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Mobilisation des milieux académiques belges pour les étudiants réfugiés

Sarah Degée, Karim Abouhafes et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2020 – 13

Pour citer cette analyse
Sarah Degée, Karim Abouhafes et Altay Manço, « Mobilisation des milieux académiques belges pour les étudiants réfugiés», Analyses de l’IRFAM, n° 13, 2020.

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Bien que de nombreux instruments juridiques tant internationaux que nationaux garantissent le droit à l’éducation aux réfugiés, dans les faits, ce statut amoindrit les probabilités de scolarisation. En effet, à l’échelle mondiale, seuls 50 % des enfants et 25 % des adolescents réfugiés 1. bénéficient respectivement de l’enseignement primaire et secondaire, dénoncent, conjointement, l’UNESCO et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Dès lors, qu’en est-il de l’enseignement supérieur? Les données à l’échelle mondiale rapportent que seuls 3 % des réfugiés, dans la tranche d’âge 19-23 ans, accèdent à l’enseignement supérieur (UNCRH, 2018). À titre de comparaison, 37 % des personnes de la tranche d’âge concernée suivent un enseignement postsecondaire dans le monde ; ils sont 75 % en Europe.

Ces chiffres sont interpellants. Et ce d’autant plus, que l’enseignement primaire et secondaire constitue un des objectifs de développement durable à atteindre pour 2030 (UNESCO, 2016). Quant à l’enseignement supérieur, le Haut Commissariat aux Réfugiés a déterminé comme objectif minimal un taux de 15 % de réfugiés inscrits, pour la même décennie. En effet, l’enseignement supérieur est considéré comme la «pierre angulaire du développement durable» par l’UNESCO. Si la scolarité primaire et secondaire revêt une importance fondamentale, l’entrée dans l’enseignement supérieur n’en est pas moins importante, dans un monde où de plus en plus d’emplois sont réservés aux titulaires de diplômes délivrés par les hautes écoles et les universités. Plus spécifiquement en Belgique, de nombreuses études (Manço et coll., 2017 ; Baeyens et coll., 2020) soulignent l’insuffisance de l’accueil et de l’insertion scolaire des migrants et de leurs enfants, conduisant à des difficultés en matière d’intégration professionnelle de ces publics, notamment issus de pays hors UE. En vertu de ces constats, il semble qu’en Belgique, la massification de l’enseignement supérieur laisse de côté les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Toutefois, des initiatives existent, notamment à travers l’Europe et, plus particulièrement, en Belgique, et tentent d’insérer les étudiants réfugiés dans des programmes d’études supérieures. Elles émanent de décisions politiques ou directement des institutions, voire, parfois, sont initiées par l’engagement de quelques professeurs, relayés par leurs collègues.

La présente analyse entend se pencher sur la mobilisation des milieux académiques européens et belges en faveur des étudiants réfugiés. Elle propose, en premier lieu, un cadrage juridique et institutionnel. Il s’agit de comprendre les normes légales auxquelles sont soumis les États européens et les institutions d’éducation supérieure. En second lieu, nous présentons quelques dispositifs européens. En troisième lieu, nous nous penchons davantage sur des initiatives belges que nous comparerons entre elles et aux exemples européens. Une analyse des motivations des acteurs consultés constitue la quatrième partie. Enfin, en guise de conclusion, nous proposons une série de recommandations politiques afin de valoriser au mieux le potentiel socioculturel et économique que représentent les étudiants réfugiés.

Cadrage juridique et institutionnel : l’accès aux études supérieures est un droit pour les réfugiés

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ayant engendré un nombre considérable de réfugiés, les Nations Unies adoptent la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Son article 26.1 traite spécifiquement de l’accessibilité de l’enseignement : « (…) l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. » Notons qu’au vu de cet article, la Déclaration s’inscrit dans une conception méritocratique de l’éducation. En 1997, le Conseil de l’Europe et l’UNESCO promulguent, conjointement, la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne. Son septième article concerne, spécifiquement, les réfugiés et les personnes déplacées : « Chaque Partie prend toutes les mesures possibles et raisonnables dans le cadre de son système éducatif, en conformité avec ses dispositions constitutionnelles, légales et administratives, pour élaborer des procédures appropriées permettant d’évaluer équitablement et efficacement si les réfugiés, les personnes déplacées et les personnes assimilées aux réfugiés remplissent les conditions requises pour l’accès à l’enseignement supérieur, la poursuite de programmes d’enseignement supérieur complémentaires ou l’exercice d’une activité professionnelle, et ce même lorsque les qualifications obtenues dans l’une des Parties ne peuvent être prouvées par des documents les attestant. » Ce texte est, actuellement, en application dans quatre-cinq pays du Conseil de l’Europe et neuf autres États. À noter, toutefois, que la Grèce n’a pas signé cette convention.

En Belgique, le principe légal veut que ne puisse s’inscrire à un programme d’études qu’une personne autorisée à séjourner en Belgique. Le cas échéant, la personne concernée doit prouver la reconnaissance de la qualité de réfugié en vertu de l’article 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement, et l’éloignement des étrangers ou l’existence d’une demande à cet effet. En cas de recours devant une commission ad hoc (Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides ou Commission Permanente de Recours pour Réfugiés), une attestation délivrée soit par une de ces deux instances, soit par un avocat doit être apportée, ainsi que la prolongation mensuelle d’autorisation de séjour. En cas de recours auprès du Conseil d’État, ce recours étant non suspensif, l’étudiant ne peut être inscrit. Par contre, pourront s’inscrire les étrangers autorisés à séjourner en Belgique en bénéficiant de la protection temporaire visée à l’article 57/29 de la loi du 15 décembre 1980. Enfin, sous certaines conditions 2, est admis aux inscriptions tout étudiant ayant pour père, mère, tuteur légal ou conjoint une personne qui remplit une des conditions visées ci-dessus.

Toutefois, des initiatives réunies autour de la motion de « Hautes écoles et universités hospitalières » du CNCD (Centre National de Coopération au Développement) plaident et agissent pour des établissements plus inclusifs pour des personnes réfugiées ou assimilées, voire sans papiers. Une université, une haute école et une école supérieure des arts hospitalière est ainsi définie comme un établissement d’enseignement supérieur qui s’engage, par l’adoption formelle de la motion citée, en faveur des personnes migrantes au sens large et, en particulier, des étudiants demandeurs d’asile, réfugiés ou sans papiers, dans le cadre d’un programme de coopération. La motion engage la communauté d’enseignement dans une démarche d’accueil et de valorisation des initiatives portées par les membres de la communauté. L’idée est d’améliorer la condition des personnes concernées, de valoriser l’engagement institutionnel et citoyen, et de l’afficher en faveur de l’hospitalité dans la société. Les engagements reprennent différents éléments qui peuvent être développés avec plus ou moins d’emphase selon les possibilités des institutions, certaines étant déjà mis en place. Il s’agit notamment de faciliter l’accès administratif, par exemple, proposer une information claire, détaillée et multilingue sur le site internet et/ou via une brochure, mais aussi faciliter l’accès financier : lutter contre la précarité estudiantine en renforçant les mécanismes d’aide financière pour les étudiants. Il s’agit également de soutenir la participation des migrants pendant leur parcours académique : entre autres, assurer des cours, tables de discussion, animations culturelles multilingues pour les migrants. Il s’agit encore de sensibiliser la communauté à l’interculturalité et l’accueil des migrants en s’appuyant, notamment, sur l’expertise développée par les centres de recherches ou associations qui travaillent sur les migrations. Enfin, il s’agit aussi d’agir en tant qu’acteur dans la société, par exemple, en demandant à d’autres établissements ou institutions, ainsi qu’à des responsables politiques de mettre en place un accueil constructif pour le public concerné.

Pratiques de valorisation académique : une diversité européenne

Malgré des normes juridiques communes, les États européens se positionnent de manière diverse quant à l’accueil des réfugiés au sein de leur enseignement supérieur respectif. D’une part, nous pouvons constater une différence quantitative. En effet, le nombre de dispositifs existants varie fortement d’un État à l’autre. L’European University Association propose un recensement des dispositifs existants sur le sol européen, ainsi que dans d’autres pays (États-Unis, Liban, Jordanie, Syrie, Turquie). Une lecture de leur carte interactive permet d’observer, par exemple, que dix-huit établissements italiens proposent des dispositifs d’accueil des étudiants réfugiés, alors que la France en propose vingt-neuf (dont neuf en région parisienne). Conformément à sa politique récente favorable à l’immigration, l’Allemagne totalise un nombre conséquent de dispositifs : une soixantaine. Sans surprise, des pays plutôt opposés à l’immigration, comptent peu ou pas d’appareils académiques destinés aux réfugiés, à l’instar de la Hongrie qui n’en recense que sept. Nous pourrions, par contre, nous étonner de ne voir que huit dispositifs en Grèce, pays où transitent et vivent de nombreux migrants.

D’autre part, la nature de ces dispositifs varie également. Si certaines aides sont superficielles et dépendent beaucoup de l’insistance des étudiants concernés, un rapport du Conseil de l’Europe permet de mettre en valeur des initiatives proactives et collaboratives comme celle de l’université ouverte Kiron de Berlin. Cette dernière permet l’accès à l’enseignement supérieur à des réfugiés, à travers un enseignement en ligne. Depuis 2015, elle leur propose un enseignement en anglais débouchant à des diplômes reconnus. Fondée sur un système de financement participatif, l’initiative est parvenue à réunir en deux mois plus de 500 000 € et offre actuellement des formations dans cinq domaines confrontés à une pénurie de main-d’œuvre : informatique, ingénierie, commerce, architecture et études interculturelles. Le projet est mené en partenariat avec de nombreuses autres universités, puisque Kiron diffuse leurs cours en ligne et certifie ses étudiants par le système européen de transfert de crédits. Si plus de 15 000 demandes d’inscription ont été reçues par l’université en 2015, 450 étudiants seulement ont pu bénéficier d’une bourse pour les soutenir dans leur processus de formation.

Un autre exemple pragmatique concerne la ville allemande d’Erlangen qui abrite l’université d’Erlangen-Nuremberg (35 000 étudiants) et les nombreux bureaux de Siemens (25 000 employés). La municipalité, l’université et Siemens travaillaient depuis 2015 à la mise en place de stages en entreprise pour demandeurs d’asile qualifiés. Le but est que tout le monde y gagne : les demandeurs d’asile, grâce aux conseils de leurs collègues et à la possibilité de faire le point sur leurs capacités professionnelles, notamment par les programmes de formation continue de l’université (financés par Siemens) ; les employés de l’entreprise, amenés à réfléchir sur leurs préjugés à propos des réfugiés et des migrants ; et, enfin, l’entreprise elle-même, renforcée par les compétences de demandeurs d’asile qualifiés. Satisfaite, Siemens élargit rapidement ce programme à d’autres sites allemands. Le groupe offre plus de 100 stages par an aux réfugiés et a mis en place quatre formations continues de six mois (dont des cours d’allemand) avec divers établissements d’enseignement supérieur. Si ce chiffre ne représente qu’une goutte d’eau dans la mer comparée aux centaines de milliers de réfugiés adultes arrivés en Allemagne ces dernières années, il démontre que des mesures « intelligentes » (c’est-à-dire tentant de converger les intérêts des diverses parties prenantes) peuvent libérer le potentiel des demandeurs d’asile étudiants ou qualifiés avant que leurs compétences ne deviennent obsolètes3.

Des initiatives académiques belges également diversifiées

L’European University Association identifie dix-huit dispositifs sur le sol belge. Il apparaît que ceux-ci se caractérisent par une diversité importante. Ce constat est à replacer dans le contexte de l’enseignement belge. Lequel est qualifiable de « pilarisé », où les pouvoirs organisateurs, réunis en « réseaux » publics (communautés, provinces et communes), privés confessionnels (catholiques ou autres) et privés non confessionnels, jouissent d’une certaine marge de manœuvre. À ceci, il convient d’ajouter que l’enseignement, en Belgique, est une compétence communautaire. Par conséquent, francophones, néerlandophones et germanophones possèdent des ministères de l’Enseignement différents. Enfin, l’enseignement supérieur est proposé sous diverses modalités : universités, hautes écoles, écoles supérieures d’art et promotion sociale.

Communauté Wallonie-Bruxelles

Dans cette diversité, les universités belges sont apparemment plus promptes envisager des formes d’hospitalité envers les étudiants réfugiés et assimilés, peut-être en fonction des ressources humaines et matérielles dont elles disposent4. Les universités francophones de Belgique proposent de concert plusieurs mesures exceptionnelles et transitoires pour faciliter l’accès aux études aux demandeurs d’asile, réfugiés reconnus et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Selon la Coordination des Intiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRE), parmi ces mesures conformes à la motion du CNCD, on trouve la gratuité (sous certaines conditions) pour différentes démarches, comme l’inscription à l’examen d’admission aux études universitaires et de maîtrise de la langue française, l’inscription en tant qu’élève libre, dont possibilité de suivre le cours de français langue étrangère. Par ailleurs, toutes les universités ont développé des pages web dédiées aux étudiants réfugiés5.

On remarquera que l’essentiel des mesures proposées par les universités francophones est d’ordre pécuniaire, même si plusieurs universités ont fait preuve d’actions supplémentaires. Par exemple, l’Université de Liège (ULG)6, ainsi que l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ont créé, toutes deux, un bureau d’accueil des réfugiés. Celui-ci fait office de « guichet unique » et propose des aides diverses, allant de l’administratif à l’orientation. L’Université de Mons (Umons) et l’Université Catholique de Louvain (UCL), quant à elles, se démarquent par la qualité de leurs initiatives. La première propose des cours de français langue étrangère comme modalité d’intégration socioculturelle et de préparation aux études, ainsi qu’un soutien dans les démarches administratives et une aide matérielle. La seconde est à l’initiative d’un programme de préparation aux études universitaires nommé Access2University. Notons que l’admission à ce programme se fait sur dossier. Le programme se matérialise par des cours de langue, le suivi, a minima, d’un cours au sein du cursus envisagé, une guidance en vue de préciser le projet d’étude, une aide administrative, ainsi qu’un soutien en vue de l’intégration dans la vie étudiante. En outre, cette université a également mis sur pied un projet nommé Tandem citoyen, mis au point par une association estudiantine et se matérialisant par la formation de duos d’étudiants réfugiés/belges. Quant à l’Université de Namur (Unamur), elle s’illustre par le logement de familles réfugiées, par leur accompagnement administratif, la proposition de cours de français langue étrangère, en coopération avec des hautes écoles dont l’Henallux, et un projet de jumelage d’étudiants, même si ces initiatives ne concernent que quelques dizaines de personnes par an.

Hormis les dispositifs universitaires, nous avons relevé quelques initiatives émanant de hautes écoles francophones. L’IHECS, établissement bruxellois formant au journalisme, ainsi qu’à la communication, dispose d’un programme nommé « IHECSolidaire » destiné aux personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Celui-ci, entièrement gratuit et non diplômant, permet aux candidats de suivre des cours de français et d’anglais, ainsi que des cours de bachelier en communication appliquée. L’établissement précise qu’une intervention dans les frais de transport est envisageable. En outre, l’école a mis sur pied un système de parrainage. Notons que la réussite à ces cours peut être valorisable dans le cadre d’une inscription future au sein d’un cursus académique. En outre,  l’IHECS est à l’initiative, avec d’autres établissements européens, dont la Haute Ecole bruxelloise Galillée, du programme coLAB (a laboratory for news forms of collaboration). Celui-ci, financé par la Commission européenne et le Conseil de l’Europe vise l’inclusion en permettant à des personnes réfugiées disposant d’une expertise de dispenser des séances de cours. Depuis 2017, l’EPHEC, école pratique des hautes études commerciales, situées également à Bruxelles, permet également aux réfugiés de suivre des cours en tant qu’auditeur libre. La Haute École Louvain en Hainaut, quant à elle, propose un soutien dans les démarches administratives, un renforcement des aides financières, ainsi qu’un accompagnement par le personnel et des étudiants volontaires7.

Communauté flamande

À titre comparatif, du côté néerlandophone de la frontière linguistique, si nous ne relevons pas d’accord interuniversitaire concernant la mise en place de mesures minimales, il existe toutefois un groupe de travail entre universités flamandes concernant l’accueil des étudiants réfugiés. Celui-ci, composé sur base volontaire, se réunit deux fois par an et joue un rôle de concertation entre initiatives. L’Université de Gand, par exemple, propose, dans ce domaine, un programme préparatoire aux études, une aide matérielle et administrative, réserve des logements universitaires aux étudiants réfugiés et a mis sur pied un programme de mentorat mené par des étudiants de master. Enfin, elle collabore avec un service de santé mentale, en vue de proposer un soutien psychologique aux étudiants qui en sentent le besoin. À Anvers, métropole comptant de nombreux migrants, quatre établissements (dont l’Université d’Anvers et la Karel de Grote University College) se sont regroupés autour d’un projet nommé THEA. Celui-ci a débuté durant l’année académique 2017-2018 et permet aux réfugiés de suivre une partie d’un programme d’enseignement supérieur tout en apprenant le néerlandais. Il est toutefois attendu des candidats qu’ils maîtrisent le niveau B1 dans cette langue. Ce programme comprend également une présentation de l’institution (fonctionnement de l’administration, bibliothèque…). La Vrije Universiteit Brussel (VUB) se distingue toutefois des autres établissements. Elle propose un programme nommé Welcome Student Refugees. Il s’agit d’un programme préparatoire comprenant des cours intensifs de langue (anglais ou néerlandais), une initiation à la culture du pays d’accueil, des cours de méthodologie du travail et une guidance académique, ainsi qu’un soutien psychologique. Après l’inscription à un cursus universitaire, si nécessaire, les supports psychologiques et linguistiques peuvent se poursuivre. L’université propose également un système de mentorat, ainsi que des wokshops collaboratifs afin de créer des échanges entre étudiants de divers horizons. En outre, cette université réserve également quelques logements étudiants pour les réfugiés. Notons que l’accès au programme préparatoire s’effectue sur dossier et que seuls vingt candidats sont acceptés.

Communauté germanophone

Enfin, du côté germanophone, il n’existe qu’une seule école supérieure : l’Autonome Hochschule in der Deutschsprachigen Gemeinschaft. Celle-ci a un statut unique en Belgique, elle a été créée sur la base d’un décret spécial par la fusion des trois anciennes écoles supérieures organisées par les trois réseaux. Elle délivre trois titres de bachelier : enseignant/e d’école fondamentale, infirmier/ère et comptable (Bouillon, 2018). Même si le réseau de promotion sociale de cette communauté prend en charge la formation linguistique de près de 300 migrants par an, les étudiants réfugiés y sont rares. Toutefois, la haute école germanophone envisage une action à l’instar de l’Université flamande du Limbourg (UCLL), partenaire d’un projet européen Fresh start, visant à faciliter l’intégration des réfugiés par l’entrepreneuriat.

On constate que peu d’initiatives belges intègrent le lien formation/emploi dans les projets visant à inclure les étudiants réfugiés dans le parcours académique. Du reste, les projets belges, très récents, n’ont pas l’expérience des travaux dans d’autres pays européens. Les publics drainés sont de petite taille, les sans-papiers ne sont pas concernés et les actions développées en ordre dispersé sont peu en connexion les uns avec les autres (et a fortiori avec d’autres projets européens). Aussi, leur visibilité et impact social restent, pour le moment, faibles.

Le sens donné par les acteurs

Afin d’approfondir ces observations descriptives, nous nous sommes entretenus, dans une démarche compréhensive, avec différents responsables des programmes d’accueil des réfugiés. L’UCL, l’Umons, l’Université d’Anvers et l’IECHS ont été contactés pour l’originalité et la dimension intégrée de leurs initiatives.

Tout d’abord, constatons que les vocables employés par les acteurs sont significatifs de la nature de leurs démarches. Les personnes interviewées travaillant à l’IECHS et à l’Umons parlent de « solidarité », alors que la responsable de l’UCL emploie le mot « inclusion ». À la question «quelles sont les raisons de l’engagement de votre institution», la répondante de l’Umons répond : «C’est pour participer à l’élan de solidarité qui s’est fait sentir au début de la crise. L’Umons a eu le souhait de participer à cela en tant qu’établissement de culture et d’éducation. Elle n’a pas voulu laisser les réfugiés syriens et autres qui venaient chez nous sur la touche». L’engagement de l’université peut donc être considéré, avant tout, comme un engagement citoyen. À l’Université d’Anvers, la réponse à cette même question a été la suivante : «Nous nous sommes demandés comment nous pouvions aider ces gens.» Aucun des répondants ne fait donc référence au droit et à l’obligation d’accessibilité aux études supérieures. L’accueil des étudiants réfugiés est d’abord perçu comme relevant de l’engagement moral, et non d’une lutte politique qui, elle, transparaît, en second lieu, quand les acteurs retracent leurs initiatives en faveur des étudiants vulnérables.

Les entretiens font également apparaître l’importance du travail en réseau. L’UCL travaille avec des hautes écoles de la région. Le service de l’Umons collabore avec des écoles de promotion sociale et des centres pour demandeurs d’asile. L’IHECS et l’Université d’Anvers travaillent également avec d’autres établissements et des centres pour demandeurs d’asile. Ces partenariats sont atypiques pour des établissements scolaires et engendrent des changements dans les façons d’envisager la vie académique en connexion avec le terrain régional.

Enfin, les difficultés rencontrées par les étudiants sont multiples : précarité du statut administratif des candidats (« certains ne viennent plus du jour au lendemain », précisent les responsables de l’IECHS), précarité financière, problèmes d’équivalence des diplômes, diversité des parcours scolaires et linguistiques des étudiants en fonction des pays d’origine (Syrie, Irak, Afghanistan, Burundi, Congo…), parfois absence d’attestations académiques, etc. Face à celles-ci, les établissements tentent d’apporter des aides diverses (intervention financière, démarches auprès du ministère…). Nous affirmons donc que l’accueil d’étudiants réfugiés pousse les établissements à acquérir de « nouvelles compétences citoyennes ».

Recommandations en guise de conclusion

L’accueil d’étudiants en situation précaire, comme le public en demande d’asile et réfugiés, au sein des universités et hautes écoles, l’enjeu de leur réussite académique, voire leur transfert efficace à la vie active sont des processus complexes qui impliquent que les actions soient conçues de manière intégrée. Les exemples examinés indiquent, en effet, la nécessité d’une approche intégrative qui articule toutes les politiques par lesquelles ces étudiants sont touchés : à tout le moins, les politiques d’immigration et d’asile, l’accueil, l’installation et le logement, l’agencement de l’enseignement supérieur, les dispositifs linguistiques, la question du revenu, voire, pour certains, des questions de garde d’enfant et de mobilité, ainsi que, bien sûr, l’accès à l’emploi, à la fin des études. Seules cette vision élargie et une action de longue durée permettent de concevoir un programme d’inclusion académique des étudiants primo-arrivants capables de former, in fine des citoyens qualifiés et reconnus dans leurs compétences par leur société d’insertion (Manço et Gatugu, 2018). Sans oublier des approches relationnelles comme les exemples de jumelage sertis dans les exemples donnés : elles se montrent capables de renforcer l’interactivité entre les étudiants étrangers et le public local. En dehors de ce type de dispositifs, il est difficile d’imaginer une sensibilisation des communautés académiques et, au-delà, de la société d’accueil, dans son ensemble, aux réalités et aux apports des migrations, une conscientisation souhaitée par le CNCD.

Diverses recommandations pratiques pourraient s’adjoindre à ce tableau général, par exemple, la question du travail étudiant8 et l’importance des stages réalisés en dehors des universités et écoles. En plus de l’aspect financer qui pourrait intervenir, ces démarches sont particulièrement stratégiques et donnent aux étudiants réfugiés une expérience au pays d’installation, leur permettant de créer des réseaux socioprofessionnels. Ils doivent être réfléchis par le corps académique en fonction de ces utilités. Par ailleurs, les risques d’abandon et la fragilité du séjour des étudiants demandeurs d’asile et, à plus forte raison, sans-papiers sont un fait dont on ne peut faire l’économie dans la conception de programmes inclusifs. Un travail juridique et politique important est nécessaire pour la protection des étudiants et des diplômés dont le statut de séjour est fragile. Tel est le chantier, sans doute à échelle européenne, qui, à notre avis, attend les universitaires désireuses de combattre pour l’application des textes fondateurs de nos démocraties.


Bibliographie

Baeyens A., Cornille D., Delhez P., Piton C. et Van Meensel L. (2020) « The economic impact of immigration in Belgium », The NBB Economic Review, édition spéciale.

Bouillon H. (2018), « L’enseignement en Communauté germanophone de Belgique : histoire, institutions et enjeux actuels », Synergies pays germanophones, n° 11, p. 153-169.

Manço A., Ouled El Bey S. et Amoranitis S. (éds.) (2017), L’apport de l’Autre. Dépasser la peur du migrant, Paris : L’Harmattan.

Manço A. et Gatugu J. (éds.) (2018), Insertion professionnelle des migrants. Efficacité des dispositifs, Paris : L’Harmattan.

Notes

  1. Dans des publications de l’IRFAM, sauf mention contraire, le masculin est utilisé comme épicène : les personnes dont on parle sont des femmes et des hommes
  2. Les revenus du père, de la mère, du tuteur ou du conjoint légal doivent correspondre au moins à la moyenne, sur six mois, du Revenu d’Insertion Sociale au taux cohabitant. Par ailleurs, toute forme d’union autre que le mariage légal n’est pas prise en compte.
  3. Le cabinet de recrutement américain ManpowerGroup mène également une action similaire depuis l’an 2000 avec, notamment, des établissements d’enseignement supérieur, en Suède et aux Pays-Bas, et depuis lors, dans plus de 100 pays au monde.
  4. Les sites internet des établissements d’études supérieures, ainsi qu’une enquête menée par l’ARES permettent de prendre connaissance de la majeure partie des dispositifs en faveur des étudiants réfugiés. Nous avons complété ces informations par quelques entretiens menés durant les mois de mai et juin 2020, avec des membres de diverses universités belges francophones et néerlandophones. L’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur est la fédération qui réunit la plupart des établissements d’enseignement supérieur francophones de Belgique. Son rôle est d’assurer la coordination globalede leurs activités et de susciter entre eux le développement de collaborations
  5. Citons, par exemple, la page de l’université de Liège qui est proposée en plusieurs langues
  6. Entre autres initiatives, l’ULG (enseignants et étudiants) s’est mobilisée cet été pour proposer des tables de conversation en français aux étudiants réfugiés.
  7. Étonnamment, alors que l’enseignement supérieur de promotion sociale compte un nombre important d’étudiants réfugiés et migrants, nous n’y avons trouvé aucune initiative en vue de leur insertion ou inclusion, même si l’Umons travaille avec des écoles de promotion sociale du Hainaut en vue de proposer des activités en français langue étrangère
  8. En Belgique, les étudiants réfugiés ont accès au marché du travail. S’ils peuvent les choisir, des formations en horaire décalé leur permettent de travailler. Ils sont alors considérés comme travailleurs et payent des impôts. Par contre, s’ils suivent un parcours de plein exercice, considérés comme étudiants à titre principal, ils ne peuvent travailler que 475 heures par an, leurs revenus étant exemptés d’impôt

Altay Manço, Karim Abouhafes, Sarah Degée