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Révision du système de Dublin : le Pacte européen sur la migration et l’asile vu de Belgique

Christina Cerfontaine

© Une analyse de l’IRFAM, Liège, 2025.

Pour citer cette analyse
Christina Cerfontaine, « Révision du système de Dublin : le Pacte européen sur la migration et l’asile vu de Belgique.», Analyses de l’IRFAM, n°6, 2025.

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La question migratoire occupe une place centrale dans le débat politique européen, marqué par une polarisation croissante et une tendance à la fermeture des frontières. La migration est souvent perçue comme une menace, contribuant à la montée du populisme, y compris en Belgique. Cette perception alimente des tensions sociales et politiques, mettant sous pression les systèmes d’accueil et d’intégration des États membres.

L’enjeu est particulièrement sensible en Belgique, où la gestion des flux de demandeurs d’asile suscite des débats récurrents au sein du gouvernement et de la société civile. Malgré l’existence d’un cadre européen, le pays fait face à des difficultés structurelles en matière d’hébergement et d’accompagnement des migrants. Cette crise chronique se traduit par plus de 8 000 condamnations de l’État belge pour manquements dans sa politique d’asile. Les centres d’accueil, constamment saturés, peinent à répondre aux besoins croissants, tandis que les orientations gouvernementales s’inscrivent dans une logique de restriction accrue.

L’accord du gouvernement Arizona en est l’exemple le plus frappant : suppression des initiatives locales d’accueil (ILA), hausse du coût de la naturalisation, réduction des délais pour le regroupement familial, durcissement des politiques de retour et externalisation croissante de la gestion migratoire. Autant de mesures qui traduisent une volonté de repli, au détriment des droits fondamentaux des étrangers. Ainsi, dans ce contexte, saisir les dynamiques des politiques migratoires européennes est essentiel pour comprendre les défis auxquels la Belgique est confrontée et anticiper les évolutions à venir.

L’un des dispositifs clés encadrant la gestion des demandes d’asile en Europe est le règlement Dublin III, qui détermine quel État membre est responsable du traitement d’une demande d’asile. Toutefois, la crise1 migratoire de 2015 a révélé les limites de ce système, mettant à mal les capacités des pays de première entrée, comme la Grèce et l’Italie, et exacerbant les inégalités de répartition entre États membres. Face à ces failles, l’UE a amorcé une réforme du règlement Dublin, mais a finalement opté, en 2020, pour une approche plus globale : le Pacte européen sur la migration et l’asile. Ce dernier vise à renforcer la coopération entre États membres, à lutter contre le trafic d’êtres humains et à organiser le retour des migrants en situation irrégulière.

Dans cette analyse, l’IRFAM se propose d’examiner les implications de ce pacte dans une perspective d’éducation permanente. En quoi ce nouveau cadre européen renforce-t-il les logiques de sécurisation et d’externalisation des migrations ? Pourquoi semble-t-il insuffisant pour garantir une politique d’asile équitable et solidaire ? Quelles alternatives pourraient être envisagées ?

Evolution des politiques européennes : une volonté d’harmonisation et de coopération

L’abolition des frontières intérieures dans l’espace Schengen en 1995 a accentué la nécessité d’une gestion concertée de la migration au sein de l’UE. Toutefois, si cette ouverture a favorisé la libre circulation des citoyens européens, elle a aussi renforcé les contrôles aux frontières extérieures (Thielemann et Armstrong, 2012).

Le traité de Maastricht (1992) a marqué une première étape en institutionnalisant la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures, mais il s’est rapidement révélé insuffisant face à l’augmentation des flux migratoires. Le traité d’Amsterdam (1999) a alors introduit une base légale plus structurée, visant à harmoniser les politiques migratoires et à établir des règles communes en matière de contrôle des frontières et d’accueil des ressortissants de pays tiers.

Reconnu comme un droit fondamental depuis la Convention de Genève de 1951, l’asile incarne l’engagement de l’UE à offrir protection et dignité aux demandeurs d’asile. Afin de garantir ce principe, l’UE a instauré en 1999 le Common European Asylum System (CEAS), un cadre structurant comprenant notamment le règlement de Dublin et le système EURODAC, conçu pour coordonner l’enregistrement et la répartition des demandeurs d’asile entre les États membres.

La gestion de la migration à travers le prisme de la sécurité

Depuis les années 2000, les politiques migratoires de l’UE se sont inscrites dans une logique de sécurisation. Après le 11 septembre 2001, la migration a été de plus en plus perçue comme une menace, nourrissant des discours alarmistes relayés par les médias et les gouvernements (Baker, 2016). La notion de « crise migratoire » est ainsi devenue un levier rhétorique justifiant le durcissement des politiques migratoires (Chetail, 2016).

Adopté en 2010, le programme de Stockholm traduit cette orientation en faisant de la sécurité intérieure une priorité stratégique, accentuant la lutte contre la criminalité transfrontalière et renforçant le pouvoir de Frontex dans la surveillance des frontières extérieures. Ainsi, la gestion de l’asile s’est progressivement intégrée aux impératifs sécuritaires. Si les États membres peinent à trouver un consensus sur leur politique migratoire, ils s’accordent néanmoins sur un durcissement des mesures visant à limiter les migrations irrégulières et à combattre le trafic d’êtres humains (Strik, 2017). Cette dynamique a conduit à une succession de révisions d’accords et de traités, sans pour autant corriger les déséquilibres entre États membres.

L’un des dispositifs emblématiques de cette politique est le règlement Dublin, considéré comme une « pierre angulaire de la gestion sécuritaire des migrations » en Europe. Instauré en 1990 et révisé en 2003 sous le nom de Dublin II, il attribue la responsabilité du traitement des demandes d’asile au premier pays d’entrée dans l’UE. Cependant, en l’absence de normes communes sur les procédures et les conditions d’accueil, ce système a creusé les inégalités entre États membres, rendant certains territoires plus attractifs que d’autres pour les demandeurs d’asile. Plutôt que d’atténuer ces disparités, Dublin II a renforcé la pression sur les États frontaliers en leur imposant une charge disproportionnée. En érigeant la règle du « premier pays d’arrivée » en principe structurant, l’UE a consolidé un modèle qui privilégie la surveillance et le contrôle au détriment d’une répartition plus équitable des responsabilités (Cellini, 2017). Ainsi, sous couvert de sécurité intérieure, l’Europe a instauré un dispositif rigide, où la gestion des flux migratoires repose davantage sur une logique de contention que sur une véritable solidarité entre États membres.

Externalisation de la migration

L’externalisation des politiques migratoires de l’UE repose sur un double mécanisme visant à déléguer la gestion des flux migratoires à des acteurs extérieurs.

Le premier niveau concerne les États membres situés en périphérie, contraints de traiter l’essentiel des demandes d’asile en vertu du système Dublin. Ce dispositif, renforcé par EURODAC — facilitant le renvoi des requérants vers leur premier pays d’entrée —, alourdit leur charge tout en limitant la possibilité pour les demandeurs d’asile de choisir leur pays d’accueil (Thielemann et Armstrong, 2012).

Le second niveau consiste à déléguer la gestion migratoire aux États tiers par le biais d’accords bilatéraux et des programmes comme l’European Neighborhood Policy. En échange d’avantages économiques, ces pays sont incités à renforcer leurs contrôles frontaliers et à réadmettre les migrants expulsés du territoire européen. L’accord UE-Turquie de 2016 en est l’illustration la plus emblématique : en contrepartie d’une aide européenne, la Turquie s’engage à reprendre les migrants arrivés en Grèce avant mars 2016.

Parallèlement, l’UE appuie des mesures de surveillance maritime, notamment via Frontex, qui collabore avec les garde-côtes libyens pour intercepter et refouler les embarcations en mer vers la Libye. Une pratique qui viole le principe de non-refoulement en renvoyant des personnes vers des zones où leur sécurité est menacée (Baker, 2016).

Ainsi, l’externalisation des politiques migratoires européennes vise avant tout à contenir les réfugiés hors du territoire européen, restreignant l’accès aux pays du nord et de l’ouest. Associée à une approche sécuritaire rigide, elle limite les possibilités de protection internationale et soulève d’importants enjeux en matière de respect des droits fondamentaux. L’efficacité du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile doit donc être questionnée à l’aune de ces enjeux.

Le pacte européen sur la migration et l’asile : une solution complémentaire ?

« Nous adopterons une approche axée sur l’humain et empreinte d’humanité. Le sauvetage des vies humaines en mer n’est pas optionnel. Et les pays qui remplissent leurs obligations juridiques et morales ou qui sont plus exposés que les autres doivent pouvoir compter sur la solidarité de toute notre UE. […] Nous devons tous intensifier nos efforts en la matière et prendre nos responsabilités »
(Discours sur l’état de l’Union 2020 par la présidente von der Leyen).

Ces mots illustrent l’ambition du pacte européen sur la migration et l’asile : conjuguer humanité et responsabilité collective. À la suite de la crise de 2015-2016 qui a révélé les failles du système Dublin, la Commission européenne a tenté, en avril 2016, une réforme avec Dublin IV, visant une répartition plus équitable des demandes d’asile (Tardis, 2023). Toutefois, faute de consensus entre États membres, la proposition a été abandonnée, au profit d’un cadre plus large pour la gestion des migrations et de l’asile.

Le nouveau pacte reconnaît qu’aucun État membre ne devrait supporter une responsabilité disproportionnée et insiste sur une solidarité systématique. Il propose une approche globale, intégrant un progrès en matière de migration, d’asile, d’intégration et de gestion des frontières. Le pacte vise à instaurer des procédures migratoires plus rapides et fluides, tout en renforçant la gouvernance grâce à des outils technologiques modernes et des agences plus efficaces. Toutefois, en confrontant les déclarations de la présidente von der Leyen aux procédures prévues par le pacte, se pose légitimement la question de la durabilité, de l’équité et de la fiabilité de cette approche. Par ailleurs, en maintenant le système de régulation Dublin III, révisé en 2013, le pacte perpétue des limites qui compliquent la mise en œuvre effective de la solidarité.

Un cadre de solidarité à géométrie variable

Le pacte européen ne remet pas en cause le principe du « premier pays d’entrée », maintenant les États frontaliers en première ligne. Toutefois, afin de préserver une certaine équité entre les États membres, le Conseil et le Parlement européens prônent un cadre commun de solidarité.

Ce dispositif repose sur deux mécanismes : la relocalisation et le parrainage en matière de retour. Le mécanisme de relocalisation vise à transférer des demandeurs d’asile d’un État sous pression vers d’autres pays, selon des critères démographiques et économiques, dans une logique de quotas. Tandis que le parrainage en matière de retour prévoit qu’un État membre apporte une assistance au pays sous pression pour faciliter le rapatriement des personnes déboutées du droit d’asile. L’État parrain assume la responsabilité en cas d’échec du rapatriement dans le délai imparti. Toutefois, ce dispositif pose problème : les États membres peuvent choisir les nationalités à parrainer, privilégiant celles dont le retour est jugé plus probable. Cette sélection pourrait accentuer la discrimination et aller à l’encontre du principe d’égalité. Certains dénoncent la déshumanisation des demandeurs d’asile, perçus comme des objets à déplacer ou expulser, au détriment de leurs droits fondamentaux (Nascimbene, 2016).

Par ailleurs, ces dispositions ne déchargent pas les pays frontaliers de leur rôle de « gardiens » du régime d’asile européen. Le droit à la réunification familiale demeure bafoué, imposant aux demandeurs des séparations et des restrictions dans le choix de leur destination. De plus, l’absence de mesures contraignantes laisse aux États membres la liberté d’agir selon leur bon vouloir, ce qui compromet la mise en œuvre d’une véritable solidarité. Malgré un cadre commun définissant les délais d’examen des demandes, les conditions d’accueil et les possibilités d’intégration après l’obtention du statut, de grandes disparités persistent. Par exemple, le traitement d’une demande varie de quelques mois en Suède à plus de deux ans en Belgique, en France ou en Italie (Cellini, 2017).

Renforcement de l’efficacité des frontières extérieures

Bien que la gestion des frontières extérieures de l’UE soit une responsabilité partagée entre les États membres et les pays associés à l’espace Schengen, d’importantes disparités subsistent. Frontex et d’autres acteurs nationaux assurent ce contrôle, tandis que la Commission européenne cherche à instaurer un cadre stratégique unifié.

La stratégie européenne reste centrée sur le renforcement des frontières et la sécurité. Le pacte prévoit notamment l’amélioration des systèmes informatiques, tels que le système européen d’information sur les visas pour une meilleure interopérabilité. Cette approche sécuritaire suscite de nombreuses critiques, jugée inefficace face à l’immigration clandestine en hausse, elle semble aussi en contradiction avec les valeurs de solidarité et d’humanité portées par l’UE (Tardis, 2023).

Non seulement l’intensification du contrôle frontalier n’a pas réduit le nombre de migrants, mais elle a éaussi conduit à une hausse des décès, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis (Baker, 2016). De plus, les politiques d’asile actuelles prolongent les délais de traitement des dossiers et accentuent la marginalisation des migrants. Le volet sécuritaire se retrouve également dans la lutte contre le trafic de migrants, souvent assimilés à la traite des êtres humains. Dans cette optique, la Commission envisage de renforcer la criminalisation de l’aide à l’immigration clandestine, notamment en révisant la directive 2002/90/CE, même si elle peut parfois paraître disproportionnée comme l’illustre l’exemple belge de la criminalisation de la solidarité abordée dans une étude de l’IRFAM.

Parallèlement, l’UE poursuit sa politique d’externalisation des contrôles migratoires via des accords avec des pays tiers tels que la Turquie. Cependant, ces stratégies soulèvent des questions sur le respect des droits humains. Chetail (2016) rappelle que la Turquie, bien qu’ayant ratifié la Convention de Genève, limite le statut de réfugié aux Européens, laissant les autres catégories de demandeurs dans une grande précarité. Amnesty International a d’ailleurs dénoncé des violations graves, notamment des déportations arbitraires et des violences à l’encontre des migrants à la frontière turco-syrienne.

En renforçant ces accords bilatéraux, l’UE court le risque de cautionner, voire d’encourager, des pratiques contraires aux droits fondamentaux. Son approche migratoire, centrée sur la sécurité et l’externalisation, peut conduire l’UE à un désengagement face à la violation des droits humains.

Propositions d’alternatives

Le pacte européen sur la migration et l’asile, actuellement en discussion à la Commission européenne, peine à apporter une réponse efficace aux défis du partage des responsabilités entre les États membres. Son absence de mesures contraignantes rend l’application de la solidarité incertaine, tandis que son approche privilégie la sécurité au détriment de la dimension humaine. L’externalisation des flux migratoires suscite également des inquiétudes quant au respect des droits fondamentaux. Dans cette perspective, il est essentiel d’envisager des alternatives plus respectueuses du caractère humain de la migration.

Quotas

La répartition des responsabilités en matière d’accueil des migrants au sein de l’UE est un enjeu central des négociations entre le Conseil et le Parlement européens (Rossi, 2017). Un système de quotas pourrait favoriser la coopération entre États membres et structurer plus efficacement la gestion des flux migratoires. Conçu dans une optique humanitaire, il vise à promouvoir la solidarité tout en garantissant le respect des droits fondamentaux des personnes concernées (Baker, 2016).

Deux approches se dégagent. D’un côté, le système de quotas basé sur la capacité d’accueil attribue à chaque pays un nombre de réfugiés en fonction de critères objectifs, tels que la densité de population, le PIB par habitant ou la superficie du territoire. Cette méthode garantit une répartition plus équitable, les États aux ressources plus importantes prenant en charge une part plus conséquente de l’accueil. De l’autre, le système de quotas échangeables repose sur un mécanisme de négociation entre les pays. Les États plus disposés à accueillir des réfugiés peuvent ainsi alléger la charge de ceux qui le sont moins, offrant une solution plus souple et politiquement acceptable.

Toutefois, l’adoption de tels dispositifs suscite une forte réticence parmi les États membres. Beaucoup craignent un impact sur leur profil démographique, ainsi qu’une perte de souveraineté et de contrôle sur leurs frontières. Cette opposition illustre une priorité donnée aux intérêts nationaux, au détriment d’une approche collective, un phénomène accentué par la montée des partis populistes en Europe (Rossi, 2017).

La conception d’un système de quotas juste et efficace se heurte à la complexité des dynamiques migratoires. Entre les deux modèles envisagés, celui fondé sur la capacité semble a priori plus équitable et politiquement envisageable. Toutefois, ses critères de répartition ne reflètent pas toujours fidèlement la capacité réelle d’un pays à accueillir des réfugiés. Certains États, bien que disposant des ressources nécessaires, rechignent à s’engager, tandis que d’autres pourraient exagérer leurs difficultés pour obtenir des quotas réduits. Ces déséquilibres risquent de fragiliser le dispositif, d’accroître les tensions entre États et de compromettre son efficacité.

Enfin, une question essentielle demeure : le respect des droits fondamentaux des réfugiés. Leur consentement est indispensable à toute relocalisation, et un système de quotas strict pourrait aller à l’encontre de cette exigence. Malgré son ambition d’équité, le modèle fondé sur la capacité d’accueil n’apparaît donc ni pleinement viable ni totalement conforme aux principes humanitaires (Baker, 2016).

Protection temporaire

Au 30 septembre 2024, 4,3 millions de citoyens non européens ayant fui l’Ukraine après l’invasion russe du 24 février 2022 bénéficiaient d’un statut de protection temporaire dans l’UE. Bien que cette directive ait été adoptée en 2001 en réponse aux conflits en ex-Yougoslavie, elle n’avait jamais été mise en œuvre à nouveau avant cette crise. Lors de la vague migratoire de 2015, son activation avait été envisagée, puis abandonnée par crainte d’un afflux incontrôlé concentré sur certains pays.

Ce statut a permis aux Ukrainiens de circuler librement au sein de l’UE et de bénéficier de droits fondamentaux tels que la réunification familiale, l’accès à l’emploi et à l’éducation. Pendant trois mois, ils ont pu choisir leur pays d’accueil sans subir de procédure de filtrage ni être soumis au règlement de Dublin. Cet accueil inédit constitue un contre-exemple aux débats sur la réforme de Dublin IV, illustrant comment cette approche a permis d’éviter une nouvelle crise migratoire.

L’expérience ukrainienne souligne l’intérêt de permettre aux demandeurs de protection de se déplacer librement au sein de l’UE. Elle met également en évidence les limites du système de Dublin, dont la rigidité pourrait être atténuée par un recours accru aux clauses humanitaires et de souveraineté déjà existante. Cette gestion, fondée sur la solidarité, la défense des droits humains et l’implication de la société civile, s’est révélée plus efficace que les politiques mises en place depuis 2015, axées avant tout sur le contrôle des frontières et la restriction des entrées, comme en témoigne une étude suédoise.

Différence de traitement

L’analyse des données révèle un écart significatif entre le nombre de demandeurs d’asile et celui des bénéficiaires de la protection temporaire en Europe. En Allemagne, par exemple, on recense 243 835 demandes d’asile, contre 1 235 960 Ukrainiens bénéficiant de ce statut, soit un ratio de 1 à 5 en faveur de ces derniers. À une échelle plus large, au cours des sept premiers mois de 2023, 601 600 demandes d’asile ont été déposées, alors que 4,2 millions d’Ukrainiens ont bénéficié d’une protection temporaire.

Cette disparité s’explique par plusieurs facteurs. La proximité géographique a facilité l’arrivée des réfugiés ukrainiens en Europe, tandis que les liens géopolitiques entre l’Ukraine et l’UE ont renforcé la volonté politique de les accueillir. De plus, des similitudes culturelles ont favorisé une perception plus positive de ces exilés. Ces éléments ont conduit à une prise en charge plus rapide et plus étendue des Ukrainiens, suscitant des interrogations sur l’équité du système d’asile européen, singulièrement en Belgique.

Si certains jugent cette différence de traitement justifiée par l’urgence du conflit, il faut y voir une inégalité de considération envers les demandeurs d’asile issus d’autres régions du monde. Dans cette perspective, l’UE doit reconnaître que tous les réfugiés partagent un même besoin de protection et œuvrer à des politiques plus cohérentes, basées sur une solidarité flexible entre États membres (Tardis, 2023).

Citoyenneté européenne des réfugiés

Instaurée par le traité de Maastricht en 1992, la citoyenneté européenne constitue le fondement de la proposition développée par Cellini (2017). En vertu de cette citoyenneté, tout ressortissant d’un État membre de l’UE (ou de l’AELE) bénéficie de droits fondamentaux, tels que la libre circulation et la participation politique, indépendamment de sa nationalité.

Le pacte européen sur la migration et l’asile ne semble pas plus efficace que le système de Dublin pour assurer un partage équilibré des responsabilités entre les États membres ni pour garantir le respect des droits fondamentaux des réfugiés et demandeurs d’asile. De plus, son caractère restrictif incite de nombreux migrants à emprunter des voies illégales et dangereuses. Face à ces limites, Cellini propose une alternative ambitieuse : l’octroi d’une citoyenneté européenne aux réfugiés, permettant ainsi de faciliter leurs déplacements secondaires et leur intégration au sein de l’UE.

Cette citoyenneté s’accompagnerait de droits essentiels, notamment la liberté de circulation et de résidence dans l’ensemble de l’Union, le droit de vote aux élections locales et européennes dans l’État membre de résidence, la protection consulaire par tout État membre dans un pays tiers en l’absence de représentation nationale, ainsi que le droit de pétition auprès du Parlement européen et de recours auprès du médiateur européen. En réduisant les disparités de traitement entre pays membres, cette mesure offrirait aux réfugiés la possibilité de rejoindre des proches, de s’installer dans un pays dont ils maîtrisent la langue et d’envisager un avenir plus stable. D’un point de vue juridique, un tel système garantirait une meilleure harmonisation des droits humains sur l’ensemble du territoire européen. Sur le plan économique, il représenterait un atout pour l’UE, en permettant aux réfugiés de contribuer activement au marché du travail. En outre, leur liberté de choix quant à leur pays de résidence favoriserait leur intégration sociale et culturelle. Bien que cette proposition puisse sembler idéaliste et soulève certaines interrogations quant à sa mise en œuvre, elle offrirait une réponse plus en cohérence avec les principes démocratiques. En plaçant enfin l’humain au cœur de la gestion migratoire, elle permettrait une répartition plus équilibrée des réfugiés, allégeant ainsi la pression sur certains États membres et renforçant la solidarité au sein de l’UE.

Conclusion

Cette analyse s’inscrit dans une volonté de mettre en évidence la manière dont l’UE dissimule ses véritables intentions derrière un discours humanitaire, masquant en réalité un durcissement des contrôles aux frontières et une externalisation croissante des responsabilités migratoires.

L’exploration du contexte historique a permis de souligner que, si l’objectif affiché des politiques migratoires européennes repose sur l’harmonisation et la coopération entre États membres, leur mise en œuvre repose avant tout sur des logiques sécuritaires et externalisées. Le Pacte sur la Migration et l’Asile, bien que présenté sous un prisme humanitaire, renforce ces tendances, comme en témoigne le principe de parrainage, qui introduit une sélectivité fondée sur la nationalité. Ce mécanisme soulève des interrogations majeures sur l’équité et la justice dans le traitement des demandeurs d’asile. Par ailleurs, ces politiques continuent de privilégier la sécurité et le renvoi au détriment du respect des droits fondamentaux et de l’approche humanitaire.

Pourtant, la gestion des réfugiés ukrainiens et la proposition de l’octroi d’une citoyenneté européenne aux réfugiés ouvrent des perspectives alternatives. Ces approches montrent qu’il est possible d’imaginer une politique migratoire plus humaine, qui respecte réellement les droits fondamentaux. Elles rappellent aussi l’importance de réfléchir collectivement à des solutions qui allient solidarité entre États membres et efficacité dans la gestion des flux migratoires. C’est dans cette optique que l’IRFAM encourage les décideurs à s’inspirer de ces modèles pour adapter leurs politiques migratoires.

Bibliographie

Baker D. (2016), « Challenges and Proposed Alternatives for EU Policy in Managing Migration from its Southern Borders », Studia Europejskie, v. 20, n° 77, p. 125‑147.

Cellini M. (2017), « Filling the Gap of the Dublin System : A Soft Cosmopolitan Approach, Journal of Contemporary European Research, v. 13, n° 1, p. 945-962.

Chetail V. (2016), « Looking beyond the Rhetoric of the Refugee Crisis : The Failed Reform of the Common European Asylum System », European Journal of Human Rights, n° 5, p. 584‑602.

Nascimbene B. (2016), « Refugees, the European Union and the Dublin system. The Reasons for a Crisis », European Papers – A Journal on Law and Integration, v. 1, n° 1, p. 101‑113.

Rossi E. (2017), « Superseding Dublin : The European asylum system as a non-cooperative game, International Review of Law and Economics, v. 51, p. 50‑59.

Strik T. (2017), « The Global approach to Migration and Mobility », Groningen Journal of International Law, v. 5, n°2, p. 310-328.

Tardis M. (2023), « Politiques migratoires en Europe : quelles alternatives ? », Politique étrangère, v. 233, n° 3, p. 169‑180.

Thielemann E. et Armstrong C. (2012), « Understanding European asylum cooperation under the Schengen/Dublin system : a public good framework », European security, v. 22, n° 2, p. 148-164.

Notes

  1. L’emploi du terme « crise » dans ce contexte est délibéré. Il reflète la perspective européenne dominante, où la situation migratoire est appréhendée comme un défi majeur, voire une menace. Ce choix lexical n’est pas neutre, car il contribue à forger une représentation de la situation comme étant hors de contrôle, inédite et nécessitant des réponses urgentes. Par conséquent, il légitime des mesures de protection renforcée des frontières et une régulation plus stricte des migrations.

Christina Cerfontaine