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Port du foulard islamique et son impact professionnel

Théo Thomas et Altay Manço

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2024.

Pour citer cette analyse
Théo Thomas et Altay Manço, « Port du foulard islamique et son impact professionnel », Analyses de l’IRFAM, n°7, 2024.

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Depuis près d’un demi-siècle, la question du port du voile islamique fait débat dans les sociétés occidentales. En témoignent les récentes discussions autour du bien-fondé des législations prohibitives à l’égard de la question, en regard des lois mises en place sur le port obligatoire du masque, lors de la pandémie (Ab Halim et coll., 2022). Plusieurs polémiques autour des réglementations relatives à la religion en entreprise ont également été recensées en Europe, au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, la Belgique étant concernée pour des institutions privées et publiques (Cuypers, 2019). Luceno Moreno (2012) présente un résumé de l’histoire récente du port du hijab en contexte belge, à travers son traitement médiatique.

Il apparaît pertinent de débattre des perceptions autour de ce fait, d’autant plus qu’à ce jour, aucune critique d’envergure n’a encore été réalisée sur le sujet. Dans cette analyse, le focal est mis sur le point de vue du percevant avec pour objectif d’explorer les considérations éthiques de ces perceptions dans le monde professionnel. En d’autres termes, comment se représente-t-on les femmes portant le foulard islamique et quelles implications peut-on en tirer dans les entreprises?

Pour ce faire, des dimensions relationnelles comme la tolérance et la confiance seront développées, mais aussi d’autres, plus formelles, comme la compétence et le professionnalisme estimés des femmes coiffées du foulard pour des questions religieuses.

Notre objectif n’est pas tant d’être exhaustifs, mais bien de partager une synthèse de constats empiriquement fondés sur la thématique, pour que le lecteur puisse s’en faire une idée sur une base robuste. Il est donc question de nuancer les croyances autour du foulard, afin de permettre une prise de recul critique sur le sujet. Ce regard tiers permet de mieux comprendre la situation afin d’agir de manière adaptée lorsque des problématiques se posent sur le terrain : en fin d’analyse, une série de recommandations sera présentée, notamment pour prévenir ces problèmes.

Dans ce texte, les termes hijab, voile et foulard, objets de ce travail, sont utilisés comme synonymes et font référence aux mêmes accessoires couramment portés par des musulmanes, mais sont à distinguer du tchador, du niqab et de la burqa qui sont des vêtements complets et plus rigoristes sur le plan religieux, impliquant certaines populations.

L’impact nuancé du port du foulard

Dans les contextes occidentaux, le port du foulard est couramment perçu comme un obstacle au bon fonctionnement en entreprise. Cette croyance a un impact réel sur les comportements au sein des institutions, en témoignent les discriminations systémiques dans le processus d’embauche (Weichselbaumer, 2020) ou au niveau des relations interpersonnelles sur le lieu de travail (Koura, 2018). Ces évènements sont directement liés aux discriminations vécues au quotidien par les personnes concernées (Dana et coll., 2019 ; Aidenberger et Doehne, 2021).

Nous précisions les perceptions du port du hijab et leurs implications dans le monde du travail, à travers les résultats de récentes recherches empiriques. Les travaux présentés ont tous été effectués en contexte occidental et se focalisent exclusivement sur le point de vue du percevant.

La productivité est le principal moteur du système économique. Elle est liée aux dimensions de compétence, de performance et de professionnalisme. Dinhof et coll.(2024) ont réalisé plusieurs expériences sur un large échantillon dans le secteur de l’administration publique afin d’investiguer l’influence qu’a le voile de la travailleuse sur la perception de sa performance et de son professionnalisme par les usagers. Ils ont constaté que l’habit porté n’impactait pas ces deux variables.

Ce constat est interpellant dans la mesure où plusieurs défenseurs des législations antivoile mettent en avant le risque d’une mauvaise interaction de la travailleuse portant le hijab avec le public. De plus, les auteurs montrent que si les sujets de l’expérience sont invités à réaliser une tâche réflexive portant sur les notions d’empathie et de professionnalisme, leur jugement positif quant à l’efficacité des travailleuses coiffées du foulard augmente. Ce résultat est inspirant et sera repris dans la partie recommandations. Toutefois, les chercheurs attirent l’attention sur la dimension contextuelle de leurs observations. Les participants aux expériences sont des usagers des services publics pour qui l’objectif est d’avancer dans leurs démarches administratives. Ils pourraient faire fi de considérations philosophiques. Dans un autre contexte où ces considérations ont plus de poids, les résultats pourraient ne pas être les mêmes.

Les constats de Dinhof et coll. (2024) peuvent être comparés avec ceux d’une autre étude traitant du point de vue de la clientèle dans le secteur de la restauration. Sönmez et coll. (2023) partent de l’hypothèse que la cognition sociale (perceptions et émotions impliquées dans les interactions sociales) porte sur deux axes : la chaleur et la compétence (Fiske, 2018). Ils investiguent l’influence des variables comme l’attirance physique (chaleur) et l’aptitude à l’emploi (compétence) sur les perceptions des clients envers des serveuses portant un hijab.

Bien que ces serveuses soient évaluées un peu plus négativement que celles ne portant pas le hijab, il est souligné par les chercheurs que pour juger de l’efficacité des travailleuses, ce qui prime, c’est la qualité du service fourni. Effectivement, leurs mesures montrent que les clients des restaurants sont plus préoccupés par l’exécution du service et moins par l’attrait physique des serveuses, négligeant ainsi les jugements sociaux. Les auteurs invitent donc les employeurs à se focaliser sur les compétences des employés plutôt que sur leurs allures ou accessoires, d’autant plus qu’une politique inclusive d’embauche peut attirer un panel plus vaste de clients augmentant la productivité de l’établissement.

Ce point de vue est conforté par d’autres travaux. Haase et coll. (2022) demandent aux passants dans un espace public de remplir un questionnaire sur la perception du hijab. La femme distribuant les questionnaires porte le voile à certains moments et non à d’autres. Les chercheurs constatent une perception négative sur les femmes portant le foulard : elles sont estimées moins chaleureuses que celles n’en portant pas. De plus, il est remarqué que les passants sont moins enclins à vouloir remplir le questionnaire lorsque le document est distribué par une femme portant le voile. Par contre, aucune différence n’est notée sur la perception des niveaux de compétences des femmes avec foulard par rapport à celles qui n’en ont pas.

Dans les expériences d’El-Geledi et Bourhis (2012), il est demandé à des étudiants de juger des photographies de femmes portant différents types de vêtements religieux, ainsi qu’une n’en portant pas. Les résultats montrent que les étudiants estiment la femme sans foulard plus compétente et plus chaleureuse que celles voilées. Si l’on s’attarde à la perception d’un type de vêtement particulier comme le niqab, sans surprise, les participants y sont encore moins favorables. C’est l’expression d’un favoritisme intragroupe (Tajfel et Turner, 2004), dans la mesure où, en contexte occidental, les femmes portant le foulard sont considérées comme faisant partie d’une minorité exogène. Par la suite, la même expérience a été réalisée, à la différence qu’une femme portant un foulard était présente avec les étudiants lors de la procédure. Avec cette modification, il est constaté une baisse significative du favoritisme. La présence d’une personne appartenant au public cible améliore donc le jugement à l’égard de ce public.

Pour Swami (2013) également les femmes arborant un hijab sont perçues moins favorablement sur des variables telles que la chaleur (sociabilité, accessibilité), mais aussi, la compétence. Un autre apport de cette recherche est qu’il compare des participants de confession musulmane à des personnes ne s’identifiant pas comme telles. Aucune différence n’est constatée dans les réponses de ces deux populations. Le chercheur en déduit qu’il y aurait un processus d’internalisation des normes occidentales comprenant une perception péjorative de la femme voilée, même si les hommes musulmans perçoivent les femmes voilées comme plus attractives que les autres.

En revenant au professionnalisme, Lybaert et coll. (2022) ont examiné l’impression des étudiants belges à l’égard de leur professeure. Les auteurs voulaient savoir si pour une même enseignante, le fait de lui donner un nom typiquement arabe et puis de la coiffer d’un hijab allait impacter les perceptions des étudiants. L’enseignante considérée comme la plus qualifiée était celle qui arborait le foulard. Les chercheurs expliquent ce résultat par la « théorie de l’attente linguistique » (Burgoon et coll., 2002). En fait, les participants s’attendent à ce que l’enseignante maîtrise moins bien la langue de la région. Dès lors qu’elle prouve l’inverse, les étudiants perçoivent que cette femme voilée s’est bien intégrée et la jugent donc plus positivement.

Le niveau de qualification joue également un rôle décisif dans le monde professionnel, Strabac et coll. (2016) ont étudié son impact sur un vaste échantillon. Comme dans l’étude précédente, les chercheurs ont testé les participants dans trois conditions, à savoir, une même femme présentée une fois comme européenne, une fois d’origine arabe et finalement portant le foulard. Afin d’analyser les niveaux de qualifications, ces femmes étaient présentées soit comme infirmière, soit comme universitaire. Les résultats montrent que le taux de préjudice dépend du niveau de qualification, sauf pour les femmes voilées. Autrement dit, si vous portez un foulard, que vous soyez diplômé universitaire ou non, un même niveau de discrimination est observé.

Dans ces deux études, on observe une différence entre les conditions des femmes d’origine arabe et supposément musulmanes, mais ne portant pas le foulard et celles le portant. On y constate l’influence que peut avoir une tenue au-delà d’une religion. L’hypothèse est qu’à nouveau, ce sont des processus de catégorisation qui sont à l’œuvre, il est effectivement plus simple de juger ce que l’on voit. Ceux-ci ont parfois des effets positifs, comme avec l’enseignante, mais peuvent tout autant flouter notre perception, à l’image de l’étude de Strabac et coll. (2016), où les compétences d’une femme portant un hijab ne sont pas justement valorisées.

Au-delà de la productivité et des dimensions formelles du travail, le relationnel est également un élément essentiel au bon fonctionnement en entreprise. Hansbrough et coll. (2018) étudient le sentiment de confiance qu’ont des patients hospitalisés envers des infirmières arborant le hijab. Par rapport aux autres infirmières, aucune influence négative n’est observée. Les auteurs pensent que ces résultats reflètent la confiance générale attribuée aux infirmières voilées de par leur honnêteté à afficher leur foi. Pour El-Geledi et Bourhis (2012) aussi la confiance reste constante lorsqu’une femme voilée est présente pendant l’expérience. Sur d’autres dimensions comme l’empathie et la sociabilité, les jugements à l’égard des femmes portant le foulard sont nuancés, une fois positifs (Swami, 2013 ; Dinhof et coll., 2024) et une autre fois non (Everett et coll., 2015).

Il est bon de rappeler la consigne de vigilance vis-à-vis des constats présentés. Des biais comme la désirabilité sociale (répondre de manière à plaire), le manque de généralisabilité des résultats (études sur des échantillons petits ou pas représentatifs) ou d’autres faiblesses méthodologiques peuvent entrer en jeu. Cependant, une majorité des auteurs explicitent ces biais et certains agissent activement pour y faire face. Ce qui importe, c’est la tendance globale de ces multiples recherches : on en déduit que la croyance identifiant le foulard comme un obstacle fort dans les entreprises est dans l’ensemble réfutée par la littérature scientifique, confirmant un impact nuancé.

La symbolisation du foulard

Il existe un lien étroit entre la perception du pourquoi une femme porte un foulard, donc les raisons perçues, et le degré de tolérance qui lui est accordé. Par conséquent, la littérature sur le sujet étudie comment, dans divers contextes, la tolérance évolue quand les raisons perçues sont modifiées. Ainsi, les chercheurs divisent ces dernières en deux catégories. D’un côté, le port du voile est représenté comme un symbole d’oppression religieuse, sous-entendu que la femme est contrainte de le porter. De l’autre, le voile est associé à l’expression d’une foi personnelle. Ce sont ses propres croyances et ses choix qui l’amènent à s’habiller de la sorte (Everett et coll., 2015 ; Velthuis et coll., 2022b).

Les résultats de ces études montrent une tendance unilatérale marquée. En effet, lorsque le foulard est vu comme un symbole d’oppression, la tolérance se voit mise à mal. À l’inverse, si l’accoutrement religieux est vu comme un choix personnel, la tolérance se déploie. Au-delà des raisons perçues, Velthuis et coll. (2022a) ont observé que le degré de tolérance accordé est également lié au contexte dans lequel il est mesuré. Le contexte privé est celui où le voile est le plus toléré, alors que le milieu professionnel, sans distinction entre les secteurs privé et public, est l’environnement où la tolérance est la plus faible.

Ce jeu perceptif est directement lié aux valeurs culturelles occidentales. Dans nos sociétés, on valorise la liberté d’expression grâce à la promotion de l’individualisme. Il n’est donc pas surprenant qu’une personne qui conçoit le port du voile comme une réponse à des attentes normatives le tolère moins. Ainsi, les auteurs expliquent qu’une raison importante de la diminution de la tolérance est le souci de pouvoir conserver son identité culturelle. La tendance inverse, si les raisons perçues sont celles d’un choix personnel, est également cohérente. L’influence contextuelle reflète une orientation similaire. La tolérance diminue au sein des environnements qui ont des implications socioculturelles fortes.

Grâce à ces conclusions, on comprend que ce ne sont pas seulement les préjudices qui expliquent la discrimination envers les femmes voilées. La symbolisation du foulard et le contexte interactionnel font également partie intégrante de l’équation. Dès lors, il importe de considérer ces paramètres afin d’améliorer les jugements envers le port du foulard. C’est d’ailleurs ce que démontrent Everett et coll. (2015), qui, suite à une manipulation des symbolisations du voile, réussissent à réduire les biais implicites à son égard.

Au niveau sociétal, les chercheurs renvoient au rôle essentiel des médias pour augmenter la tolérance. Il n’est pas rare d’observer dans les journaux des propos négativement connotés à l’encontre de la femme voilée (Luceno Moreno, 2012). L’impact médiatique est considérable pour les dynamiques en jeu au sein des entreprises. C’est en agissant dessus qu’on pourra améliorer la vision organisationnelle et l’intégration des travailleuses portant le foulard en Occident. Effectivement, une tolérance grandie amène du respect et une meilleure communication au cœur des équipes, permettant de progresser dans les relations intergroupes. Ab Halim et coll. (2022) discutent de l’évolution en Europe sur ce sujet, il semble qu’un changement de mentalité se développe activement à la faveur des remplacements générationnels.

Recommandations en guise de conclusion

Cette analyse prend sa source dans les difficultés d’insertion à l’emploi que rencontrent des femmes portant le foulard islamique. Depuis de nombreuses décennies, ces situations d’exclusion et de déni de droits se répètent sans véritable solution. L’IRFAM a pu à nouveau expérimenter ce type d’incidents dommageables dans le cadre du dispositif Hospi’Jobs qu’il met en œuvre avec ses partenaires à des fins de valorisation professionnelle des personnes récemment immigrées en Belgique.

Les constats répétés incitent à chercher à comprendre pourquoi, afin d’agir à bon escient sur ce problème. Le présent texte rappelle que le foulard n’est pas un frein au bon fonctionnement des et dans les entreprises. En revanche, l’imaginaire autour du pourquoi des pratiques religieuses semble peser de son poids dans le débat.

Pour agir dans le sens d’une meilleure cohérence sociale, l’information critique et la sensibilisation semblent être un bon début. Viennent ensuite le débat et la négociation entre acteurs concernés, afin d’ouvrir vers des solutions communes, praticables et mutuellement bénéfiques. Il est important de rappeler que l’exclusion en raison du port d’un foulard islamique ne concerne que les femmes les vulnérabilisant doublement en tant que musulmanes et en tant que travailleuses.

L’étape du recrutement est ainsi essentielle pour intégrer le milieu professionnel. Si pour une information générale relative aux discriminations en Belgique, le site d’Unia est une référence, la plateforme d’Hijabis at work facilite la connexion entre travailleuses voilées et entreprises inclusives, afin que chacun puisse trouver un lieu de travail qui lui correspond. Car force est de constater que dans le monde du travail, la promotion des politiques antidiscriminatoires ne se traduit pas toujours dans la réalité du terrain. C’est le cas du service hospitalier britannique encourageant, d’une part, l’inclusivité, mais laissant, d’autre part, dans le flou la question du port du foulard par les employées (Malik et coll., 2019). Les travailleuses voilées témoignent que cette ambiguïté impacte leurs choix de carrière et peut les amener à ressentir de l’anxiété ou même leur donner envie d’aller travailler ailleurs. Pour faire face à ces conséquences négatives, les chercheurs soulignent l’intérêt d’établir un règlement d’ordre intérieur général, qui, s’il n’est pas respecté, doit conduire à des répercussions. De même, il est primordial de sensibiliser les responsables de service à l’importance que ces femmes accordent au fait de porter le foulard. C’est en se sentant compris qu’on est à l’aise dans son travail quotidien.

Globalement, les recommandations poussent à la négociation entre les parties concernées afin d’arriver à des compromis consentis. Ces derniers peuvent aboutir à un prototype de foulard qui serait portable en condition de travail, et la majorité des femmes questionnées par Malik et coll. (2019) sont favorables à ce type de solutions, illustrant la possibilité d’entente entre parties.

Comme les travaux de l’IRFAM le montrent également (Devries et Manço, 2018), il importe d’instaurer des espaces de discussion au sein des entreprises. Ces espaces ont pour but de devenir des lieux de rencontre où les femmes voilées, entre autres, peuvent partager leur vécu et les valeurs personnelles qui les amènent à porter le foulard. C’est en fait donner la chance à chacun d’écouter et d’être écouté à travers sa diversité, afin d’aller vers l’autre et de favoriser le frottement plutôt que le choc culturel. L’ambition de ces échanges est de nuancer le discours des médias, ainsi que d’augmenter la tolérance et la cohésion des équipes de travail. Suite à ces moments de partage, une réelle adaptation peut être envisagée pour reconnaître l’autre, ses valeurs et ses besoins. Pour le personnel de confession musulmane, par exemple, il peut s’agir d’allouer un lieu pour les prières, de reconnaître les implications du ramadan, etc. (Padela et coll., 2023). Ces adaptations sont à définir à un niveau local. Il revient à chaque équipe de déterminer ce qui convient en fonction du contexte et des avantages partagés de chaque ouverture à la diversité.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel de soutenir ce qui vient d’être proposé par une démarche auto-évaluative. Nous l’avons vu, une approche réflexive permet d’améliorer le jugement sur les travailleuses portant le foulard. Entrer en empathie avec des collègues voilées permet d’imaginer leur ressenti dans le quotidien professionnel. Cela permet également de projeter cette prise de conscience vers d’autres traits distinctifs culturels, sociaux ou sexospécifiques, afin de généraliser vers d’autres groupes l’avancée inclusive obtenue pour un ensemble de personnes en particulier. D’autres interventions, notamment, placer des affiches pour les clients et le personnel, visibilisant les minorités et encourageant à développer une interaction avec elles, ainsi qu’une perception positive les concernant, sont des compléments utiles à la négociation.

Comme Van Nunspeet et coll. (2017) le montrent, un contact soutenu avec les membres des minorités discriminées, en l’occurrence, les femmes voilées, fait diminuer les biais implicites à leur égard. Ces auteurs préconisent également le développement du sens de l’empathie, du contact avec les groupes minoritaires et de l’emphase sur la liberté du choix moral comme des principes de l’éducation permanente conduisant à plus d’inclusion dans les collectivités.

Notre exploration de l’impact professionnel du port du foulard a permis de constater qu’à l’inverse de ce qui est couramment perçu, la voile de la travailleuse n’est pas un obstacle au bon fonctionnement en entreprise. Certes, la richesse amenée par l’interculturalité n’est pas toujours aisée à exhumer, mais œuvrer à améliorer les jugements interpersonnels et intergroupes permet non seulement d’augmenter le bien-être de l’ensemble des travailleurs, mais aussi la qualité de leur travail. Il est donc bénéfique pour tous de valoriser le vivre-ensemble et de continuer, en cette matière, à objectiver les processus en jeu dans les entreprises et ailleurs.

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©Photo: Le Monde des Possibles

Altay Manço, Théo Thomas