l’espoir qu’ils puissent fournir un revenu complémentaire au ménage.
Ces migrants, dont une partie arrive en Europe, ont pu expérimenter les contraintes climatiques de plus en plus lourdes et suivent à distance la lutte pour la survie de leurs proches restés au pays. Ils peuvent ainsi, à travers des projets associatifs dans leur région d’installation, sensibiliser et mobiliser d’autres résidents aux questions de transition écologique, notamment en terre africaine. Ils peuvent également soutenir des groupes, dans les pays d’origine, afin d’y maintenir, autant faire se peut, les conditions d’habitabilité, par exemple, en y transférant des informations, du matériel et des moyens financiers, de façon à aider les populations du Sud. Ces migrants activistes climatiques peuvent encore, par un travail de plaidoyer, accélérer l’action des gouvernements, ici et là-bas, ainsi que celles de la société civile ou des organisations de coopération au développement.
Ils et elles peuvent ainsi jouer un rôle essentiel dans le transfert de connaissances et de technologies vertes entre les pays d’origine et d’accueil, dans les deux sens. De plus, ces personnes ont le potentiel de faciliter la coopération internationale en matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de l’environnement. Enfin, en tant que groupe diversifié et minorisé, ayant fui, pour certains, les méfaits du changement climatique, ils peuvent sensibiliser avec force à la question de la transition écologique et plaider en faveur de politiques plus durables. Dès lors, il est important de créer un environnement propice à leur inclusion aux programmes de lutte contre le dérèglement climatique et en faveur d’une résilience à ce sujet. Les gouvernements et les communautés locales ont une responsabilité dans la création de telles conditions.
Gilles est animateur d’une nouvelle association camerounaise de l’agglomération lilloise qui s’autofinance avec un système de tontine. Il explique : « Nos ateliers visent à mettre en œuvre des actions concrètes en lien avec les enjeux climatiques aussi minimes soient-elles, qui conduisent à la transition vers une économie mondiale plus durable et plus résiliente au changement climatique. C’est une étape éducative cruciale. Ces ateliers appellent, par exemple, à la coopération entre associations issues tant du Sud que du Nord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger des vies et des moyens de subsistance, car le climat appartient aux générations futures. Notre travail associatif vise à montrer qu’il est possible de vivre sans rivalités : le bénéfice que chaque pays retire de la protection du climat dépend des efforts de tous les autres pays – et il en va de même pour chaque citoyen ».
Comme le montre cet exemple, le travail associatif en éducation à l’environnement conduit les participants à prendre conscience de leur pouvoir d’agir sur la transition écologique. Dans la mesure où le défi climatique demeure collectif bien qu’une responsabilité majeure incombe aux acteurs politiques et économiques des différents pays et à plus forte raison des pays pollueurs et de leurs industries lourdes, tout un chacun peut s’emparer des questions climatiques, agir, tenter d’y apporter des réponses mais aussi être contraint de s’y adapter. Dans ce cadre général, « les migrants apportent une variété de connaissances et d’expériences précieuses pour résoudre des problèmes environnementaux spécifiques. Ils peuvent avoir des compétences liées à la gestion des ressources naturelles, à l’agriculture traditionnelle, à la conservation de la biodiversité… et c’est mon cas en tant qu’agronome », affirme un responsable d’origine congolaise rencontré à Bruxelles. Selon ce dernier, les migrants peuvent contribuer à combler des lacunes en matière de connaissance et d’expérience, mais aussi en matière de main-d’œuvre, tant au Nord qu’au Sud, dans les secteurs liés à la transition écologique, tels que les énergies renouvelables, la gestion des déchets, la permaculture, etc., en raison, notamment, du croisement de leurs expériences de vie et de travail, d’une part, et de mobilité internationale, tant dans leurs pays d’origine que d’installation, d’autre part. C’est, pour l’interlocuteur, une source d’inspiration et de résilience. Cette flexibilité peut, en effet, être utile pour faire face aux divers défis liés à l’adaptation aux changements climatiques.
Selon un autre responsable associatif subsaharien installé à Lille :
« L’objectif de nos actions est de rappeler aux migrants qu’en Europe, si l’on a du gaz pour le chauffage ou une machine qui lave et sèche nos habits, cela n’est pas le cas pour bon nombre de personnes dans nos pays d’origine. Et finalement, ce n’est pas si mal de laver son linge à l’eau froide et de le pendre sur une corde. C’est même une solution pour économiser de l’énergie et réduire notre empreinte carbone. Ce sont des habitudes que nous avons toujours eues, elles sont bénéfiques pour notre terre. Ne devons-nous pas en être fiers plutôt que de nous assimiler au consumérisme occidental ? Vivre sans voiture, c’est le cas de nombreuses personnes dans nos pays, et cela réduit drastiquement la diffusion des gaz à effet de serre. L’Afrique est le modèle à suivre ! Parlons également de la nourriture, surtout des légumes, chez nous on en consomme bien plus que la viande… ».
Ces manières de vivre au quotidien peuvent inspirer nos pratiques quotidiennes bien qu’il soit nécessaire d’observer leur impact sur les rôles genrés dans le processus de transition écologique. Cette transition ne pourra se faire sans une réflexion globale sur les places qu’occupent en particulier les femmes dans les sociétés, les tâches, rôles et fonction qui leur sont dévolus, leur faisant bien souvent porter la charge de s’occuper des tâches ménagères et du soin des enfants au détriment de leur évolution dans d’autres sphères, notamment professionnelles. Mettre en place des modes de vie moins consommateurs en énergie et moins pollueur ne pourra se faire au détriment de l’émancipation de certaines populations déjà vulnérables tels que les femmes, les enfants, les migrants. Ces modes de vies « de là-bas » contribuent-ils aux compétences d’adaptation à la donne climatique ? En tout cas, les Nations Unies les préconisent afin de réduire l’empreinte carbone de nos sociétés, même s’il est nécessaire de se rappelerque les exodes vers l’Occident global s’expliquent aussi par l’envie des migrants de participer du consumérisme occidental (analyse de l’IRFAM, 2015). Nous charrions tous nos paradoxes, y compris, les migrants qui fuient notamment les effets délétères du dérèglement climatique… La désinformation en cette matière complexe est légion et la gouvernance sur l’environnement reste décentralisée, sans cohérence d’ensemble, dépourvue de moyens décisionnels et financiers. La création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et les efforts de nombreuses ONG et associations n’y changent rien (Groupe d’études géopolitiques, 2023).
Résoudre des problèmes globaux par des actions locales forcément limitées est peut-être illusoire, même si ces mêmes actions participent à des solutions. Comment les ordonner et les concilier ? Comment expliquer, par ailleurs, les décalages entre paroles et actions ? Quels sont les freins à de véritables décisions politiques ambitieuses ? Comment dépasser les clivages entre environnement et économie, entre le Nord et le Sud ? Tel est peut-être le rôle majeur des migrants dans le débat climatique : rappeler en permanence la dissonance majeure entre nos modes de vies et aspirations au confort, d’une part et nos véritables moyens qui se situent sur des échelles différentes (individuelles, collectives, politiques, économiques) et ont donc des portées différentes, d’autre part. Ces migrants ne nous rappellent-ils pas qu’à chaque instant nous nous rapprochons un peu plus du mur de fond de ce piège dans lequel nous nous sommes laissés enfermés, courant toujours plus vite à notre perte climatique ? Finalement, on peut se demander si le rôle de lanceur d’alerte des migrants et de leurs associations de solidarité Nord/Sud n’est pas sous-estimé en matière climatique.
Les migrants face aux impacts du changement climatique
Notre souhait de voir les associations de personnes immigrées en Europe devenir plus impliquées, plus compétentes et mieux armées en matière d’éducation environnementale et de résilience climatique prend sa source dans l’inquiétude de voir cette population et leurs alliés aux pays d’origine comme les victimes annoncées des désastres climatiques qui s’annoncent. Il est essentiel de réaliser à l’échelle planétaire que le changement climatique que nous avons enclenché par notre usage de la Terre est engagé, en tout cas à l’échelle de plusieurs siècles. Quoi que nous fassions, le changement climatique se poursuivra pendant des décennies, en raison de la longévité des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Même en arrêtant immédiatement toutes nos émissions, il faudrait plusieurs milliers d’années pour retrouver les niveaux de concentration de gaz à effet de serre antérieurs à la Révolution industrielle : le mieux que nous pouvons espérer est de stabiliser ces niveaux, et non de les faire baisser, selon les analyses de physiciens qui s’intéressent au changement climatique.
Dans ces circonstances, dramatiques sur le moyen terme, il faut considérer que les migrations climatiques sont essentiellement des migrations internes, les migrations internationales constituant l’exception. Confronté à une dégradation de leur environnement, les personnes réfugiées climatiques auront tendance à se déplacer sur une courte distance, sans s’éloigner de leur habitat d’origine. D’une part, ces exilés disposent généralement de ressources très limitées à consacrer à leur migration, a fortiori si celle-ci n’est pas planifiée. D’autre part, les migrants ne cherchent pas à fuir leur pays, mais leur environnement immédiat devenu peu à peu hostile : une migration sur une longue distance les couperait de leurs réseaux sociaux, voire de la possibilité d’assistance par leur État d’origine. L’espoir est de revenir le plus vite possible au point de départ. Enfin, les populations les plus vulnérables sont souvent incapables de fuir la dégradation de leur environnement, faute de ressources et de politiques migratoires adéquates (Foresight, 2011). Cela veut dire que les populations les plus vulnérables — les plus pauvres, les moins informées ou connectées, les plus âgées… — sont souvent les premières victimes des dégradations de leur environnement, parce qu’elles sont obligées de rester sur place. Ceux qui migrent pour des raisons environnementales sont avant tout des personnes qui en ont les moyens, financier avant tout mais aussi culturel (niveau d’éducation, de formation) et sociaux (réseau, contacts dans d’autres pays) : la migration est un processus sélectif qui requiert la mobilisation de ressources importantes, et les plus pauvres, dans un environnement dégradé, seront souvent contraints de consacrer leurs ressources à leur survie immédiate, selon François Gemenne qui a introduit une récente conférence sur les migrations et changements climatiques.
Conclusion
La relation entre migration et changement climatique est triple : elle concerne les régions d’origine, celles de destination, mais également les migrations en elles-mêmes. À cause d’une amnésie environnementale qui caractérise les liens des pays occidentaux (principalement) avec les questions climatiques, des conséquences majeures sur l’environnement, le climat, l’économie et les sociétés des pays dont sont issus les personnes migrantes se font ressentir. Encore trop peu de recherches étudient l’apport des associations de migrants dans les pays d’installation sur ces enjeux, alors que leur expertise, leur réflexion et leurs connaissances de terrain pourraient alimenter les travaux de chercheurs et décideurs politiques dans les pays du Nord. Dans bien des cas, pour les personnes vivant ces crises et changements climatiques, la migration sera l’option ultime envisagée dans l’hypothèse où les différentes stratégies d’adaptation auraient échoué. Certes, cette migration ne sera pas soudaine et s’étalera sur une longue période de dégradation des conditions de vie.
Comment ces migrations seront-elles accueillies par les populations locales vivant sur les zones géographiques visées par ces déplacements ? Sachant que les changements climatiques se font de plus en plus ressentir dans les pays dits d’accueil (inondations, tempêtes, vents violents, canicule à répétition…), on peut imaginer dès lors des populations locales qui seraient elles-mêmes dans une posture de protectionnisme si rien n’est mis en place au niveau de politiques publiques ambitieuses et durables prenant en compte les vécus des populations (locales et allochtones), leurs exigences et propositions. Le climat est un bien public mondial : une politique internationale ambitieuse et une coopération internationale renforcée doivent qualifier les actions de tout un chacun (privés, entreprises et administrations) ; acteurs de changement parmi lesquels les migrants ont assurément un rôle à jouer.
Bibliographie
Arara R. et Tadlaoui J.-E. (2023), Constructions identitaires et stratégies familiales. Trois générations marocaines et la vie associative en Belgique, Paris : L’Harmattan.
Bourdieu P. (2000), Esquisse d’une théorie de la pratique par la prime éducation, Paris : Le Seuil.
Foresight N. (2011), Migration and Global Environmental Change. Final Project Report, Londres : The Government Office for Science.
Gemenne F. (2015). Géopolitique du climat : Négociations, stratégies, impacts. Armand Colin.
Gemenne F. (2021). Géopolitique du climat : Les relations internationales dans un monde en surchauffe, Paris : Armand Colin.
Mbaye D., Tidiane S., El Hadji D. et Andrea Di V. (2023) Impact des mesures d’adaptation au changement climatique et du désenclavement sur la production agricole en Casamance, Dakar : L’Harmattan.
Sayad A. (1999), La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris : Le Seuil.